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L’Épiphanie du Seigneur. Année A
Deuxième lecture (Ep 3, 2-3a.5-6)
Première lecture Is 60, 1-6
« Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur. – Parole du Seigneur ». (Is 60, 1-6)
Le contexte de ce texte d’Isaïe est la période perse (-515 à - 445 environ).
La langue parlée dans l’Empire perse est l’araméen. L’hébreu biblique n’est plus qu’une langue liturgique qu’il faut traduire et commenter. Or voici qu’en l’an -538, l’édit de Cyrus (cf. Esdras 1, 2-7) autorise les Juifs à rentrer au pays et à rebâtir Jérusalem et le Temple. Un premier convoi part avec prêtres et lévites, puis un second convoi, en -522, avec Zorobabel (descendant de David) et Josué (grand prêtre). Mais la déception est grande : les Samaritains sont installés, le temple et la ville sont en ruine. - Le pays fait désormais une vingtaine de kilomètres sur 6 ou 7. Fonctionnaire de l’Empire perse, Néhémie va rebâtir les remparts. Quant au Temple, on mettra des années à le rebâtir.
Il nous faut aussi expliquer le contexte de ce qui était presque une religion mondiale.
Cyrus et son père Ataxersès sont à la tête d’un système politique centralisé : un Dieu lumière, « Mazda », source de toute l’énergie cosmique, pôle de l’univers, justifie leur système. Mazda est l’origine de tout, c’est aussi ce que tout le monde à en commun : le plus petit dénominateur commun. Il permet aux moralistes de s’entendre, aux scientifiques de s’harmoniser, etc. Et tout le monde doit entrer dans cette religion philosophique qui est la plus haute qui soit. Les autres sont des retardataires, une fois initiés, ils seront intégrés.
Mais les Hébreux, et surtout le prophète Isaïe, résistent. La véritable religion, c’est celle de l’Alliance avec le Créateur. Dans l’Alliance, le Créateur et la créature sont toujours en chemin pour aller chacun à la rencontre de l’autre, la Volonté divine descendant dans l’acte de la créature afin de former son pas à la vie divine, et la créature montant dans les régions célestes, afin d’acquérir : lumière, amour, sainteté et notions divines.
Les Hébreux ont découvert peu à peu que le Seigneur, (un Dieu vivant donc, et non pas une idée philosophique) n’était pas simplement leur Dieu ‒ un Dieu au-dessus d’autres dieux ‒ mais LE Dieu unique de toute la création, le Créateur. La prière à ce Dieu porte donc une dimension universelle, au-delà de toute nation ou langue.
Ainsi, celui que l’on appelle le 3e Isaïe peut annoncer face à Cyrus une autre universalité, non pas autour de Mazda, mais autour du Dieu de l’Alliance et donc de Jérusalem, Jérusalem à peine reconstruite, et alors qu’Israël n’est qu’un tout petit reste. Et d’autres passages du même livre d’Isaïe complètent la lecture de ce jour. Les rois et les princesses - chante le prophète à l’adresse de Jérusalem, « face contre terre, se prosterneront devant toi, lécheront la poussière de tes pieds » (Is 49, 23) ; « Ils s’approcheront de toi, humblement, les fils de tes oppresseurs, ils se prosterneront à tes pieds, tous ceux qui te méprisaient, et ils t’appelleront : "Ville du Seigneur", "Sion du Saint d’Israël." » (Is 60, 14).
Saint Matthieu raconte l’adoration des Mages à Bethléem (Mt 2, 1-11), dans une scène clairement inspirée de ce texte du prophète Isaïe. Dans l’Évangile, les mages remplacent les rois et les princesses du texte d’Isaïe, ils offrent de l’or de l’encens et de la myrrhe (Mt 2,11), et ils se prosternent en adorant...
Mais ils ne viennent ni au temple ni à Jérusalem : ils viennent adorer Jésus sur les genoux de Marie. Le sein et les genoux de Marie Vierge de l’Emmanuel, Dieu avec nous, deviennent le trône naturel où siège la majesté royale de l’Enfant.
En la personne des mages, l’évangéliste Mathieu a voulu signifier tous les païens qui s’ouvrent à la foi dans le Christ.
Franchissant le seuil de cette maison mystique qui est l’Église, quelle est la vision qui déploie devant leurs yeux ? L’évangéliste répond : « Ils virent l’enfant avec Marie sa mère » (Mt 2,11) Marie est étroitement conjointe au fils, comme la racine de laquelle germe la fleur. Et Marie présente au monde le Dieu fait petit enfant, le Dieu avec nous, le Dieu qui attire et rassemble toutes les nations.
Les mages sont des païens, mais du fait que les Hébreux tenaient les routes commerciales, ils ont pu entendre parler des prophètes d’Israël concernant le Messie, un Messie royal et davidique, un Messie transcendant en qui Dieu visite son peuple, un Serviteur souffrant peut-être. D’où leurs cadeaux : de l’or pour un Messie royal, de l’encens pour un Messie transcendant en qui Dieu visite son peuple, et de la myrrhe pour un Serviteur souffrant devant connaître la mort.
Logiquement, les mages ont cherché le Messie dans la capitale, dans un palais de roi, ou dans les lieux de la grande culture juive, près du Temple. « Mais l’étoile guida les mages à Bethléem, parmi les pauvres, parmi les humbles, pour trouver le Roi du monde. Pour nous aussi les choses ne sont pas si différentes que ce qu’elles étaient pour les Mages. Si on nous demandait notre avis sur la façon dont Dieu aurait dû sauver le monde, peut-être répondrions-nous qu’il aurait dû manifester tout son pouvoir pour donner au monde un système économique plus juste, dans lequel chacun puisse avoir tout ce qu’il veut. En réalité, cela serait une sorte de violence sur l’homme, car cela le priverait d’éléments fondamentaux qui le caractérisent. En effet, il ne serait fait appel ni à notre liberté, ni à notre amour. La puissance de Dieu se manifeste de manière complètement différente : à Bethléem, où nous rencontrons l’apparente impuissance de son amour. Et c’est là que nous devons aller, et c’est là que nous retrouvons l’étoile de Dieu » (Benoît XVI 6 janvier 2011).
Psaume Ps 71
« Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. Qu’il gouverne ton peuple avec justice, qu’il fasse droit aux malheureux ! En ces jours-là, fleurira la justice, grande paix jusqu’à la fin des lunes ! Qu’il domine de la mer à la mer, et du Fleuve jusqu’au bout de la terre ! Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents. Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande. Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront. Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie » (Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13).
Chers auditeurs, l’élément caractéristique de ce roi est surtout la justice et son amour pour les pauvres. Ces derniers n’ont que lui comme point de référence et source d’espérance, dans la mesure où il est le représentant visible de leur unique défenseur et patron, Dieu. L’histoire de l’Ancien Testament montre que les souverains d’Israël n’ont que trop souvent oublié cet engagement, opprimant les faibles, les humbles et les pauvres. C’est pourquoi le regard du psalmiste se pose à présent sur un roi juste, parfait, incarné par le Messie, l’unique souverain prêt à « racheter » les opprimés. Le verbe hébreu utilisé est le terme juridique qui décrit le protecteur des derniers et des victimes, également appliqué à Israël "racheté" de l’esclavage lorsqu’il était opprimé par la puissance du Pharaon. Le Seigneur est le "racheteur rédempteur" primordial qui oeuvre de façon visible à travers le roi Messie, en protégeant la vie des pauvres, ses protégés. En protégeant les droits et la dignité de chaque être humain. ( cf. Jean Paul II, audience du mercredi 15 décembre 2004)
« D’autre part, le psalmiste décrit également le cadre géographique dans lequel se situe la royauté de justice et de paix du roi Messie (cf. Ps 71, 8-11). C’est ici qu’entre en scène une dimension universaliste, qui va de la Mer Rouge ou de la Mer Morte jusqu’à la Méditerranée, de l’Euphrate, le grand "fleuve" oriental, jusqu’aux frontières extrêmes de la terre (cf. v. 8), évoquées également en citant Tarsis et les Îles, les territoires occidentaux les plus reculés selon l’ancienne géographie biblique (cf. v. 10). Il s’agit d’un regard qui s’étend sur toute la carte du monde alors connu, qui comprend les Arabes et les nomades, souverains d’États éloignés, et même les ennemis, dans une étreinte universelle souvent chantée par les Psaumes (cf. Ps 46, 10 ; 86, 1-7) et par les prophètes (cf. Is 2, 1-5 ; 60, 1-22; Ml 1, 11). » (Jean Paul II, audience du mercredi 1er décembre 2004)
« Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. Qu’il gouverne ton peuple avec justice, qu’il fasse droit aux malheureux ! » C’est le Christ qui fera droit aux malheureux, dès le temps de son Incarnation, ensuite au temps de l’Église, et finalement, à un niveau mondial, comme dit le psaume « de la mer à la mer, et du Fleuve jusqu’au bout de la terre ! », au temps de la Parousie, c’est-à-dire le temps de sa venue glorieuse jusqu’à l’entrée dans l’éternité, comme dit encore le psaume : « En ces jours-là, fleurira la justice, grande paix jusqu’à la fin des lunes ! » c’est-à-dire jusqu’à la fin des temps.
Le verset du psaume « Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront » rappelle la lecture d’Isaïe « Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. […] Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore » (Is 60, 1-6), et il nous prépare à l’évangile de ce dimanche, où « voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : ‘Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui’. » (Mt 2, 1-12)
Le rapprochement entre ces trois lectures a conduit à identifier les mages à des rois, des rois-mages, ils viennent adorer Jésus, roi de gloire, le roi Messie, et apprendre de lui à exercer leur pouvoir selon le cœur de Dieu, et donc avec justice, en aidant les pauvres.
C’est un aspect du salut. La liturgie célèbre le salut, et en participant à la liturgie, nous recevons à notre tour ce salut.
Je voudrais vous lire un texte de Romanos le Mélode sur Hérode et les Saints Innocents.
Romanos est né vers la fin du Ve siècle à Émèse, d’une famille d’origine judaïque. Il était diacre quand il vint se fixer à Constantinople, sous le règne d’Anastase Ier (491-518) ; c’est là, dans l’église de la Théotokos, que la Vierge Marie lui serait apparue en songe et lui aurait fait don du talent poétique qui consacra sa réputation. Il semble qu’il soit mort entre 555 et 565. Le texte que je vous présente a de la valeur à plusieurs points de vue : il y exprime bien ce qu’est l’amour maternel, et ce qu’est la déshumanisation d’Hérode, thème toujours très actuel ; il offre une parole d’espérance qui revient comme un refrain : le pouvoir d’Hérode s’anéantira bientôt, parole adaptée à tous ceux qui sont dans des situations violentes.
Romanos le Mélode :
« 1. Quand là-haut comme ici-bas règne la joie, qu’y a-t-il à Rama, pour qu’on y entende une immense lamentation ? Jacob exulte, qu’a donc Rachel à se plaindre ? [...] Allons voir le deuil et la douleur, car ce ne sont pas ses premiers enfants qu’elle pleure, ceux qui furent perdus et retrouvés (Jr 38,15), mais ceux que vient d’égorger Hérode le sanguinaire : il s’est fait préciser le temps où l’étoile a brillé, et il a envoyé ses gens à Bethléem, pour priver Rachel de ses enfants, à cause du nourrisson de Marie (Mt 2,18). Mais Rachel les a retrouvés dans la joie, tandis qu’Hérode pleure son pouvoir qui s’anéantira bientôt. [...]
« 11. L’épée nue, les soldats attaquaient les mères qui portaient leurs petits, et elles, glacées de peur, jetaient le fardeau qu’elles allaitaient avec amour. [...] Certaines d’entre elles suppliaient-elles les meurtriers et leur tendaient le cou, désireuses de mourir avant leurs enfants plutôt que de les voir massacrés, et de cela toute femme qui a été mère sera un témoin digne de foi. Aussi criaient-elles avec amertume : Vous les tuez, mais le sein d’Abraham les accueillera comme Abel le fidèle. Hérode, lui, pleurera sur son pouvoir qui s’anéantira bientôt. [...]
« 13. O perversité, ô folie du roi, ô conduite impitoyable ! Déclarer la guerre à des nouveau-nés, et n’avoir pas la moindre pitié de son propre peuple ! Il ne s’est pas souvenu de ses propres enfants, ni que tous ont une même nature. Il n’a pas eu pitié des parents, mais, ivre de rage, il s’est d’abord ignoré lui-même, et ensuite il a ignoré tous ses frères de race [...] il ne s’occupait que d’une chose : pleurer son pouvoir qui s’anéantira bientôt.» (ROMANOS LE MELODE, Hymne XV sur les saints innocents, Sources chrétiennes 110, Cerf, Paris 1965, p. 207-225).
Soyons dans l’espérance, donc, car le pouvoir d’Hérode, hier ou aujourd’hui, s’anéantira bientôt.
Deuxième lecture (Ep 3, 2-3a.5-6)
« Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. – Parole du Seigneur ». (Ep 3, 2-3a.5-6)
En la solennité de l’Épiphanie, l’Église continue à contempler et à célébrer le mystère de la naissance de Jésus sauveur. La fête d’aujourd’hui souligne en particulier la destination et la signification universelles de cette naissance. Se faisant homme dans le sein de Marie, le Fils de Dieu est venu non seulement pour le peuple d’Israël, représenté par les pasteurs de Bethléem, mais également pour l’humanité tout entière, représentée par les Mages, comme nous le lirons dans l’Évangile.
L’arrivée des Mages d’Orient à Bethléem, pour adorer le Messie nouveau-né, est le signe de la manifestation du Roi universel aux peuples et à tous les hommes qui cherchent la vérité.
C’est le début d’un mouvement opposé à celui de Babel : de la confusion à la compréhension, de la dispersion à la réconciliation. Nous entrevoyons ainsi un lien entre l’Épiphanie et la Pentecôte: si le Noël du Christ, qui est le Chef, est également le Noël de l’Église, son corps, nous voyons dans les Mages les peuples qui se joignent au reste d’Israël, préannonçant le grand signe de l’"Église polyglotte", réalisé par l’Esprit Saint cinquante jours après Pâques.
L’amour fidèle et tenace de Dieu, qui ne manque jamais à son alliance, de génération en génération, c’est le "mystère" dont parle saint Paul dans le passage de la Lettre aux Éphésiens qui vient d’être proclamé : l’Apôtre affirme que ce mystère "lui a été fait connaître par révélation" (cf. Ep 3, 3) et qu’il est chargé de le faire connaître. Ce "mystère" de la fidélité de Dieu constitue l’espérance de l’histoire. Il y a certes des mouvements de divisions et des abus de pouvoir. La parole de Dieu révélée par l’intermédiaire du prophète Isaïe reste toujours valable: « ... les ténèbres s’étendent sur la terre, et l’obscurité sur les peuples » (Is 60, 2). Ce que le prophète annonce à Jérusalem s’accomplit dans l’Église du Christ: « Les nations marcheront à ta lumière et les rois à ta clarté naissante » (Is 60, 3).
Cette universalité, Jésus lui-même l’a annoncée. Nous lisons par exemple, dans l’évangile de Matthieu,
« 5 Comme Jésus était entré dans Capharnaüm, un centurion s’approcha de lui en le suppliant: 6 "Seigneur, dit-il, mon enfant gît dans ma maison, atteint de paralysie et souffrant atrocement." 7 Il lui dit: "Je vais aller le guérir" -- 8 "Seigneur, reprit le centurion, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit; mais dis seulement un mot et mon enfant sera guéri. 9 Car moi, qui ne suis qu’un subalterne, j’ai sous moi des soldats, et je dis à l’un: Va! et il va, et à un autre: Viens! et il vient, et à mon serviteur: Fais ceci! et il le fait." 10 Entendant cela, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient:
"En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël. [Le centurion est un romain, il n’appartient pas au peuple d’Israël].
11 Eh bien! je vous dis que beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux, [nous retrouvons l’adoration des Mages venus d’Orient] 12 tandis que les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures: là seront les pleurs et les grincements de dents." 13 Puis il dit au centurion: "Va! Qu’il t’advienne selon ta foi!" Et l’enfant fut guéri sur l’heure. » (Matthieu 8, 5-13)
En conséquence de tout cela, nous ne sommes donc pas appelés à inventer une religion universelle pour servir une sorte de grand communisme mondial sous la domination des grandes instances internationales ou des détenteurs des puissances financières mondiales. Nous sommes appelés à évangéliser pour apporter au monde la paix de Jésus-Christ, l’amour de Jésus de Nazareth, la sanctification par Jésus le Messie. Ayons confiance, car comme l’affirme saint Paul : « toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile » (Ep 3, 2-3a.5-6). La véritable universalité, c’est celle du vrai Dieu, Père, Fils, et Esprit Saint.
Je voudrais ouvrir ici une parenthèse pour éviter certaines erreurs contemporaines[1].
« La Bonne Nouvelle a été également annoncée aux morts… » (1P 4, 6). Le récent catéchisme de l’Église catholique, en citant ce verset, explique :
« La descente du Christ aux enfers [au pluriel, c’est-à-dire le séjour des morts, à ne pas confondre avec l’enfer au singulier qui est l’enfer de Satan] est l’accomplissement, jusqu’à la plénitude, de l’annonce évangélique du salut. Elle est la phase ultime de la mission messianique de Jésus, phase condensée dans le temps mais immensément vaste dans sa signification réelle d’extension de l’œuvre rédemptrice à tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux, car tous ceux qui sont sauvés ont été rendus participants de la Rédemption. » (CEC 634).
Il n’est donc pas nécessaire, avec la bonne intention de ne pas dire que les non-chrétiens sont damnés, de suggérer que les non-chrétiens pouvaient avoir une foi implicite, ou d’imaginer l’existence de « chrétiens anonymes », chrétiens « sans le savoir ». Il n’est pas juste non plus de dire qu’un contact plus ou moins vague avec l’Église pouvait être équivalent au contact avec le Christ.
Alors, nous devons évangéliser le monde. Comme nous lisons dans la première lettre de saint Jean :
«1 « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu,
ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé,
ce que nos mains ont touché du Verbe de vie; [c’est l’expérience des apôtres, c’est aussi celle des mages en cette fête de l’Epiphanie] -- 2 car la Vie s’est manifestée:
nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue -- 3 ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous.
Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. 4 Tout ceci, nous vous l’écrivons pour que notre joie soit complète » (1Jn 1, 1-4).
Évangile : Mt 2, 1-12
« Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. – Acclamons la Parole de Dieu. »
Jadis, le mage Balaam, en Mésopotamie, avait annoncé : « Il se lèvera en Jacob une étoile et il surgira d’Israël un sceptre » (Nombre 24, 17). A la cour de Nabuchodonosor, guidé par l’ange Gabriel, le prophète Daniel avait calculé la date de son avènement (Daniel 9).
Une diaspora juive tenait les routes commerciales de sorte que les mages, qu’ils soient arabes, chaldéens ou perses, avaient un contact avec les prophéties juives, et ils n’avaient pu ignorer les prédictions des prophètes sur le Messie.
Dans le livre persan Oracles magiques, œuvre du pseudo-Zoroastre, on lisait aussi qu’une vierge enfanterait un saint, dont l’apparition serait annoncée par une étoile.
Le Talmud de Babylone rappelle que dans les derniers temps d’Hérode 1er, un grand nombre de gentils se rendirent à Jérusalem pour voir se lever l’étoile de Jacob, à laquelle on s’attendait (Traité Sanhédrin 11, 1). Il y a là, à la fois, une date et une confirmation indirecte de l’Évangile.
L’arrivée d’étrangers montés sur leurs chameaux, avec des serviteurs chargés de bagages, était un fait banal : Israël était le chemin que suivaient nécessairement les caravanes pour aller de Babylone à Memphis.
Les mages rencontrèrent tout d’abord le roi Hérode. Hérode était certainement intéressé par l’enfant dont parlaient les Mages; mais pas dans le but de l’adorer, comme il veut le laisser croire en mentant, mais pour le supprimer. Hérode était un homme de pouvoir, qui ne voyait dans l’autre qu’un rival à combattre. Au fond, si nous réfléchissons bien, Dieu aussi lui apparaît comme un rival, et même un rival particulièrement dangereux, qui voudrait priver les hommes de leur espace vital, de leur autonomie, de leur pouvoir; un rival qui indique la route à parcourir dans la vie et qui empêche ainsi de faire tout ce que l’on veut.
Hérode est un personnage qui ne nous est pas sympathique et que nous jugeons instinctivement de façon négative en raison de sa brutalité (le massacre des Saints Innocents). Précédemment, je vous ai lu un texte de Romanos le Mélode sur cet impitoyable Hérode, dont, répétait le poète, « le pouvoir s’anéantira bientôt »[2].
Mais nous devrions nous demander : peut-être existe-t-il quelque chose d’Hérode en nous ? Peut-être nous aussi, parfois, voyons-nous Dieu comme une sorte de rival ? Peut-être nous aussi sommes-nous aveugles devant ses signes, sourds à ses paroles, parce que nous pensons qu’il pose des limites à notre vie et ne nous permet pas de disposer de notre existence à notre gré ? Chers frères et soeurs, quand nous voyons Dieu de cette manière, nous finissons par être insatisfaits et mécontents, car nous ne nous laissons pas guider par Celui qui est à la base de toutes les choses. Nous devons ôter de notre esprit et de notre coeur l’idée de la rivalité, l’idée que laisser place à Dieu constitue une limite pour nous-mêmes ; nous devons nous ouvrir à la certitude que Dieu est l’amour tout-puissant qui n’ôte rien, qui ne menace pas, et qui est au contraire l’Unique capable de nous offrir la possibilité de vivre en plénitude, d’éprouver la vraie joie.
Continuons.
Hérode entend de ses experts l’oracle de Michée prophétisant la naissance du libérateur d’Israël à Bethléem (Mi 5, 1-4). Les experts qui savent tout sur les Saintes Écritures, qui en connaissent les interprétations possibles, sont capables d’en citer par cœur chaque passage et qui sont donc une aide précieuse pour ceux qui veulent parcourir la voie de Dieu. Ils indiquent la voie, mais ils ne marchent pas, ils restent immobiles. Ils ne vont pas à Bethléem, seuls les mages y vont. La vérité est la voie à parcourir quotidiennement, avec les autres, si nous voulons construire notre existence sur le roc et non sur le sable.
Finalement, les mages trouvent le Roi Messie sur les genoux de Marie.
Et saint Éphrem donne un commentaire qui met en scène les mages et la Vierge Marie :
Les mages :
Une étoile nous a annoncé que celui qui est né est le roi des cieux, ton fils a pouvoir sur les astres, ils surgissent seulement sur son ordre.
Marie :
Et moi je vous dirai un autre secret,
parce que vous êtes convaincus :
en restant vierge, j’ai enfanté mon fils qui est le salut.
Il est le Fils de Dieu.
Les mages :
L’étoile aussi nous avait fait connaître ce miracle,
à savoir que le Fils de Dieu et Seigneur,
est ton Fils, né de toi, o pleine de grâce.
Marie :
Les hauteurs et les abîmes en rendent témoignage,
tous les anges et toutes les étoiles.
Il est le Fils de Dieu et le Seigneur.
Allez en porter l’annonce dans vos contrées,
que la paix se multiplie dans votre pays. »
Les mages :
Que la paix de ton Fils nous reconduise dans notre pays,
avec sécurité, comme nous sommes venus.
Et quand son pouvoir dominera le monde,
qu’il nous visite et qu’il sanctifie notre terre.
Marie :
Qu’exulte l’Église et qu’elle chante la gloire,
pour la naissance de mon Fils, Fils du Très Haut,
dont l’aurore a clarifié le ciel et la terre,
béni soit celui dont la naissance réjouit l’univers.
(Saint Ephrem, hymne chanté à la 9° heure le jour de l’Épiphanie)
Date de dernière mise à jour : 27/07/2023