Tilly-sur-Seulles
Nécessité d’une perspective eschatologique
Les apparitions de Tilly ont commencé le 18 mars 1896 et se sont poursuivies jusqu’en 1906.
En leur temps (1896-1903), les apparitions de Tilly ont dérouté : en pleine troisième République, le message de Notre-Dame demanda de prier pour le futur roi !
Par ailleurs, il y a eu de grands signes dans le ciel de Tilly : ils évoquent l’Apocalypse, et donc le sens de l’histoire. Plusieurs jours de suite (7-10 juillet 1901), le soleil renouvelle une variété de rotations. Sur les prairies, des globes lumineux pleuvent en abondance. Tout le monde peut constater les mêmes phénomènes. Une religieuse de l’école témoigne : « Un certain nombre de personnes étaient groupées auprès de la petite chapelle et disaient apercevoir des boules sortir du soleil. /…/ A huit heures, avant le coucher du soleil, j’aperçus au milieu de cet astre une barre noire, placée horizontalement, ayant de sept à huit centimètres de largeur… Ce que j’ai remarqué, c’est que le soleil tournait avec une rapidité effrayante, tantôt de droite à gauche, tantôt de gauche à droite. » (Déposition écrite de Sœur St. Cléophas)[1]. Marie Martel raconte aussi : « J’ai vu aussi au-dessous du soleil, à plusieurs reprises, comme une grande tenture de deuil /…/ [Une voix lui disait :] « Voilà comme seront les ténèbres… »[2].
A l’heure où de nombreux musulmans rêvent d’établir un califat, avec ou sans « Mahdî », il est plus que temps que les chrétiens explicitent leur espérance. Oui, les chrétiens espèrent le règne de Dieu sur terre, et c’est l’objet de la prière du Notre Père « que ton règne vienne sur la terre comme au ciel ». Cependant, en dénonçant le millénarisme, le magistère veut éviter toutes les illusions idéologiques d’un règne de Dieu sur la terre avant la grâce très spéciale de la venue glorieuse du Christ[3]. Le Catéchisme de l’Eglise catholique veut notamment dénoncer les faux messianismes, qui sont tous fondés sur la négation de la divinité du Christ. Leurs partisans n’attendent rien d’un retour glorieux du Christ qu’ils n’adorent pas ! Mais ils ont gardé l’idée d’un monde parfait. Leurs partisans prétendent, à la place du Christ, juger le monde et éradiquer le mal (les mécréants, les dissidents), par la force policière et militaire. Jésus a demandé de ne pas arracher l’ivraie !
Conscients de ces leurres, il faut encourager une annonce de l’espérance chrétienne qui aille jusqu’au bout du Credo : selon l’Ecriture, le Christ reviendra pour une « restauration » et une « régénération » (Mt 19, 28 ; Ac 3, 21), pour le « salut-vivification des justes » (He 9, 28), sur la terre, accomplissant le règne de Dieu « sur la terre comme au ciel » (Mt 6,10), avant de « remettre » le royaume au Père (1Co 15, 22-28). A la suite de saint Irénée, saint Augustin (sermon 259) parlait du 7° jour (sur la terre dans la grâce de la « Parousie »[4]) avant le 8° jour (l’éternité, au ciel).
Sans doute faut-il entendre dans cette perspective le message du 30 décembre 1903 : « Priez, priez, mes chers enfants, voici venir les grands événements, et c’est au milieu de ces grands événements que vous verrez mon triomphe. Ici, il sera au milieu des larmes et des angoisses… »[5]. Le 1er mai 1906, Marie Martel entend l’annonce du triomphe de Marie, précédée d’une persécution contre l’Eglise. (Et La Vierge demande de prier spécialement à l’intention du pape, Pie X).
Dans cette même perspective s’inscrit la prière pour qu’un roi de France résiste à l’Antichrist et prépare son peuple (et au-delà peut-être) à accueillir la royauté du Christ en sa venue glorieuse ; c’est aussi, en définitive, la prière pour que vienne le Christ dans sa gloire pour anéantir l’Antichrist, instaurant un « monde nouveau » où les hommes s’organiseront sur la terre avec des « rois », et donc aussi un « futur roi de France ».
Un roi vraiment chrétien trouvera dans l’Evangile la voie de la justice, mais aussi de cette douceur dont ce monde a tant besoin : il saura que le jugement du monde ne lui appartient pas, et que seule la venue glorieuse du Christ anéantira l’Antichrist (2Th 2, 8).
Malheureusement, saint Augustin moraliste omit ensuite l’enseignement sur ce 7° jour, risquant de dénaturer l’espérance chrétienne pour le monde soit par un nihilisme (« le monde sera détruit, à quoi bon ? ») soit par une illusion qui assimile le royaume de la Parousie avec ses pâles préparations, et qui a servi parfois à justifier des abus de pouvoir. L’augustinisme a certainement généré une difficulté et même une incapacité à situer les demandes de Notre-Dame de Tilly dans une perspective eschatologique, il n’a pas permis aux responsables du début du XX° siècle de percevoir l’importance des apparitions de Tilly et de les accueillir avec le sérieux qui se doit.
La position de l’Eglise
Le curé, le père Amette, devient évêque de Bayeux en 1898. dès 1901[6], Mgr Amette a une attitude double. Parmi les pèlerins, il est bon et pieux, ouvert et attentif, mais au curé (l’abbé Guéroult) il déclare : « Je ne m’occuperai plus de Tilly : ne vous en occupez plus. Je n’interdis pas le Champ, mais laissez le temps faire l’oubli ! ».
Le père Lesserteur, un prêtre des Missions étrangères de Paris, théologien prépare un important dossier qu’il présente en vingt minutes, le 19 août 1902, au Congrès marial de Fribourg, devant une assemblée de prélats et de recteurs de sanctuaires. On comprend que les apparitions forment un ensemble cohérent et que Marie Martel offre les meilleures garanties d’une voyante authentique. Le vœu d’ouvrir une enquête est admis. Le rapport du père Lesserteur est, sur ordre de Mgr Deruaz, incorporé dans le compte rendu général publié en 1903, revêtu de l’imprimatur de l’évêque de Blois (mais il est interdit à Toulouse !)…
Bref : Tilly est tombé dans l’oubli. Des pèlerinages ont cependant lieu, la Messe étant célébrée dans l’église paroissiale, tenue par des religieux. On peut aussi aller prier le chapelet « au champ ».
Peut-être que notre époque, plus consciente de la « dictature du relativisme » qui règne en nos démocraties républicaines, et mieux formée sur la question de l’eschatologie[7], sera-t-elle plus ouverte pour en comprendre la pertinence et l’actualité ?
Quelques détails des apparitions
L’année 1896 est un anniversaire (1400 ans) du baptême de Clovis qui eut lieu à Reims en l’an 496.
Le 18 mars est la fête de l’ange saint Gabriel. A l’Annonciation, Marie est saluée par l’ange Gabriel comme « pleine de grâce », ce qui signifie que le Seigneur a déversé en elle toute sa grâce, toute sa puissance. L’Auteur du Ciel et de la terre, l’Auteur de la grâce a déversé en elle la puissance de la grâce. Et Marie est devenue la mère du Roi dont le règne n’aura pas de fin… Immaculée, la très sainte Vierge Marie est toute belle, toute sainte, toute puissante, mère des hommes désignée comme telle par son divin Fils au calvaire, elle est mère du monde, reine, souveraine. Depuis 2000 ans, l’Eglise ne cesse d’en faire l’expérience, et c’est ainsi que les enfants de Tilly la reconnurent et l’accueillirent…
Le 18 mars 1896 : la Vierge apparait vêtue de blanc, dans la position de l’Immaculée conception à des enfants qui faisaient leur examen de conscience pour se préparer à la confession. Le lieu choisi par la Vierge Marie, une école catholique, n’est sans doute pas anodin lorsque l’on sait que la même année, en 1896, au Convent du Grand Orient, le franc-maçon Dequaire Grobel affirma : « L’école laïque n’aura porté ses fruits que si l’enfant est débarrassé du dogme, s’il a renié la foi de ses pères, s’il a renoncé à la foi catholique »[8] !
La Vierge fait alors 26 visites aux soixante écolières et aux religieuses. Celles-ci font alors une neuvaine à sainte Anne, pour lui demander, par le Sacré-Cœur de Jésus, d’intercéder auprès de la Sainte Vierge, afin qu’elle daignât leur faire savoir ce qu’Elle désirait. La réponse arrive le 26 juillet (fête de sainte Anne), où les religieuses et les écolières voient une basilique magnifique. Plus tard, s’adressant à Marie Martel (1872-1913), Notre-Dame demande de prier Jeanne d’Arc (1901) et, le 3 mai 1903 elle lui dit : « Il faut prier pour le futur Roi… Un autre monde et un autre règne vont venir… Viendra un règne tout nouveau »[9].
[A lire : Groupe de recherche sur la royauté : Les apparitions de Tilly sur Seules, « un autre règne va venir » Editions du Parvis 2019 – disponible à la Procure].
L’idée d’un roi ne doit pas être confondue avec une restauration de « privilèges ». Pendant la Révolution française, les riches ont fort bien tiré leur épingle du jeu. Le principal privilège qui fut aboli fut celui des corporations des métiers, l’individu étant alors laissé seul, face au jeu du libéralisme économique.
L’idée d’un roi, c’est l’idée d’un pouvoir reçu et transmis : un pouvoir que l’on ne cherche donc pas à conquérir par l’art du discours, les pressions financières, ou les alliances d’intérêt. La royauté ne s’oppose pas à l’exercice d’une forme de démocratie à l’échelle d’un corps de métier, d’une ville, d’une abbaye gérant un vaste domaine, etc.
L’idée d’un roi est aussi celle d’un royaume, donc d’une entité géographique. Un empire a vocation à s’étendre et à soumettre des peuples. Un royaume n’a pas vocation à la conquête mais à rayonner par ses réalisations intérieures.
Le 29 août 1897, lors de la visite de pieuses personnes venues confier leur projet pour l’adoration eucharistique : « à la place de la basilique, la dame fondatrice voyait une pluie de lys. /…/ Marie Martel vit de plus, elle, une magnifique branche de lys qui partit comme au-dessus de l’autel futur et s’en alla jusqu’au bas du champ, là où il lui a été désigné jadis que serait élevé un couvent de Norbertines où elle viendrait »[10].
Comment interpréter cette vision ?
Le Cantique de Cantiques, du roi Salomon, fait dire au Bien-aimé « Je suis le lis des vallées » (Ct 2, 1).
Ce symbole du lys, qui convient si bien au Christ Jésus, époux de l’Eglise, a aussi été choisi par les rois de France. Entre le XII° et le XVII° siècle, la bannière avec des fleurs de lys, souvent sur fond bleu, est utilisée par les rois pour levers les bans ; la bannière de Jeanne d’Arc était blanche, avec des fleurs de lys dorées. C’est pourquoi, dans un contexte français, les lys évoquent la royauté chrétienne.
A Tilly, la vision des lys s’inscrit dans le cadre des grands signes dans le ciel, visions eschatologiques, et il est très intéressant de faire ce rapprochement.
Une royauté chrétienne authentique est vécue comme une annonce du Royaume des Cieux, en sachant qu’elle ne peut être qu’une annonce. Prenons un exemple, dans un couple humain qui se regarde l’un l’autre, l’amour meurt ; mais si le couple se projette dans l’avenir, alors l’amour vit. De même, les réalisations politiques qui préfigurent le royaume de Dieu fonctionnent, paradoxalement, en tant qu’elles sont seulement des annonces. Voulues pour elles-mêmes, elles « ne marchent pas » : toute vision politique d’avenir qui omet la Venue glorieuse devient idéologique, fausse, nuisible.
Le Cantique de Cantiques continue avec ces mots : « Comme le lis entre les chardons, telle ma bien-aimée entre les jeunes femmes » (Ct 2, 2). La Bien-aimée, c’est chaque âme épousée par le Christ, elle devient ressemblante au Christ, elle aussi comme le lis.
Ce symbole du lys décrit l’idéal de la royauté de France qui est d’être à la fois :
- Une alliance entre le roi et le peuple (le roi écoute le peuple et le peuple écoute le roi)
- Une alliance entre Dieu et le peuple, par le roi. Dieu, notre divin Roi, nous dit son amour en nous donnant un roi.
Le « règne tout nouveau » annoncé à Tilly est le règne de l’amour vivifiant : écouter (Mc 12, 29), et aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force (Mc 12, 30 // cf. Dt 6, 2-6), et le second commandement qui lui est semblable est d’aimer ardemment le prochain comme soi-même (Mc 12, 31).
On peut « voir » ce commandement de Jésus dans l’architecture de la basilique :
1. Aimer Dieu de tout ton cœur, avec le Sacré-Cœur (représenté deux fois, sous la coupole et sur la coupole).
2. Aimer Dieu de toute ton âme, avec Jeanne d’Arc, vierge et martyre.
3. Aimer Dieu de tout ton esprit, avec les prophètes, apôtres, évangélistes (six autels à gauche), et avec les évocations des 15 mystères du Rosaire.
4. Aimer Dieu de toute ta force, prêts au combat spirituel, avec l’aide de Saint Michel (représenté deux fois) et de saint Joseph.
Des rois, il y en a de toutes sortes, et il y a aussi des usurpateurs. On se souvient par exemple, dans la Bible, d’Adonias qui, sans en avoir aucun droit, se fit oindre roi par le prêtre Ebyatar, un prêtre corrompu, de la maison d’Eli à Silo. Le sachant, et encouragé par le prophète Nathan, le roi David fit oindre son fils Salomon par le prêtre Sadoc, et Salomon écarta son rival.
La vision d’une magnifique basilique est un message : son dôme, surmonté par le Sacré-Cœur désigne la primauté de cette amitié avec le Christ. Ses multiples évocations du Rosaire (15 marches, 15 autels, etc.) nourrissent cette amitié avec le Christ, car méditer le Rosaire, c’est parler familièrement avec Jésus et avec la Vierge, apprendre par leurs exemples sublimes à vivre de manière humble, patiente et parfaite. Jouxtant la basilique, Notre-Dame demande une œuvre sacerdotale, appelée ensuite la « Fondation Durand ». On y fera vœu d’humilité et de douceur. Et l’on fêtera la Sainte Famille : Jésus, Marie, Joseph, qui à Tilly est apparue en prière.
Dans ce contexte, le futur roi sera inspiré, protégé, soutenu par le Christ. Il sera capable à son tour d’encourager toutes les bonnes volontés.
A Tilly, les apparitions du Sacré-Cœur sont une seconde indication : elles indiquent la source à laquelle le roi devra puiser la Sagesse. Le roi chrétien n’impose pas sa foi, il en montre l’exemple. Le roi chrétien obéit à la loi divine et puise sa force dans la vie que le Christ communique. Les gens sont lassés de tant de pouvoirs humains qui usurpent une sacralité et qui inventent des paraliturgies à leur propre gloire. Que de fois les politiques utilisent des symboles célestes (un aigle, des étoiles, une étoile, etc.) qui n’ont aucun rapport avec une référence au Dieu vivant et qui sont le signe d’une oppression ! Jésus, la Sagesse incarnée, est la vérité qui libère, l’amour qui vivifie. Relier la royauté au Sacré-Cœur est gage de liberté pour le peuple.
Beaucoup de nos contemporains frémissent en entendant : « Il faut prier pour le futur Roi… et pour le Souverain Pontife… » (3 mai 1903) parce qu’ils ont peur d’une tyrannie. Or la tyrannie n’est pas toujours là où l’on pense qu’elle est. Il existe une dictature du relativisme qui contraint à abandonner l’enseignement clair de la foi pour se laisser entraîner "à tout vent de la doctrine". « L'on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Nous possédons, en revanche, une autre mesure : le Fils de Dieu, l’homme véritable. C’est lui la mesure du véritable humanisme. Une foi "adulte" ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans l’amitié avec le Christ. C’est cette amitié qui nous ouvre à tout ce qui est bon et qui nous donne le critère permettant de discerner entre le vrai et le faux, entre imposture et vérité »[11].
La vérité n’est pas à craindre comme quelque chose qui s’imposerait pour faire taire les gens. La vérité est au contraire une source d’inspiration et de vie.
[1] Abbé J.F. VILLEPELÉE, Ibid., tome 2, p. 72
[2] Abbé J.F. VILLEPELÉE, Ibid., tome 2, p. 71
[3] CATECHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE § 675-676
[4] « Parousie » veut dire à la fois « venue » et « présence »
[5] Abbé J.F. VILLEPELÉE, Ibid., tome 2, p. 124
[6] Abbé J.F. VILLEPELÉE, Marie Martel, tome 2, éditions Resiac 1983, p. 106
[7] Cf. Françoise Breynaert, La Venue glorieuse du Christ, véritable espérance pour le monde, Le Jubilé, Paris 2016.
[8] Cité par Mgr de la VILLERABEL, Lettre pastorale de l’année 1926.
[9] Abbé J.F. VILLEPELEE, Marie Martel, tome 2, p. 121
[10] Abbé J.F. VILLEPELEE, Ibid., tome 2, p. 57-58
[11] BENOIT XVI, Homélie "Pro Eligendo Romano Pontifice", 18 Avril 2005
A lire : Groupe de recherche sur la royauté : Les apparitions de Tilly sur Seules, « un autre règne va venir » Editions du Parvis 2019 – disponible à la Procure.