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Noël, Messe de l'aurore

Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
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Première lecture (Is 62, 11-12)
Psaume (Ps 96 (97), 1.6, 11-12)
Première lecture (Is 62, 11-12)
« Voici que le Seigneur se fait entendre jusqu’aux extrémités de la terre : Dites à la fille de Sion : Voici ton Sauveur qui vient ; avec lui, le fruit de son travail, et devant lui, son ouvrage. Eux seront appelés « Peuple-saint », « Rachetés-par-le-Seigneur », et toi, on t’appellera « La-Désirée », « La-Ville-qui-n’est-plus-délaissée ». – Parole du Seigneur. »
Isaïe 62, 11-12 apparaît comme le sommet d’un long mouvement qui traverse les chapitres 60 à 62 du livre. Après l’obscurité de l’exil et la reconstruction hésitante du retour, le prophète porte le regard vers une Jérusalem à nouveau vivante, éclairée par la présence retrouvée de son Dieu. La parole retentit « jusqu’aux extrémités de la terre »: c’est une annonce adressée à tous les peuples, comme si la restauration de Jérusalem devenait une bonne nouvelle offerte au monde entier.
Au cœur de cette proclamation, une invitation se détache : « Dites à la fille de Sion : Voici ton Sauveur qui vient. » La ville, souvent représentée comme une femme, entend que son Dieu s’approche d’elle. Le Sauveur n’est plus une idée lointaine, ni la simple promesse d’une délivrance. Il vient, il se met en route vers elle. Le verbe qui exprime cette venue porte déjà une tension messianique : il y a quelqu’un qui se rapproche, quelqu’un dont la présence va redéfinir la situation du peuple. Avec lui, dit le prophète, vient « le fruit de son travail » : c’est le peuple lui-même, devenu l’œuvre de Dieu, régénéré par son intervention. Ce peuple que l’exil avait dispersé et affaibli est désormais présenté comme le résultat d’un travail patient, presque comme une naissance nouvelle.
Le texte attribue alors au peuple deux noms : « Peuple-saint » et « Rachetés-par-le-Seigneur ». Dans le langage biblique, être « saint » ne signifie pas être moralement parfait, mais appartenir à Dieu, vivre dans sa proximité, recevoir de lui sa dignité. Être « racheté », c’est être libéré par un proche parent qui intervient pour sauver un membre de sa famille tombé dans la servitude : le Seigneur devient ce parent qui paye la dette, relève et restaure. Ces titres disent que la relation rompue n’est pas seulement rétablie : elle est renouvelée, consolidée, transformée de l’intérieur.
Puis la parole se tourne vers Jérusalem elle-même : « On t’appellera La-Désirée, La-Ville-qui-n’est-plus-délaissée. » La cité autrefois détruite, abandonnée, humiliée, reçoit deux noms inversant toute son histoire. Elle devient « recherchée », « aimée », « visitée ». Elle n’est plus la ville désertée où Dieu semblait absent, mais une ville que Dieu choisit et vers laquelle il revient. Le prophète efface le nom de la souffrance et inscrit celui du désir retrouvé : Dieu désire la cité, il la visite comme on visite une personne aimée, il l’habite à nouveau.
Ainsi, ces deux versets composent un diptyque où la venue de Dieu et la transformation du peuple se répondent. Dieu vient vers Sion, et Sion reçoit un nom nouveau ; le Sauveur s’approche, et le peuple apparaît comme son œuvre ; la ville n’est plus abandonnée parce que le Seigneur a repris place dans son histoire. Le salut n’est pas décrit comme un simple changement politique ou une amélioration des conditions de vie, mais comme la restauration d’un lien vivant : Dieu retrouve son peuple et son peuple retrouve Dieu.
Dans la liturgie de Noël, cette page prophétique résonne naturellement avec la venue du Christ. Le « Voici ton Sauveur qui vient » devient l’annonce de l’Incarnation. La lumière donnée à Jérusalem rejoint la lumière des anges sur les collines de Bethléem, qui est à 7 km. Les nouveaux noms donnés au peuple se reflètent dans la grâce inaugurée par la naissance de Jésus : un peuple rendu saint, racheté, désiré. Le prophète voyait un Sauveur venant vers Sion ; l’Évangile montre des bergers se hâtant vers le Sauveur.
Ce passage d’Isaïe se lit alors comme la promesse d’une relation guérie. Dieu ne se contente pas d’envoyer un message : il vient. Il ne se contente pas de relever : il renomme. Et le peuple, autrefois dispersé, blessé, incertain, devient dans sa venue même le fruit du travail divin, une réalité nouvelle, une ville à nouveau désirée.
Dom Guéranger écrivait : « La sainte Église a glorifié, par la première Messe, la naissance temporelle du Verbe, selon la chair ; à cette heure, elle va honorer une seconde naissance du même Fils de Dieu, naissance de grâce et de miséricorde, celle qui s’accomplit dans le cœur du chrétien fidèle.
Voici que, dans ce moment même, des bergers invités par les saints Anges arrivent en hâte à Bethléem ; ils se pressent dans l’étable, trop étroite pour contenir leur foule. Dociles à l’avertissement du ciel, ils sont venus reconnaître le Sauveur qu’on leur a dit être né pour eux. Ils trouvent toutes choses telles que les Anges les leur ont annoncées. Qui pourrait dire la joie de leur cœur, la simplicité de leur foi ? Ils ne s’étonnent point de rencontrer, sous les livrées d’une pauvreté pareille à la leur, Celui dont la naissance émeut les Anges mêmes. Leurs cœurs ont tout compris ; ils adorent, ils aiment cet Enfant. Déjà ils sont chrétiens : l’Église chrétienne commence en eux ; le mystère d’un Dieu abaissé est reçu dans les cœurs humbles. Hérode cherchera à faire périr l’Enfant ; la Synagogue frémira ; ses docteurs s’élèveront contre Dieu et contre son Christ ; ils mettront à mort le libérateur d’Israël ; mais la foi demeurera ferme et inébranlable dans l’âme des bergers, en attendant que les sages et les puissants s’abaissent à leur tour devant la crèche et la croix.
Que s’est-il donc passé au cœur de ces hommes simples ? Le Christ y est né, il y habite désormais par la foi et l’amour. Ils sont nos pères dans l’Église ; et c’est à nous de leur devenir semblables. Appelons donc, à notre tour, le divin Enfant dans nos âmes ; faisons-lui place, et que rien ne lui ferme plus l’entrée de nos cœurs. C’est pour nous aussi que parlent les Anges, c’est à nous qu’ils annoncent l’heureuse nouvelle ; le bienfait ne doit pas s’arrêter aux seuls habitants des campagnes de Bethléem. Or, afin d’honorer le mystère de la venue silencieuse du Sauveur dans les âmes, le Prêtre va tout à l’heure remonter au saint autel, et présenter, pour la seconde fois, l’Agneau sans tache aux regards du Père céleste qui l’envoie.
Que nos yeux soient donc fixés sur l’autel, comme ceux des bergers sur la crèche ; cherchons-y, comme eux, l’Enfant nouveau-né, enveloppé de langes. En entrant dans l’étable, ils ignoraient encore Celui qu’ils allaient voir ; mais leurs cœurs étaient préparés. Tout à coup ils l’aperçoivent, et leurs yeux s’arrêtent sur ce divin Soleil. Jésus, du fond de la crèche, leur envoie un regard de son amour ; ils sont illuminés, et le jour se fait dans leurs cœurs. Méritons qu’elle s’accomplisse en nous, cette parole du prince des Apôtres : « La lumière luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour vienne à briller, et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. » (2 P 1,19). »[1]
Psaume (Ps 96 (97), 1.6, 11-12)
« Le Seigneur est roi ! Exulte la terre ! Joie pour les îles sans nombre ! Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire. Une lumière est semée pour le juste, et pour le cœur simple, une joie. Que le Seigneur soit votre joie, hommes justes ; rendez grâce en rappelant son nom très saint. »
Ce psaume correspond à la foi d’Isaïe pour qui Dieu est le Roi des rois. Nous savions depuis les temps anciens, avec Samuel, que le peuple n’a pas d’autre roi que le Seigneur Dieu (1Sam 8). Mais ce qui est nouveau avec Isaïe, c’est que le Dieu d’Israël est perçu comme le Roi de toute la terre, lisons le récit de la vocation d’Isaïe : « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui […]. Ils se criaient l’un à l’autre ces paroles : "Saint, saint, saint est YHWH Sabaot, sa gloire emplit toute la terre" » (Is 6, 1-3). À cette vision d’Isaïe fait ainsi écho le psaume : « Le Seigneur est roi ! Exulte la terre ! Joie pour les îles sans nombre ! ».
Ce psaume correspond aussi à un passage plus tardif du livre d’Isaïe, après l’épreuve de l’exil à Babylone, le prophète s’écrie : « Regarde Seigneur et vois... Tu es notre Père, notre rédempteur... Reviens à cause de tes serviteurs... Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais, devant ta Face fondraient les montagnes... » (Is 63,15-19). On attend que le silence soit rompu et que Dieu de nouveau, dans sa fidélité, parle.
Or Dieu a répondu à l’attente d’Israël par l’incarnation de Jésus, le Messie, le Fils de Dieu. Sa venue a été humble, mais elle a été entourée de signes nombreux, depuis les anges de Noël, à la lumière de sa Résurrection, en passant par ses nombreux miracles. Ce qui donne sens au verset du psaume : « Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire. ».
Le Christ est Seigneur et il est roi pour tous ceux qui accueillent son salut. Il apporte la justice et la vie. Mais une partie des habitants du monde ont rejeté sa lumière, sa justice, et sa gloire.
C’est ainsi que ce psaume attend encore un accomplissement futur, avec la venue glorieuse du Christ. Cette Venue sera un événement universel portant à la fois le jugement de l’Antichrist (qui sera anéanti : 2Th 2,3-12) et la vivification des justes (He 9,28). Jésus reviendra dans la gloire pour une « régénération » (Mt 19,28) et une « restauration » (Ac 3,21), sur la terre, accomplissant le règne de Dieu « sur la terre comme au ciel » (Mt 6,10), avant de « remettre » le royaume au Père (1 Co 15,22-28). On l’appelle la Parousie, et c’est « le prélude de l’incorruptibilité [= l’éternité], royaume par lequel ceux qui en auront été jugés dignes s’accoutumeront peu à peu à saisir Dieu »[2].
En ce jour de Noël, dans cette messe de l’aurore, l’Église célèbre la naissance du Fils de Dieu, naissance de grâce et de miséricorde, qui s’accomplit dans le cœur du chrétien fidèle, et le psaume chante : « Une lumière est semée pour le juste, et pour le cœur simple, une joie. »
Dom Guéranger écrit : « Nous y sommes arrivés, à cette aurore bénie ; il a paru, le divin Orient que nous attendions, et il ne se couchera plus sur notre vie : car nous voulons craindre par-dessus tout la nuit du péché dont il nous délivre. Nous sommes les enfants de la lumière et les fils du jour (1 Th 5,5) ; nous ne connaîtrons plus le sommeil de la mort ; mais nous veillerons toujours, nous souvenant que les bergers veillaient quand l’Ange leur parla, et que le ciel s’ouvrit sur leurs têtes. Tous les chants de cette Messe de l’Aurore vont nous redire la splendeur du Soleil de justice ; goûtons-les comme des captifs longtemps enfermés dans une prison ténébreuse, aux yeux desquels une douce lumière vient rendre la vue. Il resplendit, au fond de la crèche, ce Dieu de lumière ; ses divins rayons embellissent encore les augustes traits de la Vierge-Mère qui le contemple avec tant d’amour ; le visage vénérable de Joseph en reçoit aussi un éclat nouveau ; mais ces rayons ne s’arrêtent pas dans l’étroite enceinte de la grotte. S’ils laissent dans ses ténèbres méritées l’ingrate Bethléem, ils s’élancent par le monde entier, et allument dans des millions de cœurs un amour ineffable pour cette Lumière d’en haut qui arrache l’homme à ses erreurs et à ses passions, et l’élève vers la sublime fin pour laquelle il a été créé. »
Saint Augustin, dans ses Confessions, écrivit cette page fameuse : « Qu’aimé-je donc en vous aimant ? Ce n’est point la beauté selon l’étendue, ni la gloire selon le temps, ni l’éclat de cette lumière amie à nos yeux, ni les douces mélodies du chant, ni la suave odorance des fleurs et des parfums, ni la manne, ni le miel, ni les délices de la volupté. Ce n’est pas là ce que j’aime en aimant mon Dieu, et pourtant j’aime une lumière, une mélodie, une odeur, un aliment, une volupté, en aimant mon Dieu […] J’ai interrogé la terre, et elle m’a dit : ‘Ce n’est pas moi.’ Et tout ce qu’elle porte m’a fait même aveu. J’ai interrogé la mer et les abîmes, et les êtres animés qui glissent sous les eaux, et ils ont répondu : ‘Nous ne sommes pas ton Dieu ; cherche au-dessus de nous.’ […] La voix seule de mon désir interrogeait les créatures, et leur seule beauté était leur réponse. Et je me retournai vers moi-même, et je me suis dit : Et toi, qu’es-tu ? Et j’ai répondu : ‘Homme.’ Et deux êtres sont sous mon obéissance ; l’un extérieur, le corps ; l’autre en moi et caché, l’âme. Auquel devais-je plutôt demander mon Dieu, vainement cherché, à travers le voile de mon corps, depuis la terre jusqu’au ciel, aussi loin que je puisse lancer en émissaires les rayons de mes yeux ? Il valait mieux consulter l’être intérieur … » (Les Confessions X, 8-9).
Saint Syméon le Nouveau Théologien (949-1022) s’étonnait :
« Comment est-ce que je t’adore au-dedans de moi, et je t’aperçois au loin,
comment est-ce que je te saisis en moi, et je te vois dans le ciel ?
Toi seul le sais, toi l’auteur de ces choses, qui brilles tel le soleil en mon cœur, mon cœur matériel, immatériellement,
Toi qui as fait resplendir sur moi la lumière de ta gloire, ô mon Dieu »
Et il continue : « je deviens fils de Dieu, comme tu l’as dit non pour les anges, mais pour nous, nous appelant dieux en ces termes : ‘J’ai dit : vous êtes des dieux et les fils du Très-Haut, vous tous’ (Ps 82,6, cf. Jn 10,34) » (hymne VII)
Deuxième lecture (Tt 3, 4-7)
Bien-aimé, lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance, par Jésus-Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle. – Parole du Seigneur.
Au v. 3, l’apôtre présentait, dans un contraste saisissant ce que “nous étions, nous aussi, autrefois”. Il se compare aux Crétois. Ne sommes-nous pas en danger d’oublier rapidement ce que nous étions, et par conséquent de mépriser ceux qui sont encore dans cet état ?
Dieu ne pouvait pas nous prendre plus bas, pour nous élever plus haut !
« Bien-aimé, lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. » C’est une révélation nouvelle et définitive que Dieu nous a donnée de lui-même : sa bonté, quoique présente de toute éternité, ne s’est complètement déployée qu’à la croix et n’a été entièrement manifestée qu’en une personne : Jésus le Christ, le Messie.
« Non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde ». La participation à la vie divine ne peut pas être obtenue par des œuvres humaines parce qu’il y a une disproportion entre Dieu et la créature. C’est Dieu, qui, par pur amour, nous veut participants de sa vie, comme un Père veut que ses enfants bénéficient de ses propriétés et en fassent bon usage. Comment nos cœurs ne seraient pas émus de reconnaissance !
Sans les œuvres, la foi est morte (Jc 2, 17) ; et inversement, les œuvres sans la foi ne sont que des œuvres mortes (Hé 9, 14).
De nombreuses religions enseignent que le sort de l’homme dépend de ce qu’il accomplit pour Dieu ; mais la Bible montre que c’est en s’appropriant ce que Dieu a déjà accompli pour lui que l’homme sera sauvé.
« Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. » C’est le bain du baptême qui justifie le croyant et le débarrasse de la culpabilité du péché. La régénération, c’est la parole divine qui l’a accomplie en nous (1 P 1,23), une fois pour toutes.
« Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance, par Jésus-Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle. » C’est la nouvelle naissance, par l’action du Saint Esprit qui vient habiter en nous. En recevant la vie nouvelle, nous devenons de nouvelles créatures, avec de nouvelles pensées, inspirées par le Seigneur, de nouveaux désirs, en harmonie avec le dessein du Créateur, et de nouvelles habitudes…
Don Guéranger écrit : « La prière de l’Église, en cette Messe de l’Aurore, est pour implorer l’effusion des rayons du Soleil de justice sur les âmes, afin qu’elles deviennent fécondes en œuvres de lumière, et que les anciennes ténèbres ne reparaissent plus.
Le Soleil qui s’est levé sur nous, c’est un Dieu Sauveur, dans toute sa miséricorde. Nous étions loin de Dieu, dans les ombres de la mort ; il a fallu que les divins rayons descendissent jusqu’au fond de l’abîme où le péché nous avait précipités ; et voilà que nous en sortons régénérés, justifiés, héritiers de la vie éternelle. Qui nous séparera maintenant de l’amour de cet Enfant ? Voudrions-nous rendre inutiles les merveilles d’un amour si généreux, et redevenir encore les esclaves des ténèbres de la mort ? Gardons bien plutôt l’espérance de la vie éternelle, à laquelle de si hauts mystères nous ont initiés. »
« Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance » : laissons-lui toujours plus de place dans nos vies ! Et cet Esprit est répandu « par Jésus-Christ notre Sauveur ». Il n’y a pas d’Esprit de Dieu en dehors de la méditation de Jésus-Christ qui est né, a souffert, est mort et est ressuscité. Il nous faut méditer et nous approprier tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il a vécu.
« Afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle. » Si nous croyons, nous possédons déjà la vie éternelle (Jn 3, 36). Cependant, cet héritage nous est réservé en toute sécurité pour le jour où le Christ reviendra (1 P1, 3-5).
Celui qui laisse la Volonté du Père guider ses pas reçoit en partage tous les biens que le Créateur a semés dans l’univers. Saint Paul nous rappelle que tout travail accompli pour Dieu, avec un cœur vrai, ouvre déjà la porte de cet héritage : ce n’est pas un salaire humain, mais un don que le Seigneur réserve à ceux qui s’en remettent à lui (Col 3,23-24).
C’est cette même Volonté divine qui, d’un seul souffle créateur, a fait surgir le monde. Par un mot, un acte souverain, elle a donné existence à toutes choses et en garde les secrets les plus profonds. Si cette Volonté vient habiter en ses enfants, elle leur souffle à nouveau un « qu’il en soit ainsi » intérieur ; elle leur révèle la beauté enfouie dans la création, un trésor que seuls ceux qui vivent en elle peuvent comprendre. Alors naît une réciprocité d’amour : Dieu se donne, et l’âme répond ; l’harmonie se tisse peu à peu, rapprochant sans cesse le cœur humain du cœur divin. Vivre son baptême, c’est entrer dans la maison même de Dieu, comme des héritiers reconnus et aimés.
Mais ceux qui demeurent à la surface des choses profitent des dons de Dieu comme des étrangers, sans en connaître la source, sans deviner la main aimante qui les a façonnés. Ils vivent au milieu de merveilles, mais ne reconnaissent ni leur auteur ni leur sens. Sans la lumière intérieure de la Volonté divine, ils ne peuvent percevoir l’amour qui traverse toute la création ni les richesses spirituelles qu’elle contient.
Le Père éternel a confié à l’humanité de son Fils l’immense don de l’univers : comme à un enfant véritable, légitime, il lui a remis toutes choses. Et le Fils, dans un échange parfait, a offert à son Père amour pour amour, don pour don.
Marie, elle, a su entrer dans cet échange avec une pureté incomparable ; elle s’est tenue dans la communion du Créateur avec une disponibilité totale à sa Parole vivante.
En ce jour de Noël, Marie accueille les bergers, et elle accueille chacun de nous sous son manteau, pour nous introduire dans cette légitimité profonde des héritiers, qui ne vient pas du sang ni de l’effort humain, mais de la grâce qui jaillit du cœur du Père.
Évangile (Lc 2, 15-20)
La traduction et le début du commentaire sont extraits de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur (Paris). Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. (472 pages).
« 15 Et il advint [que], quand les anges les eurent quittés pour le ciel,
les bergers parlèrent les uns avec les autres, / en disant :
‘Allons jusqu’à Beth-Léhem / et voyons ce fait [cette parole] qui s’est passé, que le SEIGNEUR nous a fait connaître’.
16 Et ils vinrent / en toute hâte.
Et ils trouvèrent Marie, Joseph / et le nouveau-né déposé dans une mangeoire.
17 Et l’ayant vu, / ils firent connaître la parole qui leur avait été dite au sujet de l’enfant,
18 et tous ceux qui les entendirent / s’émerveillèrent de ce qui leur avait été dit par les bergers.
19 Quant à Marie, elle gardait toutes ces paroles / et les soupesait en son cœur.
20 Puis ces bergers / s’en retournèrent,
en glorifiant / et en louant Dieu
pour tout ce qu’ils avaient vu / et entendu,
comme il leur avait été dit. »
Les bergers voient le nouveau-né déposé dans une mangeoire, « comme il leur avait été dit » (v. 20).
Sans doute, Marie l’a-t-elle déposé d’abord dans les bras de Joseph, mais pourquoi ne l’a-t-elle pas gardé contre elle, jouissant de la proximité ineffable de ce sublime enfant ? Elle a perçu que la volonté divine était de s’en priver un peu et de le déposer dans une mangeoire. La mangeoire était probablement à la hauteur des animaux et certainement Marie se tenait tout près, à genoux, en remerciant et adorant, dans l’amour. En déposant l’enfant dans la mangeoire, Marie va permettre aux bergers de le prendre dans leurs bras, de le cajoler comme leur propre enfant. Jésus se donne à tous. Jésus veut être donné à tous. Dieu désire que son amour pour l’humanité soit compris et reçu.
Un détail mérite d’être observé, le signe donné par l’ange est « un nouveau-né enveloppé de langes et déposé dans une mangeoire » (v. 12). Quand cependant les bergers vont voir, « ils trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né déposé dans une mangeoire » (Lc 2, 16). Voir le signe des langes est équivalent à trouver Marie et Joseph parce que c’est le signe que l’enfant est amoureusement soigné par ses proches qui prennent souci de lui comme dit l’Écriture : « J’ai été élevé dans les langes et parmi les soucis » (Sg 7, 4).
Les bergers « trouvèrent Marie, Joseph… » (v. 12) : le fait que Joseph soit nommé en second indique qu’il n’est pas le père et que l’enfant a été conçu virginalement, c’est un signe de la divinité de Jésus qui est justement désigné par l’Ange comme « un Sauveur qui est le SEIGNEUR Messie ». De plus, dire qu’un nouveau-né est enveloppé de langes, c’est donner un détail évident et l’on s’attendrait à cet autre détail, tout aussi normal, que l’enfant soit lavé. L’absence de cet autre détail pourrait suggérer la naissance virginale.
La tendresse du petit Jésus contraste avec le caractère stupéfiant de l’ange et avec la crainte immense des bergers (Lc 2, 9), qui est une crainte théophanique, celle qui s’abat sur l’homme quand il se voit immédiatement confronté à la présence de Dieu lui-même.
La naissance de Jésus dans la solitude et la pauvreté contraste aussi avec la joie immense qui sera pour « le monde entier lḵullēh ᶜālmā » (Lc 2, 10), et non pas pour « tout le peuple » comme le suggère le grec (παντι τω λαω), ou le latin (omni populo). La naissance de Jésus concerne non seulement les Hébreux, mais aussi tous les hommes.
En effet, à l’ange se joignent les « nombreuses puissances des Cieux » (Lc 2, 13), disant « Gloire à Dieu, paix sur la terre, et bonne espérance aux hommes ! » (Lc 2, 14).
Observons que l’araméen ne dit pas « et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté [Latin : bonae voluntatis. Grec : eudokias] », mais « paix sur la terre [šlāmā], et bonne espérance [saḇrā ṭāḇā] aux hommes » (sans ajouter « de bonne volonté »).
Ce n’est pas l’Empire romain, mais c’est cet enfant qui apporte la paix aux hommes. Jésus, rayonnant de sainteté tel qu’Adam lorsqu’il sortit des mains du Créateur, rend « gloire à Dieu ». Germe de l’accomplissement de la finalité de tout l’univers créé, la naissance de Jésus apporte la « paix sur la terre », la paix šlāmā, c’est-à-dire plénitude pour la terre et la « bonne espérance aux hommes », c’est l’espérance de l’accomplissement de la finalité de la création.
On comprend que les gens soient étonnés. Même Marie et Joseph. D’ailleurs, Bethléem se situe dans la montagne de Judée ; pour Marie et Joseph, la venue à Beth-Léhem est une montée (Lc 2, 4), la hauteur est le lieu d’une révélation.
Et l’ayant vu, les bergers « firent connaître la parole [melṯā] qui leur avait été dite au sujet de l’enfant » (Lc 2, 17). Dans ce verset, le mot « melṯā » est considéré comme un féminin, il signifie la parole, ou le fait, alors que dans le prologue de Jean, le même mot « melṯā » est considéré comme un mot masculin, il signifie alors le Verbe, la personne divine.
Don Guéranger écrit : « Imitons l’empressement des bergers à aller trouver le nouveau-né. À peine ont-ils entendu la parole de l’Ange, qu’ils partent sans aucun retard, et se rendent à l’étable. Arrivés en présence de l’Enfant, leurs cœurs déjà préparés le reconnaissent ; et Jésus, par sa grâce, prend naissance en eux. Ils se réjouissent d’être petits et pauvres comme lui ; ils sentent qu’ils lui sont unis désormais, et toute leur conduite va rendre témoignage du changement qui s’est opéré dans leur vie. En effet, ils ne se taisent pas, ils parlent de l’Enfant, ils s’en font les apôtres ; et leur parole ravit d’admiration ceux qui les entendent. Glorifions avec eux le grand Dieu qui, non content de nous appeler à son admirable lumière, en a placé le foyer dans notre cœur, en s’unissant à lui. »[3]
L’évangile selon saint Luc est un lectionnaire liturgique, et cet évangile est en lien avec la lecture du Deutéronome qui enseigne à se souvenir de tout avec soin : rien ne doit être omis de tout ce que le Seigneur a fait depuis la création jusqu’au jour présent (Dt 32, 6ss), tout doit être soigneusement gardé. Et c’est ce que fait Marie qui « gardait [nāṭrā] toutes ces paroles et les soupesait [mpaḥmā] en son cœur » (Lc 2, 19). Le deuxième verbe, « mpaḥmā », a plusieurs nuances. Elle les « comparait » (avec ce qui lui a été dit à l’Annonciation ou avec les prophéties bibliques). Elle les « soupesait » (c’est-à-dire qu’elle en considère le poids et la gloire divine). Elle les « expliquait », les « interprétait ».
Don Guéranger écrit : « Conservons chèrement en nous le souvenir des mystères de cette grande nuit, à l’exemple de Marie, qui repasse sans cesse dans son très saint Cœur les simples et sublimes événements qui s’accomplissent par elle et en elle. Pendant l’offrande des dons sacrés, l’Église relève la puissance de l’Emmanuel, qui, pour raffermir ce monde déchu, s’est abaissé jusqu’à n’avoir, pour former sa cour, que d’humbles bergers, mais qui n’en est pas moins assis sur son trône de gloire et de divinité, à jamais, et avant tous les siècles. »[4]
Date de dernière mise à jour : 17/11/2025