Culte marial avant Nicée

Après avoir approfondi les motifs de la vénération de Marie, en s’appuyant largement sur l’Ecriture, nous ouvrons les livres liturgies très anciens, prière eucharistiques, chants religieux, homélies anciennes. Cette plongée dans les premiers siècles a une dimension œcuménique importante puisque cette époque est quasiment indivise.

 

Marie, la belle agnelle, homélie sur la Pâques de Méliton de Sardes (vers 160-170)

 

« C’est lui qui en une Vierge fut incarné,
            Qui sur le bois fut suspendu,
            Qui en terre fut enseveli,
            Qui d’entre les morts fut ressuscité,
            Qui vers les hauteurs des cieux fut élevé.
C’est lui l’agneau sans voix,
C’est lui l’agneau égorgé,
C’est lui qui est né de Marie la bonne agnelle,
C’est lui qui fut pris du troupeau
Et à l’immolation fut traîné et le soir tué
Et de nuit enseveli,
Qui sur le bois ne fut pas broyé,
En terre ne fut pas corrompu,
Ressuscita des morts
Et ressuscita l’homme du fond du tombeau. »
(Méliton de Sardes, sur la Pâque, n.70-71. Sources chrétiennes 123, Paris, Cerf, 1966, p.98-100)

Méliton prononça l’homélie sur la Pâque, vers 160-170, dans le cadre de la veillée pascale, l’unique fête annuelle à cette époque (avant le concile de Nicée) qui, selon la tradition asiatique, avait lieu le 14 Nisan ; durant cette veillée on lisait Exode12, c’est-à-dire le récit de l’institution de la fête juive de Pâques. Au cours de l’homélie Méliton mentionne quatre fois (§ 66.70.71.104) la Mère de Jésus, en mettant en évidence sa condition de Vierge, (§ 66. 70. 104), et en l’appelant « la belle (ou bonne - kalos en grec), agnelle » (§ 71).

L’affirmation « lui qui en une Vierge fut incarné » répond à des motivations d’ordre doctrinal mais le terme "Vierge" et surtout l’expression "la Vierge" désignent, en certains contextes, simplement et directement la mère du Seigneur et ont une nuance cultuelle, c’est-à-dire que ces expressions sont utilisées avec un sens de vénération et d’émerveillement devant le prodige de la maternité divine et virginale de Marie.

L’attention des historiens de la pitié mariale est surtout attirée par la phrase « C’est lui qui est né de Marie la bonne agnelle ». Dans le cadre du commentaire de l’Exode 12, l’évêque de Sardes projette sur la Vierge les caractéristiques du Fils, "l’agneau pascal", agneau "sans défauts et sans tache" (1 Pt 1,19; cfr. Ex 12,5). Elle est l’agnelle pure.

Cf. Ignazio CALABUIG, Il culto di Maria in occidente, In Pontificio Istituto Liturgico sant’Anselmo. Scientia Liturgica, sotto la direzione di A.J. CHUPUNGCO, vol V, Piemme 1998. p. 268-269

 

Marie chantée dans les Odes de Salomon

Les « Odes de Salomon » de la première moitié du 2e siècle contiennent 42 hymnes, composés en langue grecque, selon le modèle des psaumes de l’ancien Testament.

L’ode XIX, 6-11 célèbre dans un langage hermétique la maternité virginale de Marie ; elle souligne, en antithèse avec la peine de la "douleur" dans l’accouchement pour Ève (cf. Gn3, 16), l’absence de douleur dans l’accouchement de la Vierge ; et elle exalte sa participation active à l’Incarnation du Verbe et à sa manifestation salvatrice.

L’histoire de la pitié mariale ne peut pas ignorer que dans les premières décennies du 2e siècle, la célébration liturgique du salut opérée par Dieu en Jésus Christ incluait parfois une approche de Marie de Nazareth pleine de respect et d’admiration, une vénération sûre même si elle est au stade initial.

Cf. Ignazio CALABUIG, Il culto di Maria in occidente, In Pontificio Istituto Liturgico sant’Anselmo. Scientia Liturgica, sotto la direzione di A.J. CHUPUNGCO, vol V, Piemme 1998, p. 269

 

Les premières Eglises dédiées à Marie

Dédier à la Vierge un bâtiment de culte est une expression très significative de la pitié mariale liturgique.

1) A Nazareth, au lieu de l’Annonciation de l’archange Gabriel à Marie, où les fouilles effectuées depuis 1955 ont mis à la lumière une véritable église de la Judée chrétienne dont le caractère marial est attesté par deux inscriptions datant des 2e ou 3e siècles, témoignages émouvants de pèlerins allés à Nazareth pour vénérer la Vierge et se confier à sa protection: l’un a écrit en belles lettres grecques : « Réjouis-toi Marie », et l’autre a écrit « Prosternée au saint lieu de M(arie) j’ai tout de suite écrit là (les noms), j’ai décoré son image » [1] .

2) A Jérusalem, où la convergence entre les recherches archéologiques, achevées depuis 1972 et l’étude des informations transmises par les "Transitus" a fait conclure que le lieu sacré désigné comme tombe de Marie témoigne de l’existence d’un lieu de culte de la Judée chrétienne, remontant sûrement à l’époque prénicéenne, lié à la mémoire de la fin de la vie terrestre de la mère de Jésus[2].

Au 4e siècle, après beaucoup d’épisodes de rivalité réciproque, l’Église de souche pagano-chrétienne prévalut sur l’Église de souche araméo-chrétienne qui disparut presque complètement. Alors les écrits des habitants de la Judée chrétienne furent considérés avec suspect, et parmi ces écrits, d’importants documents relatifs à la fin de la vie terrestre de Marie, et des expressions de pitié issues de son milieu familial « qui eut envers Marie une grande estime, avec un sens extrêmement fraternel »[3].

3) Avant le concile de Nicée, fut construite une église à Alexandrie par le patriarche Teona (†307), que qui fut appelée très tôt "église de Sainte Marie" considérée comme la titulaire du lieu[4].

Cf. Ignazio CALABUIG, Il culto di Maria in occidente, In Pontificio Istituto Liturgico sant’Anselmo. Scientia Liturgica, sotto la direzione di A.J. CHUPUNGCO, vol V, Piemme 1998. p. 271-272

 

Archéologie et vénération de Marie, avant Nicée (325)

De l’époque précédant le concile de Nicée, l’archéologie a fait connaître ces traces de vénération pour Marie :

A) Les inscriptions à Nazareth, au lieu présumé où la Vierge reçut l’annonce de l’ange, témoignages émouvants de pèlerins allés au Nazareth pour vénérer la Vierge et se confier à sa protection. [5]

B) Les traces de piété mariale à Jérusalem sur la "tombe de Marie" [6].

C) L’épitaphe d’Abercio, évêque de Gérapolis en Phrygie, daté entre 170 et le 200 [7] : « Que la foi me conduise en tout lieu et me prépare partout pour aliment le poisson de Source, très grand et pur, que la Vierge chaste prend et donne aux amis pour qu’ils se nourrissent toujours, en offrant un vin agréable qui s’offre mélangé (avec de l’eau) et avec du pain. »[8] L’expression la Vierge chaste semble traduire l’émerveillement et l’admiration devant la conception virginale de Marie, la mère de Jésus qui se donne encore et partout dans le sacrement de l’eucharistie et qui est symbolisé par le poisson.

D) Les différentes épigraphes paléo-chrétiens à Rome dont l’un, en langage cryptographique, constitue une acclamation singulière à la victoire du Christ, de Marie et de saint Pierre.

E) Les inscriptions telles que le “Florenti vivas cum Maria in Cristo”, qui attestent qu’à l’époque pré-nicéenne la Vierge était déjà considérée comme la protectrice des morts et leur médiatrice bienveillante auprès du Christ[9].

F) Dans les catacombes de Priscille à Rome

a. L’adoration des mages, dans l’arc central de la "chapelle grecque", dont la décoration remonte à la moitié du 3e siècle [10] ;

b. La Vierge à l’Enfant, peinture célèbre située dans la "crypte de la Sainte Vierge", c’est-à-dire en l’un des noyaux les plus anciens de la catacombe qui peut autour vers 200-210 [11] ;

c. L’Annonciation, dans une chambre funéraire remontant à la fin du 2e siècle.

Cf. Ignazio CALABUIG, Il culto di Maria in occidente, In Pontificio Istituto Liturgico sant’Anselmo. Scientia Liturgica, sotto la direzione di A.J. CHUPUNGCO, vol V, Piemme 1998. p. 275-277

 

Marie et les martyrs sur une inscription à sainte Marie majeure

A la basilique sainte Marie majeure de Rome il y avait une très ancienne inscription en latin, maintenant perdue, elle date environ du 5e siècle :

« Virgo Maria, tibi Xystus nova tecta dicavi,
digna salutifero munera ventre tuo.
Tu genitrix ignara viri, te denique foeta
visceribus salvis edita nostra salus:
Ecce tui testes uteri tibi praemia portant
sub pedibusque iacet passi o quaeque sua,
ferrum, flamma, ferae, fluvius, saevumque venenum;
tot tamen has mortes una corona manet.”[12]

Traduction :

« Vierge Marie, moi Xystus (pape Sixte) j’ai dédicacé à ton sein qui porte le salut un digne nouveau toit (=une nouvelle Eglise).
Toi, Mère qui n’a pas connu d’homme, tu es devenue enceinte en maintenant intègres tes entrailles, et de toi est venu au jour le Sauveur.
Voici les témoins de ton sein, ils t’apportent sous leurs pieds les prix, les instruments de leurs Pâques, l’épée, le feu, l’animal sauvage, le fleuve, et le poison violent ; tous ils sont morts, mais pour chacun demeure une couronne. »

Explication. C’est une invocation, une prière à Marie. La prière évoque la virginité de Marie dans la conception et l’enfantement, signe de la nature humaine et divine du Christ. Les « témoins de ton sein » sont les martyrs (les témoins) du Christ (ton sein). Les martyrs, comme jadis les bergers viennent vers Marie pour adorer le Christ. L’hommage aux martyrs est lié à l’hommage envers Marie.

Françoise Breynaert

 

 


[1][1] B. BAGATTI, Gli scavi di Nazaret, I. Dalle origini al secolo XII, Gerusalemme 1967 pp. 146-152; E. TESTA, Nazaret Giudeo-Cristiana, Gerusalemme 1969, passim.

[2] B.BAGATTI Nuove scoperte alla tomba della Vergine a Getsemani, in «Studi Biblici Francescani Liber Annuus», 22 (1972), pp. 236.290; ID., Ricerche sulle tradizioni della morte della Vergine, in «Sacra Doctrina», 18 (1973), pp. 185-214.

[3] B. BAGATTI, Maria nella prima espansione missionaria della Chiesa in Palestina, in D. BERTETTO (a cura di), Maria Ausiliatrice e le missioni, Roma 1977, p. 122.

[4] G.GIAMBERARDINI. Il culto mariano in Egitto. I. Gerusalemme 1975. p. 105.

[5][5] B. BAGATTI, Gli scavi di Nazaret, I. Dalle origini al secolo XII, Gerusalemme 1967 pp. 146-152; E. TESTA, Nazaret Giudeo-Cristiana, Gerusalemme 1969, passim.

[6] B.BAGATTI Nuove scoperte alla tomba della Vergine a Getsemani, in «Studi Biblici Francescani Liber Annuus», 22 (1972), pp. 236.290; ID., Ricerche sulle tradizioni della morte della Vergine, in «Sacra Doctrina», 18 (1973), pp. 185-214.

[7] B. EMMI, La testimonianza mariana dell’epitaffio di Abercio, in «Angelicum», 46 (1969) : pp. 232-302.

[8] P. TESTINI, Archeologia cristiana, Edipuglia, Bari, 1980, p. 425.

[9] M. GUARDUCCI Maria nelle epigrafi paleocristiane di Roma. In «Marianum», 25 (1963). pp. 248-261, soprattutto pp. 249-252;

[10] F. TOLOTTI, Il Cimitero di Priscilla. Studio di topografia e architettura, Città del Vaticano 1970,pp.258-275.

[11] P, TESTINI, Le catacombe e gli antichi cimiteri cristiani in Roma, Bologna 1966, p. 288.

[12] E. DIEHL, Inscriptione latinae christianae veteres, I, Berlin 1925. n.976. pp. 182-183.