Abraham

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Lectures bibliques :

Ouvrir le livre de la Genèse et en parcourir le plan. 
Repérer l’histoire d’Abraham, après l’histoire de la tour de Babel (Gn 10), elle prend les chapitres 12 à 22. Au chapitre 12, il est dit qu’il provient de la région de Harân. Lire ces chapitres.
Lire Dt 26, 5-11.

Exercice personnel / (ou partages en groupe) :

  1. Dans l’histoire d’Abraham, Dieu lui adresse la parole. Quels conseils donneriez-vous pour mieux écouter Dieu ?
  2. Par peur, Abraham a mis en danger sa femme. Par la suite, sa confiance en Dieu est devenue forte. Réflexion : Quand nous avons peur, pensons-nous encore aux autres ? Donnez des exemples vécus.
  3. Dieu a promis un pays à Abraham, « la terre promise », mais est-ce si simple ? Résumez.
  4. Commentez les promesses de Dieu dans le récit de la vie d'Abraham et dans la vie de la mère de Jésus
  5. L’histoire du sacrifice d’Isaac. Faites un bref commentaire lié à vos préoccupations.
  6. Selon vous, quelle est la plus grande qualité d’Abraham ?

Etude :

Françoise Breynaert, Parcours biblique : Le berceau de l'Incarnation (imprimatur), Parole et silence 2017, p. 21-33 à la Procure

 

Abraham

Parcours biblique -3- Abraham

Abraham

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A quelle époque ?

            La vérité sur Abraham se situe entre deux interprétations extrêmes.

            L’un des extrêmes est de remonter 480 ans (1R 6, 1) + 430 ans (Ex 12, 40) + trois générations (Abraham, Isaac, Jacob) avant le temple de Jérusalem. Cela nous fait commencer l’histoire d’Abraham aux alentours de l’an 2100. Abraham engendra Isaac et Isaac engendra Jacob, lequel eut douze fils parmi lesquels Lévi et Joseph. Les Hébreux vécurent 430 ans en Egypte (Ex 12, 40), avec une « entrée » en Egypte au temps de Joseph que ses frères rejoignent (Gn 44-46) et une « sortie » d’Egypte au temps de Moïse. Moïse descend de Lévi en trois générations : Lévi engendra Kéat, Kéat engendra Amran qui engendra Moïse (Nb 27, 58-59 ; 1Chr 5, 27-29), donc 4 générations de Jacob. Comment imaginer un séjour en Egypte long de 430 ans avec trois générations seulement ? Cette datation fondamentaliste n’est pas possible. Par conséquent, ce chiffre est symbolique, tout comme le fait que l’Exode ait précédé de 480 ans la construction du temple de Salomon, laquelle fut entreprise dans la quatrième année de son règne (1R 6, 1). Le temple de Salomon est symboliquement daté à mi-chemin entre l’Exode et l’exil à Babylone.

            La seconde interprétation extrême est de considérer que la théologie de la promesse présente dans l’histoire d’Abraham, notamment la promesse de la terre (Gn 15 ; Gn 17…) se retrouve dans le livre du Deutéronome (Dt 6, 10…) dont on sait qu’il date de Josias au VII° siècle avant J-C. De là l’idée que l’histoire d’Abraham avec sa « théologie de la promesse » n’est qu’une pieuse légende datant de l’époque de Josias. On ne retient alors du récit que ce qui a valeur politicienne. Josias aurait voulu raconter des petites histoires pour unifier son peuple autour d’un patriarche commun et lui donner une fierté et de la hauteur sur leurs voisins : ainsi, les petits pays à l’est du Jourdain, Ammon et Moab, descendaient de l’inceste des filles de Lot (neveu d’Abraham) ; tandis qu’au sud, le petit pays d’Edom descendait de ce rustre Esaü qui perdit son droit d’aînesse au profit de son frère Jacob (petit fils d’Abraham). Et on souligne les « anachronismes » du récit. Par exemple, la mention des rois «du pays d’Edom » (Gn 36, 16-19) semble un anachronisme si l’on considère qu’il n’y a eu en Edom d’implantations sédentaires qu’au VIII° siècle et d’Etat constitué qu’au VII° siècle. L’anachronisme est discutable : ne pouvait-on appeler « roi » des chefs de bergers ou de nomades, tout à fait modestes, à qui il convient d’acheter l’eau des puits… Certains jugent que la mention des chameaux dans l’histoire des patriarches est anachronique[1], mais d’autres avancent de nombreuses preuves indiquant que le chameau était déjà domestiqué, surtout en Arabie, plus de 2000 ans avant notre ère[2]. Chacun des « anachronismes » est ainsi discuté et nous n’avons pas d’arguments décisifs pour réduire l’histoire d’Abraham à une légende.

            La Bible dit qu’Abraham provenait d’Ur (Gn 11, 28), cité prestigieuse au III° millénaire dans le golfe persique, et qui décroît lentement au cours du II° millénaire. Certains suggèrent que cette mention aurait été inventée pour accroître le prestige d’Abraham au VI° siècle, quand le roi Nabonide a redonné du prestige à cette ville. Là encore, il y a des discussions.

            Plus consensuel est le verset : « Abram avait 75 ans lorsqu’il quitta Harân » (Gn 12, 4). Abraham provenait ainsi de la région araméenne de Harân, au nord de la Syrie, ce qui est cohérent avec le credo « Mon père était un Araméen errant » (Dt 26,5). Le mot « araméen » ne se retrouve dans les écrits internationaux qu’au XI° et IX° siècle avant J-C., mais on peut remonter quelques siècles avant, vers le XIII° siècle avant J-C : Abraham aurait fait partie de certains groupes d’Ahlamu proto-araméens qui étaient des tribus semi-nomades aux frontières des royaumes mésopotamiens, tandis qu’une autre partie de la population araméenne habitait dans des villes fortifiées contrôlant le territoire environnant et rassemblées en divers royaumes[3].

            Trois civilisations ont successivement dominé la région. Au début du II° millénaire avant notre ère, l’armée égyptienne dominait Byblos (actuel Liban) et Sichem (Canaan), tandis que se formait le premier empire de Babylone avec Hammurabi (-1792-1750) qui régna sur un territoire qui s’étendait d’Assour au golfe persique et qui instaura le culte de Mardouk. Les Hittites détruisirent cet empire vers le XVI° siècle. Vers l’an 1600 avant J-C, l’empire hittite (venant d’Asie mineure) prend de l’ampleur et s’étend de l’Asie mineure à Babylone. Mais il est morcelé par diverses peuplades et par l’empire Assyrien (venant du Golfe persique) vers l’an 1200. Les rescapés ont formé de petits Etats en Syrie du Nord.

            Proto-araméen plutôt qu’Araméen proprement dit, Abraham aurait donc vécu au contact des Hittites, et aux confins de trois grandes civilisations : égyptienne, hittite et assyrienne.

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Abraham : le début d’une foi nouvelle

            « Le Seigneur dit à Abram : "Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t'indiquerai » (Gn 12, 1).

            La foi d’Abraham n’est pas encore la foi de Moïse, ni de Josias, encore moins la foi chrétienne : Abraham et les patriarches dans leur ensemble invoquent Dieu sous le titre « El Shaddaï »[4]. Ce titre signifie « Dieu de la steppe », d’après l’hébreu « Sadeh » et un sens possible du mot akkadien « Shadû ». Dieu dit à Moïse : « Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme El Shaddaï, mais mon nom de YHWH, je ne le leur ai pas fait connaître » (Ex 6, 3).

            Abraham ne célèbre pas le Shabbat, ni la fête de Pâque. Il élève un autel au Seigneur en plusieurs endroits : Sichem (Gn 12, 7), Béthel (Gn 12, 8), Bethsabée (Gn 26, 25)… Tout ceci distingue Abraham du roi Josias qui demandera à son peuple que les sacrifices soient offerts uniquement au temple Jérusalem dans le but d’éradiquer l’idolâtrie (nous y reviendrons).

            Jésus a dit qu’Abraham avait vu son jour (Jn 8, 56), dans un contexte où Jésus s’affirme comme venant de Dieu, préexistant. Jésus n’a pas l’intention d’évoquer la question du salut d’Abraham et de son évangélisation par un contact désincarné. Il dit seulement qu’Abraham « a vu mon jour ». Les trois personnages qui apparaissent à Abraham pour lui annoncer la naissance d’Isaac partent immédiatement vérifier si la rumeur qui monte de Sodome est véridique, tandis qu’Abraham se tient encore devant le Seigneur (Gn 18, 22), ce verset indique clairement que ces trois personnages n’étaient pas les trois personnes de la Trinité (quelles que soit les œuvres artistiques inspirées du début du chapitre) !

           

            La foi d’Abraham n’est pas encore la foi de Moïse ni de Josias, cependant, commence avec lui une attitude religieuse nouvelle.

 

-1- Nouvelle par rapport à la civilisation sumérienne.

            La Bible situe l’origine d’Abraham à Ur ou Harân. Sur ces régions, l’empire de Babylone succède à l’empire sumérien au XIX° siècle avant J-C. Typique de la civilisation sumérienne, dès le III° millénaire avant notre ère, Ur avait une ziggurat, de même que Babylone (Babel : porte du ciel), c’est-à-dire des tours par lesquelles les gens se croient capables d’accéder au Ciel (aux dieux) par eux-mêmes. La Bible nous dit que les gens n’y obtinrent que la confusion (Gn 11). Au temps d’Abraham, la civilisation sumérienne était en déclin mais son attitude religieuse avait marqué les populations et les ziggurats ont traversé les siècles. Abraham s’est éloigné de cette civilisation et de l’attitude religieuse qui veut accéder au Ciel (aux dieux) par les moyens humains.

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-2- Nouvelle par rapport à la magie hittite.

            La chronologie biblique qui place l’épisode de la « tour de Babel » avant l’appel d’Abraham suggère la nouveauté qui s’est produite : avec la tour de Babel (les ziggurats), l’homme veut capter le divin. Avec Abraham, Dieu se penche sur l’homme et crée la surprise (la naissance miraculeuse d’Isaac, la promesse). Avec la tour de Babel, nous sommes dans une dynamique où l’homme veut se diviniser. Avec Abraham, nous entrons dans une dynamique de grâce et d’histoire de la grâce.

            Abraham avait connu le code législatif des Hittites survivant dans des cités-Etats au nord de Syrie et assez proche du « code » d’Hammurabi. Ce code, qui est en réalité une simple jurisprudence, protège les esclaves contre la fantaisie des maitres, et des amendes remplacent déjà la loi du talion. Abraham a probablement hérité d’une telle sagesse.

            Mais dans la civilisation hittite, la magie force la main des dieux, le roi hittite participe au caractère sacré du soleil et il est divinisé après sa mort[5]. Abraham aurait rompu avec de telles conceptions magiques et sacrales. En effet, nous ne voyons jamais Abraham vénérer un roi divinisé, ni « forcer la main de son Dieu » pour obtenir quoi que ce soit. Ni au moment de la sécheresse pour obtenir de l’eau, il va tout simplement en Egypte où le Nil assure la subsistance. Ni quand Sara n’a pas d’enfant, il s’unit tout simplement à sa servante. Ni quand Dieu l’avertit du châtiment de Sodome, il intercède alors auprès de son Dieu d’une manière familière et respectueuse, confiante et nullement magique.

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Figure 2 : Le code d’Hammurabi (musée du Louvre)

            Les descendants d’Abraham devront, pendant de longs siècles, se positionner vis-à-vis des pratiques magiques cananéennes ; ils le feront avec beaucoup d’ambiguïtés, de faiblesses, de péchés... Mais une semence sainte a été jetée et ne disparaîtra plus.

3- L’apprentissage de la confiance.  

            Abraham est un homme qui connaît parfois la peur, notamment, par deux fois, il a peur que des étrangers s’en prennent à sa vie par convoitise envers son épouse Sara, qui était très belle. Soucieux de préserver sa vie, il laissa prendre Sara en disant qu’elle était sa sœur, et cela à deux occasions : en Egypte (Gn 12, 14-20) et à Gérar[6] (Gn 20, 1-18). Or, dans ces deux cas, Dieu intervint : les « prédateurs », frappés de maladies ou de stérilité, ou avertis en songe, comprenant que Sara est son épouse, ils la lui rendent, avec mille excuses et cadeaux. Abraham, qui était un « prophète » (Gn 20, 7), comprend l’intervention divine, il intercède pour Abimeleck et il apprend à sortir de la confusion femme/sœur, il apprend que son Dieu le protège chaque jour, et par conséquent, il doit aussi avoir confiance dans les promesses que Dieu lui fait : promesse d’une terre, promesse d’un fils né de Sara. Par la suite, sa confiance est si forte qu’il est capable d’offrir son fils Isaac à son Dieu, dans une attitude d’oblation qui n’a rien d’une pratique magique.

           

4- Une révélation.

            Quand la Bible nous dit qu’Abraham était prophète (Gn 20, 7), elle veut nous dire quelque chose d’important.

« Dans sa vie se produit un fait bouleversant : Dieu lui adresse la Parole, il se révèle comme un Dieu qui parle et qui l’appelle par son nom. La foi est liée à l’écoute. Abraham ne voit pas Dieu, mais il entend sa voix. De cette façon la foi prend un caractère personnel. Dieu se trouve être ainsi non le Dieu d’un lieu, et pas même le Dieu lié à un temps sacré spécifique, mais le Dieu d’une personne, précisément le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, capable d’entrer en contact avec l’homme et d’établir une alliance avec lui. La foi est la réponse à une Parole qui interpelle personnellement, à un Toi qui nous appelle par notre nom. »[7]

 

La promesse

            A notre époque, on peut vouloir nier l’existence historique d’Abraham parce que cela permet d’éviter de parler de la promesse territoriale que Dieu lui a faite et qui peut sembler politiquement incorrecte… La révélation faite à Abraham comporte en effet la promesse d’une terre. En Gn 12, 7, la promesse se limite à ce qu’Abraham peut voir autour de lui, à partir de Sichem. En Gn 17, 8, la terre promise à Abraham se limite « à toute la terre de Canaan », c’est-à-dire l’ancienne Palestine, mais en Gn 15, 18, il s’agit d’un territoire étonnant : « depuis le fleuve d’Égypte jusqu’au grand fleuve, le fleuve d’Euphrate » (Gn 15,18) : tout le monde connu par Abraham ! Lorsque saint Paul évoque « la promesse faite à Abraham ou à sa descendance de recevoir le monde en héritage » (Rm 4, 13), ce n’est donc pas tant une déformation de l’Ecriture qu’un choix théologique. Et dans ce cas, l’idée de terre promise n’a plus aucune implication politique puisqu’elle concerne toute la terre. Dès lors qu’Abraham héritera « le monde », nous sommes libérés des pressions idéologiques et nous pouvons mieux accepter la mémoire d’Abraham, personnage réel, ayant reçu une révélation et une promesse.

Genèse 17 et la promesse d’un fils. « 1 Lorsqu'Abraham eut atteint 99 ans, le Seigneur lui apparut et lui dit: "Je suis El Shaddaï, marche en ma présence et sois parfait. 2 J’institue mon alliance entre moi et toi, et je t’accroîtrai extrêmement." […] 15 Dieu dit à Abraham: "Ta femme Saraï, tu ne l’appelleras plus Saraï, mais son nom est Sara. 16 Je la bénirai et même je te donnerai d’elle un fils; je la bénirai, elle deviendra des nations, et des rois de peuples viendront d’elle." 17 Abraham tomba la face contre terre, et il se mit à rire car il se disait en lui-même: "Un fils naîtra-t-il à un homme de cent ans, et Sara qui a 90 ans va-t-elle enfanter?" » (Gn 17, 1-17)

            Genèse 18 : La promesse pour Abraham se rapporte tout d’abord à son descendant, mais va au-delà : "Par lui se béniront toutes les nations de la terre" (Gn 18, 18).

 

L’aqedah ou ligature d’Isaac (Gn 22)

            Pour expliquer qu’un petit peuple se permette des croyances très différentes des peuples environnants, il est raisonnable de penser à une révélation qui ait commencé chez un homme, sa famille, son clan. C’est seulement ensuite que tout un peuple, un clergé, des rois et des scribes, et des prophètes, lui donneront du poids. Si quelque chose de l’expérience d’Abraham a pu aussi être vécu de manière communautaire, c’est parce quelque chose était présent dans les mentalités.

            Le récit de « l’Aqedah », la ligature d’Isaac raconte comment Abraham pense devoir sacrifier Isaac, l’enfant de la promesse. Abraham est sincère : les sacrifices d’enfants étaient pratiqués dans les religions païennes (dont les divinités, en réalité des démons, réclament du sang…). Il quitte ses serviteurs en leur disant : « Demeurez ici avec l'âne. Moi et l'enfant nous irons jusque là-bas, nous adorerons et nous reviendrons vers vous » (Gn 22, 5). Ce qui fera dire aux commentateurs chrétiens qu’Abraham croyait que son Dieu pourrait ressusciter l’enfant qu’il lui sacrifierait… Abraham monte avec Isaac sur la montagne, le mont Moriah. Isaac demande : « où est l’agneau pour le sacrifice ? » (Gn 22, 7). Une question dont la réponse attendra les siècles[8]… Abraham prépare le bûcher. Mais Dieu interrompt son geste sacrificateur et lui indique un bélier en remplacement. Dieu bénit alors Abraham « parce que tu as fait cela, que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable qui est sur le bord de la mer, et ta postérité conquerra la porte de ses ennemis. Par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre, parce que tu m’as obéi » (Gn 22, 16-18). Mystérieuse montagne où se jouent une offrande, une révélation, et une bénédiction…

            L’histoire d’Abraham n’a pas de connotation magique (Abraham ne fait pas ce sacrifice pour forcer la main de son Dieu et obtenir une victoire militaire ou une pluie abondante). Ceci dit, un tel récit encourage à refuser les sacrifices d’enfants pratiqués dans les rites magiques cananéens, et cela jusqu’au temps de Manassé ([-697?]-687,-642) qui fit passer son fils par le feu (2R 21, 6). On ne voit dans la Bible ni Josias ni Jérémie, ni Elie ni Moïse recevoir la révélation qu’il fallait refuser les sacrifices d’enfants : ils ne font qu’exprimer une règle, une révélation qui les a précédés. Cet interdit était donc diffus chez les enfants d’Abraham, mais il fallait lui donner du poids, en faire une loi, en faire une habitude contre les habitudes des Cananéens. Manassé pratique encore les sacrifices d’enfants mais il sait se repentir (2Ch 33, 12). Il n’aurait pas trouvé la voie du repentir sans une mémoire, un arrière-plan, notamment l’histoire de l’aqedah.

 

            En outre, l’histoire du sacrifice d’Abraham comporte une révélation encourageante qui dépasse de beaucoup les préoccupations liées aux sacrifices d’enfants.

            Notamment, ce récit encourage tout un peuple parti en exil à Babylone : Abraham pouvait penser que sa descendance, pourtant promise par Dieu, était détruite. Dieu est intervenu et Isaac vit. L’avenir des exilés et leur descendance semblent détruits, et pourtant, Dieu, par Cyrus, leur redonne un avenir, une descendance au pays… La foi du peuple en exil est« la mémoire d’un fondement et une lumière qui vient de l’avenir promis »[9]. Mais il n’y aurait aucune foi, ni d’Abraham, ni du peuple, s’il n’y avait eu une promesse faite à Abraham. La Bible, qui ne cesse de nous dire que des hommes ont eu « foi », n’a pas inventé l’évènement d’Abraham.

            L’histoire du sacrifice d’Abraham comporte un éclairage qui dépasse aussi cette perspective. En effet, le récit de la Genèse ne souligne pas tant l’heureuse issue – Isaac vivant – que l’attitude confiante et généreuse, l’héroïque oblation d’Abraham : « Parce que tu ne m’as pas refusé ton fils… »

 

Abraham et le berceau de l’Incarnation

            Nous abordons maintenant l’étude de la cohérence de la révélation, Parce que nous avons commencé par aborder l’Ancien Testament d’une manière historique, nous pouvons faire le lien entre l’Ancien et le nouveau Testament, sans pour autant verser dans l’allégorie, mais en montrant que l’Ancien Testament a constitué une préparation historique.

Aux fondements de la généalogie

            L’évangile de Matthieu commence la généalogie du Christ en Abraham (Mt 1, 1).       Lorsqu’Abraham appelle Sara « ma sœur » pour éviter d’être tué par ceux qui la convoitent, nous sommes encore loin de la considération de l’épouse comme partenaire de l’Alliance. Abraham l’appelait d’abord Saraï, avec la terminaison qui signifie le possessif : ma princesse. Le Seigneur lui demande de l’appeler « Sara », sans le possessif.

            Dans une lecture cohérente de la Bible, il est aisé de comprendre que la sainte famille de Nazareth n’aurait pas été possible sans les clarifications vécues par Abraham, aux fondements de la généalogie. Joseph prit chez lui Marie son épouse, sans confusion, sans fusion, sans l’ambiguïté d’une femme-sœur, et après en avoir été momentanément dépossédé. Il est beau de voir l’action de l’Esprit Saint, lente et progressive, solide.

 

Une médiation personnelle

            Dans la prise de distance avec les attitudes religieuses répandues au Moyen Orient, Abraham est médiateur d’une foi nouvelle. Et l’on dira « le Dieu d’Abraham ». Accepter cette médiation, le fait que nous sommes appelés à participer, dans l’amour, à l’expérience d’un autre, c’est important, et cela nous prépare à accueillir la médiation de l’Eglise et la médiation de Marie. Comme Abraham, Marie reçoit une révélation. Comme Abraham, Marie est une personne à qui Dieu s’adresse personnellement (par l’ange, à l’Annonciation). Comme il y a une médiation d’Abraham, il y a une médiation de Marie.

 

Sacrifice et oblation. Espérer contre toute espérance

            L’histoire du sacrifice d’Abraham comporte une lumière qui se propage jusqu’au temps de la Vierge Marie.

            Le silence d’Abraham au moment de ce sacrifice peut étonner. Il n’était pas habituellement un homme muet mais un personnage plein d’humour, de familiarité avec son Dieu − quand Dieu annonce la naissance d’Isaac (Gn 17,17-18), Abraham rit. Au chapitre suivant, Dieu parle de justice envers Sodome et Gomorrhe, mais Abraham fait baisser les chiffres, il met Dieu à l’épreuve : vas-tu tuer l’innocent avec le pécheur ?… Au chapitre 22, curieusement, Abraham ne discute pas comme dans les histoires précédentes. La demande de son Dieu (ou des dieux païens dont la voix n’est pas encore éteinte en lui) est pourtant exorbitante : sacrifier l’enfant de la promesse ! Cette absence de discussion avec Dieu pourrait être le signe qu’Abraham le prend au mot pour le forcer à se rendre, avec la même familiarité que précédemment…

            La Vierge Marie a, elle aussi, une certaine familiarité avec Dieu. Le jour de l’Annonciation, elle parle très librement à l’ange du Seigneur. Le jour où elle retrouve Jésus au temple, elle lui parle aussi très librement, de même à Cana quand le vin manque. Mais au calvaire, dans une situation tout aussi exorbitante que celle d’Abraham dans la ligature d’Isaac, elle ne dit rien.

            Et Dieu répond à Marie comme à Abraham.

            Cette affinité spirituelle entre Marie et Abraham, Jean-Paul II la soulignera en commentant l’Annonciation et la Passion : « au pied de la Croix, la foi de Marie n’avait pas défailli. Elle était encore celle qui, comme Abraham, "crut, espérant contre toute espérance" (Rm 4, 18). »[10]

Des promesses

            « Avec Abraham, - après la dispersion de l’humanité à la suite de la construction de la tour de Babel – commence l’histoire de la promesse. Abraham renvoie par anticipation à ce qui doit venir. Celui-ci est pèlerin non seulement du pays de ses origines (Chaldée) vers la Terre promise, mais il est pèlerin aussi dans le fait de sortir du présent pour s’acheminer vers l’avenir. Toute sa vie renvoie en avant, elle est une dynamique de la marche sur la route de ce qui doit arriver. Avec raison donc, la lettre aux Hébreux le présente comme pèlerin de la foi fondée sur la promesse : "C’est qu’il attendait la ville pourvue de fondations dont Dieu est l’architecte et le constructeur" (He 11, 10).»[11]        

            Genèse 15. Dieu promet à Abraham une terre, « depuis le fleuve d’Égypte jusqu’au grand fleuve, le fleuve d’Euphrate » (Gn 15,18), ce qui signifie tout le monde connu par Abraham, ce qu’a très bien compris saint Paul qui évoque « la promesse faite à Abraham ou à sa descendance de recevoir le monde en héritage » (Rm 4, 13). Cette promesse est donc un « berceau de l’Incarnation » dans ce sens où les chrétiens héritent du monde « par le moyen de la justice de la foi » en Jésus-Christ (Rm 4, 13).

 

            Pour Abraham comme pour la mère de Jésus, il y a un équilibre entre la promesse qui sera tenue et l’histoire qui n’est pas écrite à l’avance.

            Le langage de l’ange à l’Annonciation à Marie est celui d’une promesse. « Il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin. » (Lc 1, 30) Le langage de Siméon lors de la présentation de Jésus au Temple est le langage de la promesse : Jésus sera « Lumière pour éclairer les nations », et il sera « en butte à la contradiction » (Lc 2, 21-35). Cependant, comme pour Abraham, l’histoire de Marie n’est pas pour autant écrite à l’avance, il y a place pour un « pèlerinage de la foi »[12].

            Jésus lui aussi fait des promesses, et combien ! La promesse aux disciples qui ont tout quitté pour le suivre et qui recevront le centuple dès cette vie… La promesse du Royaume… La promesse de son retour et des fins dernières… Il convient de remarquer que Jésus annonce (promet) sa Passion et sa résurrection, mais Judas et Pilate ont été libres jusqu’au bout. Jésus promet la venue de l’Esprit Saint, mais l’Esprit repose sur ceux dont le cœur est pur, ouvert, pauvre...

            Une promesse comporte une certaine connaissance de l’avenir. Ce qui pose un problème scientifique, ou philosophique. Un certain nombre de savants, quand ils lisent une promesse, pensent qu’elle a été écrite après coup. Mais aujourd’hui, la science elle-même nous invite à plus d’humilité[13].

            La tradition de l’Eglise comprend aussi que la glorification de Marie au ciel est le signe assuré que Jésus tiendra ses promesses pour chacun de nous.

            Les apparitions mariales n’ajoutent rien à la révélation biblique, mais elles sont de l’ordre du charisme de prophétie pour soutenir le peuple croyant à une époque donnée. L’apparition de Marie (invoquée comme « la fleur de Galilée ») à Simon Stock, comporte, une promesse de la vie éternelle (sous certaines conditions). Quand Marie promet à sainte Bernadette du bonheur de l’autre monde, ou quand Marie promet aux voyants de Fatima le triomphe de son cœur immaculé, il s’agit encore de la théologie de la promesse. De plus, les messages de certaines apparitions mariales résonnent parfois comme des prédictions qui s’accomplissent sous nos yeux, et par conséquent comme une confirmation de la théologie de la promesse. Par exemple, dans l’apparition de la Rue du Bac, dans son message donné la nuit du 18 au 19 juillet 1830, la Vierge Marie annonce que « Le trône sera renversé », ce qui sera vérifié 10 jours plus tard ! Elle annonce aussi qu’une « Communauté viendra se réunir à la vôtre », ce qui sera vérifié 20 ans plus tard, en 1850. L’apparition de Kibého (Rwanda, 1981) comporte la vision prémonitoire des massacres de 1994…Il y a ainsi une dimension prophétique, au sens de prédiction, qui fonctionne comme une signature divine, pour encourager les fidèles à suivre les appels du Seigneur Dieu.

            La Bible nous montre que l’humanité a été préparée de longue date à vivre ce processus par lequel une prédiction qui s’accomplit fonctionne comme une signature divine pour encourager les croyants.

© Françoise Breynaert


[1] I. FINKELSTEIN et N. SILBERMAN, La Bible dévoilée, Gallimard, Paris 2006 (première édition 2002)

[2] En 1944, Joseph Free releva des indices d’utilisation de chameaux dans des sites égyptiens des toutes premières dynasties : statuettes de chameaux en céramique (env. 3000 av. J.-C.), corde en poil de chameau (vers 2500 av. J.C.), pétroglyphe montrant deux hommes montés sur un chameau (env. 2300 av. J.-C.). Dans la même démarche, en 1966, l’archéologue britannique Kenneth Kitchen cita des éléments similaires trouvés au Proche-Orient : ossements de cet animal trouvés à Mari en Mésopotamie (au moins 1800 ans av. J-C.), textes sumériens de Nippur parlant de lait de chamelle...

[3]https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_arameens_un_peuple_une_langue_une_ecriture_au-dela_des_empires.asp

[4] Gn 28, 3 ; 35, 11 ; 43, 14 ; 48, 3 ; 49, 25.

[5] Cf. A-M Gérard, Dictionnaire de la Bible, éditions R. Laffont, Paris 1989, p. 521-525

[6] Gérar n’a été une ville qu’au VIII° et VII° siècle, auparavant ce n’était qu’un petit village. Abimelech était donc un chef de bergers, ou bien l’appellation « roi » est une relecture au temps de Josias. Peut-être aussi faut-il identifier la ville de Gérar avec Tel Haror au sud-est de Gaza (B. WOOD : "The Genesis Philistines". ABR Electronic Newsletter, may 31, 2006 biblearchaeology.org).

[7]Pape FRANÇOIS, Encyclique Lumen fidei § 8

[8] Le bélier est une solution divine provisoire ; Isaïe annonce un agneau victime pour les péchés (Is 53) que Jean-Baptiste désignera en Jésus (Jn 1, 29)… « Heureux les invités aux noces de l’Agneau ! » (Ap 19, 9)

[9] Cf. Pape FRANÇOIS, Encyclique Lumen Fidei § 4

[10] JEAN PAUL II, Encyclique Redemptoris Mater § 26

[11] J. RATZINGER, BENOIT XVI, L’enfance de Jésus, Flammarion, Paris 2012, p. 159

[12] VATICAN II, Constitution dogmatique Lumen gentium 58

[13] Relire ce qui a été dit en introduction sur l’humilité des sciences contemporaines, notamment en neurologie, en physique quantique…

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Date de dernière mise à jour : 11/08/2023