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Très Saint Sacrement (C)
Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
(Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30).
Première lecture (Gn 14, 18-20)
Psaume (Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4)
Deuxième lecture (1 Co 11, 23-26)
Évangile (Lc 9, 11b-17)
Première lecture (Gn 14, 18-20)
En ces jours-là, Melchisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il bénit Abram en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a fait le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris. – Parole du Seigneur.
La lecture de ce dimanche s’inscrit dans un épisode que nous allons résumer.
Après douze ans de soumission à Kedor-Laomer roi d'Elam, cinq rois, dont celui de Sodome et celui de Gomorrhe, se sont révoltés. La quatorzième année, Kedor-Laomer se coalisa avec trois autres rois contre eux. Ce qui fit 4 rois contre 5. Le combat s’engagea dans la vallée de Siddim (c'est la mer du Sel). Or la vallée de Siddim était pleine de puits de bitume ; dans leur fuite, le roi de Sodome et le roi de Gomorrhe y tombèrent, et le reste se réfugia dans la montagne. « Les vainqueurs prirent tous les biens de Sodome et de Gomorrhe et tous leurs vivres, et s'en allèrent. Ils prirent aussi Lot et ses biens (le neveu d'Abram), et s'en allèrent; il habitait Sodome » (Gn 14, 11-12). « Quand Abram apprit que son parent était emmené captif, il leva ses partisans, ses familiers, au nombre de 318, et mena la poursuite jusqu'à Dan. Il les attaqua de nuit en ordre dispersé, lui et ses gens, il les battit et les poursuivit jusqu'à Hoba, au nord de Damas. Il reprit tous les biens, et aussi son parent Lot et ses biens, ainsi que les femmes et les gens. Quand Abram revint après avoir battu Kedor-Laomer et les rois qui étaient avec lui, le roi de Sodome alla à sa rencontre dans la vallée de Shavé (c'est la vallée du Roi). » (Gn 14, 14-17).
Et c’est alors que nous avons la lecture de ce dimanche : « En ces jours-là, Melchisédek, roi de Shalem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il bénit Abram en disant : ‘Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a fait le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains.’ Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris. » (Gn 14, 18-20).
Juste après, « le roi de Sodome dit à Abram : ‘Donne-moi les personnes et prends les biens pour toi’. Mais Abram répondit au roi de Sodome : ‘Je lève la main devant le Dieu Très-Haut qui créa ciel et terre: ni un fil ni une courroie de sandale, je ne prendrai rien de ce qui est à toi, et tu ne pourras pas dire: J'ai enrichi Abram. Rien pour moi. Seulement ce que mes serviteurs ont mangé et la part des hommes qui sont venus avec moi, Aner, Eshkol et Mambré ; eux prendront leur part’ » (Gn 14, 21-24).
Un mot sur l’offrande de pain et de vin.
Dans le sud de la Turquie, Nevali Çori est la zone aujourd’hui connue comme le premier endroit du monde où le blé fut cultivé à une grande échelle. De là l’idée que Göbekli Tepe, un site archéologique très vaste qui se trouve à 64 kilomètres plus au sud, près de la ville moderne d’Urfa, était un lieu de culte d’action de grâces pour le blé et le pain. Il correspond à des rassemblements pour un culte et remonte à plus de 11.000 ans (13.000 ans pour le début des constructions).
Dans l’Ancien Testament, pour la fête de Pâque, l’offrande « de fleur de farine » et « d’une libation de vin » accompagne l’holocauste d’un agneau (Lv 23, 13), héritant bien entendu des pratiques préhistoriques. Et Jésus assume ces rites pour instituer son propre rite.
Encore un mot sur l’histoire d’Abraham.
La Bible situe l’origine d’Abraham à Ur ou Harân. Sur ces régions, l’empire de Babylone succède à l’empire sumérien au XIX° siècle avant J-C. Typique de la civilisation sumérienne, dès le III° millénaire avant notre ère, Ur avait une ziggurat, de même que Babylone (Babel : porte du ciel), c’est-à-dire des tours par lesquelles les gens se croient capables d’accéder au Ciel (aux dieux) par eux-mêmes. La Bible nous dit que les gens n’y obtinrent que la confusion (Gn 11). Au temps d’Abraham, la civilisation sumérienne était en déclin, mais son attitude religieuse avait marqué les populations et les ziggurats ont traversé les siècles. Abraham s’est éloigné de cette civilisation et de l’attitude religieuse qui veut accéder au Ciel (aux dieux) par les moyens humains.
La chronologie biblique qui place l’épisode de la « tour de Babel » avant l’appel d’Abraham suggère la nouveauté qui s’est produite : avec la tour de Babel, l’homme veut capter le divin. Avec Abraham, Dieu se penche sur l’homme et crée la surprise. Avec la tour de Babel, nous sommes dans une dynamique où l’homme veut se diviniser. Avec Abraham, nous entrons dans une dynamique de grâce et d’histoire de la grâce.
Abraham avait connu le code législatif des Hittites survivants dans des cités-Etats au nord de Syrie et assez proche du « code » d’Hammurabi. Ce code, qui est en réalité une simple jurisprudence, protège les esclaves contre la fantaisie des maitres, et des amendes remplacent déjà la loi du talion. Abraham a probablement hérité d’une telle sagesse.
Mais dans la civilisation hittite, la magie force la main des dieux, le roi hittite participe au caractère sacré du soleil et il est divinisé après sa mort. Abraham aurait rompu avec de telles conceptions magiques et sacrales. En effet, nous ne voyons jamais Abraham vénérer un roi divinisé, ni « forcer la main de son Dieu » pour obtenir quoi que ce soit. Ni au moment de la sécheresse pour obtenir de l’eau, il va tout simplement en Égypte où le Nil assure la subsistance. Ni quand il part en guerre contre ses ennemis pour délivrer son neveu Lot. Ni quand Sara n’a pas d’enfant, il s’unit tout simplement à sa servante. Ni quand Dieu l’avertit du châtiment de Sodome, il intercède alors auprès de son Dieu d’une manière familière et respectueuse, confiante et nullement magique.
Séquence du Saint Sacrement (début)
* Séquence du Saint Sacrement : « Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants. Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer. Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges. Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères. Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !».
Explication : « Le Pain vivant, le Pain de vie », c’est l’expression de Jésus lui-même dans son discours à Capharnaüm : Pain de vie (Jn 6, 48) Pain vivant (Jn 6, 51).
Psaume (Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4)
« Oracle du Seigneur à mon seigneur : ‘Siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis le marchepied de ton trône’.
De Sion, le Seigneur te présente le sceptre de ta force : ‘Domine jusqu’au cœur de l’ennemi.’
Le jour où paraît ta puissance, tu es prince, éblouissant de sainteté : ‘Comme la rosée qui naît de l’aurore, je t’ai engendré’.
Le Seigneur l’a juré dans un serment irrévocable : ‘Tu es prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melkisédek’. »
Dans l’Ancien Testament, nous sommes accoutumés à une nette distinction entre les fonctions du prêtre, du roi, et du prophète. Cependant, au début de l’histoire biblique, le roi ou le chef de tribu, bien avant le premier Temple juif, accomplissait également des fonctions cultuelles, comme le roi Melchisédech, le roi-prêtre de Shalem que rencontra Abraham (cf. Gn 14, 17-20). Le Psaume 110 (109) reflète l’union des fonctions royales et sacerdotales. Il reflète sans doute un rituel d’intronisation du roi, selon lequel on faisait s’asseoir l’élu à la droite de l’arche de l’alliance, de façon à recevoir du roi suprême, c’est-à-dire du Seigneur, le pouvoir de gouverner : « Siège à ma droite, que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds ! » (Ps 110, 1).
En arrière-plan, on perçoit la présence de forces hostiles, cependant neutralisées par une conquête victorieuse.
Le roi est aussi prêtre : « Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre de Melchisédech » (Ps 110, 4). Dans l’attente juive, certains attendront deux messies, un messie d’Aaron, prêtre, et un messie de David, roi ; certains ont aussi pu comprendre que l’Ancien Testament porte l’espérance d’un messie à la fois prêtre et roi, "à la manière de Melchisédech", c’est-à-dire comme le sera Jésus.
Jésus n’est pas prêtre « selon l’ordre d’Aaron », héréditaire, mais selon l’ordre de Melchisédek : il ne s’agit plus d’un grand sacerdoce lié aux tribus d’Israël et au Temple de Jérusalem, mais d’un grand sacerdoce attaché à la nature humaine, pour le monde entier.
Voici le début du psaume 110, traduit à partir de l’araméen (Bible de Mossoul), et qui possède un titre :
« Prophétie sur l’économie de notre Sauveur Messie.
Le SEIGNEUR [māryā] dit à mon Seigneur [māri] : siège à ma droite
jusqu’à ce que je pose tes ennemis comme escabeau pour tes pieds.
2 Ton sceptre de puissance, le Seigneur l’enverra depuis Sion :
qu’il domine sur tes ennemis !
3 Avec toi soit la gloire [mšabḥā] au jour de ta puissance [ḥaylā],
dans les splendeurs de la sainteté depuis le sein maternel [marbᶜā], auparavant (à l’Orient) je t’ai enfanté [ilédétāk] enfant » (Ps 110, 1-3)
Nous pouvons voir des allusions à ce psaume dans l’évangile selon saint Luc. L’engendrement divin [racine yld] dont parle le psaume (Ps 110, 3) s’accomplit dans l’enfantement par Marie [racine yld] (Lc 2, 7), quant aux « splendeurs de la sainteté [qudšā] » (Ps 110, 3), elles rappellent la conception de Jésus quand l’Esprit de Sainteté [ruḥā d- qudšā] vint sur Marie (Lc 1, 35). Avec toi soit la gloire [racine šbḥ] » (Ps 110, 3) s’accomplit dans le chant des anges de Noël « gloire [racine šbḥ] à Dieu » (Lc 2, 14).
Dans l’évangile selon saint Matthieu, on lit que Jésus interrogea les pharisiens en faisant remarquer qu’une difficulté surgit quand on applique au Messie le psaume 110, 1.
« Le SEIGNEUR / a dit à mon SEIGNEUR :
Assieds-toi à ma droite / jusqu’à ce que je mette tes ennemis sous tes pieds » (Mt 22, 44 citant Ps 110, 1).
Jésus et ses interlocuteurs pharisiens s’accordent pour considérer que le Seigneur de David est le Messie. Or, l’expression « mon SEIGNEUR [māri] », peut se lire, avec le suffixe du possessif « mon », soit māryā (SEIGNEUR-DIEU), soit mārā (seigneur) ; on peut savoir que Jésus a lu māryā (SEIGNEUR-DIEU, l’équivaleurdddd du tétragramme) puisqu’il interroge ensuite : « Si donc David l’appelle SEIGNEUR [māryā], comment est-il son fils ? » (Mt 22, 45). Et, sans pour autant l’accuser de blasphème, personne n’osa plus l’interroger (v. 46).
De même, devant Caïphe, Jésus dit : « à partir de maintenant, vous verrez le Fils de l’homme qui siège à la droite de la Puissance et qui vient sur les nuées des Cieux. » (Mt 26, 64). Jésus cite Dn 7, 13 et le psaume 110 (109), en associant ces versets (il fait ainsi un petit midrash). Le contexte donne à penser qu’il s’identifie à ce Fils de l’homme et à celui qui siège à la droite de la Puissance et que David désigne comme étant « son SEIGNEUR » (Ps 110, 1). Par l’association des deux expressions, Jésus se désigne de rang divin.
Expliquons maintenant le verset 4 : « Le SEIGNEUR l’a juré, il ne s’en dédira point : ‘Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech’ » (Ps 110, 4).
La lettre aux hébreux explique que ce verset s’applique à Jésus, qui est le prêtre unique parce qu’il « demeure pour l’éternité » (He 7, 21). Jésus est capable de « sauver d’une manière définitive » (He 7, 25) parce qu’il est lui-même ressuscité et qu’il est toujours vivant afin d’intercéder pour nous. La fonction d’un prêtre consiste à intercéder.
Le Christ, nous dit maintenant la première lettre de saint Pierre, traduite depuis l’araméen, « a porté tous nos péchés et les a fait monter sur la croix afin que nous, étant morts au péché, nous vivions dans sa justice, par ses blessures en effet vous avez été guéris » (1P2, 24). Il « a porté tous nos péchés » : nous avons le mot ḥṭāhā qui signifie à la fois péché et sacrifice pour le péché, de sorte que l’on peut rapprocher le geste de porter [šqal] nos péchés à celui de Jésus portant sa croix (Mc 15, 21), et voir dans le geste de les faire monter [asseq] dans son corps sur la croix, le geste de l’offrande des sacrifices pour le péché. Jésus est mort pour nous (v. 21), de sorte que Pierre peut dire ensuite : « afin que nous, étant morts au péché [ḥṭīṯā : péché ou erreur], nous vivions dans sa justice » (v. 24), il n’y a rien d’automatique, il nous revient de mourir au péché et d’accueillir le salut (la vivification) offerte par Jésus ; afin que « nous vivions dans sa justice [zaddīqūṯā] » (v. 24), « zaddīqūṯā », explique Mgr Alichoran, c’est l’élan de sanctification qui se communique de Dieu aux hommes.
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Deuxième lecture (1 Co 11, 23-26)
« Frères j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, 24 puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : ‘Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi.’ 25 Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : ‘Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi.’ 26 Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » – Parole du Seigneur.
Saint Paul a reçu des apôtres les paroles de Jésus instituant l’Eucharistie lors de la dernière Cène (Lc 22, 19-20). Jésus sachant qu’il va souffrir et mourir, transforme sa mise à mort en offrande. Il anticipe aussi sa résurrection, car ce n’est que dans la rencontre avec le Ressuscité que l’on peut célébrer les mystères sacrés. On accueille le Christ dans le don sacrificiel qu’il fait de lui-même en s’y associant de l’intérieur.
Les mots araméens ont des nuances intraduisibles. Le pain [laḥmā] est donné « dᶜal ᵓappaykon » (1Co 11, 24 = Lc 22, 19) c’est à dire « devant vous » ou « pour vous », avec une nuance particulière parce que le « laḥmā ᵓappay », c’est le pain de proposition qui, dans la liturgie juive, est offert à Dieu sur l’autel et qui n’est ensuite consommé que par les prêtres. Jésus se donne lui-même comme une offrande que l’Église va pouvoir présenter à Dieu.
« Veuillez faire ceci pour mon mémorial [hwayton ᶜāḇdīn l-ḏūḵrān] ! » (1Co 11, 24 et Lc 22, 19). Ce n’est pas un impératif ordinaire, nous avons ici le verbe être au passé, souvent employé avec un sens volitif, comme un souhait. La consigne n’est pas de répéter l’ensemble du repas, mais seulement l’offrande nouvelle de Jésus. Ce qui était nouveau impliquait de trouver une nouvelle forme d’ensemble dont nous avons des témoignages très précoces, tels que celui de saint Justin Martyr (S. JUSTIN, Apologie 1, 65). Le mémorial biblique, et spécialement le mémorial de l’Alliance, loin de s’opposer à la présence réelle de ce qu’il rappelle, la suppose. Quand les Juifs font le mémorial du Sinaï, le Sinaï est réellement présent. Lorsqu’ils font le mémorial de la libération d’Égypte, ils sont ceux qui sont libérés. Typique de cette théologie, ce verset du Deutéronome : « Ce n’est pas avec nos pères que Dieu a conclu cette alliance mais avec nous, nous-mêmes qui sommes ici aujourd’hui tous vivants » (Dt 5, 3). De même, le sacrifice de Jésus, c’est maintenant, pour nous qui célébrons l’Eucharistie.
(F. BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc. Parole et Silence, 2024. Ad loc).
Observons les divers états du Corps du Christ.
À la crèche et sur la croix, le corps de Jésus est en un seul lieu, et vulnérable.
À l’Eucharistie, encore vulnérable, il est en autant de lieux qu’il y a de célébration.
Dans les apparitions du Ressuscité, il n’est plus vulnérable, mais il est dans un lieu à la fois.
À son retour dans la gloire, il ne sera plus vulnérable, et, glorieux, il sera visible partout à la fois. Ainsi donc, dit saint Paul, « chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » (1Co 11, 26).
Attention, quand, dans sa fameuse « Messe sur le monde », Teilhard de Chardin* écrit : « dans les steppes d’Asie, je n’ai ni pain, ni vin, ni autel, je m’élèverai par-dessus les symboles jusqu’à la pure majesté du Réel, et je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde. […] et… j’appellerai le Feu », il ne correspond pas au sacerdoce pour lequel il a été ordonné. En « Recueillant dans le calice l’amertume de toutes les séparations, de toutes les limitations, de toutes les déchéances stériles » il n’offre pas la communion au sang du Christ Rédempteur, le seul qui nous divinise. Saint Paul n’invente pas, et il montre l’exemple : « Frères j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur… » (1Co 11, 23).
* Un monitum du Saint-Office, porté sous le pontificat de Jean XXIII, fut publié le 30 juin 1962. Il mettait en garde contre les dangers dus aux ambiguïtés et aux erreurs philosophiques et théologiques qui fourmillent chez cet auteur, Teilhard de Chardin. Il a été réitéré par un communiqué de presse du Saint-Siège publié dans L'Osservatore romano en langue anglaise le 20 juillet 1981. Le magistère condamna à travers les œuvres du père Teilhard une vision erronée du péché originel ainsi qu’une confusion entre le monde et Dieu, la nature et la grâce, la matière et l'esprit, la science et la foi - le célèbre jésuite penchant vers une sorte de panthéisme en s’appuyant sur certaines avancées de la science moderne. Il en venait à rendre impossible la création, spécialement des âmes, et à dénaturer les vertus théologales, la parousie, la rédemption, la messe, etc.
Séquence du Saint Sacrement (suite)
« C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution. À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne. L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit. Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui. Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut. C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang. Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature. L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin. Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces. On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier. Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort. Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent ! »
[C’est aussi ce que dit saint Paul : « quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur » (1Co 11, 27)]
Séquence du Saint Sacrement : « Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout. Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.
Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens. D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants. Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.
Évangile (Lc 9, 11b-17)
Extrait de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur (Paris). Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. (472 pages).
« 10 Et, une fois que les apôtres s’en retournèrent, / ils racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait ;
et il les conduisit, seul à seul, / en un lieu désert de Beth-Saïda.
11 Or les foules, ayant su, / allèrent derrière lui.
Et il les accueillit, / et il parlait avec elles du règne de Dieu ;
Et ceux qui avaient besoin de guérison, / il les guérissait.
12 Comme le jour, donc, / avait commencé à décliner,
ses disciples s’approchèrent, / en lui disant :
‘Renvoie les foules, / afin qu’elles aillent aux villages des alentours et aux fermes
afin d’y trouver logis et provisions, / car nous sommes ici dans un endroit désert’.
13 Jésus leur dit : / ‘Donnez-leur vous-mêmes à manger.’
Or ils dirent : ‘Nous n’avons pas plus de cinq pains / et de deux poissons !
À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter des provisions / pour tout ce peuple ?’
14 Ils étaient en effet, / environ 5.000 hommes.
Jésus leur dit :
‘Attablez-les en rangées, / de cinquante par rangées !’
15 Et ils firent ainsi, / les disciples,
et les attablèrent, / eux tous.
16 Et Jésus prit ces cinq pains et deux poissons, / et regarda au ciel,
et il bénit [Dieu] et rompit, / et il donna à ses disciples pour qu’ils les déposent aux foules.
17 Et ils mangèrent, eux tous, / et ils furent rassasiés.
Et ils emportèrent des morceaux de ce qui restait : / douze corbeilles ! »
Les apôtres avaient commencé à vivre de courtes missions. Or, Jean-Baptiste ayant été décapité, il convient que Jésus et ses apôtres se rassemblent autour d’un repas de deuil. Jésus les emmène alors en solitude dans un lieu désert (Lc 9, 10). Or voici que la foule arrive ! Les gens s’organisent par rangées et s’appuient dos à dos pour manger assis sur l’herbe. Les Douze ont, pour leur repas de deuil, cinq pains et deux poissons (qui ne sont pas petits). La foule étant venue aussi, Jésus opère le miracle pour nourrir 5.000 hommes (v. 14), et il reste douze corbeilles (v. 17).
Les gestes de Jésus sont remarquables : il « prit [nsaḇ] », « regarda dans les cieux », « bénit [ḇarreḵ] » (c’est-à-dire qu’il bénit son Père par une action de grâces en levant les mains vers le Ciel puis demande à Dieu de prolonger ses bienfaits en faisant descendre sa bénédiction sur le pain) et « rompit [qṣā] » et « donna [yaḇ] à ses disciples » (v.16).
On perçoit une préparation à l’Eucharistie, qu’il faut méditer avec l’ensemble de du fil d’oralité (l’évangile selon saint Luc est un pendentif d’oralité, voir mon livre). qui comporte plusieurs annonces de la Passion, la Transfiguration et l’annonce de la Venue glorieuse de Jésus. Par l’Eucharistie, il s’agit de passer avec Jésus dans la gloire.
Concernant la constitution primitive du rassemblement liturgique dominical
La première notion à redécouvrir est celle du qūbālā (qoubala, pluriel : qoubalé), c’est une réception qui fait partie des traditions sociales de la civilisation orale hébréo-mésopotamienne.
Le qūbālā devient dans l’Église primitive une catéchèse liturgique où l’on se retrouve pour échanger la Parole apprise en maisonnée et pour partager de la nourriture. Le mot qūbālā vient de la racine araméenne « qbl » et désigne un temps pour recevoir les personnes (avec une nourriture) et accueillir la parole (en la prenant dans son cœur, en l’apprenant par cœur).
Cette liturgie était celle du shabbat chrétien (ou de la veille de fêtes), on y rappelait les Écritures, et aussi les récitatifs mis au point par les apôtres, des récitatifs qui racontent comment les Écritures ont été accomplies en Jésus.
La première partie de la liturgie, le qūbālā, avait lieu le samedi soir, rassemblant les maisonnées et leurs catéchumènes, chaque maison ayant à proclamer ce qu’elle avait appris comme récitatif(s) de « l’Évangile ». Paul raconte qu’à l’une de ces occasions, un adolescent s’endormit sur le rebord d’une fenêtre et tomba, et Paul lui rendit la vie (Ac 20, 1-12). À la fin de cette réunion, les catéchumènes rentraient chez eux, et ne restaient que les baptisés qui priaient le reste de la nuit.
C’est seulement aux lueurs de l’aurore, le premier jour de la semaine donc, que ceux-ci célébraient le « qūrbānā » (qourbana ou « Saints Mystères »), réalisé par un « ancien » (ou « prêtre »). Ils se tenaient tous tournés vers l’est, dans l’attente du soleil levant, analogie du Christ ressuscité (ceci deviendra la seconde partie des célébrations du dimanche). Le mot qūrbānā a plusieurs significations qui découlent l’une de l’autre : il désigne une offrande rituelle, un sacrifice, ainsi qu’une rencontre jusqu’au toucher : l’offrande est sanctifiée parce que Dieu en quelque sorte la touche. Les Saints Mystères célèbrent le sacrifice de Jésus et la rencontre avec le Ressuscité, jusqu’à le toucher en consommant l’hostie et le vin consacrés. Le terme de qūrbānā dit exactement ce qu’il signifie (à la différence du mot « messe ») : il s’agit de l’action de toucher (Dieu) ou d’être touché (par Dieu) ; y a-t-il une plus belle définition de la Rencontre ?
Le qūbālā du samedi soir ou veille de fêtes est ainsi une étape intermédiaire qui permet de conduire le catéchumène vers le baptême et de préparer en communauté la liturgie du dimanche matin. C’est là que s’enracine le rôle des diacres : le samedi soir, les diacres veillent à la bonne transmission des récitatifs oraux, ils observent qui est prêt à être baptisé, ce qui explique qu’ils les accompagnent dans le baptême, et le dimanche matin ils présentent les offrandes des fidèles baptisés.
L’ignorance occidentale de cette institution des qūbbālé dans l’Eglise primitive a fait prendre les « Saints Mystères » pour un repas convivial, le qūbālā, dont parlent les Evangiles et les lettres apostoliques, mais qui a lieu avant. Cette confusion a contribué à estomper la dimension sacrificielle de la Messe, ou à ne pas comprendre la distinction des ministères du diacre et du prêtre.
Devant les disciples d’Emmaüs, Jésus « prit le pain et bénit [il bénit Dieu : il dit la bénédiction] et rompit et leur donna » (Lc 24, 30). Ces gestes permettent aux deux disciples de reconnaître Jésus parce qu’ils avaient probablement été présents parmi les 5.000 hommes pour qui Jésus avait multiplié les pains, par quatre gestes similaires : il « prit », « bénit » et « rompit » et « donna à ses disciples… » (Lc 9, 16) ;
Nous reconnaissons aussi en Lc 24, 30 les quatre premiers verbes de l’institution de l’Eucharistie selon saint Marc, cependant, dans le récit de l’institution de l’Eucharistie selon saint Luc, à la place du verbe « il bénit [ḇarreḵ] », Luc a écrit « et il rendit grâce [wawdī] » (Lc 22, 19). De plus, à Emmaüs, Jésus ne prononce pas de parole sur le pain, et il ne prend de coupe de vin. Ce n’est donc pas à proprement parler une Eucharistie (« qūrbānā »), d’ailleurs, comment les disciples d’Emmaüs, qui n’ont pas participé à la dernière Cène, auraient-ils pu reconnaître les paroles eucharistiques ?
Ceci étant dit, l’expérience des disciples d’Emmaüs est inclassable : comment comparer un sacrement avec une telle rencontre avec Jésus ressuscité ? Certainement, ils ont vécu ce que la communion eucharistique procure : une mort à soi-même et une vivification de vie divine. Les deux disciples, en effet, se levèrent debout (« qām » Lc 24, 33) comme Jésus s’était relevé ressuscité (« qām » Lc 24, 34).
Date de dernière mise à jour : 07/05/2025