« Cherchez le Seigneur, vous tous, les humbles du pays, qui accomplissez sa loi. Cherchez la justice, cherchez l’humilité : peut-être serez-vous à l’abri au jour de la colère du Seigneur. Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ; il prendra pour abri le nom du Seigneur. Ce reste d’Israël ne commettra plus d’injustice ; ils ne diront plus de mensonge ; dans leur bouche, plus de langage trompeur. Mais ils pourront paître et se reposer, nul ne viendra les effrayer. – Parole du Seigneur » (So 2, 3 ; 3, 12-13)
Sophonie dans l’histoire biblique
En -680, Asarhaddon devient roi de Ninive (2R 19, 37). Nous savons par les tablettes cunéiformes que sous son règne, l’Empire assyrien va s’étendre jusqu’à englober la Basse-Égypte et plusieurs oasis de l’Arabie. Il reçoit les tributs des petits rois locaux parmi lesquels Manassé à Jérusalem.
Manassé avait douze ans à son avènement et il régna 55 ans à Jérusalem (697 (?) -642).
D’un point de vue politique, il récupéra son territoire et lui rendit la prospérité dans la sphère économique assyrienne.
D’un point de vue religieux, Manassé revient au culte des Baals que son père Ezéchias avait abolis, sans doute parce qu’il interpréta la destruction de toute la Shefelah (la partie sud-ouest du royaume de Juda,) par Sennachérib comme une conséquence de la sévérité avec laquelle son père Ezéchias avait traité les cultes de Baal et Ashera. Manassé aurait voulu apaiser ces divinités en les honorant davantage…
Pire encore, il installe dans le temple le culte assyrien des astres.
« Il rebâtit les hauts lieux qu’avait détruits Ezéchias, son père, il éleva des autels à Baal et fabriqua un pieu sacré, comme avait fait Achab, roi d’Israël […] Il construisit des autels à toute l’armée du ciel dans les deux cours du Temple du Seigneur. Il fit passer son fils par le feu. Il pratiqua les incantations et la divination, installa des nécromants et des devins, il multiplia les actions que le Seigneur regarde comme mauvaises, provoquant ainsi sa colère. Il plaça l’idole d’Ashera, qu’il avait faite, dans le Temple » (2Rois 21, 1-7)
Pendant un demi-siècle, aucune voix prophétique ne peut se faire entendre (les prophètes en Israël sont dans une sorte d’exil intérieur).
Quand enfin l’Assyrie se met à décliner, un réveil religieux se produit dans le royaume de Juda. Le peuple se rallie autour d’un enfant, l’héritier des promesses : « Josias avait huit ans à son avènement et il régna 31 ans à Jérusalem […] Il fit ce qui est agréable à YHWH et imita en tout la conduite de son ancêtre David, sans en dévier ni à droite ni à gauche » (2R 22, 1-2).
Et, finalement, en -612, Ninive est abattue par les Babyloniens. La chute de Ninive est pour les pauvres de Jérusalem, avec le prophète Nahum, le signe éclatant de la justice de Dieu. « C’est à cause des prostitutions sans nombre de la prostituée !» (Nahum 3, 4-5).
Sophonie, qui vécut pendant le règne de Josias (So 1, 1), exulte pour la présence du Seigneur dans le Temple de Jérusalem, une présence sanctifiante : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! […] YHWH est roi d’Israël au milieu de toi... » (Sophonie 3,14−17).
Hélas, quelques décennies plus tard, les armées de Nabuchodonosor détruiront le Temple. Mais les oracles de Sophonie seront conservés ; Sophonie nourrira l’attente messianique.
Prolongeons la première lecture de ce dimanche en lisant un peu avant le passage sélectionné dans la liturgie :
« 1 Malheur à la rebelle, la souillée, à la ville tyrannique! 2 Elle n'a pas écouté l'appel, elle n'a pas accepté la leçon; au Seigneur elle ne s'est pas confiée, de son Dieu elle ne s'est pas approchée. 3 Ses princes au milieu d'elle sont des lions rugissants; ses juges, des loups de la steppe qui ne gardent rien pour le matin; 4 ses prophètes sont des vantards, des imposteurs; ses prêtres profanent les choses saintes, ils violent la Loi. » (So 3, 1-4) « 8 J'ai décrété de réunir les nations, de rassembler les royaumes, pour déverser sur vous ma fureur, toute l'ardeur de ma colère. (Car du feu de ma jalousie toute la terre sera dévorée.) » (So 3, 8) « J'écarterai de ton sein tes orgueilleux triomphants; et tu cesseras de te pavaner sur ma montagne sainte. 12 Je ne laisserai subsister en ton sein qu'un peuple humble et modeste » (So 3, 11-12).
Et ce qui vient après la lecture de ce dimanche : « 14 Pousse des cris de joie, fille de Sion! une clameur d'allégresse, Israël! Réjouis-toi, triomphe de tout ton coeur, fille de Jérusalem! 15 le Seigneur a levé la sentence qui pesait sur toi; il a détourné ton ennemi. Yahvé est roi d'Israël au milieu de toi. Tu n'as plus de malheur à craindre. 16 Ce jour-là, on dira à Jérusalem: Sois sans crainte, Sion! que tes mains ne défaillent pas! 17 Yahvé ton Dieu est au milieu de toi, héros sauveur! Il exultera pour toi de joie, il te renouvellera par son amour; il dansera pour toi avec des cris de joie » (So 3, 14-17)
Le récit de l’Annonciation selon saint Luc présente de grandes affinités avec la prophétie de Sophonie.
« Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Une clameur d’allégresse, Israël ! Réjouis-toi, triomphe de tout ton cœur, fille de Jérusalem ! » (So 3,14)
« [L’ange] entra et lui dit : "Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi."» (Lc 1,28)
« YHWH est ROI d’Israël au milieu de toi » (So 3,15).
« Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le TRONE DE DAVID, son père; il REGNERA sur la maison de Jacob pour les siècles et son REGNE n’aura pas de fin » (Lc 1,32-33).
« Tu n’as plus de malheur à craindre. Ce jour-là, on dira à Jérusalem: Sois sans crainte, Sion! Que tes mains ne défaillent pas ! » (So 3,15-16)
« Et l’ange lui dit : "Sois sans crainte, Marie; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu » (Lc 1,30).
« YHWH ton Dieu est au milieu de toi, héros sauveur*! » (So 3,17)
« Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus* » (Lc 1,33). Jésus signifie sauveur.
À travers tous ces parallèles, saint Luc reconnaît dans la Vierge Marie la "fille du Sion", le reste fidèle d’Israël qui, dans son humilité, sa pauvreté et dans sa sainteté, attend la joie de la venue de Dieu dans son Messie.
Pour aller plus loin : BREYNAERT, Françoise, Parcours biblique, Le berceau de l’Incarnation, Parole et Silence, Paris 2016.