Aphraate le perse et Ephrem le syrien

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Etude : F. Breynaert, Parcours christologique, Parole et Silence 2016, p. 87-102

Errata p. 101 : "on reste sans foi", lire : "on reste sans voix" !

Exercices : 

  1. Dès lors qu'un disciple reconnaît la divinité du Christ, il lui faut voir la descente du Fils de Dieu, son abaissement. Citez une phrase d'Aphraate en ce sens. 
  2. La théologie des saints donne un goût spirituel. Citez deux phrases où saint Ephrem parle de la "saveur". 
  3. Que dit saint Ephrem de saint Joseph ? 
  4. Commentez cette phrase de saint Ephrem : "Comme Marie est fécondée par l’Esprit Saint, bien qu’elle soit mariée à un homme, Joseph ; de même l’Eglise locale est fécondée par l’Esprit Saint, bien qu’elle ait à sa tête un prêtre temporel". 

Couv christologie

Christologie 12- Aphraate le perse, et saint Ephrem le syrien (IV° siècle)

Christologie 13- Faisons le point. Théologie dogmatique et théol des saints

Aphraate, le perse

 

« Lui, de condition divine,

ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » (Ph 2, 6)

 

            Voilà un auteur qui nous dépayse : il est perse ! Aphraate (entre 270 et 285- après 345) a vécu à l’époque du concile de Nicée, cependant, ses adversaires sont les Juifs ; Aphraate semble ignorer les controverses ariennes et les formulations du concile de Nicée[1].

            En certains passages, il donne un argument contre les Juifs, mais il ne faut pas se méprendre : rien ne dit qu’Aphraate entendait ses propres énoncés à ce niveau : « Nous l’appelons Dieu, comme Moïse premier-né et fils, comme Israël […] grand prophète, comme tous les prophètes »[2]. Jésus est plus grand que les prophètes, Aphraate cherche à couper la conversation, il procède ici à la manière de Jésus, qui, dans l’une de ses controverses, dit aux Juifs : « N’est-il pas écrit dans votre Loi : J’ai dit : Vous êtes des dieux ? » (Jn 10, 34). Ce qui n’empêche pas le Christ d’en dire beaucoup plus sur sa divinité…

 

            D’autres passages expriment la foi réelle d’Aphraate. Jésus est le Fils venu de la gloire du Père et il a assumé notre corporalité. Le langage d’Aphraate est archaïque, proche de l’hymne aux Philippiens, c’est une christologie d’en haut dans le sens où Aphraate ne refait pas le cheminement des disciples au temps de Jésus[3], mais il part d’emblée de la proclamation de la foi en la divinité de Jésus et il contemple sa descente.

 

« Alors qu’il doit venir sur les nuées, il est monté sur un ânon pour entrer à Jérusalem.

Alors qu’il est Dieu et fils de Dieu, il a porté la ressemblance de serviteur

Lui qui est servi dans la tente de son Père, il s’est servi des mains des hommes.

Lui qui fait vivre tous les morts, il s’est livré lui-même à la mort de la croix »[4].

 

© Françoise Breynaert


[1] Cardinal Aloys GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, Ibid., p. 610

[2] APHRAATE, Démonstration XVII, 1

[3] Comme nous l’avons expliqué dans le Parcours biblique.

[4] APHRAATE, Démonstration VI, 9

Ephrem le syrien ( ? – 373)

 

« Et comment m’est-il donné que vienne à moi

la mère de mon Seigneur ? » (Lc 1, 43)

 

            Diacre à Nisibe, Ephrem émigra à Edesse (actuellement en Turquie) en raison de la conquête perse. Il mourut dans cette ville en l’an 373, victime de la contagion de la peste qu’il avait contractée en soignant les malades.

            Or l’Eglise d’Edesse a été divisée par l’arianisme. Nous allons montrer comment Ephrem enseigne avec précision dans un tel contexte. Ensuite, nous allons goûter la richesse de quelques hymnes et méditations sur l’Evangile, car Ephrem était chantre.

 

Une riche christologie des noms

            Ephrem donne de nombreux titres à Jésus, que l’on peut classer en trois types : en sa préexistence, en son incarnation, et selon ses fonctions.

            En sa préexistence, le Christ est Dieu (Alâhâ), « Fils », « son Fils », il est « enfant» (yaldâ), « Engendré », « monogène », le « bien-aimé ».

            Assez rarement on trouve le mot « meltâ », qui équivaut à « Logos », dans le sens : a) la parole proférée, tout d’abord comme parole de révélation, puis la parole spirituelle intérieure c’est-à-dire l’être du Verbe dans le Père.

            Celui qui s’est incarné reçoit le nom Jésus ; il est le Christ. Le Messie, Fils de l’homme, le second Adam, fils de Marie et de Joseph.

            Ses fonctions sont désignées par les termes : révélateur, médiateur, prophète, prêtre, roi…

« Chacun des dons réservés pour le Fils, il les a cueillis de leur véritable origine, car il reçut le baptême dans le Jourdain [la fonction de baptiser], même si Jean le Baptiste baptisa ensuite de nouveau : et il reçut le sacerdoce du temple, même si Anne exerçait (encore) la fonction de grand prêtre : et il prit le prophétisme transmis par les justes, même si Caïphe tressa avec lui, momentanément (encore) une couronne pour Notre Seigneur[1]. Et il prit la royauté de la maison David, même si Hérode y avait été fait le représentant »[2].

 

            Contre Arius et Apollinaire, il écrit :

« Vois en effet, l’un affirme que tu as pris un corps seulement [erreur d’Eusèbe, Arius], un autre enseigne au contraire que tu as assumé un corps et aussi une âme [Origène].

D’autres se trompaient en imaginant un corps céleste [Apollinaire]. Louée soit ta naissance ! Si ta visibilité a (déjà) confondu les sages et qu’ils ne purent expliquer ta naissance de Marie, tandis que les scribes qui se disputaient doutaient de ton engendrement – si donc les hommes n’ont déjà pas pu comprendre ton humanité, qui pourrait alors saisir ta naissance divine ? Loué soit celui qui t’a engendré ! »[3]

 

            Contre Arius encore :

« C’est ainsi que les hommes furent aussi appelés dieux, non pas selon l’essence mais par grâce. Mais Dieu vous a (vraiment) créés en parenté avec lui-même ! Il est admirable que Dieu se soit fait lui-même votre parent. Mais avez répudié sa parenté : car si (le Christ) est (seulement) une créature, vous êtes alors (seulement) devenus les parents de l’esclave »[4].

 

Les deux natures dans le Christ

            Ephrem utilise le mot « changement » pour parler de l’Incarnation mais ce mot ne signifie pas que la nature divine change. Le changement signifie l’incarnation qui est comme la prise d’un vêtement (la nature terrible, divine, ne change pas, elle est simplement revêtue).

            La corporéité est comme un vêtement sur la nature divine (la nature terrible), de même aussi l’Eucharistie, le pain de vie :

« Qui serait digne de ton corps, de la robe de ton humanité ?

Qui serait digne de ton corps, du vêtement de ta divinité !

Deux robes te furent données, O Seigneur.

Le vêtement et le corps et le pain, le pain de vie.

Qui n’admirerait le vêtement de ton changement ?

Vois, le corps cacha ta splendeur, la nature terrible.

Le vêtement cacha la nature faible, le pain cacha le feu qui demeurait en lui.

 – Toi, ô Seigneur, tu as revêtu ta nature du faible corps pour pouvoir souffrir en lui »[5].

 

            Le Seigneur s’incarne pour avoir la possibilité de vivre la douloureuse passion rédemptrice.

 

«Alors qu’il habitait totalement dans le sein de sa mère, sa volonté invisible gouvernait l’univers.

Vois donc comment il était complètement suspendu à la croix tandis que sa puissance invisible faisait trembler toutes les créatures »[6].

 

            Dans le texte ci-dessous, Ephrem utilise les termes techniques nature, essence, avec le langage de la prière, de l’adoration et de l’émerveillement :

« Il n’était pas uniquement la nature inférieure ni la seule nature supérieure, mais, deux natures, la supérieure et l’inférieure, liées l’une à l’autre. Pour cette raison, ces deux natures donnèrent chacune sa propre saveur afin que les hommes en goûtant la saveur des deux puissent les percevoir, afin qu’on ne pense pas de lui qu’il était seulement un, celui qui était deux par l’union de deux. Mais il faut aussi reconnaître que celui-ci qui était deux en raison de l’union n’était qu’un seul à cause de l’essence. Par son abaissement et son élévation, notre Seigneur a aussi instruit Paul à ce sujet sur le chemin vers Damas »[7].

 

La vie du Seigneur

 

            Commentant les tentations du Christ, saint Ephrem écrit :

« Le Rédempteur fut tenté trois fois [...]

- Dis à ces pierres de devenir du pain, car c’est le soutien nourricier des hommes.

- Et de nouveau : Je te donnerai les royaumes de leur gloire, car telle est la promesse de la loi.

- Et enfin : Jette-toi de haut en bas, ce qui est la descente de la mort.

Mais lui ne fut troublé par aucune de ces propositions. Il ne se réjouit aucunement, quand Satan le flattait, pas plus qu’il ne se tourmenta, quand il cherchait à l’effrayer. Mais il allait son chemin, et accomplissait la volonté de son Père »[8]

 

            Commentant l’eau changée en vin aux noces de Cana (Jn 2), il écrit :

«Il a transformé les mêmes créatures antérieures, afin de manifester par là qu’il en est le maître, et pour que l’on sache, par le fait qu’il ne les dédaignait pas, qu’elles ne sont ni méprisées, ni réprouvées. Bien plus, à la fin des temps, ces mêmes créatures seront renouvelées, parce que cette volonté qui, par un ordre, a changé rapidement de l’eau commune en vin doux, a la puissance de rendre à toutes les créatures, dans la consommation finale, une inexprimable saveur »[9]

 

            Le monde nouveau aura une inexprimable saveur…

          

Marie

            Dans l’hymne « Joseph fut appelé père par grâce », saint Ephrem énonce cette idée curieuse que Marie a conçu par l’oreille:

« Marie de Nazareth conçut le Seigneur par l’oreille, c’est-à-dire que la Parole de Dieu entra par l’oreille de Marie pour être par elle conçue »[10].

 

            Dans l’hymne « Marie mère de Dieu pure et vierge »[11], saint Ephrem défend la virginité de Marie après l’enfantement. L’évangile de Matthieu dit : « Joseph fit comme l’Ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui sa femme; et il ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils, et il l’appela du nom de Jésus » (Mt 1, 24-25). « Jusqu’à » ne signifie pas que cesse la virginité, comme dans le psaume 109, « jusqu’à » ne signifie pas que le roi ne siège plus à droite du Seigneur quand ses ennemis sont vaincus. Saint Ephrem, dans le Diatessaron donne ce commentaire :

« La sainteté qu’ils gardèrent après la naissance de Notre-Seigneur relevait de leur propre liberté »[12].

Joseph « Il comprit que c’était là une oeuvre admirable de Dieu ; […] en outre, selon sa pensée, il pouvait y avoir danger que cette œuvre ne souffrit quelque tache, s’ils cohabitaient. Mais il pensa surtout à la renvoyer, afin de ne pas commettre de péché en se laissant appeler le père du divin enfant »[13].

 

            Dans un autre passage, Ephrem commente l’enfantement virginal de Jésus qu’il met en lien avec l’apparition du Christ ressuscité.

« Comme le Seigneur entra toutes portes closes (Jn 20, 19-20), de la même manière il sortit d’un sein virginal, parce que cette vierge enfanta vraiment et réellement sans douleur »[14].

 

            Voici aussi quelques extraits de cet hymne de saint Ephrem, qui fait parler Marie et les mages, souligne la puissance de paix du mystère de l’Epiphanie :

 

« Marie :

Les hauteurs et les abîmes en rendent témoignage,

tous les anges et toutes les étoiles.

Il est le fils de Dieu et le Seigneur.

Allez en porter l’annonce dans vos contrées,

que la paix se multiplie dans votre pays.

 

Les mages :

Que la paix de ton fils nous reconduise dans notre pays,

avec sécurité, comme nous sommes venus.

Et quand son pouvoir dominera le monde,

qu’il nous visite et qu’il sanctifie notre terre »[15].

 

Saint Ephrem insiste sur la ressemblance entre Marie et l’Eglise.

« Comme Marie s’approche de Dieu, de même l’Eglise.

Comme Marie reconnaît Dieu, de même l’Eglise.

Comme Marie offre Jésus, le pain de vie, de même l’Eglise donne l’Eucharistie.

Comme Marie est fécondée par l’Esprit Saint, bien qu’elle soit mariée à un homme, Joseph ; de même l’Eglise locale est fécondée par l’Esprit Saint, bien qu’elle ait à sa tête un prêtre temporel »[16].

© Françoise Breynaert

 


[1] Ce qui signifie que Caïphe fut momentanément prophète, cf. Jn 11. 49s

[2] BECK 50-53, cité par Aloys GRILLMEIER, op. cit. p. 704-705

[3] HFid 51, 3-4, cité par Aloys GRILLMEIER, p. 707

[4] CNis XVII, 16-17, cité par Aloys GRILLMEIER, p. 708

[5] Hymne Fid 19. 2.3 10b, cité par Aloys GRILLMEIER, p. 710-711

[6] St EPHREM, Hymne de la Nativité, IV, 165-166

[7] St EPHREM, Sermon De Domine Nostro, Beck, 270, 32s, cité par Aloys GRILLMEIER, Ibid., p. 712

[8] St EPHREM, Diatessaron V, 12

[9] St EPHREM, Diatessaron V, 12

[10] « Joseph fut appelé père par grâce », Hymne à Marie pour la liturgie (chaldéenne) des heures, n° 21

[11]Hymne à Marie pour l’office des heures, n° 10

[12] St EPHREM, Diatessaron II,10

[13] St EPHREM, Diatessaron II,4-5

[14] St EPHREM, Diatessaron II, 6

[15] Hymne chanté à la 9° heure le jour de l’Epiphanie (liturgie chaldéenne).

[16] Hymne à Marie pour la liturgie des heures (liturgie chaldéenne), n° 12

Date de dernière mise à jour : 13/07/2019