Ezéchiel (2e édition)

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Lecture biblique :
Livre d’Ezéchiel.
Deuxième livre des Rois, chapitre 25.

Exercices : Quel est le drame humain et spirituel vécu par Ezéchiel ? Comment Ezéchiel tient-il dans la foi ?

Etude :
Françoise Breynaert Parcours biblique : Le berceau de l'Incarnation (imprimatur), Parole et silence 2016, p. 173-185
Disponible en librairie et sur internet, à la Procure (merci de privilégier les librairies catholiques).

PLAN

Le silence

La présence de Dieu

L’histoire d’Israël

La purification

La responsabilité personnelle

Ez 18, 25-28 et la responsabilité personnelle

Ez 33, 7-9 et la responsabilité d’avertir son prochain

Ézéchiel et les 7 sceaux de l’Apocalypse

Note sur la Merkabah

Cohérence de la révélation et actualisation

Ézéchiel est l'homme de l'Exil, prêtre de Jérusalem, déporté en 597, prêchant pour les exilés de 593-571. Le plan du livre est presque conventionnel : (4-24) annonce des châtiments ; (25-32) oracles contre les nations ; (33-48) annonce de la vie nouvelle. Le livre est aussi rythmé par plusieurs grandes visions. Ézéchiel est considéré comme le premier apocalypticien.

Le silence

Quand advient l’exil, accablé comme Jérémie, Ézéchiel se tait. Dieu fait tout pour le faire sortir de son mutisme : Dieu le comble de visions, mais il se tait, se prosterne (Ez 1,28). Dieu le charge de dire quatre mots « ainsi parle le Seigneur » (Ez 2,4), il se tait...

Ézéchiel ne tient debout que parce que Dieu le veut bien : l’Esprit entra en moi et me fit tenir debout (Ez 2,2), comme lui, Israël n’a rien qu’il n’ait reçu de Dieu. Ézéchiel a le sentiment aigu de son propre néant devant Dieu.

Dieu le transporte auprès des déportés (il part en exil en -597), il reste hébété pendant 7 jours (Ez 3,15).

Dieu enfin le met devant sa responsabilité « je t’établis guetteur » (Ez 3,17), il se tait encore !

Dieu accepte le silence d’Ézéchiel, il fait de ce silence sa parole : « tu seras muet » (Ez 3,26). Plus tard, Ézéchiel parlera, « et lorsque je te parlerai, je t’ouvrirai la bouche » (Ez 3,27). De façon très explicite ce n’est pas le prophète qui parle, mais c’est Dieu à travers lui.

La présence de Dieu

Ézéchiel est prêtre, par conséquent, il était habitué à la présence de Dieu dans le temple. L’exil lui fait découvrir que YHWH est une présence plus forte encore que ce qu’il connaissait, une Présence qui suit les exilés. Tout d’abord, Ézéchiel a la vision d’un char et quelque chose comme quatre roues qui progressent en même temps dans quatre directions différentes, tirées comme par un attelage de quatre vivants, au quadruple visage d’homme, de lion, d’aigle et de taureau. La voute éblouissante porte comme un trône lumineux sur lequel siège un être lumineux. Cette vision commence au chapitre 1 et se poursuit aux chapitres 3, et 10. C’est par ce char que la gloire du temple quitte Jérusalem avec un bref arrêt sur le mont des Oliviers (Ez 9,3 ; 10,4 ; 11,22-23) et elle accompagne les exilés : « Je suis pour les exilés un sanctuaire » (Ez 11,23). (Avec Josias et le Deutéronome, nous avions vu la théologie du mémorial où l’amour de Dieu dépasse le temps ; avec Ézéchiel , nous découvrons qu’il transcende aussi l’espace).

Plus tard, dans la vision du Temple reconstruit, la gloire du Seigneur revient encore par ce char prendre possession de l’édifice (Ez 43, 1-4).

L’image d’Ézéchiel ne dit pas seulement la mobilité de Dieu, mais sa majesté. La transcendance de Dieu s’exprime aussi par la manière de décrire : « comme… comme ». Et les animaux, représentant les grandes divinités babyloniennes, sont ici domestiqués par le vrai Dieu.

Plus tard, Ézéchiel précise minutieusement le plan du nouveau temple, un plan géométrique et symbolique, qui veut séparer le temple de la demeure des rois et de leurs prostitutions (Ez 43, 1-7). De même, sa division quasi géométrique du pays est une division symbolique qui veut signifier que les tribus devront vivre de manière égalitaire. C’est une apocalyptique : une vision d’avenir.

L’histoire d’Israël

Ézéchiel résume à plusieurs reprises l’histoire d’Israël où les cultes cananéens et les alliances politiques sont autant de "prostitutions". La période qui l’intéresse est celle qui a lieu en Canaan (Ez 16) et les "prostitutions avec l’Égypte " semblent viser les alliances politiques qui ont précédé la chute de Samarie et celle de Jérusalem (Ez 20, 5s ; Ez 23). Il n’entre pas dans les détails qu’il suppose connus et il donne son interprétation. Dieu est fidèle même si l’homme est comme un avorton qui n’est pas lavé lorsqu’il naît. Dieu en prend soin, il garde son Alliance : « Je passais près de toi, et je te dis : vis ! » (16,6)… Je te fis croître… je te parais… Tu t’es infatuée, tu t’es prostituée (16,15)... et « je rétablirai mon alliance » (Ez 16,62).

L’adoration de la transcendance de Dieu est un baume sur la souffrance de l’exil. Elle est un chemin de foi. Mais on sent un certain mépris de l’homme. Dieu relève son peuple « afin que tu te souviennes et que tu sois saisie de honte et que, dans ta confusion, tu sois réduite au silence, quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait, oracle du Seigneur » (Ez 16,63) et « j’agirai envers vous par égard pour mon nom » (20, 44). L’Évangile modifie cette perspective : lors de l’Incarnation, Marie est saluée « pleine de grâce » et toute l’humanité est élevée. La révélation n’est pas achevée avec le prophète Ézéchiel ; elle procède par étapes, progressivement.

La purification

Pour l’instant, il n’y a pas de paix, pas de discernement, et une assurance trompeuse dans de petites dévotions.

Ézéchiel annonce la « colère » de Dieu :

  • contre « les prophètes d’Israël qui prophétisent sur Jérusalem et qui ont pour elle une vision de paix alors qu’il n’y a pas de paix » (Ez 13, 16)
  • et contre les prophétesses « qui cousent des rubans sur tous les poignets » (Ez 13, 18) (des petites dévotions) et « en faisant mourir des gens qui ne doivent pas mourir, en épargnant ceux qui ne doivent pas vivre » (Ez 13, 19).

L’exil purifiera tout cela.

Dieu dit : « Je leur donnerai un seul cœur et je mettrai en eux un esprit nouveau : j’extirperai de leur chair le cœur de pierre et je leur donnerai un cœur de chair, afin qu’ils marchent selon mes lois, qu’ils observent mes coutumes et qu’ils les mettent en pratique. Alors ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu. » (Ez 11, 19-20 ; Cf. Ez 36, 25.27).

Ézéchiel n’annonce pas encore (comme Joël) que les fils et filles d’Israël prophétiseront (Jl 3), mais il annonce déjà une présence de l’Esprit Saint qui purifiera de la fausse prophétie.

Finalement, du temple futur, une source jaillira qui assainira toute chose et la vie se développera partout où ira le torrent (Ez 47).

La responsabilité personnelle

Pour Ézéchiel , comme pour Jérémie, au milieu des catastrophes, le salut est personnel.

Après avoir observé les idolâtries des anciens d’Israël (Ez 8), Ézéchiel voit un « homme vêtu de lin » et il entend le Seigneur lui dire: « Parcours la ville, parcours Jérusalem et marque d’une croix au front les hommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d’elle » (Ez 9, 4). Et tous ceux qui portent cette croix (ou ce Tau) sont épargnés du châtiment (Ez 9, 1-6).

Chacun est responsable de soi-même : « Fils d’homme, si un pays péchait contre moi en m’étant infidèle et que j’étende la main contre lui, détruisant sa réserve de pain […], et qu’il y ait dans ce pays ces trois hommes, Noé, Danel et Job, ces hommes sauveraient leur vie grâce à leur justice, oracle du Seigneur » (Ez 14, 13-14). De même, un fils juste « ne mourra pas à cause des fautes de son père, il vivra » (Ez 18, 16).

Cependant, nous ne sommes pas liés par notre passé, tout le monde peut se convertir : si un pécheur se convertit, il vivra !

Comme Jérémie, Ézéchiel opère un tournant dans la pensée biblique, car auparavant on parlait de manière collective, par exemple, au temps de Gédéon : « Les Israélites firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur ; le Seigneur les livra pendant sept ans aux mains de Madiân » (Jg 6, 1) ou bien, au temps d’Isaïe : « Préparez le massacre de ses fils pour la faute de leur père » (Is 14, 21). Cette solidarité simpliste permettait aussi à chacun d’éviter son examen de conscience. Le tournant opéré par Ézéchiel suscite des protestations, le peuple trouve qu’une telle responsabilité personnelle, ce n’est pas juste ! (Ez 18, 25). Plus tard, la révélation biblique apportera d’autres nuances : le retour à une certaine solidarité et la rétribution outre-tombe.

Ez 18, 25-28 et la responsabilité personnelle

Ainsi parle le Seigneur : « Vous dites : ‘La conduite du Seigneur n’est pas la bonne’. Écoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Il a ouvert les yeux et s’est détourné de ses crimes. C’est certain, il vivra, il ne mourra pas. » (Ez 18, 25-28)

Le juste vivra, mais le méchant mourra : c’est une théologie de la rétribution. Dans la Bible, la théologie de la rétribution explique l’exil à Babylone comme étant la conséquence des fautes d’Israël. Mais cette explication est fragile, car elle n’explique pas la prospérité au temps de Manassé pourtant très idolâtre, ni la mort brutale de Josias à Megiddo, alors qu’il convertissait le pays. Il faut savoir que l’Ancien Testament nuancera ensuite la théologie de la rétribution en considérant l’au-delà la mort. On lit par exemple les paroles d’une mère à son fils au temps de la persécution grecque : « Je t’en conjure mon enfant, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les as fait de rien et que la race des hommes est faite de la même manière. Ne crains pas ce bourreau, mais, te montrant digne de tes frères, accepte la mort, afin que je te retrouve avec eux dans la miséricorde » (2M 7, 28-29). Et le dernier fils à mourir prie pour que son bourreau confesse le seul Dieu : « Je livre comme mes frères mon corps et ma vie pour les lois de mes pères, suppliant Dieu d’être bientôt favorable à notre nation et de t’amener par les épreuves et les fléaux à confesser qu’il est le seul Dieu » (2M 7, 37).

Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que chacun peut se convertir et que le juste doit persévérer dans le bien, sans se fier à ses acquis. « Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. » Dans la prière du Notre Père, « en disant "Ne nous laisse pas entrer en tentation" nous demandons à Dieu qu’il ne nous permette pas d’emprunter le chemin qui conduit au péché. Cette demande implore l’Esprit de discernement et de force ; elle sollicite la grâce de la vigilance et la persévérance finale » (CEC 2863) C’est par sa prière que Jésus est vainqueur du Tentateur, dès son séjour 40 jours au désert (cf. Mt 4,1-11) et dans l’ultime combat de son agonie à Gethsémani (cf. Mt 26,36-44). Dans l’évangile, la vigilance du coeur est rappelée avec insistance, « soyez sur vos gardes […] vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d’eux » dit Jésus (Mc 13, 9) et encore « Il surgira, en effet, des faux Christs et des faux prophètes qui opéreront des signes et des prodiges pour abuser, s’il était possible, les élus. Pour vous, soyez vigilants : je vous ai prévenus de tout » (Mc 13, 22-23). Et « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible » (Marc 14, 38). Nous veillons en communion avec Jésus qui a été vigilant avant nous. La vigilance est "garde du coeur" et Jésus demande au Père de « nous garder en son Nom » (Jn 17,11). L’Esprit Saint cherche à nous éveiller sans cesse à cette vigilance. Saint Pierre dit : « Soyez sobres, veillez. Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer » (1Pierre 5, 8) Et saint Paul dit : « Soyez assidus à la prière; qu’elle vous tienne vigilants, dans l’action de grâces » (Colossiens 4, 2). Dans la prière du Notre Père, en disant "Ne nous laisse pas entrer en tentation", nous demandons la persévérance finale par rapport à la tentation finale de notre combat sur terre, car dit Jésus, « Je viens comme un voleur : heureux celui qui veille ! » (Ap 16, 15).

Jésus « s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2), nous allons évoquer la grâce du martyre, qui est l’aboutissement d’une série de grâces et d’efforts.

La grâce du martyre est par excellence la grâce de la persévérance finale. Elle est généralement, de la part de Dieu, le couronnement de toute une série de grâces échelonnées le long de la vie ; comme de la part de l’homme, le témoignage du sang est d’ordinaire la perle précieuse qui termine une longue chaîne de correspondances à la grâce.

Aussi ce serait montrer que l’on connaît d’une façon fort superficielle le sens du martyre que de l’attribuer trop facilement à quelque circonstance fortuite ou à quelque coup de foudre.

Il y a un long et secret cheminement de l’action divine dans l’âme et dans le coeur des personnes concernées, et, en réponse, il y a toute une succession d’actes généreux qui, durant une vie où peut-être n’ont pas manqué les ombres, indiquent mystérieusement le chemin par lequel des chrétiens, certains étant des convertis récents, certains étant des pécheurs pénitents, se sont trouvés transformés en héroïques confesseurs du Christ.

Ez 33, 7-9 et la responsabilité d’avertir son prochain

« La parole du Seigneur me fut adressée : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part. Si je dis au méchant : ‘Tu vas mourir’, et que tu ne l’avertisses pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang. Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite, et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie. » (Ez 33, 7-9)

Le méchant mourra. C’est une théologie de la rétribution.

Dans l’histoire d’un individu, il est bon de commencer par se demander si nous n’avons pas provoqué nos malheurs, ou si ces malheurs n’ont pas été provoqués par « nos pères » (parents ou entourage) ! On peut avoir mal mangé, mal travaillé, on peut s’être mal comporté. Mais il existe des gifles imméritées. Il existe des jugements négatifs injustes. Il existe des échecs innocents. Il existe des blessures faussement interprétées comme des reproches et des condamnations. De nos jours, beaucoup tentent d’établir une correspondance entre maladies et conflits. Certains observent les conflits dans les quelques mois qui précèdent la maladie, d’autres thérapeutes iront chercher jusqu’à l’enfance, ou dans les générations précédentes. Ces méthodes séduisent parce qu’elles offrent la satisfaction d’offrir une explication. Il est certain qu’un sourire, une parole d’encouragement, rendent les gens plus forts, y compris physiquement. À l’inverse, un stress prolongé diminue l’immunité. De là à construire une théorie détaillée sur le lien entre la résolution du conflit et la guérison, il y a évidemment danger : en cas d’incapacité à régler un conflit, les souffrances du malade deviennent une nourriture de la rancœur et de la haine, ou de culpabilisation du malade lui-même…

Dans la Bible, la théologie de la rétribution permet d’expliquer l’exil à Babylone comme étant la conséquence des fautes. Mais cette explication est fragile, car elle n’explique pas la prospérité au temps de Manassé pourtant très idolâtre, ni la mort brutale de Josias à Megiddo, alors qu’il convertissait le pays. Les prophètes Jérémie, Ézéchiel, Job, Isaïe, et d’autres ont su remettre cette théologie de la rétribution dans un cadre plus large, respectueux de la transcendance divine. En l’occurrence, puisque nous lisons Ézéchiel, rappelons le début de son livre, avant son exil à Babylone : la transcendance de Dieu ne peut être décrite : il voit un char divin et ne peut pas le décrire : il est comme… il avait la ressemblance… il paraissait… (Ez 1). Ézéchiel se tait devant une telle grandeur.

Ézéchiel est un prophète qui a beaucoup développé le thème de la responsabilité individuelle. Chacun est responsable de soi-même, par exemple, si Dieu frappe tout le pays parce que dans son ensemble il est infidèle, trois hommes « sauveraient leur vie grâce à leur justice, oracle du Seigneur » (Ez 14, 13-14). De même, un fils juste « ne mourra pas à cause des fautes de son père, il vivra » (Ez 18, 16). Comme aussi Jérémie, Ézéchiel opère un tournant dans la pensée biblique, car auparavant on parlait de manière collective, par exemple, au temps de Gédéon : « Les Israélites firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur ; le Seigneur les livra pendant sept ans aux mains de Madiân » (Jg 6, 1) ou bien, au temps du premier Isaïe : « Préparez le massacre de ses fils pour la faute de leur père » (Is 14, 21). Cette solidarité simpliste permettait aussi à chacun d’éviter son examen de conscience personnel.

Le tournant opéré par Ézéchiel suscite des protestations, le peuple trouve qu’une telle responsabilité personnelle, ce n’est pas juste ! (Ez 18, 25). Plus tard, la révélation biblique apportera d’autres nuances : le retour à une certaine solidarité (on dira de nos jours des structures de péché), et la rétribution outre-tombe (certains justes souffrent et meurent, mais ils seront récompensés au ciel).

Éduquer à la responsabilité individuelle demeure très important. Saint Augustin lui-même reconnaît par exemple que, dans sa jeunesse, il n’aurait pas fait le vol des poires sans l’entraînement d’un groupe, mais il sait voir qu’il était, lui, responsable de son propre péché. Personnellement, j’ai toujours été très frappée d’entendre par exemple le témoignage des jeunes de la communauté du « Cenacolo » : conscients de leur jeunesse, où, par exemple, ils étaient matériellement trop gâtés mais abandonnés à eux-mêmes, ils disent à peu près tous : « Personne ne m’a obligé à me droguer, à voler, à me prostituer, etc. C’est moi qui en suis le seul responsable ». Et ils disent cela debout, fiers des amitiés nouées dans une communauté où l’on se lève tôt et où on s’assoie rarement. C’est-à-dire une communauté de courage où l’on dépasse chaque jour ses limites, en apportant la preuve que l’on est « capable ».

« Je fais de toi un guetteur ». Proche de nous, nous avons l’exemple de sainte Thérèse dans son Carmel de Lisieux, chargée de seconder la maîtresse des novices : « De loin cela paraît tout rose de faire du bien aux âmes, de leur faire aimer Dieu davantage, enfin de les modeler d'après ses vues et ses pensées personnelles. De près c'est tout le contraire, le rose a disparu... on sent que faire du bien, c'est chose aussi impossible sans le secours du bon Dieu que de faire briller le soleil dans la nuit... On sent qu'il faut absolument oublier ses goûts, ses conceptions personnelles et guider les âmes par le chemin que Jésus leur a tracé, sans essayer de les faire marcher par sa propre voie. Mais ce n'est pas encore le plus difficile, ce qui me coûte par-dessus tout, c'est d'observer les fautes, les plus légères imperfections et de leur livrer une guerre à mort. J'allais dire : malheureusement pour moi, (mais non, ce serait de la lâcheté) je dis donc : heureusement pour mes sœurs, depuis que j'ai pris place dans les bras de Jésus, je suis comme le veilleur observant l'ennemi de la plus haute tourelle d'un château fort. Rien n'échappe à mes regards ; souvent je suis étonnée d'y voir si clair et je trouve le prophète Jonas bien excusable de s'être enfui au lieu d'aller annoncer la ruine de Ninive. Jon 1,2-3 » (Histoire d'une âme G 22-23)

Ézéchiel et les 7 sceaux de l’Apocalypse

Les « quatre Vivants » (Ap 4, 3-8) de la liturgie céleste précédant l’ouverture des sept sceaux font écho à ceux de la vision du prophète Ézéchiel (Ez 1, 5-12) dans un char par lequel la gloire du Temple quitta Jérusalem (Ez 9–11) puis revint avec les exilés pour investir le Temple futur (Ez 43, 1-4).

Dans le livre d’Ézéchiel, Dieu lui-même enverra « les flèches redoutables » de la famine, des bêtes féroces et de l’épée (Ez 5, 16-17) : on retrouve l’arc du premier cavalier et le fléau du quatrième cavalier. De même, Ézéchiel donne cet oracle qui évoque le fléau du 2e cavalier (Ap 6, 4) : « Je vais faire venir contre vous l’épée » afin de « détruire vos hauts lieux » (Ez 6, 3). Les hauts lieux sont des lieux de culte qui étaient contaminés par le culte des Baals, un culte avide de sang [1]. Et l’oracle « Ce qui aura été préservé et épargné mourra de faim, car j’assouvirai ma fureur contre eux » (Ez 6, 2) ressemble à l’intervention du Intervient un cheval noir quand les denrées alimentaires basiques (le blé et l’orge) sont hors de prix (Ap 6, 5-6).. Alors adviennent les quatre vents aux « quatre coins de la terre » (Ap 7, 1 – 7e sceau), et l’on entend encore Ézéchiel : « Ainsi parle le Seigneur Dieu à la terre d’Israël : Fini ! La fin vient sur les quatre coins du pays. C’est maintenant la fin pour toi ; je vais lâcher ma colère contre toi pour te juger selon ta conduite et te demander compte de toutes tes abominations » (Ez 7, 2-3).

Dans le livre d’Ézéchiel, au temps de l’exil, il s’agissait de châtier les abominations d’ordre cultuel, spécialement celles qui sont commises dans l’enceinte du Temple : « Fils d’homme, vois-tu ce qu’ils font ? Toutes les abominations affreuses que la maison d’Israël pratique ici pour m’éloigner de mon sanctuaire ? » (Ez 8, 6). Ensuite, Ézéchiel fait la description du Temple futur et de la source qui en jaillira (Ez 40–47). De même, dans ce fil de l’Apocalypse, les douleurs analogues à celles de l’exil doivent amener une purification en vue d’une véritable adoration. À la purification succède le jugement ultime (6e sceau), réclamé par les martyrs (5e sceau). Et le Temple entrevu par Ézéchiel se réalise quand ceux qui sont revenus de la grande tribulation se tiennent devant le Trône de Dieu, « et Le servent, jour et nuit, dans Son Temple », couverts par la Tente du Saint des Saints, abreuvés au jaillissement de la vie divine (Ap 7, 15 – 7e sceau). On peut dire qu’ils habitent le Saint des Saints : ils vivent du contact permanent avec Dieu, qui est vie, instauration de vie nouvelle, révélation, jaillissement créateur…

Le parallèle est tel que l’on peut dire que l’Apocalypse accomplit l’antique prophétie d’Ézéchiel. Cependant, la révélation chrétienne donne un autre ton. Tout d’abord, il ne s’agit plus d’Israël, mais du monde entier. Ensuite, Dieu n’est plus lointain, les sept esprits de Dieu sont envoyés sur toute la Terre » (Ap 5, 6 – Ouverture des sept sceaux). Le roi est « sorti » (Ap 6, 2 – 1er sceau). Sa colère frappera ses ennemis (6e sceau) mais les différents malheurs qui frappent les hommes sont d’abord le résultat des contrefaçons de l’évangélisation (2e, 3e, 4e sceau).

Dieu fait marquer les fidèles de son sceau :
« Et je vis un autre ange / qui monta depuis l’orient du soleil

Et auprès de qui il y avait / le Sceau du Dieu vivant ! 

Et il cria, à voix haute, / aux quatre anges,

à ceux-ci à qui il avait été donné / de porter atteinte à la terre et à la mer
      
et il dit :

‘Ne portez pas atteinte à la terre ni à la mer, / ni non plus aux arbres,

jusqu’à ce que nous scellions les serviteurs de Dieu, / entre leurs yeux !’ » (Ap 7, 2-3 – 7e sceau).

L’idée que Dieu marque les chrétiens d’un « sceau » est déjà présente chez saint Paul : « Lui qui nous a aussi marqués d’un sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de l’Esprit » (2Co 1, 22), et très tôt les Pères de l’Église ont pris ce terme comme synonyme du « baptême » [2].

Cependant, avec l’intervention in extremis d’un ange particulier, l’Apocalypse veut indiquer une mise en pratique particulière de la vie baptismale. En effet, saint Jean se réfère visiblement au livre d’Ézéchiel :

« [Le Seigneur dit à l’homme vêtu de lin :] "Parcours la ville, parcours Jérusalem et marque d’un « Taw » au front les hommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d’elle." Je l’entendis dire aux autres : "Parcourez la ville à sa suite et frappez. N’ayez pas un regard de pitié, n’épargnez pas ; vieillards, jeunes gens, vierges, enfants, femmes, tuez et exterminez tout le monde. Mais quiconque portera « le Taw » au front, ne le touchez pas » (Ez 9, 4-6).

La forme archaïque de la lettre Taw est assez semblable à une croix. Et la croix est la forme suprême de l’affliction devant le mal. Il s’agit d’en être scellé entre les yeux, de vouloir lui appartenir et de se placer sous sa protection. Au moment du jugement eschatologique, ceux qui portent ainsi le « sceau » du Christ seront sauvés.

Note sur la Merkabah

Le mysticisme de la Merkabah, que l’on appelle également littérature du char ou encore littérature des hekhalot, c’est à dire, littérature des palais, s’inspire de la vision d’Ézéchiel (Ez 1) et prétend accéder à de telles visions afin de pouvoir, en quelque sorte, chevaucher de tels chars et pénétrer dans le palais céleste. C’est un mysticisme inspiré du paganisme qui considère le cosmos comme étant éternel et par conséquent divin (panthéisme). Les principaux chefs pharisiens de l’ère tannaïtique (un siècle avant et un ou deux siècles après J-C) étaient de fervents spéculateurs des thèmes de la Merkavah [3]. Dans le Talmud, le traité Hagigah (2, 1) affirme que les mystères du Ma’aseh Merkabah (Œuvres du char) ne doivent pas être expliqués, à moins qu’il ne s’agisse d’un étudiant déjà très versé dans ces sciences, lesquelles s’apparentent en réalité à du spiritisme, à de la divination et en somme, à de la magie.
Dans l’Apocalypse, la vision des quatre Vivants se réfère au char divin de la vision d’Ézéchiel (Ez 1, 5-12) mais elle ne laisse aucune place à la recherche de pouvoirs ésotériques. Au contraire, coupant court à tout panthéisme, saint Jean insiste sur l’adoration du Créateur, et à la fin de son Apocalypse, il répètera à deux reprises que les « magiciens » seront exclus de la nouvelle Jérusalem (Ap 21, 8 ; Ap 22, 15).

Cohérence de la révélation et actualisation

Ézéchiel souligne la nécessité d’une purification (Ez 11, 19-20), et cela demeure d’actualité. Chacun doit revivre le passage purifiant de l’exil, le sens de la transcendance divine. Jean-Baptiste prêche la repentance, le Christ annonce que celui qui croira en lui « de son sein couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7, 37). À Lourdes, Bernadette doit gratter la terre et faire jaillir une source, signe de purification.

Dieu demande qu’à Jérusalem « les hommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d’elle » (Ez 9, 4) soient marqués d’une croix (un tau) au front de façon à ce que le châtiment les épargne. C’est l’arrière-plan de la béatitude évangélique : « Heureux les affligés, ils seront consolés » (Mt 5, 5). Les affligés des béatitudes sont les disciples agréables à Dieu, car leur affliction est le signe de leur rupture avec les valeurs mondaines et de la confirmation de l’espérance qui oriente toutes leurs aspirations vers le monde futur. Dans ce contexte donc, l’affliction est une béatitude véritable, parce qu’elle indique l’état du fidèle, ami de Jésus et renonçant aux fausses joies du monde.

Jésus cependant connaît la difficulté de se maintenir serein et constant et il offre à l’Église une mère, qui puisse être un guide et un réconfort pour ses fils en pèlerinage sur la terre. Sur le Calvaire, Marie réconforte Jésus par sa présence et son affection de mère, et Jésus lui confie ses frères : « Femme, voilà ton fils » (Jn 19,26). Marie reçoit donc le devoir maternel de la compassion non seulement envers Jésus, mais aussi envers les frères de Jésus, qui souffrent persécutions et afflictions [4]. Elle apprécie leur sacrifice, et les accompagne vers cette Apocalypse qui s’ouvre, c’est-à-dire vers cet avenir purifié et béni de Dieu.

 

[1] On lit par exemple que les prophètes de Baal « se tailladent jusqu’à l’effusion du sang » (1R 18, 28).

[2] HERMAS, Sim. 9, 16, 4 ; 2CLEMENT 7, 6 ; 8, 5, et de très nombreux Pères.

[3] Le Hekhalot Zutartey décrit l’ascension mystique du rabbi Akiva, le Hekhalot Rabbati décrit celle du rabbi Yishmaël Ben Elisha, le Ma’aseh Merkavah décrit les hymnes récités par les mystiques pendant leur ascension. Enfin, dans le Sepher Hekhalot, le rabbin Yishmaël Ben Elisha met en scène l’ascension du prophète Hénoch et la transformation de ce dernier en l’archange Métatron !

[4] Mgr Angelo AMATO, Gliafflitti, consolati dal Signore di ogni consolazione, in Santa Maria “Regina Martyrum”, Quaderno di spiritualità dell’ordine dei Frati servi di Maria Provincia di Piemonte e Romagna, Anno IV – N°3 (12) – 2001, p. 4-9

Ezéchiel

Parcours biblique -27- Ezéchiel

Date de dernière mise à jour : 11/08/2023