Le purgatoire et la prière pour les défunts

Dans l’Ancien Testament, on connaissait déjà la prière « pour les morts afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés » (2 Mac 12, 45), ce qui ne s’explique que dans la perspective d’un « purgatoire » considéré comme un parvis de la résurrection bienheureuse :

« Car, s'il [Judas Maccabée] n'avait pas espéré que les soldats tombés dussent ressusciter, il était superflu et sot de prier pour les morts, 45 et s'il envisageait qu'une très belle récompense est réservée à ceux qui s'endorment dans la piété, c'était là une pensée sainte et pieuse. Voilà pourquoi il fit faire ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu'ils fussent délivrés de leur péché. » (2M 12, 44-45)

Les martyrs d’Israël (livre des Maccabées) s’inscrivent dans une tradition que le Christ n’interrompt pas mais qu’il confirme :

Lorsque Jésus enseigne que le mauvais serviteur et le serviteur indolent iront là où « seront les pleurs et les grincements de dents » (Mt 24, 51 ; Mt 25, 30), ou quand les vierges folles ne peuvent pas entrer dans la salle des noces (Mt 25, 12-13), on peut remarquer qu’il ne s’agit pas de l’enfer : ce n’est pas le feu de la Géhenne, mais un lieu de douleur, de manque, de profond remord et repentir : c’est ce que l’Eglise appellera le purgatoire. Saint Paul en parle ainsi : « Si l’ouvrage construit par quelqu’un résiste, celui-là recevra un salaire; s’il est détruit par le feu, il perdra son salaire. Et lui-même sera sauvé, mais comme s’il était passé à travers un feu » (1Co 3, 12-15).

Les pères de l’Eglise s’inscrivent dans la même tradition :

Tertullien (155-222), premier des écrivains chrétiens de langue latine, parle des sacrifices offerts pour les défunts : « Nous offrons des sacrifices pour les défunts et pour les martyrs au jour anniversaire de leur mort. La tradition approuve cette pratique qui est en vigueur, la coutume la confirme, et la foi l’observe »[1], Tertullien dit aussi : « La marque du véritable amour d’une veuve pour son mari, c’est lorsqu’elle ne cesse de faire annuellement tout ce qu’elle peut pour adoucir ses souffrances et l’introduire dans le séjour de la lumière »[2].

Saint Athanase (295-373), choisi évêque par le peuple d’Alexandrie, défendit la foi contre ceux qui niaient la divinité du Christ. Il écrit : « Comme la vigne qui fleurit dans les campagnes transmet sa force et le parfum de ses fleurs jusqu’aux vins renfermés dans les caves, de sorte que ceux-ci fleurissent à leur manière, bouillonnent et s’enfuient, de même les âmes souffrantes, renfermées dans le sein de la terre, sentent le parfum de nos prières et du sacrifice que l’on offre pour elles, de sorte qu’elles sont grandement consolées et s’envolent plus tôt vers le Ciel. »[3]

Saint Ephrem (306-373) disait dans son Testament : « Quand mon âme sera sortie de mon corps, accompagnez-la de vos prières. Chantez des psaumes et offrez le saint sacrifice pour un pauvre pécheur qui a passé sa vie avec beaucoup de vanité, et n’a rempli ses jours que d’œuvres de ténèbres. Enfin, daignez vous souvenir de moi encore au 30° jour ; car les morts reçoivent grand secours des prières et des oblations des vivants. »

Cyrille de Jérusalem (315-386) enseignait aux catéchumènes : « Nous adressons à Dieu nos prières pour les défunts, quoiqu’ils aient été pécheurs, en lui offrant Jésus-Christ même, qui a été immolé pour nos péchés, afin que celui qui est plein de bonté et de miséricorde leur devienne favorable ainsi qu’à nous… Que les âmes des défunts sont extrêmement soulagées par cet auguste sacrifice qu’on offre pour elles sur l’autel ! »[4]

Saint Grégoire de Nysse (335-395), faisant allusion à un autre texte de l’Ecriture - « il sera sauvé, mais comme à travers un feu » (1Co 3, 15) - , écrit : « L’esprit sorti du corps… ne pourra devenir participant à la vie divine avant qu’un feu purifiant ait ôté les taches qui adhèrent à son âme »[5].

 

Benoît XVI commente le texte de saint Paul -- « Si l’ouvrage construit par quelqu’un résiste, celui-là recevra un salaire; s’il est détruit par le feu, il perdra son salaire. Et lui-même sera sauvé, mais comme s’il était passé à travers un feu » (1Co 3, 12-15) :

« La rencontre avec Lui est l’acte décisif du Jugement. Devant son regard s’évanouit toute fausseté. C’est la rencontre avec Lui qui, en nous brûlant, nous transforme et nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et s’écrouler. Mais dans la souffrance de cette rencontre, où l’impur et le malsain de notre être nous apparaissent évidents, se trouve le salut. Le regard du Christ, le battement de son cœur nous guérissent grâce à une transformation assurément douloureuse, comme « par le feu ». Cependant, c’est une heureuse souffrance, dans laquelle le saint pouvoir de son amour nous pénètre comme une flamme, nous permettant à la fin d’être totalement nous-mêmes et par-là totalement de Dieu. »[6]

Benoît XVI, au passage, décrit la mort comme une rencontre avec le Christ, ce qui implique aussi « la Bonne Nouvelle aux défunts » (Jn 5, 25, cf. CEC 634-635), appelée dans le Credo la « descente du Christ aux enfers ». Cet élément de notre foi, en plus d’éclairer le sens du purgatoire, éclaire aussi la délicate question de ceux qui n’ont été ni baptisés ni évangélisés durant leur vie.

« Amen, amen, / je vous [le] dis,
l’heure vient --/ et même elle est venue maintenant –
où les morts / entendent la voix du Fils de l’homme,
et ceux qui l’entendent / revivent. 
De la même façon qu’au Père, en effet, / il y a la vie en sa Personne [Qnôma],
Ainsi il l’a donné aussi à son Fils, / pour qu’il ait la vie en sa Personne [Qnôma],
Et il l’autorise à être aussi, / celui qui rend le jugement
Car c’est lui, / le Fils de l’homme. » (Jn 5, 25-28 F. Guigain).

En bref, la prière pour les âmes du purgatoire n’est pas une invention du Moyen âge, elle remonte à l’âge patristique et s’inscrit dans la Bible.

            Pour résumer, le purgatoire,

  • c’est percevoir que l’on a préféré donner plus de valeur à ce qui est vantardise vide plutôt qu’à ce qui est saint et éternel ;
  • c’est percevoir que ce qui est impur ou malsain a besoin de repentir ;
  • pour finalement percevoir que nous avons besoin d’apprendre à être humble, à accueillir le pardon, et à pardonner, pour pouvoir entrer au royaume de l’amour.

 


[1] TERTULLIEN, De corona militis, ch 4

[2] TERTULLIEN, De monogamia, ch 10

[3] Saint ATHANASE, Questiones ad Antiochum, quest 4

[4] Saint CYRILLE DE JERUSALEM, Catéchèses mystagogiques, 5

[5] Saint GREGOIRE DE NYSSE, Oratio de mortuis

[6]Benoît XVI, Lettre encyclique Spe Salvi, sur l’Espérance § 45-47

Françoise Breynaert

Date de dernière mise à jour : 25/11/2019