18e dimanche ordinaire C

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Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30. 

 

Première lecture (Qo 1, 2 ; 2, 21-23)

Psaume (Ps 89 (90), 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc)

Deuxième lecture (Col 3, 1-5.9-11)

Évangile (Lc 12, 13-21)

 

Première lecture (Qo 1, 2 ; 2, 21-23)

Vanité des vanités, disait Qohèleth. Vanité des vanités, tout est vanité ! Un homme s’est donné de la peine ; il est avisé, il s’y connaissait, il a réussi. Et voilà qu’il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine. Cela aussi n’est que vanité, c’est un grand mal ! En effet, que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? Tous ses jours sont autant de souffrances, ses occupations sont autant de tourments : même la nuit, son cœur n’a pas de repos. Cela aussi n’est que vanité. – Parole du Seigneur.

Le commentaire est extrait de : BREYNAERT, Françoise, Parcours biblique, Le berceau de l’Incarnation, Parole et Silence, Paris 2016. Imprimatur de Mgr Ulrich. Son originalité est son caractère complet et paroissial. Le lecteur sait ensuite situer dans leur histoire tous les livres de l’Ancien Testament. Le livre est nourrissant pour la prière, le visage de Jésus est fidèle au livre de Benoît XVI, Jésus de Nazareth. Le lien avec Marie et l’Église est régulièrement montré.

Qohelet se présente comme un sage (Qo 12, 9). Il a largement de quoi manger et boire, un bonheur au travail, avec la femme qu’il aime. Et pourtant, on sent chez lui un vide, un sens de l’absurdité du monde, une aspiration à autre chose qu’il ne sait pas définir. Sans doute Dieu. Il aime Dieu ou plutôt il craint Dieu, c’est-à-dire qu’il a un sens très fort de la grandeur de Dieu. « Dieu est au ciel, toi tu es sur la terre » (Qo 5, 1). « Crains Dieu et observe ses commandements, car c’est là le devoir de tout homme…» (12, 13-14). C’est un homme qui croit en Dieu, et cependant, il ne parle quasiment pas de Dieu. Il regarde l’homme, les constructions de l’homme, ses joies, ses repas… Et son refrain est « vanité des vanités, poursuite du vent ». Ce n’est pas pour autant un nihilisme. Il faut mettre ce refrain en lien avec sa perception de Dieu qui est si grand. En comparaison de Dieu, tout est vanité.

On situe en général le livre de Qohelet à l’époque des Grecs. Rappelons qu’Alexandre le grand a fait la conquête d’Israël en l’an -333, il est mort à 32 ans, avec une succession difficile, mais il a laissé un grand rayonnement de la culture grecque. Qohelet se présente comme fils de David, roi à Jérusalem. Autrement dit, un homme cultivé, riche et civilisé. Or, que nous dit-il ? « Vanités des vanités, tout est vanité » (1, 2 et 12, 8) comme un haussement d’épaules devant tout ce qui brille. « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (1, 9). Les Grecs font de belles choses, mais avant eux, il y avait les Perses, et ils ont disparu. Les Grecs ont des idoles, mais avant eux il y avait les idoles de Babylone et les Baals de Canaan. Les idoles sont toujours les mêmes, c’est lassant.

Et en même temps, Qohelet aime la vie et aime son Dieu qui est si grand. Mais son amour pour Dieu est pudique, il n’en parle pas. « Ne hâte pas tes lèvres, que ton cœur ne se presse pas de proférer une parole devant Dieu, car Dieu est au ciel et toi sur la terre g; aussi, que tes paroles soient peu nombreuses » (Qo 5, 1).

Rien de nouveau sous le soleil (1, 9). Le reste de la Bible nous montre au contraire la nouveauté que l’action de Dieu apporte dans l’histoire : depuis Abraham, Moïse, David, le retour d’exil : Dieu sauve et relève le pauvre, Dieu guérit les cœurs blessés, et forme un peuple. Mais Qohelet, qui s’adresse à des gens séduits par les grandes civilisations, souligne que le monde ne change pas : la succession des grands empires ne change rien. C’est tout à fait inconsistant. L’homme à lui-même ne parvient pas à changer le monde, il devrait réparer ce qui ne va pas. Mais les gens qui sont pauvres et opprimés restent pauvres et opprimés, et ça ne change pas ! Sentiment d’impuissance, sentiment d’être en dessous de ce qu’on devrait être.

Qohelet va encore beaucoup plus loin. Lui qui se présente pourtant comme un sage (12, 9), il affirme que l’effort humain pour rechercher la sagesse est vanité, recherche de vent (1, 17). Qu’est-ce qu’on découvre ? Que l’homme est mortel (chapitre 3), et qu’il est petit. Dieu est au ciel, il est impénétrable.

Et encore, vanité des vanités pour les constructions humaines, pour les plaisirs… Qohelet est blasé (chapitre 2). Mais il a le courage de le voir en face : c’est vide. Comme un célibataire qui aurait construit une belle maison et mis de l’argent à la banque et qui attend l’âme sœur. C’est vide… L’humanité elle aussi attend le Bien-aimé, le Seigneur, mais pour l’instant, il est au ciel !

Ceci étant dit, il y a place pour le bonheur que l’homme trouve à manger et à boire, ou le bonheur qu’il trouve dans son travail, car tout cela est « un don de Dieu » (2, 24-25). Il a là sans doute une réponse juive à l’épicurisme et à l’hédonisme des Grecs qui vivaient leurs plaisirs souvent sans retenue, et sans référence au don de Dieu. Qohelet dit Oui au bonheur, mais en le recevant comme un don de Dieu, un cadeau qu’il faut déballer en regardant le donateur. Il y a une cohérence avec la révélation chrétienne. Jésus participait au repas des noces de Cana, il a changé l’eau en vin, et un vin en surabondance : joie humaine et en même temps, signe du royaume qui désigne Dieu et sa présence. Jésus se réjouissait avec les malades qu’il guérissait… Saint Jean de la croix emmenait ses frères admirer la nature et prendre un bon goûter… En rendant grâce au Créateur.     

Qohelet ne veut pas dire que le travail est vain : « Dieu jugera les actions des hommes » (12, 14) mais il invite à ne rien prétendre.

« Que le pécheur fasse cent fois le mal, il survit. Mais moi je sais aussi qu’il arrive du bien à ceux qui craignent Dieu parce qu’ils le craignent » (8, 12). Le juste n’a peut-être pas la vie très longue, mais il lui arrive du bien, c’est bon, ça se goûte, c’est déjà Dieu dans sa vie, et la sagesse consiste à goûter le bien.

Le livre de la Genèse dit que l’homme est créé à l’image de Dieu. Les plantes et les animaux sont créés chacun selon leur espèce, selon leur essence. L’homme non, il est créé à l’image de Dieu, par conséquent il n’a pas son essence en lui-même mais en Dieu. Et, par conséquent, tant que l’on se regarde soi-même, c’est vide. Le Qohelet, à travers son refrain, vanité des vanités, creuse un récipient vide qui attend d’être rempli par Dieu.

Le mot vanité, en hébreu, Hevel, signifie buée, vapeur, bulle de savon pourrait-on dire. Ce mot pourrait être une évocation du nom Abel ; en effet, en hébreu, vanité Hevel, a les mêmes consonnes que le nom Abel. Nous connaissons Caïn et Abel, les enfants d’Adam et Eve. Caïn qui est « acquis ». Abel qui est simplement défini comme « le frère de… ». Il était berger, menant une vie contemplative et quelque peu gratuite. L’un et l’autre offrirent un sacrifice. Caïn pensant que Dieu n’agréait pas son sacrifice fut pris de jalousie, et il tua Abel. Caïn a une descendance qui maîtrise le métal et fait une civilisation. Abel n’a construit aucune civilisation. Le livre de Qohelet serait alors un livre de résistance devant l’imposante civilisation grecque qui finalement descend de Caïn, ce livre serait une proclamation que ce qui existe vraiment, c’est Abel, la gratuité…

Retenons du livre de Qohelet, derrière un ton insolent, un cœur qui se laisse dépouiller, jusqu’à un certain rien. Mais derrière ce « rien », il y a la soif de « tout », de ce Dieu que Qohelet nomme à peine, tellement il est humble. Il pressent que Dieu est grand et que son cœur vide, Lui pourra le remplir…

Psaume (Ps 89 (90), 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc)

Tu fais retourner l’homme à la poussière ; tu as dit : « Retournez, fils d’Adam ! » À tes yeux, mille ans sont comme hier, c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit. Tu les as balayés : ce n’est qu’un songe ; dès le matin, c’est une herbe changeante : elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée. Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse. Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs. Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants. Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu ! Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains.

Ce psaume peut se lire en lien avec l’Ancien Testament : comme le livre du Qohelet, ce psaume médite sur la finitude humaine, sur les limites humaines.

Qohelet observe le travail : « J’ai découvert aussi que les humains peinent et s’appliquent dans leur travail uniquement pour réussir mieux que leur voisin. Cela encore n’est que vanité, course après le vent » (Qo 4,4). Expérience âpre et rugueuse de reconnaitre que nos intentions sont troubles, impures, mélangées. Un disciple de Jean de la croix demandait à Marie immaculée d’habiter en lui pour lui communiquer la pureté de ses intentions : on ne fait pas une telle prière sans avoir d’abord pris conscience de la misère de nos intentions.

Le psaume : « Tu fais retourner l’homme à la poussière ; tu as dit : « Retournez, fils d’Adam ! » À tes yeux, mille ans sont comme hier, c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit. Tu les as balayés : ce n’est qu’un songe ; dès le matin, c’est une herbe changeante : elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée. »

Qohélet est tout aussi humble sur la prière que sur les constructions humaines ou la sagesse. « Prends garde à tes pas quand tu vas à la Maison de Dieu : approcher pour écouter vaut mieux que le sacrifice offert par les insensés, mais ils ne savent pas qu’ils font le mal » (Qo 4, 17). Autrement dit, ceux qui offrent des sacrifices sont insensés, et les prêtres sont corrompus. Quant à toi : « Ne hâte pas tes lèvres, que ton cœur ne se presse pas de proférer une parole devant Dieu, car Dieu est au ciel et toi sur la terre ; aussi, que tes paroles soient peu nombreuses » (Qo 5, 1). Bien sûr, on prie, mais il y a un détachement, et on ne va pas se prendre pour des mystiques ! On pourrait dire qu’il se détache des biens spirituels, comme chez saint Jean de la croix qui dit qu’il faut se détacher non seulement de ses biens matériels mais aussi de ses biens spirituels. On croit qu’on a de la foi, de la charité, des charismes… mais il faut se détacher. Et Qohelet dit à sa façon : détache-toi, reconnaît que c’est de la paille, et que tu as soif de plus… Mais Qohelet ne développe pas, il ne va pas se prendre pour un mystique. Mangeons, buvons, travaillons…

Saint Jean de la Croix a fait aussi l’expérience d’une différence abyssale entre le fruit de la méditation humaine et ce que Dieu donne gratuitement quand il emporte son fidèle dans la contemplation. Qohelet n’évoque que le creux, l’insuffisance de l’homme, mais si on n’a pas reconnu les limites de la sagesse humaine, on ne peut s’ouvrir à Dieu. L’expérience de Qohelet en reste à la soif, mais sans la soif, on ne peut aller plus loin. De même, si l’on n’a pas reconnu le vide des richesses, des civilisations et des joies humaines (Qo 2, 1), saint Jean de la croix parlerait ici du détachement des joies sensibles, on ne peut pas recevoir la joie que Dieu veut nous donner et qui dépasse les joies sensibles : Dieu est esprit, il est au-delà du sensible. Qohelet n’évoque pas la connaissance de Dieu, qui reste lointain, inconnaissable : Dieu est au ciel, et toi sur terre (5, 1). Jean de la Croix parle de Dieu qui se communique, mais il fallait d’abord connaître un certain vide…

Vanité des vanités… C’est vide… L’humanité, elle aussi, attend le Bien-aimé, le Seigneur, mais pour l’instant, il est au ciel !

Ce psaume peut se prier en lien avec le Nouveau Testament.

« Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse. Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs. Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants. Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu ! Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains. »

Cette prière aurait pu être celle de la Vierge Marie avant l’Annonciation, avant l’Incarnation du Verbe !

L’ouvrage de nos mains est solide quand il est fait dans l’ordre, selon le mode d’emploi de la création, selon la volonté divine, comme l’a dit Jésus à la fin du sermon sur la montagne :

« Quiconque, par conséquent, qui entend mes paroles que voici, / et met celles-ci en pratique,
sera comparable à un homme sage, / qui a bâti sa maison sur le roc.
La pluie est descendue, les fleuves sont venus, / et les vents ont soufflé ;
et ils se sont précipités contre cette maison, / et elle n’est pas tombée ;
ses fondations, en effet, / étaient posées sur le roc.

Et quiconque qui entend mes paroles que voici, / et ne met pas celles-ci en pratique,
sera comparable à un homme insensé, / qui a bâti sa maison sur le sable.
La pluie est descendue, les fleuves sont venus, / et les vents ont soufflé ;
et ils se sont précipités contre cette maison, / et elle est tombée ;
et grande / fut sa chute ! » (Mt 7, 24-27 traduit depuis la Pshitta).

« Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? » Quand on a gardé les commandements de Dieu, quand on a vécu selon les conseils évangéliques, on est en sécurité, on a construit sur le roc. Quand on a donné à Dieu les prémices de nos pensées, la priorité dans notre vie, alors, on est dans sa volonté, il vient vers nous. Et pourtant, il peut arriver que nous ne sentions pas la présence de Jésus. Après tout, la mère de Jésus était en pleine communion avec Jésus, mais quand il est parti au désert pour nous préparer les grâces de force contre les tentations sataniques, Marie ne sentait pas la présence de Jésus. C’était certainement dur pour elle de le voir quitter Nazareth et de ne plus le voir pendant 40 jours. Mais l’un et l’autre vivaient dans la volonté divine qui était une union plus forte, une lumière qui les enveloppait l’un et l’autre et qui les unissait dans l’amour divin. Et c’est pareil aussi pour nous.

« Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants. Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu ! Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains. »

Enfin, ce psaume peut se prier dans l’attente de la venue glorieuse du Christ. Cette venue glorieuse doit être désirée et implorée. Le Ciel attend notre prière. En commentant « Que ton règne vienne » (Mt 6, 10), sur la terre comme au ciel (la prière du Notre Père) le catéchisme de l’Église catholique nous en dit déjà beaucoup.

Il nous dit que cette demande c’est le "Marana Tha", autrement dit, la prière typique pour demander la Venue glorieuse du Christ (cf. Ap 22, 20).

« Dans la prière du Seigneur, il s’agit principalement de la venue finale du Règne de Dieu par le retour du Christ (cf. Tt 2, 13). »

Cf. Missel romain, prière eucharistique IV et Catéchisme de l’Église catholique § 2817, 2818

Le psaume : « Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? »

Deuxième lecture (Col 3, 1-5.9-11)

Frères, si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire. Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie. Plus de mensonge entre vous : vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est tout, et en tous. – Parole du Seigneur.

Chers auditeurs, travaillez pour le Ciel ! 

« Recherchez les réalités d’en haut » (Col 3, 1)

Saint Irénée dit : « Dieu s’est fait homme afin que l’homme puisse devenir Dieu »[1]. Or il existe une contrefaçon dans ce que nous pouvons appeler les gnoses ou spiritualismes, lesquels ne manquent pas de se contredire entre eux : les Valentiniens reprochent aux chrétiens « de ne pas avoir le sens des choses d’en haut (Col 3, 2) » mais les disciples de Basilide reprochent aux Valentiniens de ne pas s’élever assez haut, en inventant le Plérôme « qui domine les 365 cieux »… Cependant, comme saint Irénée le remarque, on peut inventer encore un nombre supérieur d’éons et reprocher aux Valentiniens leur bassesse[2]… Les éons sont des entités spirituelles, et toutes ces tentatives de se fixer dans les hauteurs ont un point commun : nulle part il n’est question de Jésus. Si donc le désir gnostique de s’élever dans les hauteurs ressemble au but chrétien, les moyens ne sont pas les mêmes. 

Saint Paul dit : « votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire » (Col 3, 3-4).
Ceux qui vivent vraiment leur vie dans la vie du Christ sont très élevés du point de vue de la sagesse et de l’amour du Christ, mais tout cela est caché. Il y en a d’autres qui font le bien et sont connus de tous, mais des buts humains accompagnent leurs bonnes actions. Les buts humains ne produisent pas de croissance.

« Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie. Plus de mensonge entre vous : vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. »

La mère de Jésus le Messie, est la mieux placée pour nous revêtir « de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. » Saint Louis-Marie de Montfort :

« Voici ce qu’on ne pourra croire :

je la porte au milieu de moi,

gravée avec des traits de gloire,

quoique dans l’obscur de la foi.

Elle me rend pur et fertile

par sa pure fécondité,

elle me rend fort et docile

par sa profonde humilité. »

(Louis-Marie de MONTFORT, C 77, § 15 et 16)

Cette fécondité, c’est celle de Marie qui a donné au Seigneur son « Fiat » : « qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1, 38). Et cela vaut pour nous aussi, la volonté divine soutient notre existence, mais elle attend notre Oui pour nous investir de sa fécondité. L’homme nouveau, c’est l’homme vivant dans la plénitude parce qu’il a ouvert la porte à la volonté divine, et cette volonté agit de jour en jour, avec une fraîcheur, des couleurs, une grâce toujours nouvelle.

Saint Louis-Marie dit à Marie qu’il ne veut pas d’autre part « que celle que vous avez eue, savoir : de croire purement, sans rien goûter ni voir ; de souffrir joyeusement, sans consolation des créatures ; de mourir continuellement à moi-même sans relâche ; et de travailler fortement jusqu’à la mort, pour vous, sans aucun intérêt […]. La seule grâce que je vous demande, par pure miséricorde, c’est que, tous les jours et moments de ma vie, je dise trois fois Amen : Ainsi soit-il, à tout ce que vous avez fait sur la terre, lorsque vous y viviez ; Ainsi soit-il, à tout ce que vous faites à présent dans le ciel ; Ainsi soit-il, à tout ce que vous faites en mon âme, afin qu’il n’y ait que vous à glorifier pleinement Jésus en moi pendant le temps et l’éternité. Ainsi soit-il. » (Le Secret de Marie § 69)

Nos bonnes actions sont données, nous ne les possédons plus. Nos actes sont cachés avec le Christ Jésus en Dieu (Col 3, 3). La foi nous donne un regard perçant, au-delà du visible et de l’immédiat. La vie en Dieu confère à l’homme une dignité plus grande que celle que peuvent lui donner son carnet d’adresses, son salaire ou son audimat. Il y a autre chose. Il y a une autre fécondité.

« Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est tout, et en tous. »

« Le Seigneur Jésus est le prototype et le fondement de la nouvelle humanité. En lui, véritable «image de Dieu» 2Co 4,4 l'homme créé par Dieu à son image trouve son achèvement. Dans le témoignage définitif d'amour que Dieu a manifesté dans la croix du Christ, toutes les barrières d'inimitié ont déjà été abattues Ep 2,12-18 et pour ceux qui vivent la vie nouvelle dans le Christ les différences raciales et culturelles ne sont plus un motif de division Rm 10,12; Ga 3,26-28; Col 3,11.

Grâce à l'Esprit, l'Église connaît le dessein divin qui embrasse le genre humain tout entier Ac 17,26 et qui vise à réunir, dans le mystère d'un salut réalisé sous la seigneurie du Christ Ep 1,8-10, toute la réalité de la création fragmentée et dispersée. Depuis le jour de la Pentecôte, quand la Résurrection est annoncée aux différents peuples et comprise par chacun dans sa langue Ac 2,6, l'Église accomplit son devoir de restaurer et de témoigner l'unité perdue à Babel: grâce à ce ministère ecclésial, la famille humaine est appelée à redécouvrir son unité et à reconnaître la richesse de ses différences, pour parvenir à la «pleine unité dans le Christ». LG 1 » (Conseil pontifical pour la justice, Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise § 431)

Évangile (Lc 12, 13-21)

Avant de commenter cet évangile, nous allons rappeler ce qui précède immédiatement. La mission, qui fut d’abord celle des douze, a été multipliée par l’envoi des 70 (Lc 10, 1), qui font à leur tour des disciples, dans une croissance exponentielle des foules qui écoutent Jésus. La foule est maintenant si nombreuse que les gens se piétinent (Lc 12, 1). Face à cette foule, se tiennent les disciples. Jésus prévient ses disciples appelés à être missionnaires que la foule n’a pas besoin du levain des pharisiens pour croître et se réunir. Au contraire, il faut veiller à s’en préserver, ce levain, c’est l’hypocrisie (Lc 12, 1-3).

Jésus ne dit pas que les disciples ne seront pas mis à mort, il dit que Dieu veille sur leur personne… (Lc 12, 4-7). Parler contre le Fils de l’homme, comme par exemple Marthe qui s’en prend à Jésus comme pour lui reprocher de laisser oisive sa sœur Marie (Lc 10, 40), cela pourra être pardonné. Mais ceux qui ont accusé Jésus d’opérer un exorcisme par Beèlzéboul seront condamnés, c’est le péché contre l’Esprit Saint. Il s’agit de « confesser » le Christ, avec ce verbe « awdī » et les nuances qu’il a en araméen : reconnaître, rendre grâce, donc dire sa foi en quelqu’un, et faire acte public d’adhésion en cette personne, ainsi que s’allier avec, défendre la cause, la mission de cette personne (Lc 12, 8-12).

Vient alors l’évangile de ce dimanche, dont voici une traduction depuis la Pshitta, donc depuis l’araméen qui était la langue de Jésus, extraite de mon livre « L’évangile selon saint Luc ».

« 13 Or, quelqu’un lui dit, / de parmi cette foule :
‘Docteur [enseignant], / dis à mon frère de partager avec moi l’héritage !’

14 Jésus, donc, / lui dit :
‘Homme, / qui m’a établi sur vous juge et partageur ?’

Et il dit à ses disciples :
15
‘Prenez garde à toute avidité, / parce que ce n’est pas dans l’abondance des richesses qu’il y a la vie !’ » 

La loi hébraïque prévoit qu’un homme, avant de mourir, « attribue ses biens à ses fils » (Dt 21, 16), de sorte qu’un fils peut demander sa part. En refusant d’être le juge et le partageur, Jésus oriente son interlocuteur vers l’idéal juif exprimé par le psaume 132 (133) et consistant pour les frères à vivre ensemble, c’est-à-dire sans diviser la propriété. Bien au-delà des fratries biologiques, cet idéal de partage sera vécu dans l’Église primitive « selon les besoins de chacun » (Ac 2, 45), « nul parmi eux n’était indigent » (Ac 4, 34), c’était aussi une protection en cas de persécution ou d’endettement.

Les mots « Qui m’a établi sur vous juge et partageur ? » (Lc 12, 14) appellent une observation particulière. Dans l’histoire de la réception, les marcionites se réjouiront d’un Jésus qui refuse de juger, et les gnostiques se réjouiront d’un Jésus qui ne fait que garder indivis, mais la méditation en fil d’oralité rétablit une ligne précise d’interprétation grâce à un jeu d’écho autour de la racine « plg » qui signifie diviser, partager, répartir (Lc 11, 17.18.22 ; Lc 12, 13.14 ; Lc 12, 52-53). Jésus refuse de répartir [plg] un héritage pour éviter la division [plg] qui est une cause de dévastation (Lc 11, 17.18 perle 7), autrement dit, il est mauvais de diviser et répartir les biens quand c’est l’avidité qui motive. Cependant, il sera lui-même une cause de division [plg], mais c’est en vue du royaume (Lc 12, 52-53 perle 10) et les pensées des cœurs seront révélées (Lc 2, 35 collier compteur) !

La traduction grecque rend difficile la perception de ces jeux d’échos ; et même, dans de nombreuses variantes, le mot « partageur [racine plg] » n’a même pas été traduit, sans doute considéré superflu.

Et voici la suite de l’évangile :

« 16 Et il leur dit une parabole :
‘Un homme était riche ;

sa terre lui avait fait produire / de grandes productions.

17
Et il calculait, en lui-même, / et dit :

‘Que ferai-je ? / Car je n’ai pas d’endroit où entasser mes productions.

18
Et il dit : / voici ce que je ferai :

Je détruirai mes entrepôts / et je les rebâtirai et agrandirai :

Et j’amasserai là toute ma récolte / et mes biens !

19
Et je dirai à mon âme : / ‘mon âme !

Tu as beaucoup de biens, / qui sont placés pour beaucoup d’années !

Repose-toi, / mange,

bois, / et réjouis-toi !’

20 Or Dieu lui dit : / ‘Déficient d’intelligence !
En cette nuit même, / on réclame ton âme !

Et ces choses que tu as préparées, / pour qui seront-elles ?’

21 Ainsi en est-il pour celui qui place pour lui-même / des placements,
et pour Dieu, / n’est pas riche ! » (Lc 12, 16-21)

La parabole de Jésus assume la sagesse hébraïque : « Il y a des gens qui s’enrichissent à force d’avarice, voici quelle sera leur récompense : le jour où ils se disent : ‘J’ai trouvé le repos, maintenant je peux vivre sur mes biens’, ils ne savent pas combien de temps cela durera : il leur faudra laisser cela à d’autres et mourir » (Si 11, 18-19), autrement dit : souviens-toi que tu dois mourir, et par conséquent, préoccupes-toi d’aimer Dieu et ton prochain (Dt 6, 5 ; Lv 19, 18). À l’inverse du juste (Pr 13, 22), l’homme narcissique n’a pas de descendant ni d’héritier (Lc 12, 20). Il veut manger, boire et se réjouir, selon un réflexe légitime (Qo 2, 24) mais non purifié. À l’inverse, le jeune Tobie refusa de manger et boire avant de s’assurer de la bénédiction divine (Tb 7, 10-11). Jésus enseigne à être riche pour Dieu, c’est-à-dire riche en bonté.

La parabole est construite sur une inclusion : l’homme « riche [ᶜattīrā] » (Lc 12, 16) aurait dû être « riche [ᶜattīr] » pour Dieu (on peut aussi traduire généreux envers Dieu) (Lc 12, 21). Au contraire, cet homme ne sait parler que de « ses biens », sans évoquer ni Dieu ni son prochain, il ne se parle qu’à lui-même ou à son « âme », comprise comme un miroir. Cet homme riche se trouvera démuni face à la mort : « En cette nuit même, on réclame ton âme ! Et ces choses que tu as préparées, pour qui seront-elles ? » (Lc 12, 20), en un saisissant contraste, dans le collier compteur, avec la foi de Siméon au seuil de sa mort : « Désormais, laisse aller ton serviteur, Mon Seigneur, selon ta parole, dans la paix ! Car voici mes yeux ont vu ta tendresse que tu as préparée à la face de toutes les nations » (Lc 2, 29-31).

L’homme riche disait à son âme « Repose-toi » (Lc 12, 19), mais bientôt Jésus enseignera aux disciples missionnaires à œuvrer dans la perspective du repos du retour du Seigneur, l’ultime shabbat (Lc 12, 36-48 perle 10).

Il a reçu en surabondance de la nature et de son travail : il aurait dû répondre en donnant et non pas en accaparant (cf. Lc 11, 41 perle 8).

Il calcule en disant « Je détruirai mes entrepôts et je les rebâtirai et agrandirai » (Lc 12, 18), ce qui évoque le mouvement général de ce fil d’oralité qui s’ouvre sur l’envoi des 70 missionnaires (perle 1) et se développe avec l’image des foules toujours plus nombreuses (Lc 11, 29 perle 7 ; 12, 1 perle 9). Il y a un enseignement sur la mission : vouloir agrandir le nombre de chrétiens en démolissant ce qui a précédé, c’est être insensé.

Cf. Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur (Paris). Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. (472 pages).

 

[1] Saint Irénée, Contre les hérésies, V, préface
[2] Saint IRÉNÉE, Contre les Hérésies II, 16

Date de dernière mise à jour : 17/06/2025