XVII° et XVIII° siècle

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Etude : F. Breynaert, Parcours christologique, Parole et Silence 2016, p. 223-228

(Il n'y a pas de vidéo correspondante à ces pages du livre, la vidéo proposée offre une réflexion qui est plutôt une réponse possible dans l'ordre spirituel.

Exercices :

1) Jansénisme, quiétisme, humanisme : quel aspect de ces courants reconnaissez-vous aujourd'hui dans votre entourage proche ? (expliquez)

2) Saint Louis-Marie de Montfort a su répondre au quiétisme et au jansénisme. Pouvez-vous résumer pourquoi ? 

Chap 8 -1- Anthropologie ; quiétisme ; jansénisme. (L'arbre de vie - St Louis Marie de Montfort)

XVII° et XVIII° siècle, jansénisme, quiétisme, humanisme

 

« Il disait encore la parabole que voici :

Un homme avait un figuier planté dans sa vigne.

Il vint y chercher des fruits et n’en trouva pas.

Il dit alors au vigneron :

Voilà trois ans que je viens chercher des fruits sur ce figuier,

et je n’en trouve pas.

Coupe-le ; pourquoi donc use-t-il la terre pour rien ?

L’autre lui répondit :

Maître, laisse-le cette année encore,

le temps que je creuse tout autour et que je mette du fumier.

Peut-être donnera-t-il des fruits à l’avenir...

Sinon tu le couperas. » (Lc 13, 6-9)

 

Le jansénisme

            Le jansénisme est difficile à cerner.

            C. Jansénius, évêque d’Ypres, publie en 1640 l’Augustinus, un texte qui prétend s’appuyer sur saint Augustin. Pour lui, les jésuites donneraient trop d’importance à la liberté humaine, et seraient laxistes. Jansénius semble hypnotisé par l’image biblique de l’argile dans la main du potier. Un Dieu terrible sauverait ou damnerait qui il veut, sans compte à rendre. Adam n’aurait pas eu besoin de la grâce pour exercer son libre arbitre, mais après la chute, la grâce du salut serait une contrainte surnaturelle, extérieure à l’homme, une domination symétrique et opposée à l’attrait des concupiscences, un attrait subi et senti qui ouvrirait l’accès aux illusions et aux exaltations décevantes. Il y a dans le jansénisme une forme de déviation aliénante de l’esclavage d’amour dans l’idée diffuse d’un Dieu qui pourrait agir dans l’âme sans coopération de cette âme, sans même sa volonté.

            En fait, le texte fondateur du jansénisme, « l’Augustinus », contredit saint Augustin pour qui la lumière divine est déjà un attrait[1], et cet attrait était la pure délectation de la vérité, une délectation à laquelle Adam lui-même était soumis. N’ayant en elle-même rien de sensible, elle n’offusquait en rien la liberté humaine. Or c’est essentiellement la même délectation que produit encore le Christ au fond des cœurs. De l’homme innocent à l’homme racheté par le Christ, il y a donc une continuité profonde, que méconnaît Jansénius. En fait, Jansénius oublie la voie d’amour caractéristique de la révélation chrétienne[2]. Le jansénisme est condamné par le pape Innocent X en 1653.

           

            Le jansénisme revêt une importance nouvelle en 1690-1700 avec Quesnel dont le pape Clément XI condamne les erreurs, le 8 septembre 1713, par la Constitution Unigenitus Dei Filius. Il condamne notamment certaines propositions telles que :

  « Oui Seigneur, tout est possible à celui à qui tu rends tout possible, en le faisant en lui » (DS 2404).

  « Quand Dieu veut sauver l’âme, en tout temps, en tout lieu, l’indubitable effet suit le vouloir de Dieu » (DS 2412).

  « Quand Dieu veut sauver une âme, et qu’il la touche de la main intérieure de sa grâce, nulle volonté ne lui résiste » (DS 2413).       

           

            Malgré ces condamnations, un jansénisme diffus se répand partout dans la société ; il est alors caractérisé par une opposition aux doctrines laxistes, une haute exigence de la vérité de la conversion du cœur, un mépris de la simple attrition (la pénitence par crainte de l’enfer) ; le jansénisme crée des scrupules, un éloignement des sacrements.

           

            A l’opposé de ces erreurs, on trouve par exemple saint Louis-Marie de Montfort. Exigeant, il ne peut pas être soupçonné de laxisme. S’il parle d’esclavage d’amour, c’est en reprenant le jeu de mots de saint Paul (Rm 6) pour s’opposer à l’esclavage du péché, mais il est clair que l’action de Marie dans l’âme du fidèle ne diminue jamais le libre arbitre de celui-ci, appelé chaque jour à « choisir » Marie[3]. Sa dévotion mariale est tendre, elle délivre des scrupules, et pourtant, il n’y a aucun risque d’illusion décevante puisque, justement, il enseigne à se détacher des goûts sensibles (à la manière de saint Jean de la Croix).

 

Le quiétisme

            Un peu plus tard, inspiré par Miguel de Molinos (1628-1696), le quiétisme vise un état de quiétude passive et confiante, et il imagine atteindre le but de la vie chrétienne (le repos en Dieu) bien avant la mort ; on se résigne au péché, on néglige la connaissance issue des saintes images, cantiques, fêtes liturgiques, lectures, méditations, études théologiques. L’idée de la perfection est réduite à la jouissance ici-bas d’une paix sans scrupules ni culpabilité.. Le quiétisme est condamné en 1687 par l’Église Catholique Romaine comme hérétique.

L’évangile de Jean a été utilisé par les gnostiques parce que ces derniers sont attirés par quelque chose de caché à découvrir, un thème important dans l’Evangile de Jean. La gnose est présente jusqu’à nos jours, prenant parfois la forme d’un quiétisme qui ne dit pas son nom.

De l’évangile de Jean émane au contraire une grande force :

S’il est vrai que Jésus parle d’une nourriture que vous ne connaissez pas, ou d’une manne descendue du ciel, ce n’est pas pour dispenser les hommes d’un travail de connaissance. « Je suis venu dans le monde pour témoigner de la vérité. Tout un chacun qui est de la vérité écoute ma voix » (Jn 18, 37). La lumière peut et doit être trouvée en marchant à sa suite : « Je suis la lumière du monde. Qui vient à ma suite ne marche pas dans la ténèbre, mais il la trouve la lumière de la vie » (Jn 8, 12). La parole doit être gardée : « Les disciples se souvinrent » (Jn 12, 16). « Qui n’éprouve pas de l’amour pour moi, ma parole, il ne la garde pas » (Jn 14, 24). Et Jésus donne à voir et à toucher. « Il vit et il crut » (Jn 20, 8). « Fais venir ton doigt ici, et vois mes mains » (Jn 20, 27).

Jésus donne le goût de la connaissance révélée par laquelle advient la foi et le salut. Ce salut ne dispense pas du combat contre le mal. Les commandements ne sont jamais oubliés, au contraire, il est formellement dit de ne pas se résigner au péché. « Ne pèche plus » (Jn 5, 14). « Va, et ne pèche plus » (Jn 8, 11). « Mes commandements, gardez-les ! » (Jn 14, 15). « Gardez mes commandements » (Jn 15, 10). « Vous, vous êtes mes amis si vous faites tout ce que je vous commande » (Jn 15, 14)

Jésus lui-même résiste à ses adversaires. « Pourquoi cherchez-vous à me tuer » (Jn 7, 20) et il engage les Judéens à juger droitement (Jn 7, 24 - Perle 3F) et un peu plus tard : « Vous cherchez à me tuer » (Jn 8, 40) et il tente de nouveau de les convertir (jusqu’en Jn 8, 59).

Jésus ne se contente pas d’une ou deux controverses. Il lutte contre le mal à sa racine, Satan qui induisit le péché originel. « L’archonte de ce monde est rejeté dehors ! » (Jn 12, 31).

Aux disciples, il est demandé d’agir et de se décider : en témoignent ces simples paroles de Jésus : A une femme de Samarie : « Donne-moi des eaux, que je boive » (Jn 4, 7). A un paralytique : « Veux-tu ? -Oui. Lève-toi, prends ton grabat et marche ! » (Jn 5, 6-7). Et devant le tombeau de Lazare : « Emportez cette pierre ! » (Jn 11, 39) - « Lazare, viens au dehors ! » (Jn 11, 43) - « Déliez-le ! » (Jn 11, 44).

Jésus ne se contente pas des velléités des disciples, à Pierre qui prétend donner son âme pour le Christ, mais Jésus lui annonce son reniement (Jn 13, 37-38). Jésus prévient : « Le mercenaire ne s’occupe pas du troupeau » (Jn 10, 13). Mais après la résurrection, il demande à Pierre : « Pais mes agneaux » (Jn 21, 15)

L’évangile de Jean transmet une vitalité bien concrète : « Les œuvres que je fais, lui aussi les fera » (Jn 14, 11). « En cela le Père est glorifié, que de nombreux fruits vous produisez et que soyez mes disciples » (Jn 15, 8).

L’action que demande Jésus est aussi une action liturgique : « Mon corps est véritablement un aliment et mon sang est véritablement une boisson » (Jn 6, 55). « A qui vous remettrez les péchés, les péchés lui seront remis » (Jn 20, 51). Ou simplement le tonus d’une prière de demande : « Jusqu’à présent, vous n’avez rien demandé en mon Nom. Demandez, et vous obtiendrez, et votre joie sera accomplie. » (Jn 6, 24).

C’est Jean qui nous transmet cette parole du Christ : « Ayez du cœur, moi je l’ai vaincu, le monde ! » (Jn 16, 33).

Dans l’évangile, il s’agit d’avoir en soi la vie qui est pour toujours, le regard du croyant regarde vers l’éternité. Et cela aussi confère à l’espérance toute sa dimension :  « Ceux qui firent des (œuvres) bonnes pour le relèvement de la vie. Ceux qui firent des (œuvres) mauvaises pour le relèvement du jugement » (Jn 5, 2, 29). « Qui a de la haine pour son âme en ce monde-ci, la garde pour la vie qui est pour toujours » (Jn 12, 25).

L’espérance du retour du Christ définit aussi le cadre dans lequel le mal sera définitivement vaincu : « Si je veux que celui-là demeure jusqu’à ce que je revienne, à toi que t’importe, toi, suis-moi ! » (Jn 21, 22).

 

 

 

L’humanisme dévot

            Les jésuites insistaient sur le libre arbitre de l’homme. Le courant connu en France sous le nom « d’humanisme dévot » considérait la nature humaine comme simplement blessée et non totalement corrompue par le péché originel. Ils célébraient la rédemption comme plus importante que cette faute originelle et chantent dans l’Exultet pascal : O bienheureuse faute qui a valu un tel rédempteur… La confirmation par le concile de Trente de la tradition, donc de l’apport humain aux données scripturaires, relève du même optimisme. Cet humanisme est la cause de la joie chrétienne exprimée par les grands artistes baroques. Il est le fondement qui justifie les exercices spirituels ignatiens comme travail de l’homme sur lui-même, coopération active à la grâce[4].

            Progressivement, l’humanisme exprime des attitudes optimistes qui minimisent l’importance du péché originel et donc le besoin du salut. L’humanisme athée commence au XIX° siècle. Pour l’humanisme moderne, Dieu finit par apparaître comme un obstacle à l’aspiration de l’homme à son autoréalisation. La solitude et l’angoisse générée par une telle pensée pousseront à la violence ou à la dictature[5]. C’est en cela que l’humanisme chrétien appelle une vigilance, et nécessite un équilibre.

           

            Montfort, qui a bénéficié d’une formation chez les jésuites, hérite des humanistes chrétiens. Il appelle l’homme à coopérer activement à la grâce : faire les exercices de la mission, se faire une image spirituelle de Marie, cultiver l’arbre de vie. Et la vie chrétienne se déroule dans une atmosphère de liberté intérieure, loin de tout scrupule. Montfort invite à entreprendre des choses nouvelles pour le règne de Dieu[6] et il reconnaît la valeur de nos actions[7].

            Mais l’accent est aussi placé sur l’événement d’une rencontre, l’union avec Dieu, parce que la chute de l’homme a des conséquences que nous, les hommes, avons tendance plus à nier qu’à reconnaître :

« Avant d’entreprendre quelque chose, il faut renoncer à soi-même et à ses meilleures vues ; il faut s’anéantir devant Dieu, comme de soi incapable de tout bien surnaturel et toute action utile au salut »[8].

           

            Et c’est du fond de l’expérience de ce néant que jaillit la prière à l’Esprit Saint qui initie l’expérience de l’arbre de vie :

  « O Saint-Esprit ! Accordez-moi toutes ces grâces et plantez, arrosez et cultivez en mon âme l’aimable Marie, qui est l’Arbre de vie véritable, afin qu’il croisse, qu’il fleurisse et apporte du fruit de vie avec abondance. O Saint-Esprit ! Donnez-moi une grande dévotion et un grand penchant vers votre divine Epouse, un grand appui sur son sein maternel et un recours continuel à sa miséricorde, afin qu’en elle vous formiez en moi Jésus-Christ au naturel, grand et puissant, jusqu’à la plénitude de son âge parfait. Ainsi soit-il »[9].

           

            L’équilibre de Montfort est remarquable, il tient ensemble deux extrêmes : l’importance de l’agir (l’utilité du travail, de la culture de l’arbre de vie), et l’anéantissement mystique qui creuse l’espace pour la relation avec Dieu, source de tout bien. Sa vision anthropologique repose ainsi sur deux piliers, l’acte et la relation. La relation à Dieu exige de poser des actes. Et les actes ne veulent jaillir que de la relation à Dieu.

            La possibilité de communier à Marie et à la pureté de ses intentions transforme le regard sur toute la nature humaine. Le don que Dieu nous fait de Marie, immaculée, justifie la joie, l’optimisme, la liberté intérieure.

 

La nouvelle éducation selon les « lumières »

            Spinoza (1632-1677), Hermann Samuel Reimarus (1694-1768), Gotthold Ephraïm Lessing (1729-1781), Emmanuel Kant (1724-1804) prétendent éduquer les gens autrement que ne le faisaient l’éducation chrétienne.

            On observe une critique radicale de l’autorité de l’Eglise. C’est ici qu’il faut se souvenir du déséquilibre de la scolastique : en affirmant d’autorité la Trinité, sans refaire le cheminement biblique avec ses étapes de découvertes, l’enseignement de l’Eglise pouvait apparaître comme étant terriblement autoritaire ou arbitraire.

            Cette critique de l’autorité va très loin et concerne aussi l’autorité de l’Ecriture dont on se met à douter de l’inspiration divine. Kant invite son lecteur en ces termes : « sapere aude ! aie le courage de te servir de ton propre entendement »[10]

            Les évènements historiques étant par définition contingents, on critique le fait que le salut puisse venir d’un évènement historique (l’incarnation, la mort et la résurrection de Jésus-Christ). C’est là encore un raisonnement.

            L’homme devient « autonome », il n’accepte plus de loi que la sienne propre, il a perdu de vue le fait qu’il soit créé à l’image de Dieu et que sa véritable essence soit en Dieu. Il a perdu de vue que sa nature, blessée et orientée vers le mal, a besoin d’un rédempteur. L’homme n’est plus en relation vitale avec son Créateur et Sauveur.

            La christologie est non seulement vidée de son contenu, elle est vidée de son intérêt.

            Dans un tel contexte, le dogme de l’Immaculée conception va résonner comme un coup de tonnerre (et attirer la haine de certains penseurs, tels que Victor Hugo).

 

 

[1] St AUGUSTIN, Traité sur St Jean, 26, n°5

[2] Cf. Henri DE LUBAC, Surnaturel, études historiques, DDB 1945, p. 44-54

[3] St Louis-Marie de Montfort, Amour de la Sagesse éternelle 225

[4] J. Le GOFF et F. LEBRUN, Histoire de la France religieuse, tome 2, Seuil, Paris 1988, p. 249

[5] Cf. Bernard GROTH, « humanisme athée », dictionnaire de théologie fondamentale, Cerf, Paris 1992, p. 578-586

[6] St Louis-Marie de Montfort, Prière embrasée § 9-10

[7] St Louis-Marie de Montfort, Vraie dévotion § 122-126

[8] St Louis-Marie de Montfort, Secret de Marie § 46

[9] St Louis-Marie de Montfort, Secret de Marie § 67

[10]E. KANT, “Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières ?” (1787), La philosophie de l’histoire, Médiations, Gonthier, Paris, p. 46

 

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Date de dernière mise à jour : 15/07/2019