- Accueil
- Préparer Dimanche
- Dimanches de ces temps-ci
- 32° ordinaire C - Dédicace du Latran
32° ordinaire C - Dédicace du Latran
Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
https://player.radio-esperance.fr/?webradio=direct
Première lecture (Ez 47, 1-2.8-9.12)
Psaume (Ps 45 (46), 2-3, 5-6, 8-9a.10a)
Deuxième lecture (1 Co 3, 9c-11.16-17)
Première lecture (Ez 47, 1-2.8-9.12)
En ces jours-là, au cours d’une vision reçue du Seigneur, l’homme me fit revenir à l’entrée de la Maison, et voici : sous le seuil de la Maison, de l’eau jaillissait vers l’orient, puisque la façade de la Maison était du côté de l’orient. L’eau descendait de dessous le côté droit de la Maison, au sud de l’autel. L’homme me fit sortir par la porte du nord et me fit faire le tour par l’extérieur, jusqu’à la porte qui fait face à l’orient, et là encore l’eau coulait du côté droit. Il me dit : « Cette eau coule vers la région de l’orient, elle descend dans la vallée du Jourdain, et se déverse dans la mer Morte, dont elle assainit les eaux. En tout lieu où parviendra le torrent, tous les animaux pourront vivre et foisonner. Le poisson sera très abondant, car cette eau assainit tout ce qu’elle pénètre, et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent. Au bord du torrent, sur les deux rives, toutes sortes d’arbres fruitiers pousseront ; leur feuillage ne se flétrira pas et leurs fruits ne manqueront pas. Chaque mois ils porteront des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire. Les fruits seront une nourriture, et les feuilles un remède. » – Parole du Seigneur.
Ce dimanche 9 novembre, nous fêtons la dédicace de la basilique du Latran en l’an 324 par le pape Silvestre Ier sous le règne de l’empereur Constantin, et qui portait cette inscription : “Basilica Salvatoris, quam Constantinus Augustus et mater eius Helena a fundamentis erexerunt” — la basilique du Très Saint Sauveur, que Constantin et sa mère Hélène ont élevée dès les fondations. » (Liber Pontificalis, I, 175). Commémorer la consécration d’un bâtiment du IVᵉ siècle pourrait sembler austère ! Et pourtant, la liturgie ose pour cette fête ce texte flamboyant d’Ézéchiel, plein de mouvement, de jaillissement, de guérison. « Je vis de l’eau jaillir du côté droit du Temple… et partout où parvient l’eau du torrent, tout être vivant qui s’y meut vivra. » (Ez 47,1.9). Saint Jean XXIII, lors de l’ouverture du Concile Vatican II, lançait cette phrase devenue célèbre : « L’Église n’est pas un musée ; elle est comme un jardin qui donne toujours des fleurs nouvelles. » (Discours d’ouverture, 11 octobre 1962). Or Ézéchiel décrit justement un jardin en train de renaître autour du Temple : des arbres innombrables, des fruits chaque mois, des feuilles médicinales. La basilique du Latran, que l’on appelle « mère et tête de toutes les Églises de la ville et du monde » est célébrée non pour ses colonnes, mais parce qu’elle est symbole de la maternité de l’Église : une maternité qui engendre la vie, qui abreuve et guérit.
Le texte insiste sur l’orientation : « vers l’orient » (Ez 47,1). Dans la Bible, l’Orient n’est pas un simple point cardinal : c’est le lieu du lever du soleil, image du Messie. Zacharie, le père de Jean-Baptiste chante : « Grâce à la tendresse de notre Dieu, dans laquelle nous a visités l’Astre d’en haut » (Lc 1,78). En araméen (Pshitta) on a : « le soleil levant d’en haut ». En latin : « Oriens ex alto ».
Dans la tradition chrétienne, prier vers l’Orient n’est pas un détail d’architecture, mais un geste eschatologique : on se tourne vers le Christ ressuscité qui reviendra dans la gloire, « comme l’éclair qui jaillit de l’orient » (Mt 24,27). Dès les IIᵉ-IIIᵉ siècles, la Didascalie des apôtres demande explicitement aux fidèles : « Quand vous priez, tournez-vous vers l’Orient, car c’est le signe du Paradis » (Didascalie, ch. 12). « Et dans les basiliques romaines construites avec l’abside tournée vers l’Ouest (comme Saint-Pierre), le prêtre célébrant se plaçait derrière l’autel de manière à regarder vers l’Orient, et le peuple se retournait avec lui au moment du Canon. » (cf. Joseph Ratzinger (Benoît XVI), L’Esprit de la liturgie, Ad Solem, 2001, p. 82-84. p. 83 ; cf. Uwe Michael Lang, Turning Towards the Lord: Orientation in Liturgical Prayer, Ignatius Press, 2004, p. 35-40). Benoît XVI a réhabilité la valeur du geste oriental (L’Esprit de la liturgie, p. 88), le prêtre « n’est pas tourné vers la communauté, mais, avec elle, tourné vers le Seigneur ». Le pape François n’a pas interdit le ad orientem, mais il a demandé en 2016 à Mgr Sarah (alors préfet du Culte divin) de ne pas imposer de changement général. En Inde, le rite syro-malabar célèbre selon la tradition chaldéenne. Historiquement, la messe y était strictement ad orientem. Mais au XXᵉ siècle, sous influence latine, certaines paroisses sont passées versus populum (face au peuple), ce qui provoqua une contestation interne. En 2021, le Saint-Siège (avec l’accord du pape François) a demandé officiellement que la liturgie de la Parole soit face au peuple mais que la liturgie eucharistique (Consécration et anamnèse) soit vers l’Orient, ad orientem.
Dans la vision d’Ézéchiel, l’eau vient du Temple : c’est d’abord une eau de liturgie. Le texte dit que l’eau jaillit « du côté droit du Temple » (Ez 47,2). Les Pères de l’Église ont vu immédiatement le lien avec la blessure du Christ : « Un des soldats, d’un coup de lance, lui perça le côté, et il sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19,34). Saint Ambroise écrit : « Du côté du Christ s’est ouverte la source dont nous buvons, la source de la vie » (De Sacramentis, IV, 5).
Ce qui frappe dans la vision d’Ézéchiel, c’est que l’eau n’est pas statique. C’est une eau en mouvement. Elle avance, elle gagne du terrain, elle transforme. Elle ne se contente pas de bénir les bords, elle va jusqu’à la mer Morte. Saint Jean Chrysostome commente : « Le Christ ne s’est pas contenté de faire couler la grâce dans des endroits purs ; il est allé dans la boue des âmes pour les faire refleurir » (Homélies sur Ézéchiel, XV).
Ai-je des « mers mortes » en moi ? Des zones où je ne crois plus à la guérison ? Des habitudes que je pense incurables, des relations que je pense irrémédiablement salées ? Saint François de Sales dit : « Il ne faut jamais désespérer de la miséricorde de Dieu ; il passe au travers des cœurs les plus durs comme l’eau s’infiltre dans la roche la plus sèche. » (Introduction à la vie dévote, I,6).
Ézéchiel voit un fleuve vivifiant. « En tout lieu où parviendra le torrent, tous les animaux pourront vivre et foisonner. Le poisson sera très abondant, car cette eau assainit tout ce qu’elle pénètre, et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent ». C’est toute la dynamique missionnaire de l’Église. Saint Grégoire le Grand, méditant ce passage, affirme : « Si tu reçois la grâce et que tu la gardes pour toi, tu la corromps. La grâce n’est pas une mare, elle est un fleuve. » (Homélies sur Ézéchiel, II).
Le prophète décrit des arbres sur les rives du torrent : « Chaque mois ils porteront des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire. Les fruits seront une nourriture, et les feuilles un remède. » (Ez 47,12). « Ce sont les saints qui portent du fruit en tout temps, car ils ne vivent pas d’eux-mêmes, mais de la source. » (Saint Bernard, Sermon pour la Toussaint, I). Et saint Basile précise : « Le fruit, c’est leur exemple ; les feuilles, c’est leur parole qui guérit. » (Homélies sur les Psaumes, VII).
Le Temple et l’eau vive évoquent bien sûr celle que la tradition appelle « le Temple vivant de Dieu » (saint André de Crète, Homélie sur la Dormition, PG 97, 1072). Et de son sein virginal jaillit Celui qui est « la Source de l’eau vive » (Jn 7,38). Elle est le sanctuaire d’où coule le Christ. Si l’Église est une mère, c’est parce qu’elle s’abreuve à sa figure : Marie est le modèle de toute fécondité ecclésiale.
Françoise Breynaert
Psaume (Ps 45 (46), 2-3, 5-6, 8-9a.10a)
Dieu est pour nous refuge et force, secours dans la détresse, toujours offert. Nous serons sans crainte si la terre est secouée, si les montagnes s’effondrent au creux de la mer. Le Fleuve, ses bras réjouissent la ville de Dieu, la plus sainte des demeures du Très-Haut. Dieu s’y tient : elle est inébranlable ; quand renaît le matin, Dieu la secourt. Il est avec nous, le Seigneur de l’univers ; citadelle pour nous, le Dieu de Jacob ! Venez et voyez les actes du Seigneur, Il détruit la guerre jusqu’au bout du monde.
Ce psaume est l’un des Psaumes de l’Emmanuel, c’est-à-dire de ces psaumes où la présence de Dieu est proclamée comme rempart : « Il est avec nous » revient comme un refrain (v. 8 et v. 12 dans le texte complet), en écho direct au nom Emmanuel, « Dieu avec nous » (Is 7,14).
Le psaume commence par une déclaration tranquille mais ferme. Ce n’est pas un cri d’enthousiasme, c’est une certitude posée comme un socle. « Dieu est pour nous refuge et force, secours dans la détresse, toujours offert » (v. 2) Il n’est pas seulement force au moment où tout va bien, mais secours dans la détresse. Il n’est pas secours occasionnel, mais secours toujours offert. Saint Augustin commente que ce refuge n’est pas une forteresse extérieure, mais une présence intérieure qui reste même quand tout vacille autour (Augustin, Enarrationes in Psalmos, Ps 45,5, PL 36).
« Nous serons sans crainte si la terre est secouée, si les montagnes s’effondrent au creux de la mer » (v. 3). Le psaume ne nie pas la secousse. Il ne promet pas un monde stable. Il envisage au contraire le pire : la terre qui tremble, les montagnes qui tombent dans la mer. Voir la montagne basculer dans la mer, c’est voir ce qui semblait indestructible disparaître dans la confusion. Et pourtant : nous serons sans crainte. Cela ne signifie pas que la foi supprime les tremblements, mais qu’elle donne de tenir au milieu d’eux. Le prophète Ézéchiel, lui aussi, a vu un monde secoué mais traversé par un fleuve qui guérit tout sur son passage. L’eau sortait du sanctuaire, elle descendait jusqu’à la mer Morte, et là où elle passait, la vie renaissait (Ez 47,1.9). Le psaume prépare cette même vision.
« Le Fleuve, ses bras réjouissent la ville de Dieu, la plus sainte des demeures du Très-Haut » (v. 5) Ce fleuve ne détruit pas, il réjouit. Il ne submerge pas, il irrigue. Les Pères y ont vu l’image du Christ et de l’Esprit Saint. Origène affirme que ce fleuve, c’est le Christ lui-même, et que ses bras, ce sont les apôtres et les sacrements par lesquels la grâce se répand (Origène, Homiliae in Psalmos, Ps 45,3) Ce fleuve rejoint celui d’Ézéchiel : l’eau part du sanctuaire et guérit tout ce qu’elle touche. Le fleuve qui traverse la ville de Dieu dans le psaume (v. 5) rejoint le fleuve qui surgit du trône de Dieu et de l’Agneau dans l’Apocalypse : « Puis l’ange me montra le fleuve d’eau de la vie, limpide comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau [= Jésus] » (Ap 22,1). Dans les deux cas, ce n’est pas une eau de destruction, mais une eau de joie et de guérison. Dans le psaume, elle réjouit les habitants de la ville ; dans l’Apocalypse, elle fait pousser l’arbre de vie dont les feuilles servent de remède pour les nations (Ap 22,2).
Cette convergence n’est pas un hasard. Le Psautier commence avec le juste qui médite la Loi près d’un ruisseau (Ps 1,3), et il s’achève dans la louange universelle (Ps 150). Entre ces deux pôles, le Psaume 45 offre une première vision d’un monde réconcilié : le chaos des eaux hostiles est dépassé par la douceur d’un fleuve intérieur. Ce psaume devient ainsi une prophétie du Christ, le véritable sanctuaire d’où jaillit l’eau vive (Jn 7,38), et de l’Église, la ville où Dieu demeure déjà par sa grâce. Il offre au croyant un avant-goût de ce que sera la paix finale, quand s’accomplira la prière du Notre Père, après le jugement eschatologique concomitant à la Venue glorieuse du Christ.
« Dieu s’y tient : elle est inébranlable ; quand renaît le matin, Dieu la secourt » (v. 6). Ce qui rend la ville solide, ce n’est pas sa muraille, mais la présence de Dieu. Elle est inébranlable non parce qu’elle ne subit pas de chocs, mais parce que quelqu’un habite en elle. Le secours de Dieu vient au matin. Il ne vient pas immédiatement. Il laisse la nuit faire son œuvre, mais il garantit l’aube. Saint Grégoire de Nysse voyait dans ce matin la Résurrection du Christ, venu secourir l’humanité au moment où tout semblait perdu (Grégoire de Nysse, Homiliae in Canticum Canticorum, 11, PG 44). Le psaume ne promet pas que Dieu nous évitera la nuit, mais qu’il viendra nous chercher au matin.
« Il est avec nous, le Seigneur de l’univers » (v. 8) ; voilà le cœur du psaume. Dieu n’est pas seulement au-dessus ou au-devant, il est avec nous. C’est déjà l’annonce de l’Emmanuel. Saint Athanase disait que ce verset contient toute la théologie de Noël (Athanase, Epistula ad Marcellinum, 10).
« Citadelle pour nous, le Dieu de Jacob » (v. 8b). Dieu est une citadelle, mais pas un bunker. Il ne sert pas à se retrancher du monde, mais à demeurer debout dans le monde. La vraie cité de Dieu ne se reconnaît pas à ses murs, mais à la paix qui y règne, car Dieu y habite. Ce verset peut être lu pour l’Église. Saint Louis-Marie de Montfort dit que Marie est « la véritable Cité de Dieu, que le grand Roi a possédée dans son sein, et dans laquelle il a établi son trône. » (Le Secret de Marie, n° 19) ; « Elle est la Cité de Dieu, la Sion sainte, où la Sagesse éternelle a fait sa demeure. » (L’Amour de la Sagesse éternelle, n° 209).
« Venez et voyez les actes du Seigneur » (v. 9). Le psaume devient invitation. Il ne s’agit plus de réciter une vérité, mais de contempler une œuvre. Ce verset répond à celui d’Ézéchiel où l’homme disait : « viens et regarde le torrent » (Ez 47,6). Dieu ne demande pas d’abord d’analyser sa présence, mais de la voir. Le monde est secoué, mais Dieu agit.
« Il détruit la guerre jusqu’au bout du monde » (v. 9b). Dieu ne vient pas sanctifier nos batailles, il vient les faire cesser. Il n’est pas un allié militaire, il est celui qui désarme. Là encore, le fleuve d’Ézéchiel éclaire ce psaume. L’eau qui descend du sanctuaire n’alimente pas de nouveaux combats, elle guérit la mer Morte. Là où l’eau passe, la vie renaît. Là où Dieu agit, le conflit cesse.
Ce psaume est une école de confiance. Il apprend à ne pas redouter la mer agitée, car un fleuve plus paisible existe. Il apprend à ne pas paniquer dans la nuit, car le matin viendra. Il apprend à habiter la cité intérieure où Dieu demeure. Il apprend à regarder Marie comme la première ville de Dieu visitée par le fleuve. Il apprend à regarder l’Église comme un lit de rivière. Et surtout, il apprend à chercher Dieu non d’abord comme un soutien extérieur, mais comme une présence intérieure.
Deuxième lecture (1 Co 3, 9c-11.16-17)
« Frères, vous êtes une maison que Dieu construit. Selon la grâce que Dieu m’a donnée, moi, comme un bon architecte, j’ai posé la pierre de fondation. Un autre construit dessus. Mais que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction. La pierre de fondation, personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ. Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. » – Parole du Seigneur.
« Frères, vous êtes une maison que Dieu construit » (v. 9). Paul emploie ici le vocabulaire du chantier : il y a un architecte, une fondation, des ouvriers, des matériaux. Il ne dit pas : “vous appartenez à Dieu” ou “vous travaillez pour Dieu”, mais : vous êtes une maison. Il ne dit pas : “vous construisez pour Dieu”, mais : Dieu vous construit. La foi n’est pas d’abord une œuvre que nous faisons pour Dieu, mais une œuvre que Dieu accomplit en nous.
« Selon la grâce que Dieu m’a donnée, moi, comme un bon architecte, j’ai posé la pierre de fondation. Un autre construit dessus. » (v. 10) Paul reconnaît son rôle mais ne s’en glorifie pas : ce n’est pas un mérite, mais une grâce. Comme un architecte, il a posé les bases. Mais il n’est pas le seul à construire. Il y a une continuité entre les ouvriers de Dieu.
« Mais que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction » (v. 10b). Il y a donc une responsabilité personnelle. On peut construire solidement ou fragiliser l’édifice. On peut élever ou fissurer. Paul avertit : il ne s’agit pas seulement de servir, mais de bien servir. Le zèle ne suffit pas ; il faut la justesse. Saint Jean Chrysostome explique que « ceux qui bâtissent avec de l’or et de l’argent sont ceux qui vivent dans la vertu et la sagesse, tandis que ceux qui bâtissent avec du bois, du foin ou de la paille sont ceux qui, tout en restant dans l’Église, se laissent aller aux disputes, aux querelles et à la vaine gloire ; le feu de l’épreuve montrera la valeur de chacun » (Homélie IX sur 1 Co 3, PG 61, 74-76 ; SC 272, p. 171-172).
« La pierre de fondation, personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ » (v. 11). Voilà le centre. L’Église n’est pas fondée sur une idée, ni même sur une morale, mais sur une personne vivante. La fondation n’est pas un souvenir, mais une présence. Le Christ n’est pas seulement l’origine, il est le support permanent.
Le Christ est la fondation et tout ce qui est construit doit lui ressembler. Si quelque chose est posé dessus, mais ne lui correspond pas, cela sonne faux. Comme l’explique saint Jean Chrysostome : « Paul ne dit pas : "J’ai posé un fondement” comme si tout venait de lui ; mais il montre que le fondement est déjà là, immuable, à savoir le Christ. Nous n’ajoutons rien au fondement, nous bâtissons dessus. »
(Homélie IX sur 1 Co 3, PG 61, 73-74 ; SC 272, p. 166-167). D’où la responsabilité : toute œuvre, tout ministère, tout charisme doit être évalué à l’aune de sa conformité à la personne du Christ. Comme le dit Jean Chrysostome : « Si tu poses un autre fondement — la vaine gloire, la philosophie humaine, l’intérêt — tu détruis la structure ; mais si le Christ est le fondement, même si les vents soufflent, l’édifice demeure » (Homélie IX sur la Première aux Corinthiens, PG 61, 75-76 ; trad. SC 272, p. 171).
Le Christ est le critère de discernement. Origène dit : « Que personne n’imagine poser un autre fondement par des doctrines étrangères ; tout ce qui n’est pas construit sur le nom et la croix du Christ ne tient pas » (Origène, Fragments sur 1 Corinthiens, ad 3,11). Et saint Ambroise dit : « Le fondement est ce par quoi l’édifice tient ; si tu changes le fondement, tout s’écroule » (Ambroise, De fide, II,16).
Saint Thomas d’Aquin précise le mode de cette fondation : « Le fondement est le Christ tel qu’il est saisi par la foi et la charité : c’est en croyant au Christ et en l’aimant qu’on est établi sur lui » (Thomas d’Aquin, Commentaire sur la Première aux Corinthiens, chap. 3, leçon 2). Le 25 décembre 2005, Benoît XVI commençait son encyclique « Dieu est amour » en disant : « Le christianisme n’est pas l’idée d’une réforme morale, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne » (Benoît XVI, Deus caritas est, 1)
***
« Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (v. 16) Le langage change : on ne parle plus de maison, mais de sanctuaire. Ce n’est pas seulement un lieu habitable, c’est un lieu sacré. Et Paul ne dit pas : “Dieu visite ce sanctuaire”, mais : il y habite. C’est une affirmation immense : Dieu ne réside plus seulement dans un temple de pierre, mais dans le cœur des croyants. Saint Augustin écrit : « Le chrétien doit marcher en lui-même comme dans un lieu sacré » (Sermon 23).
« Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous » (v. 17). La phrase est dure, mais elle montre la gravité du sujet. Détruire ce sanctuaire, ce n’est pas seulement abîmer des pierres, c’est blesser un frère, diviser une communauté, mépriser son propre corps (par le manque de pudeur). Paul ne parle pas ici d’abord d’ennemis extérieurs, mais du risque de destruction intérieure. Le mal le plus grave n’est pas celui que le monde fait à l’Église, mais celui que l’Église se fait à elle-même. Le temple de Dieu est saint : ce n’est pas un objectif, mais une identité. Il ne dit pas “devenez saint”, mais vous l’êtes déjà — donc ne vivez pas en contradiction avec ce que vous êtes.
Enfin, ce passage rejoint la vision d’Ézéchiel [Éz 47) : Dieu ne veut pas seulement construire une maison solide, il veut habiter et irriguer de l’intérieur.
Saint Louis-Marie de Montfort dit que « Marie est le sanctuaire et l’oratoire du Saint-Esprit où il chante ses plus beaux cantiques » (Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge § 261). « Elle est ce sanctuaire du repos de Dieu, où, sans tache, il a trouvé ses délices » (Lettre 24). Dès lors, contempler Marie comme sanctuaire, ce n’est pas s’éloigner de Paul, c’est entendre jusqu’au bout la portée de son affirmation. La Vierge n’est pas seulement un privilège isolé, elle est la preuve par excellence que le projet de Dieu — faire de l’homme sa demeure — est possible. Elle est la garantie que la parole de Paul n’est pas une abstraction spirituelle, mais un chantier réel où Dieu veut nous conduire : « Le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous » (1 Co 3,17).
Ce que Dieu a réalisé en elle, il veut le réaliser dans toute l’Église. La basilique du Latran est en quelque sorte le rappel historique et tangible de cette vérité : Dieu veut se bâtir un peuple, non seulement dans les cœurs, mais aussi dans l’histoire. Marie en a été le modèle, Paul en a été l’annonceur, et nous sommes appelés à en devenir la réalité.
Évangile (Jn 2, 13-22)
La traduction est faite depuis la Pshitta, le texte liturgique des Églises qui parlent araméen, et elle a reçu l’imprimatur de la conférence des évêques de France.
13 Et la Pâque des Juifs était proche / et Jésus monta à Jérusalem.
14 Et il trouva, dans le Temple, ceux qui vendaient les bœufs, moutons et colombes, / et les changeurs assis.
15 Et il se fit / un fouet de corde,
et, tous, / il les fit sortir du Temple :
et les moutons et les bœufs, / et les changeurs ;
et il renversa leur monnaie / et retourna leurs tables !
16 Et, à ceux qui vendaient des colombes, / il dit :
‘Emportez ceci d’ici ! / Et n’en faites pas, de la maison de mon Père, une maison de commerce !’
17 Et ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : / ‘Le zèle de Ta maison m’a dévoré !’
18 Or les Juifs répondirent / et lui dirent :
‘Quel signe nous montres-tu / pour que tu fasses ceci ?’
19 Jésus répondit / et leur dit :
‘Abattez / ce Temple-ci,
et, en trois jours, / moi, je le relève !’
20 Les Juifs lui disaient : / ‘En quarante-six ans a été édifié ce Temple-ci,
et, toi, / en trois jours tu le relèves ?’
21 Or, lui, il disait [cela] / au sujet du Temple de son corps.
22 Or, lorsqu’il se releva debout de chez les morts, / ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela.
Et ils crurent aux Écritures / et à la Parole que Jésus dit. »
De la Galilée, Jésus est monté à Jérusalem, pour la fête de Pâques. Alliant le geste à la parole, il demande de ne pas faire de la maison de son Père « une maison de commerce » (Jn 2, 15-16). Dans les faits, il dégage l’entrée du Temple en repoussant les activités commerciales plus au sud, à l’endroit réservé, ce qui restitue à la colonnade de Salomon un accès calme et recueilli.
De ce geste, Jésus a fait un geste prophétique. Comme Jérémie l’avait vu avant lui (Jr 7, 11-14), Jésus sait que c’est l’iniquité qui chasse la présence divine du Temple et par conséquent « détruit » le Temple. Jésus annonce cette destruction. Les disciples ne comprennent pas encore sa parole sur le Temple qui sera relevé en trois jours, mais ils « se rappelèrent qu’il est écrit : "Le zèle pour ta maison me dévorera" » (Jn 2, 17). Pour la plupart déjà préparés par Jean-Baptiste, ils perçoivent un appel à la conversion.
Ce texte nous concerne. Cyprien de Carthage (v. 200-258) dénonçait la tiédeur liturgique en écrivant : « Celui qui vient à l’autel sans crainte ou par habitude fait injure au Christ, car il le traite comme une chose commune » (De Lapsis, 16). Saint Jean Chrysostome (v. 349-407) rappelle avec vigueur que « l’Église n’est pas un théâtre où l’on vient pour se divertir, mais une assemblée d’anges où l’on vient pour trembler et s’élever » (Homélie sur l’incompréhensibilité de Dieu, I, 4). Et ailleurs il avertit : « Le temple n’est pas un marché. Ceux qui viennent ici pour parler, bavarder ou se montrer méritent d’être chassés comme les marchands de jadis » (Homélie sur l’Évangile de Matthieu, 90, 1). Saint Thomas d’Aquin (1225-1274), dans la Somme Théologique, précise que « les sacrements n’ont pas été institués pour le jeu ou la vaine parade, mais pour nourrir la foi et sanctifier l’âme » (III, q. 64, a. 2, ad 1). Et à propos de la messe, il affirme que « la messe est un sacrifice véritable ; traiter ce mystère comme une cérémonie extérieure serait un sacrilège » (III, q. 83, a. 1).
Jn 2, 13-22 : Le Temple est orienté vers l’autel des sacrifices et le Saint des Saints, lieu de la divine Présence. Les gens vont au Temple pour être vu de Dieu et leur sacrifice est présenté à Dieu pour qu’il le « touche » de sa présence sanctifiante. Malheureusement, la « vue » peut être obstruée par les affaires, marchands et changeurs, Jésus dégage l’entrée du Temple et annonce qu’il va relever le Temple afin de rétablir le contact, en araméen, le qūrbānā. « qūrbānā » évoque une rencontre vivante avec une présence « réelle ». La racine araméenne du mot qūrbānā signifie au sens premier le fait de « s’approcher » (Mt 8, 5 ; Lc 9, 41-42 ; donc être proche, Mt 4, 17 ; Lc 10, 11) ou même le fait de « toucher » (Lc 7, 39) Le mot qorbân désigne une offrande destinée au Temple. Pour un Oriental, il est évident que dans le culte eucharistique, il faille un contact corporel, un contact qui change quelque chose en soi, comme quand un converti dit : « J’ai rencontré Jésus ». Il n’y a pas de mot pour le dire en grec ou en latin. En grec, on a traduit « qūrbānā » par « Eucharistein », c’est-à-dire « bien rendre grâce » : on s’est ainsi éloigné du sens premier, en insistant sur un aspect particulier de la Rencontre. En latin, l’usage populaire a imposé le mot « Messe ».
Je me réfère maintenant à mon livre : Françoise BREYNAERT, Jean, l’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020. 477 pages.
L’évangile selon saint Jean est un filet d’oralité, ce qui signifie que l’on peut rapprocher l’épisode que nous venons d’entendre (perle 1D) avec d’autres épisodes, dans un fil d’oralité transversal (vertical).
Ainsi, la perle 2D : Jn 5, 1-16 : Jésus qui s’approche et qui voit dans la foule le paralytique qui n’a personne, il lui parle et le guérit, il prend le temps de la rencontre, qui est le sens premier du qūrbānā.
La perle 3D : Jn 6, 59-71 nous fait comprendre que le Pain de Vie nous met en contact (qūrbānā) avec « le Fils de l’homme [remonté] au lieu où il existait auparavant » (Jn 6, 62), ce qui est bien sûr mystérieux : l’expression « les Saints Mystères » est heureuse. Le discours de Jésus à Capharnaüm concernait aussi « le sang » du Fils de l’homme qu’il faut « boire » (Jn 6, 53). C’est ici qu’il faut se souvenir du récit de la Création : « Dieu dit : Faisons l’homme [« Adam » de la racine « dam », le sang] à notre image, comme notre ressemblance [du verbe « damah », ressembler, être consanguin] » (Gn 1, 26). Les Saints Mystères établissent un contact qui réalise cette ressemblance, c’est la réalisation du sens le plus profond du qūrbānā. Pierre le pressent et s’écrie : « Mon Seigneur ! Auprès de qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! » (Jn 6, 68).
Dans la perle 4D : Jn 10, 1-21, il est question du Christ qui est le bon pasteur (v. 14) et qui donne sa vie pour son troupeau. Le sacrifice (qūrbānā) est le sien propre.
Dans la perle 5D : Jn 12, 12-19 : « La foule nombreuse… sortit à sa rencontre » (Jn 12, 12-13). Et Jésus vient à la rencontre de Jérusalem. La foule chante « Hosanna ! », sans bien comprendre encore que Jésus sera Sauveur par son sacrifice. Cet « Hosanna » est repris à la Messe, qui est le qūrbānā chrétien.
Dans la perle 6D : Jn 15, 1-25, Jésus dit :
« Qui demeure en moi, / et moi en lui,
celui-ci produit / de nombreux fruits.
Parce que, sans moi, / vous n’êtes capables de rien faire. » (Jn 15, 5).
Le contact du qūrbānā est ici décrit comme un contact vivifiant, vital.
Dans la perle 7D : Jn 19, 1-16a. Le sang est versé. Jésus est flagellé, couronné d’épines, condamné à la crucifixion.
Dans la perle 8D : Jn 20, 26-31, le Ressuscité dit à Thomas :
« Fais venir ton doigt ici même / et vois mes mains !
Et fais venir ta main / et étends-la dans mon côté ! » (Jn 20, 27).
Le contact (qūrbānā) de Thomas avec Jésus est une rencontre bouleversante avec l’Amour divin. Désormais, Thomas aura la vitalité d’aller très loin sur les routes de la mission, et il portera beaucoup de fruits.
Françoise Breynaert
Date de dernière mise à jour : 11/10/2025