34e ordinaire Christ Roi C

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et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30). 
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Première lecture (2 S 5, 1-3)

Psaume (Ps 121 (122), 1-2, 3-4, 5-6)

Deuxième lecture (Col 1, 12-20)

Évangile (Lc 23, 35-43)

 

Première lecture (2 S 5, 1-3)

En ces jours-là, toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent : « Vois ! Nous sommes de tes os et de ta chair. Dans le passé déjà, quand Saül était notre roi, c’est toi qui menais Israël en campagne et le ramenais, et le Seigneur t’a dit : ‘Tu seras le berger d’Israël mon peuple, tu seras le chef d’Israël.’ » Ainsi, tous les anciens d’Israël vinrent trouver le roi à Hébron. Le roi David fit alliance avec eux, à Hébron, devant le Seigneur. Ils donnèrent l’onction à David pour le faire roi sur Israël. – Parole du Seigneur. 

Nous assistons à un moment décisif de l’histoire d’Israël : l’unification du royaume sous la royauté de David après les divisions et les rivalités qui ont suivi la mort de Saül.

« Toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent : « Vois ! Nous sommes de tes os et de ta chair. » (v. 1). Les mots « de tes os et de ta chair » évoquent la parenté, la solidarité charnelle et spirituelle. Le peuple affirme ainsi qu’il appartient à la même réalité vivante que son roi. Et Israël se reconnaît comme un seul corps, uni autour de celui que Dieu a choisi.

« Dans le passé déjà, quand Saül était notre roi, c’est toi qui menais Israël en campagne et le ramenais » (v. 2). Ce rôle passé donne déjà une légitimité à la royauté de David, mais ce n’est pas le plus important : les tribus reconnaissent que l’autorité de David ne vient pas de la conquête ou de la force, mais d’une vocation divine : « Le Seigneur t’a dit : “Tu seras le berger d’Israël mon peuple, tu seras le chef d’Israël.” » (v. 2).

Le roi, dans la vision biblique, n’est pas un souverain absolu ; il est le serviteur de Dieu, le SEIGNEUR. David incarne le modèle du roi selon le cœur de Dieu. David est un roi qui conduit non pas pour dominer, mais pour servir, protéger et nourrir son peuple. Être un berger et un chef signifie voir loin, voir haut, engager les gens sur un long terme selon des enjeux importants ; cela signifie aussi prévoir et protéger le peuple physiquement et spirituellement.

Le récit se conclut par un acte solennel : « Ainsi, tous les anciens d’Israël vinrent trouver le roi à Hébron. Le roi David fit alliance avec eux, à Hébron, devant le Seigneur. Ils donnèrent l’onction à David pour le faire roi sur Israël. » (v. 3)

Cette alliance, conclue devant le Seigneur, montre que la royauté en Israël est inséparable de la foi et de la fidélité à Dieu. Le pouvoir royal est ici encadré par l’alliance : David s’engage à gouverner selon la volonté du SEIGNEUR, et le peuple s’engage à lui être fidèle dans l’obéissance à Dieu. L’onction royale, geste liturgique par excellence, consacre David comme roi choisi et habité par l’Esprit du Seigneur.

Ainsi, ces trois versets résument tout le sens de la royauté biblique : elle est un don de Dieu, au service de l’unité et de la justice, et non une domination humaine. Le chef est d’abord un berger qui voit le but à atteindre et les dangers à éviter, et le peuple est appelé à être un peuple d’alliance.

Ce passage, en définitive, n’est pas seulement un récit d’intronisation : il est une véritable profession de foi communautaire. Israël reconnaît que son unité, sa sécurité et sa mission ne peuvent exister que dans la fidélité au SEIGNEUR et sous la conduite d’un roi, un berger, un chef, choisi pour servir.

Le rite de l’onction royale reçue par David a servi de modèle dans l’histoire de la chrétienté. En France, le premier souverain franc à recevoir l’onction royale est Clovis, à Reims vers l’an 498. À partir du IXᵉ siècle, le sacre de Reims devient la cérémonie essentielle de tout règne. Le roi devait gouverner selon la loi de Dieu et pour le bien du peuple. L’onction royale ne faisait pas de lui un être supérieur, mais un serviteur responsable devant Dieu. Après avoir libéré Orléans des Anglais, le 8 mai 1429, Jeanne d’Arc convainc Charles VII, encore hésitant, de se rendre à Reims pour y recevoir l’onction royale, le 17 juillet 1429, réalisant la réconciliation du roi, du peuple et de Dieu, avant de repartir vers la Normandie pour poursuivre la libération du royaume. Le dernier roi de France à recevoir l’onction fut Charles X, sacré à Reims en l’an 1825.

La royauté de David aura son accomplissement ultime dans le règne du Christ, Jésus pasteur du peuple de Dieu et roi d’un royaume qui n’aura pas de fin.

Le Seigneur a dit à David : « Tu seras le berger d’Israël mon peuple, tu seras le chef d’Israël.”» (2 S 5,2). Dans l’évangile, Jésus se présente comme le bon pasteur pour que l’on « ait la vie et qu’on l’ait surabondante » (Jn 10,10). Et il ajoute : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10,11).

« Toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent : « Vois ! Nous sommes de tes os et de ta chair. » (2 S 5,1) En cette fête du Christ roi, nous entendrons saint Paul dire que le Christ « est aussi la tête du corps, la tête de l’Église. C’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. » (Col 1,18).

En devenant « premier-né d’entre les morts », Jésus ouvre un passage vers la vie nouvelle pour toute l’humanité. L’Église, son corps, vit de sa vie et reçoit de lui sa cohésion et son unité. Saint Paul s’inspirait de la vision biblique (1 S 5, 1-3), mais  naturellement, à l’image de l’Empire romain comme corps dont l’empereur est la tête, la hiérarchie de l’Église eut parfois tendance à devenir une hiérarchie de commandement à l’image de celle d’un Empire politique. Or, la vérité est tout autre comme le déclarèrent les évêques d’Allemagne après que Bismarck trouva dans la définition de l’infaillibilité pontificale (Pastor Aeternu, 1870) un prétexte pour persécuter davantage les évêques catholiques, considérés comme les fonctionnaires d’un souverain étranger : « le pape lui-même est soumis au droit divin, et il est lié aux dispositions tracées par Jésus-Christ à son Église. Il ne peut pas modifier la constitution donnée à l’Église par son divin fondateur, comme un législateur temporel peut modifier la constitution de l’État. » Il est faux de le considérer comme un monarque qui priverait les évêques de leurs initiatives, et « ce n’est pas dans l’Église catholique qu’est admis le principe immoral et despotique que l’ordre d’un supérieur dégage sans restriction la responsabilité personnelle » (Déclaration commune (DS 3114-3115) des évêques d’Allemagne en janvier-février 1875, Cette déclaration commune fut aussitôt approuvée par Pie IX (Lettre apostolique "Mirabilis illa constantia" aux évêques d’Allemagne).

Dans l’Église, le pape est un pasteur qui conduit son peuple non pas pour le dominer, mais en référence à Dieu le Père dont il reçoit son investiture et auquel il doit rendre compte. Le Christ est le berger, la tête du corps. Certes, il est maintenant au Ciel, mais il reviendra dans la gloire, et chacun devra lui rendre compte, en particulier quiconque a un rôle de chef.

Psaume (Ps 121 (122), 1-2, 3-4, 5-6)

Quelle joie quand on m’a dit : « Nous irons à la maison du Seigneur ! » Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! Jérusalem, te voici dans tes murs : ville où tout ensemble ne fait qu’un ! C’est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur, là qu’Israël doit rendre grâce au nom du Seigneur. C’est là le siège du droit, le siège de la maison de David. Appelez le bonheur sur Jérusalem : « Paix à ceux qui t’aiment ! »

Au temps où il a été composé, ce psaume évoquait une réalité très concrète, depuis la réforme du roi Josias, Jérusalem était l’unique lieu de culte (auparavant, on voit bien qu’il y avait d’autres sanctuaires, par exemple celui de Silo où était Samuel). On s’y rassemble trois fois par an pour les grandes fêtes de pèlerinage. Ce psaume est appelé un psaume des montées parce que Jérusalem est sur une montagne de Judée.

Le psaume s’ouvre par un cri d’allégresse : « Quelle joie quand on m’a dit : ‘Nous irons à la maison du Seigneur !’ » (v. 1) Le psalmiste exprime ici la joie d’aller vers Dieu, de marcher vers sa demeure. La « maison du Seigneur » désigne le Temple, lieu de la rencontre entre Dieu et son peuple. « Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! » (v. 2). Ce pèlerinage n’est pas seulement un déplacement physique, mais un chemin spirituel vers la communion avec le Seigneur. La marche symbolise la vie du croyant, tendue vers la présence de Dieu, et l’arrivée à Jérusalem représente l’accomplissement de cette quête.

« Jérusalem, te voici dans tes murs : ville où tout ensemble ne fait qu’un ! C’est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur, là qu’Israël doit rendre grâce au nom du Seigneur. » (v. 3-4). La contemplation de la ville suscite l’admiration : Jérusalem est décrite comme une ville unifiée, solide, harmonieuse. Elle est le signe de l’unité du peuple de Dieu. Les tribus d’Israël y montent pour rendre grâce, pour célébrer ensemble la fidélité du Seigneur. Pour les chrétiens aussi, chaque célébration, chaque prière communautaire devient une « montée à Jérusalem », un moment de joie et de communion dans la présence du Seigneur.

« C’est là le siège du droit, le siège de la maison de David. » (v. 5). Jérusalem n’est pas seulement le lieu du culte, elle est aussi le lieu de la justice. Le roi David y a établi son trône, signe du gouvernement inspiré par Dieu. Le « siège du droit » rappelle que la royauté en Israël doit être au service de la vérité et de la justice. Dans la ville sainte, la prière et le droit se rencontrent : le culte rendu à Dieu et l’ordre juste de la société ne font qu’un.

Dans le christianisme, ce psaume convient ainsi très bien au dimanche matin, juste avant la Messe qui rassemble le peuple chrétien dans « la maison du Seigneur notre Dieu ». Jésus est le fils de David, et l’évangile a inspiré un « droit », une certaine législation, c’est pourquoi nous parlons d’un droit canonique et d’une doctrine sociale de l’Église.

Le psaume se conclut par une prière de bénédiction : « Appelez le bonheur sur Jérusalem : “Paix à ceux qui t’aiment !” » (v. 6). Le psalmiste invite à prier pour la paix de Jérusalem. Pour le croyant d’aujourd’hui, Jérusalem symbolise à la fois l’Église, communauté des fidèles rassemblés autour du Christ, et la Jérusalem céleste, vers laquelle nous marchons.

En araméen, il y a deux mots pour exprimer la paix : la šaynā, la tranquillité qui permet de faire de bonnes récoltes, et qui peut s’accompagner de compromissions. Jésus ne donne pas la paix šaynā ; mais Jésus donne la paix šlāmā, la plénitude, la paix reçue de Dieu et transmise. Notre génération se compromet avec toutes sortes de manipulations qui heurtent le dessein du Créateur. Jésus ne nous donne pas une paix de compromission, une paix šaynā , mais une paix qui vient de Dieu, une paix šlāmā. Dieu seul est la Paix. Dieu est la Paix même. En refusant le compromis avec le mal, nous allons perdre certaines choses agréables et gratifiantes, et des personnes qui autrefois se présentaient comme des amis vont nous éviter, ou nous critiquer et déformer nos propos. Or il y a une paix très douce que seul connaît celui qui a refusé la paix de compromission, une paix šaynā ; il reçoit une paix qui vient de Dieu, une paix šlāmā. Oui, il y a un bonheur très profond que connaît celui qui est resté fidèle à la loi de Dieu, et qui en contemple la beauté. Même s’il connaît l’épreuve, il habite un palais royal.

Certains considèrent comme de méchants pessimistes ceux qui reprennent les thèmes de l’Apocalypse et de l’ensemble du Nouveau Testament, à savoir l’émergence d’un antichristianisme et d’un antichrist, et son jugement par la venue glorieuse du Christ. Le pessimisme ne réside-t-il pas plutôt dans les philosophies modernes qui considèrent que le mal puisse participer à la construction de l’avenir, ne serait-ce qu’au titre d’une antithèse devant faire partie d’une synthèse future ? Après le jugement eschatologique, l’humanité réalisera sa vocation sur la terre comme au ciel. Ce jugement des ennemis de Dieu ne sera pas fait par des gendarmes ou des armées, mais par Jésus-Christ, c’est :

  • Le jugement de la violence par la douceur,
  • Le jugement de l’arrogance par l’humilité,
  • Le jugement de la cruauté par la gentillesse,
  • Le jugement de l’injustice par la justice.

L’Apocalypse nous promet que ceux qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus (Ap 12, 17), entreront dans la Jérusalem nouvelle. « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 21, 2-4). Jean prend l’image d’une Jérusalem nouvelle, « de temple, je n’en vis point en elle ; c’est que le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout, est son temple, ainsi que l’Agneau » (Ap 21, 22).

Alors les hommes, dans la présence spirituelle et glorieuse du Christ et des saints qui l’accompagneront, s’organiseront en formant ce que saint Irénée, vers l’an 200, appelle le « royaume des justes », « le prélude de l’incorruptibilité, royaume par lequel ceux qui en auront été jugés dignes s’accoutumeront peu à peu à saisir Dieu » (Saint IRÉNÉE, Contre les hérésies, V, 32).

Notons au passage qu’il y a donc plusieurs jugements : le jugement particulier à la mort de chacun d’entre nous, le jugement de l’Antichrist et de ses suppôts au moment de la Venue glorieuse du Christ, et le jugement des vivants et des morts à la fin du monde proprement dite.

Alors, chers auditeurs, ce psaume, il est pour nous : « Quelle joie quand on m’a dit : ‘Nous irons à la maison du Seigneur !’ » Un jour, notre marche prendra fin, « devant tes portes, Jérusalem ! »

Cf. Françoise BREYNAERT, L’Apocalypse revisitée. Une composition orale en filet. Imprimatur. Parole et Silence, 2022. https://www.youtube.com/watch?v=sk_lYXbLjSg&list=PLsIIgGqUVov9VD2K4TINJh4S8kcsLQ0ND 

Deuxième lecture (Col 1, 12-20)

« Frères, rendez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. Nous arrachant au pouvoir des ténèbres, il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé : en lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés. Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui.

Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel. » – Parole du Seigneur. 

Le début de la lettre aux Colossiens (1, 12-20) est souvent considéré comme une hymne christologique, un chant en l’honneur de la grandeur du Fils bien-aimé.

Ce chant, comme la vie chrétienne en général, commence dans la gratitude : « rendre grâce à Dieu le Père, qui [nous] a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière » (v. 12). Cette lumière symbolise la vie divine, la communion avec Dieu.

Le verset 13 poursuit : « Nous arrachant au pouvoir des ténèbres, il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé ». Nous pourrions prendre une analogie. Dieu le Père est comme un roi qui veut voir son peuple heureux, chacun recevant un terrain riche. Malheureusement, plongés dans les ténèbres intérieures, les hommes se servent de ses terres sans les rendre utiles. Un homme (on reconnaît Jésus) proclame par ses actes comment se comporter en bon Fils, en bon héritier. Il fait de son terrain un beau jardin et il appelle le roi et lui dit : Ce sont vos terres. Il est juste qu’elles soient toutes à votre disposition. Le roi est si ravi de cette loyauté qu’il lui dit : Je veux que tu sois roi avec moi et que nous régnions ensemble. Puis cet homme amène une bonne partie des gens à l’imiter, à faire de leur terrain un beau jardin et à former un peuple loyal. Alors le roi (c’est-à-dire Dieu le Père) leur donne le titre d’enfants du roi et veut qu’ils soient roi avec lui. « Il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé ».

Le verset 14 précise : « En lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés ». Cette rédemption est acquise, mais elle n’est pas automatique. Un grand prédicateur dominicain, Jean Tauler, enseignait qu’après avoir retranché les péchés, on chasse les images intérieures des mauvaises habitudes du passé « au moyen des aimables représentations de la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, et, substituant une image à l’autre, les attirer et les imprimer tout à fait intérieurement avec grande dévotion, dans le fond de son âme, afin d’y effacer et d’y éteindre toute disconvenance. » Et Jean Tauler exalte « la puissance qu’a le Fils de Dieu vivant de chasser toutes les maladies de l’âme, avec les images des exemples de sa sainte vie, de sa sainte Passion et de sa cruelle mort » (Deuxième sermon pour l’exaltation de la croix).

Revenons à saint Paul. Il en vient, aux versets 15 à 17, à une contemplation de la grandeur cosmique du Christ : « Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature. En lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui. » Le Christ est ici présenté comme le médiateur de la création : il est à la fois son origine et sa finalité. L’expression « image du Dieu invisible » signifie qu’en Jésus, Dieu se rend visible : le mystère caché se révèle dans une personne. En lui, le monde trouve sa cohérence et son unité ; tout ce qui existe reçoit son sens et sa stabilité à travers lui.

Saint Paul dit du Christ : « Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui. » (Col 1,17). La préposition « avant » n’est pas temporelle mais logique : le Christ contient le bien. Faisons un peu de philosophie. Platon, dans ses Idées, envisage le beau en soi par lequel toutes les choses belles sont belles, le juste en soi par lequel toutes les actions justes sont justes, etc. Aristote a parlé d’eidos (archétype) ou de morphé (forme). Sainte Édith Stein préfère parler « d’essence » [1]. Par exemple, il y a beaucoup d’expériences de joie, mais l’essence de la joie est une. Saint Paul : « Tout » subsiste dans le Christ (Col 1,17), et nous pourrions dire toutes les couleurs, toutes les beautés diverses, tous les biens possibles et imaginables. Celui qui vit dans le Christ, dans sa Volonté, possède lui aussi la nature du bien et donc, potentiellement, tous les biens possibles.  

Le verset 18 introduit une autre dimension : « Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. » Le Christ n’est pas seulement le créateur du monde, il est aussi le Seigneur de la nouvelle création inaugurée par la résurrection. Et cette nouvelle création est encore bien plus belle que tout l’univers que nous avons devant les yeux. En devenant « premier-né d’entre les morts », Jésus ouvre un passage vers la vie nouvelle pour toute l’humanité. L’Église, son corps, vit de sa vie et reçoit de lui sa cohésion et son unité. Et l’image du corps est déjà présente quand « Toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent : ‘Vois ! Nous sommes de tes os et de ta chair.’ » (2 S 5, 1) Les mots « de tes os et de ta chair » évoquent en effet la solidarité charnelle et spirituelle. Le peuple affirme ainsi qu’il appartient à la même réalité vivante que son roi. Il se reconnaît comme un seul corps, uni autour de celui que Dieu a choisi. Combien plus pour l’Église autour du Christ.

Le verset 19 proclame : « Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude. » Cette « plénitude » désigne la présence totale de Dieu dans le Christ. En lui réside tout ce que Dieu est, toute la richesse de sa vie et de son amour.

Enfin, le verset 20 achève l’hymne sur une note de réconciliation universelle : « Et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel. » Quand l’homme est réconcilié avec son Créateur, alors l’ordre revient dans l’ensemble de l’univers.

Ainsi, ce début de la lettre aux Colossiens offre une vision grandiose du Christ et le croyant est invité à vivre dans l’action de grâce, la paix et la confiance, sachant que le Christ, Seigneur de l’univers, demeure le centre de toute vie et la source de toute réconciliation.

[1] Cf. Édith STEIN, L’être fini et l’être éternel, Ed Nauwelaert, Paris 1972 (Fribourg 1950), p. 69. Mais on ne doit pas suggérer que l’homme est naturellement participant des biens éternels (ce qui est parfois la faiblesse d’Édith Stein). Il faut correspondre au Christ et à sa volonté. Comme il est dit aussi que celui qui croit au Fils a la vie éternelle (Jn 6,40) avec les biens éternels et illimités.

N.B. Cette lettre de saint Paul aurait été écrite vers les années 60-62, pendant sa captivité à Rome (cf. Col 4,3.10.18). Elle est adressée aux chrétiens de Colosses, une petite ville d’Asie Mineure (actuelle Turquie). Paul lui-même n’a jamais visité Colosses (cf. Col 2,1). La communauté avait probablement été fondée par Épaphras, un disciple de Paul évangélisé à Éphèse (cf. Col 1,7). C’est lui qui informe Paul de la situation préoccupante des croyants de Colosses. Leur problème n’est pas une persécution, mais une confusion religieuse mêlant christianisme, philosophie grecque et traditions juives, dans une hérésie difficile à définir précisément. Paul écrit pour corriger ces erreurs et affermir la foi des croyants.

 

Évangile (Lc 23, 35-43)

La  traduction et le commentaire sont extraits de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur (Paris). Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. (472 pages). La traduction est réalisée à partir de la Pshitta, le texte liturgique des Église d’Orient. Elle respecte l’oralité, c’est-à-dire les reprises de souffle et le balancement du corps pendant la récitation, aidant à la mémorisation.

Le récitatif de la Passion forme un collier très particulier de 24 perles et ce chiffre suggère qu’il a été conçu pour être récité dans une méditation priante sur 24 heures. Nous avons les perles 20 et 21.

Perle 20. Lc 23, 34b-39 : Qu’il se sauve lui-même !

« 34 Et ils se partagèrent ses vêtements, / et ils les tirèrent au sort.

35 Le peuple se tenait là, / et regardait.

Et les magistrats aussi / se moquaient de lui,
en disant :
‘Il a en a sauvé [vivifiés] d’autres / qu’il se sauve [vivifie] lui-même,
s’il est le Messie / l’élu de Dieu !’

36 Et les soldats aussi / se moquaient de lui,
s’approchant de lui / et lui présentant du vinaigre,
37             en lui disant :
‘Si tu es le roi des Juifs, / sauve-toi [vivifie] toi-même !’

38 Il y avait un écriteau aussi / qui était écrit au-dessus de lui
 en grec, en latin, et en hébreu : / Celui-ci est le roi des Juifs.

39 L’un de ces malfaiteurs-là, / qui avait été crucifiés avec lui,
l’injuriait, / en disant :
‘Si c’est toi / le Messie,
délivre-toi / et délivre-nous [1] aussi !’ »

Le récit de la Passion fait écho, dans le collier compteur, aux tentations de Jésus au désert. L’Accusateur disait à Jésus : « Si tu es le Fils de Dieu… » (Lc 4, 3.9). Au calvaire, les accusateurs de Jésus disent « S’il est le Messie, qu’il se sauve », « si tu es le roi des Juifs, sauve-toi », « si c’est toi le Messie, délivre-toi » (Lc 23, 35.37.39) : à travers eux, Satan réitère ses trois tentations. Or seul un faux prophète se sert des signes dans son propre intérêt, et seuls les hypocrites sont tentés de réclamer un tel miracle : Jésus ne se sauve pas lui-même.

Cette perle exprime aussi l’accomplissement du psaume 22 (21) : « Le peuple se tenait là, et regardait » (Lc 23, 35a) accomplit : « Les gens me voient, ils me regardent » (Ps 22, 18b). « Ils se moquaient de lui » (Lc 23, 35.36) accomplit « tous ceux qui me voient me bafouent, leur bouche ricane » (Ps 22, 8).

« L’un de ces malfaiteurs-là […] l’injuriait, en disant : ‘Si c’est toi le Messie, délivre-toi [verbe paṣṣī] et délivre-nous aussi !’ » (Lc 22, 23) en écho au psaume : « Il s’est remis à YHWH, qu’il le délivre [verbe paṣṣī] » (Ps 22, 9 Bible de Mossoul) !

L’écriteau proclame la royauté du Christ (Lc 23, 38), et le psaume s’achève par l’avènement du règne de Dieu dans le monde (Ps 22, 38-32).

On remarque le mot « Messie » (Lc 23, 35b, et Lc 23, 39). Juifs et Romains n’ont pas compris que la mort de Jésus ne représente pas un affront à sa messianité. Jésus le Messie accomplit les Écritures, et il faut comprendre la mission de Messie.

Cette perle ne donne aucune parole de Jésus, mais ce même psaume suggère quelle était la prière muette de Jésus pendant le vacarme des injures : « C’est toi qui m’as tiré du ventre, dès le ventre de ma mère ; mon Dieu : c’est toi. Ne sois pas loin : proche est l’angoisse, point de secours ! » (Ps 22, 11-12). Il est d’ailleurs possible que ce soit la mère de Jésus qui ait composé cette perle en choisissant de faire référence à ce psaume.

Perle 21. Lc 23, 40-43 : Le « bon larron »

« 40 Et son compagnon le réprimanda / et lui dit :
‘Tu ne crains même pas Dieu, toi aussi ! / Toi ! Tu es sous le jugement !
41 Et, nous, / c’est avec justice selon ce que nous avons mérité,
car, comme nous avons agi, / nous sommes rétribués !
mais celui-ci, rien d’haïssable / n’a été fait par lui.

42             Et il dit à Jésus :
‘Souviens-toi de moi, / Seigneur,
quand tu viendras / dans ton règne !’

43             Jésus lui dit :
‘Amen, je te le dis : / aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis !’ »

Cette perle montre le cheminement du second malfaiteur : il refuse l’injustice, puis il prie Jésus, et, enfin, il reçoit la promesse de vivification.

On peut penser que la grâce d’un tel cheminement est un fruit de la Passion de Jésus, et même, à travers le lien avec le collier compteur, un fruit des victoires de Jésus sur les tentations sataniques.

En prônant la crainte religieuse (Lc 23, 40 cf. Pr 1, 7), le second malfaiteur a rejeté la seconde tentation satanique, en vivant le commandement « Le SEIGNEUR ton Dieu tu adoreras, et à lui seul tu rendras un culte » comme Jésus le disait (Lc 4, 12). Et s’il parvient à exhorter son compagnon à la crainte religieuse, on peut dire que c’est aussi parce qu’il considère droitement Jésus (Lc 23, 41), ce qui le rend ouvert à la grâce du Christ rédempteur.

Le fait qu’il espère que Jésus (le Fils de l’homme) se souvienne de lui quand il viendra (sur les nuées du ciel) dans son royaume signifie qu’il a été capable de se souvenir des lectures entendues dans la liturgie, en particulier le prophète Daniel annonçant le Fils de l’homme (Dn 7) et le Messie souffrant (Dn 9, 26). Ces prophéties qu’il n’avait pas comprises jusque-là, maintenant il a été capable de s’en nourrir ; le titre de roi inscrit au-dessus du crucifié l’a probablement stimulé (Lc 23, 37 les perles s’enfilent). Or, que l’homme doive se nourrir de la Parole de Dieu, c’était la réponse de Jésus à la première tentation de l’Accusateur (Lc 4, 4).

Cet homme, qui a commis la violence, comprend que le royaume de Jésus, qui est à venir, ne se confond pas avec les rêveries messianiques – rien ne sert d’acquérir le pouvoir sur les royaumes de la terre avec les moyens de Satan (cf. Bar Abba).

Luther faisait remarquer que la prière de ce « bon » brigand a dû consoler Jésus [2], certainement ! Jésus, qui a refusé de répondre aux moqueurs (v. 35-38), lui parle avec autorité et lui fait une promesse : « Amen, je te le dis : aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis ! » (v. 43)

Notons que la variante du manuscrit de Cureton « je te le dis aujourd’hui : tu seras avec moi au Paradis » est redondante mais permet de laisser le temps du samedi saint ; de toute façon, là où est le Christ est le paradis, comme le texte admis le dit simplement.

C’est ainsi que saint Éphrem le Syrien souhaite, lui aussi, être accueilli dans le divin jardin[3], (le terme « Paradis », en provenance de la Perse, désigne un jardin d’agrément), et plus loin, il suit la destinée « d’Adam » (il faut inclure sa descendance) qui, mis au contact de la croix, peut retourner vers l’Eden [4].

Puisse cette fête du Christ Roi nous donner l’occasion, et la grâce, comme Jésus et comme bon larron à sa suite, de vaincre les tentations sataniques afin de recevoir de Dieu seul la vie et la délivrance, ce qui nous ouvrira les portes du Paradis.

 

[1] Le latin, le grec et le français donnent partout le même verbe « sauver », mais l’araméen a deux verbes différents. En Lc 22, 35b et 37 nous avons « naḥḥe », impératif du verbe vivre ḥyā conjugué à l’aphael : sauver, vivifier. Mais en Lc 22, 39 nous avons l’impératif du verbe paṣṣī : sauver, délivrer.

[2] M. LUTHER, Evangelien-Auslegung, Vandenhoeck & Ruprecht edition 1938, p. 1202.

[3] ÉPHREM LE SYRIEN, Hymne sur le Paradis8, 1.

[4] ÉPHREM LE SYRIEN, Hymne sur le Paradis, 12, 10

Date de dernière mise à jour : 23/10/2025