4° dimanche - Temps Ordinaire

Première lecture (So 2, 3 ; 3, 12-13)

« Cherchez le Seigneur, vous tous, les humbles du pays, qui accomplissez sa loi. Cherchez la justice, cherchez l’humilité : peut-être serez-vous à l’abri au jour de la colère du Seigneur. Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ; il prendra pour abri le nom du Seigneur. Ce reste d’Israël ne commettra plus d’injustice ; ils ne diront plus de mensonge ; dans leur bouche, plus de langage trompeur. Mais ils pourront paître et se reposer, nul ne viendra les effrayer. – Parole du Seigneur » (So 2, 3 ; 3, 12-13)

Sophonie dans l’histoire biblique

En -680, Asarhaddon devient roi de Ninive (2R 19, 37). Nous savons par les tablettes cunéiformes que sous son règne, l’Empire assyrien va s’étendre jusqu’à englober la Basse-Égypte et plusieurs oasis de l’Arabie. Il reçoit les tributs des petits rois locaux parmi lesquels Manassé à Jérusalem.

Manassé avait douze ans à son avènement et il régna 55 ans à Jérusalem (697 (?) -642).

D’un point de vue politique, il récupéra son territoire et lui rendit la prospérité dans la sphère économique assyrienne.

D’un point de vue religieux, Manassé revient au culte des Baals que son père Ezéchias avait abolis, sans doute parce qu’il interpréta la destruction de toute la Shefelah (la partie sud-ouest du royaume de Juda,) par Sennachérib comme une conséquence de la sévérité avec laquelle son père Ezéchias avait traité les cultes de Baal et Ashera. Manassé aurait voulu apaiser ces divinités en les honorant davantage…

Pire encore, il installe dans le temple le culte assyrien des astres.

       « Il rebâtit les hauts lieux qu’avait détruits Ezéchias, son père, il éleva des autels à Baal et fabriqua un pieu sacré, comme avait fait Achab, roi d’Israël […] Il construisit des autels à toute l’armée du ciel dans les deux cours du Temple du Seigneur. Il fit passer son fils par le feu. Il pratiqua les incantations et la divination, installa des nécromants et des devins, il multiplia les actions que le Seigneur regarde comme mauvaises, provoquant ainsi sa colère. Il plaça l’idole d’Ashera, qu’il avait faite, dans le Temple » (2Rois 21, 1-7)

Pendant un demi-siècle, aucune voix prophétique ne peut se faire entendre (les prophètes en Israël sont dans une sorte d’exil intérieur).

Quand enfin l’Assyrie se met à décliner, un réveil religieux se produit dans le royaume de Juda. Le peuple se rallie autour d’un enfant, l’héritier des promesses : « Josias avait huit ans à son avènement et il régna 31 ans à Jérusalem […] Il fit ce qui est agréable à YHWH et imita en tout la conduite de son ancêtre David, sans en dévier ni à droite ni à gauche » (2R 22, 1-2).

Et, finalement, en -612, Ninive est abattue par les Babyloniens. La chute de Ninive est pour les pauvres de Jérusalem, avec le prophète Nahum, le signe éclatant de la justice de Dieu. « C’est à cause des prostitutions sans nombre de la prostituée !» (Nahum 3, 4-5).

Sophonie, qui vécut pendant le règne de Josias (So 1, 1), exulte pour la présence du Seigneur dans le Temple de Jérusalem, une présence sanctifiante : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! […] YHWH est roi d’Israël au milieu de toi... » (Sophonie 3,14−17).

Hélas, quelques décennies plus tard, les armées de Nabuchodonosor détruiront le Temple. Mais les oracles de Sophonie seront conservés ; Sophonie nourrira l’attente messianique. 

Prolongeons la première lecture de ce dimanche en lisant un peu avant le passage sélectionné dans la liturgie :

« 1 Malheur à la rebelle, la souillée, à la ville tyrannique! 2 Elle n'a pas écouté l'appel, elle n'a pas accepté la leçon; au Seigneur elle ne s'est pas confiée, de son Dieu elle ne s'est pas approchée. 3 Ses princes au milieu d'elle sont des lions rugissants; ses juges, des loups de la steppe qui ne gardent rien pour le matin; 4 ses prophètes sont des vantards, des imposteurs; ses prêtres profanent les choses saintes, ils violent la Loi. » (So 3, 1-4) « 8 J'ai décrété de réunir les nations, de rassembler les royaumes, pour déverser sur vous ma fureur, toute l'ardeur de ma colère. (Car du feu de ma jalousie toute la terre sera dévorée.) » (So 3, 8) « J'écarterai de ton sein tes orgueilleux triomphants; et tu cesseras de te pavaner sur ma montagne sainte. 12 Je ne laisserai subsister en ton sein qu'un peuple humble et modeste » (So 3, 11-12).

Et ce qui vient après la lecture de ce dimanche : « 14 Pousse des cris de joie, fille de Sion! une clameur d'allégresse, Israël! Réjouis-toi, triomphe de tout ton coeur, fille de Jérusalem! 15 le Seigneur a levé la sentence qui pesait sur toi; il a détourné ton ennemi. Yahvé est roi d'Israël au milieu de toi. Tu n'as plus de malheur à craindre. 16 Ce jour-là, on dira à Jérusalem: Sois sans crainte, Sion! que tes mains ne défaillent pas! 17 Yahvé ton Dieu est au milieu de toi, héros sauveur! Il exultera pour toi de joie, il te renouvellera par son amour; il dansera pour toi avec des cris de joie » (So 3, 14-17)

Le récit de l’Annonciation selon saint Luc présente de grandes affinités avec la prophétie de Sophonie.

       « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Une clameur d’allégresse, Israël ! Réjouis-toi, triomphe de tout ton cœur, fille de Jérusalem ! » (So 3,14)

       « [L’ange] entra et lui dit : "Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi."» (Lc 1,28)

       « YHWH est ROI d’Israël au milieu de toi » (So 3,15).

       « Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le TRONE DE DAVID, son père; il REGNERA sur la maison de Jacob pour les siècles et son REGNE n’aura pas de fin » (Lc 1,32-33).

       « Tu n’as plus de malheur à craindre. Ce jour-là, on dira à Jérusalem: Sois sans crainte, Sion! Que tes mains ne défaillent pas ! » (So 3,15-16)

       « Et l’ange lui dit : "Sois sans crainte, Marie; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu » (Lc 1,30).

       « YHWH ton Dieu est au milieu de toi, héros sauveur*! » (So 3,17)

       « Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus* » (Lc 1,33). Jésus signifie sauveur.

À travers tous ces parallèles, saint Luc reconnaît dans la Vierge Marie la "fille du Sion", le reste fidèle d’Israël qui, dans son humilité, sa pauvreté et dans sa sainteté, attend la joie de la venue de Dieu dans son Messie.

Pour aller plus loin : BREYNAERT, Françoise, Parcours biblique, Le berceau de l’Incarnation, Parole et Silence, Paris 2016.

Psaume Ps 145 (146)

« Le Seigneur fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain, le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes. Le Seigneur protège l’étranger, il soutient la veuve et l’orphelin, le Seigneur est ton Dieu pour toujours » (Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10b)

Méditons ce psaume avec l’évangile de ce dimanche qui nous fait entendre les Béatitudes, que nous allons méditer avec une traduction à partir de l’araméen.

Les exégètes parlent d’un texte syriaque. Mais Mgr Mirkis, qui a préfacé mon livre sur saint Jean, qui est irakien va pas parler d’une langue syriaque, de même,  Mgr Alichoran intitule son livre « l’évangile en araméen », ce qui ne signifie pas que nous confondons cette langue avec l’araméen de l’Ancien Testament, effectivement assez différente. Né en 1928 en Turquie du sud-est, Mgr Alichoran a été ordonné à Mossoul en 1954 (Irak), recteur de la mission chaldéenne de Paris de 1973 jusqu’à sa mort en 1987, il est l’auteur de Mgr Alichoran, L’évangile en araméen Mt 5–7, éditions Bellefontaine (spiritualité orientale n °80).

« Or quand Jésus vit les foules,
il monta à la montagne
et quand il fut assis;
ses disciples approchèrent auprès de Lui.

Et il ouvrit la bouche,
et il les enseignait et disait :
Heureux les pauvres en esprit
car il est à eux le Royaume des Cieux. »

C’est le même mot « pauvre » lorsque Judas réprouve tout l’argent dépensé par Marie qu’on aurait pu donner aux pauvres, ou encore Zachée qui donne aux pauvres la moitié de sa fortune.

Mais c’est pauvre « en esprit », c’est le mot esprit rūḥ, il faut garder ce mot-là, c’est l’être profond de l’humain, ce qu’on a appelé un peu schématiquement la mentalité, mais c’est plus profond que la mentalité, cela comprend le caractère, quand on est bon, on ne peut pas être attaché aux richesses parce que c’est un mal.

Il ne s’agit pas non plus de dire le ‘pauvre’, pour la victime de quelque malheur, c’est quelqu’un qui ne possède pas en lui-même de facultés pour faire le mal, mais non parce qu’il aurait été créé comme cela dans son tempérament, mais parce que, de par sa bonté même, il refuse de faire le mal à quiconque. Sur tous les plans, il est pauvre en méchanceté : il ne s’irritera jamais, il est doux, il est humble, il n’a pas d’envie, il porte en lui beaucoup de qualités, il a toutes les autres béatitudes, il est positif. Jésus est pour ces pauvres ; vous voyez la récompense qui est attachée à ceux-ci ! Le pauvre en esprit, il n’inspire pas la pitié, il inspire l’amour. On dira de lui : mais il est saint sur cette terre !

Jésus s’adresse à des Juifs, mais aussi à des gens qui ne connaissent pas forcément Dieu, mais qui ont une conscience très délicate, et ne veulent pas faire du mal, ni s’attacher au mal. Les pauvres en esprit sont ceux qui sont libérés de l’esprit du monde. Ils ne possèdent pas l’esprit de Mammon, ils sont détachés, on dira d’eux : il a une âme de saint sur cette terre.

« Heureux ceux qui pleurent,
car eux ils vont être consolés. » (Mt 5, 4)

La Béatitude de ceux qui pleurent peut être comprise à partir du prophète Ezéchiel : « Parcours la ville, parcours Jérusalem et marque d'une croix au front les hommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d'elle » (Ez 9, 4). Ceux parmi vous qui ont une âme délicate et qui pleurent sur les abominations de notre époque sont marqués au front d’une croix, c’est tout l’inverse de la marque de la bête.

En grec, « bienheureux ceux qui pleurent », le verbe grec connote d’abord ceux qui sont dans le deuil. En araméen, les affligés, abilé (prononciation syriaque) ou aouilé (prononciation irakienne), est un mot dont la racine recouvre le deuil et les larmes.

Mgr Alichoran, dans L’évangile en araméen Mt 5–7, éditions Bellefontaine (spiritualité orientale n °80), explique : le mot de àouilé n’est justement pas lié au malheur ; les àouilé ce ne sont pas des gens qui auraient perdu leur femme ou leur fortune ou leur frère. Quand je pense à ce mot, dit Mgr Alichoran, je pense à des gens qui ont quitté ce monde parce que ce monde n’est pas la source de leur joie ; ce sont des gens endeuillés pour les péchés du monde, pour le mal, vous voyez, ils pleurent pour cela (on retrouve Ezéchiel 9, 4) ; ils sont détachés, oui, solitaires, aussi. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que dans la tradition de l’Église orientale, ce mot àouilé a été donné à une certaine catégorie de moines ; on les a appelés les àouilé. Et dans la liturgie des Ninivites, on dit : Prions pour les endeuillés de nos péchés : les àouilé.

A ce propos on raconte l’histoire suivante concernant des enseignements du patriarche Isho Yab III pour les monastères (VIIIème siècle) : on voulait réformer un monastère et y construire une école pour enseigner la liturgie mais les moines ont protesté, disant qu’une école serait trop bruyante, le bruit pourrait les empêcher de prier dans leurs cellules et risquait de les distraire de leur vocation qui était de pleurer sur les péchés du monde ! Aouilé est un mot très riche, il n’a aucun sens négatif. La plus grande joie, la plus grande consolation, c’est de servir le Christ. — Mgr Alichoran : On pourrait traduire ceux qui ne « trouvent » pas leur joie dans ce monde, qui « n’ont pas » leur joie en ce monde.

(Les affligés, ceux qui pleurent, sont concernés par la deuxième béatitude dans la Peshitta et dans la moitié des manuscrits grecs (Mt 5, 4), mais c’est la troisième béatitude dans le texte liturgique latin).

« Heureux ceux qui aiment avec miséricorde car sur eux vont être les miséricordes (de l’amour) » (Mt 5, 7). Les miséricordieux ce sont des gens qui ont un coeur si vivant, que devant des gens qui ont besoin d’une aide, leur coeur sent le malheur, et agit pour y porter remède. Ils ne sont pas uniquement compatissants, parce que les gens qui sentent le malheur des autres, mais qui n’ont pas assez de générosité pour agir, ceux-là ne pourront pas être appelés miséricordieux.

Deuxième lecture 1 Co 1, 26-31

« Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est ; ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu. C’est grâce à Dieu, en effet, que vous êtes dans le Christ Jésus, lui qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification, rédemption. Ainsi, comme il est écrit : Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur. – Parole du Seigneur. » (1 Co 1, 26-31)

Jésus, nous dit saint Paul, est devenu pour nous sagesse venant de Dieu ḥeḵmṯā men ᵓălāhā, justice zaddīqūṯā, sanctification qaddīšūṯā, rédemption pūrqānā.

  • zaddīqūṯā c’est la justice ou la sainteté humaine, dans le psaume, il est dit que Dieu aime les justes zadīqé (Ps 145 (148), 8). Jésus dit ailleurs qu’à la Parousie, « les justes zadīqé brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père » (Mt 13, 43). Dans la parabole du pharisien et du publicain venus prier au Temple, le publicain revient plus zadīq que le pharisien, c’est-à-dire qu’il est plus sanctifié que celui qui se justifie lui-même : il s’est repenti, Dieu l’a cccc sanctifié (Luc 18, 14).

  • qaddīšūṯā c’est la sainteté ou la virginité, de la même racine que qūdšā le sanctuaire, la sainteté divine, Dieu est le pur, aucune tâche de mal n’est en lui ; Dieu est qaddīšā, et dans le Notre Père, c’est cette racine que l’on retrouve dans « que ton nom sanctifié » ; par contre, il serait incongru de qualifier Dieu de zadīq : ce mot, c’est pour les hommes. L’Esprit Saint, l’Esprit de Sainteté, c’est rūḥā dqūḏšā. Il est divin et peut nous diviniser. Dès l’ancien Testament il est dit : « Soyez saints [qaddīšin], car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint [qaddīšā] » (Lc 19, 2).

  • pūrqānā, c’est la rédemption, la délivrance, rappelons que les disciples de Jésus n’attendent pas uniquement une rédemption individuelle, mais aussi le salut du monde, sa libération de l’emprise du mal (Lc 21, 28).

En tant qu’il est Dieu, Jésus a toujours été saint, qūdšā et qaddīšūṯā, mais il l’est devenu pour nous. De même que les Hébreux avaient besoin d’un sanctuaire, de même nous avons besoin de Jésus comme lieu saint, lieu de sanctification.

Quant à Jésus, il n’est qualifié de zadīq que dans une seule circonstance, et sur des lèvres de païens : la femme de Pilate lui demande qu’il n’y ait rien entre toi et ce saint (zadīq), et Pilate se déclare innocent du sang de ce saint (zadīq) (Mt 27, 19 et 24). Jésus est beaucoup plus qu’un zadīq, il est qaddīšā comme l’ange Gabriel l’annonce à Marie (Lc 1, 35).

Jésus, en tant qu’homme, est devenu pour nous zaddīqūṯā, c’est-à-dire un modèle de la sainteté humaine que nous pouvons atteindre.

Saint Paul ajoute qu’il est pour nous qaddīšūṯā, parce que, finalement, nous sommes appelés à la participation à la vie divine (1Co 1, 30).

La lettre de Paul nous dit : « ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est » ; ce qui résonne avec les béatitudes de ce dimanche, où Jésus enseigne :

« 5. Heureux les humbles makkīḵè, 
car eux ils vont hériter la terre. » (Mt 5, 5).

Le makkīḵā, tout d’abord, c’est l’humble, celui qui n’a pas d’arrogance, le contraire de l’orgueilleux, de celui qui aime la gloire, qui aime dominer, qui cherche toujours à être le maître, le puissant. Il n’agresse pas les gens parce qu’il n’a pas l’ambition de cumuler les richesses, l’autorité, la gloire. On pourrait dire aussi le doux, comme c’est le cas de nos traductions françaises, mais la douceur n’est que l’une de ses qualités. Il s’agit d’abord de celui qui ne cherche pas la première place ; il est là, effacé ; il a cette âme si grande ! Il a compris le sens de ce monde.

Car eux ils hériteront la terre : « hériter la terre » : pour nous, dit Mgr Alichoran (ordonné en Irak, il fut le recteur de la mission chaldéenne de Paris jusqu’à sa mort en 1987), c’est une expression très riche... cela veut dire : ils vont tout gagner ! L’humble, makkīḵā, comme il ne veut pas dominer, il n’est pas prisonnier de la terre, il en est maître. Il a cet art d’être partout chez lui ; tout est à lui, il a une âme satisfaite ; il n’est pas étranger nulle part. Quelqu’un disait : L’homme, plus il augmente ses désirs, plus il augmente ses souffrances ! Prenez le contraire : Quelqu’un qui ne désire pas, quelqu’un qui est content de ce qu’il a, il possède tout ; rien ne peut l’inquiéter, car il ne cherche pas à avoir, à posséder. Tout lui appartient.

Dans l’évangile, on entend aussi dans le Magnificat, « le Seigneur a regardé l’humilité muḵāḵā de sa servante », et « le Seigneur élève les humbles (makkīḵe) », (Lc 1, 48.52).

Cet adjectif dérive du verbe « mak » qui veut dire abaisser, par exemple : «  celui qui s’abaisse sera élevé » (Mt 18, 4 : 23, 12 ; Lc 14, 11 ; 18, 14 ; « et toute montagne sera abaissée » (Lc 3, 5). On entend Jésus dire : « Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux niḥā et humble makkīḵā de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes » (Mt 11, 29).

«  Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, 
car eux, ils vont se rassasier. » (Mt 5, 6)

Ici, le mot araméen, c’est : kīnūtā, au sens de « donner le droit avec équité » ; kīnūtā, ce mot renferme toute la question de la droiture, de l’intégrité, et il est aussi très lié à la notion de justice judiciaire ; car il s’agit du droit ; parce qu’à chacun on donne son droit, on ne va pas usurper ce qui n’est pas à soi ; on connaît les droits de l’être humain qui est créature devant le Créateur, et on connaît le droit de ses frères. C’est la justice de quelqu’un qui donne à chacun son droit, à chaque chose sa place ; c’est pourquoi le mot justice joue sur les deux tableaux : intégrité et droit de l’autre.

 

Évangile (Mt 5, 1-12a)

« En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5, 1-12a)

Nous allons suivre Mgr Alichoran, L’évangile en araméen Mt 5–7, éditions Bellefontaine (spiritualité orientale n °80), 2002.

En français, nous donnons volontiers à ce passage de l’évangile le titre de Sermon sur la montagne. Les chaldéens disent : la malpānūṯā, l’enseignement au sommet (resh) de la montagne. Le Christ enseigne aux gens le chemin de la vie, c’est le Maître qui enseigne, et qui enseigne à tout le monde.

L’ūlpānā, c’est l’élève ordinaire, ce mot, issu de la langue parlée, ne se trouve pas dans les évangiles. La malpānūṯā, (qui signifie "doctrine" dérive du verbe enseigner « ilep »), Jésus donne ici la clef de l’annonce du Royaume de Dieu. Jésus lance tous les principes : la loi de son Royaume de Dieu. Après il expliquera tous les points de son enseignement, et il dira des paroles pour illustrer ce qu’il vient de dire.

En dehors du sermon sur la montagne, Matthieu utilise d’autres expressions, telles que : « il parlait avec eux », « il parlait de ces choses », « il parlait en énigmes », etc. Ici, il « enseigne ».

Le mot bienheureux n’est pas réservé à ceux qui sont déjà au ciel, chez les Orientaux, il peut être employé pour des choses courantes ! Mgr Alichoran donne un exemple : « Voyez-vous, la dernière fois que j’ai entendu cette expression, c’était dans ma paroisse en Chaldée : nous étions assis, c’était dans une famille très croyante - ces gens-là sont tous des saints - ma soeur racontait une histoire, elle disait : « J’ai été à Jérusalem, j’étais sur la tombe du Christ ». Alors la mère de famille a répondu à ma soeur : « Bienheureuse ! » ; c’est un don, c’est une grâce, vous êtes comblée de faveurs, vous avez une chance merveilleuse ! C’est le plus grand souhait qu’on puisse souhaiter à quelqu’un ».

Il faut aussi considérer qui prononce la Béatitude. « Voici par exemple un enfant qui dit à son ami ‘bravo’ ou un professeur qui dit à son élève ‘bravo’ ou encore un roi, un chef d’état qui félicite quelqu’un et qui lui dit ‘bravo’. Ici, c’est Jésus, le Saint, le Fils de Dieu au sens fort, qui dit « Bienheureux ! ».

Nous avons commenté plusieurs béatitudes lors du commentaire du psaume et de la 2ème lecture. Nous allons commenter celles que nous n’avons pas encore méditée.

« 8. Heureux ceux qui sont purs dans leur cœur
car eux ils vont voir Dieu ».

Mgr Alichoran : Qu’est-ce qui salit le coeur ? Le Christ l’explique en Matthieu 15, 18-19 : « ce qui sort de la bouche procède du coeur, et c'est cela qui souille l'homme? 19 Du coeur en effet procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations ». Ces gens au coeur pur, un coeur qui n’est pas sali par cette terre, ce sont eux qui vont voir Dieu, qui méritent de trouver le Saint des Saints. Dieu est le pur par excellence, il n’a aucune tache de mal en Lui.

« 9. Heureux ceux qui font la paix
car ils vont être appelés fils de Dieu. »

Mgr Alichoran : Cette expression, chez nous, c’est une phrase qui est répétée, aussi bien par le garçon de six ans que par le vieillard de quatre-vingt dix ans ; il n’y a pas une famille qui n’ait toujours prononcé cette formule ; aussi bien un prêtre, chaque fois qu’il y a des querelles parmi ses paroissiens, va monter en chaire et dire : « Bienheureux ceux qui font la paix ». C’est une expression très courante ; littéralement, les « faiseurs de paix », ceux qui créent la paix. Car ils vont être appelés les enfants de Dieu, « fils de Dieu », c’est une expression courante pour dire que quelqu’un fait le bien ; et de celui qui fait le mal, on dira : « fils de Satan » ! Il y a deux éléments dans cette béatitude : Ceux qui font la paix entre les hommes, avec les hommes entre eux ; et ceux qui font la paix avec Dieu, (il ne faut pas oublier ceux qui sont en guerre avec Dieu). Regardez le Christ, sur le chemin de Damas, qui a fait la paix entre saint Paul et Dieu ! Il faut donner toute la dimension des mots qui sont dans la bouche du Christ ; avec les paraboles de l’enfant prodigue, de la brebis perdue, toujours, il y a la joie du Père ! Dans le cantique des anges, à Noël, le Gloria, c’est déjà la paix donnée par Dieu aux hommes ; toute idée de paix entraîne la réconciliation.

« 10. Heureux ceux qui ont été persécutés à cause de la justice
car il est à eux le Royaume des Cieux ».

La forme verbale, en grec comme en araméen, désigne le résultat d’un processus achevé. Il y a donc une traduction erronée quand on trouve : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice ».

Le mot justice est kīnūtā, le droit, l’équité. Ils ont été persécutés parce qu’ils étaient des hommes droits, vertueux, appliquant les lois ; les vrais justes sont ceux qui appliquent la loi de Dieu et qui le craignent ; ce sont par exemple Élisabeth et Zacharie qui marchent dans la loi du Seigneur (cf. Luc 1, 6).

« 11. Heureux vous, quand on vous raille et qu’on vous persécute
et qu’on dit sur vous en mensonge toute parole mauvaise, à cause de moi.

12. Alors réjouissez-vous et exultez
car votre salaire a augmenté dans les cieux
car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes avant vous » (Mt 5, 11-12)

C’est le mot agrā, salaire. C’est une neuvième béatitude, différente de la huitième qui disait : bienheureux ceux qui ont été persécutés, et le dernier des prophètes persécuté est Jean-Baptiste. Après, ce sont les apôtres, ce n’est pas encore arrivé ; et surtout Jésus commence à dire pourquoi ils seront persécutés, et pourquoi ils auront une béatitude à cause de Lui.

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Date de dernière mise à jour : 22/06/2023