Marie mère de Dieu

« Mère de Dieu » à la lumière de l’araméen (2023)

 

Que ce soit des débats de haut niveau ou des conversations de rue, la connaissance de l’araméen permet d’éclairer d’un jour nouveau les débats sur l’expression « Mère de Dieu ».

Le Nouveau Testament

Un consensus ancien dans la prière

Le titre « Theotokos », le concile d’Éphèse (431)

Le concile d’Éphèse

Conclusion dans l’unité

Le Nouveau Testament

On ne trouve pas le mot « mère de Dieu » dans le nouveau Testament.

Il faut savoir que l’araméen [1] distingue « seigneur [mārā] » et « māryā », avec un « y » qui évoque le tétragramme, c’est le SEIGNEUR (Dieu). Le premier terme est utilisé à la Visitation, le second à Noël.

Quand, lors de la Visitation, Élisabeth s’exclame « comment m’est-il donné que la mère de mon seigneur » (Lc 1, 43), l’araméen a ici « mārā », cependant le récit compare Marie à l’Arche de l’Alliance, donc à celle qui porte la présence de Dieu.

À Noël, les anges annoncent aux bergers : « il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le SEIGNEUR [māryā] » (Lc 2, 11), d’où la formule des églises assyrienne, Marie est « Mère du Christ notre Dieu et Sauveur. » [2]. 

Cependant, en grec, on a le même mot « kyrios » dans les deux cas (Lc 1, 43 et Lc 2, 11), et l’on comprend que les chrétiens de langue grecque ne s’embarrasse pas d’une formule longue « Mère du Christ notre Dieu et Sauveur », mais s’autorisent de la salutation d’Élisabeth pour dire simplement « mère de Dieu », .

Cependant, comme le dit une blague syriaque, si Jésus est fils de Dieu, et Marie la mère de Dieu, Marie est logiquement la grand-mère de Jésus : qui est sa mère ? Et plus tard, les musulmans se moqueront en disant que Dieu a un fils-walad (un fils charnel) et non pas un fils-Ibn (comme le disent les chrétiens). L’expression n’est donc pas si simple à comprendre.

Un consensus ancien dans la prière

Le titre de Marie Mère de Dieu n’est pas d’abord une définition dogmatique, c’est un élan populaire qui expérimente qui est Marie. L’ange a salué Marie pleine de grâce (« grâce-bonté [ṭaybūṯā – racine tb] » (Lc 1, 28) et l’invite à devenir la mère de Jésus, le « Fils du Très Haut » (Lc 1, 30), désormais sa bonté [ṭaybūṯā] va devenir sublime, en symbiose avec la bonté même de Dieu.

Certes, dans la mythologie païenne, il arrivait souvent qu’une déesse fût présentée comme la mère d’un dieu. Zeus, par exemple, le dieu suprême, avait pour mère la déesse Rea. Et la déesse Cybelle était appelée la mère des dieux…

Il faut remarquer cependant que dans les mythologies païennes, le titre « mère de Dieu » n’existait pas, il a été créé par les chrétiens pour exprimer une foi qui n’avait rien à voir avec la mythologie païenne. On a retrouvé sur un papyrus datant des environs de l’an 200 qui contenait cette prière en langue grecque : « Sous ta miséricorde, nous nous réfugions, mère de Dieu. Ne repousse pas nos prières dans la nécessité, mais du danger, libère-nous : toi seule chaste, toi seule bénie. »

Très tôt, le titre Theotokos a donc été utilisé par le peuple égyptien, et Origène (183-254) l’utilise, de même saint Éphrem le syrien ( ? – 373) par exemple dans l’hymne « Marie mère de Dieu pure et vierge » [3], puis saint Grégoire de Naziance…

Le titre « Theotokos », le concile d’Éphèse (431)

Ce qui va déclencher la crise, c’est le rejet du titre « Theotokos » (Mère de Dieu) par Nestorius.

Les ariens, pour qui le titre Fils de Dieu n’est qu’une façon de dire, tentaient de répandre le titre Theotokos afin d’avoir l’occasion d’attaquer la divinité du Christ elle-même. En quelque sorte, si une simple femme, Marie, est dite « mère de Dieu », Jésus n’est donc pas vrai Dieu.

Les Apollinaristes nient l’âme humaine du Christ qui est remplacée par le Logos divin ; dans leur perspective, Jésus n’est pas un homme normal et le titre « Theotokos » prend une signification particulière qui place Marie au rang de Dieu.

Dans l’intention d’écarter ces deux hérésies, Nestorius veut écarter le titre Theotokos, Mère de Dieu [4], mais cette suppression scandalise son peuple.

Le christianisme enseigne que le Christ révèle la face de Dieu que Moïse ne pouvait voir que de dos. En même temps qu’elle est une kénose, un abaissement, l’incarnation est une révélation. La divinité cachée donne cependant à la chair une plus grande gloire qui manifeste et proclame l’union avec la nature cachée [5].

Le malentendu est dû au fait que Nestorius doive s’exprimer en grec alors que sa langue d’origine est l’araméen. Nestorius a un schéma de pensée structuré par le vocabulaire araméen.

Le mot « nature » a son équivalent en araméen.

La notion de « personne » aurait aussi son équivalent au sens de personne visible, le personnage avec son visage et ses gestes, aussi, ce serait alors le mot grec « prosôpon » décalqué en araméen par « parṣopā ». Mais l’araméen a aussi le mot « qnūmā » qui est est invisible ( « essence » ou « nature » ?) et qui signifie la manière personnelle de faire vivre la nature (mais le mot « personne » désigne ce qui visible, comme le personnage de théâtre)... Disons que c’est l’être profond, distinct d’une ombre (He 10, 1), il donne l’adverbe « personnellement », « en son nom propre ». Or il n’y a pas d’équivalent de ce mot en grec.

Dans sa langue araméenne, Jésus a deux natures, la nature divine et la nature humaine. Il a donc deux « qnūmé » au sens qu’en tant que Fils de Dieu, il a sa manière propre de vivre la nature divine, et en tant qu’être humain, il a sa manière propre d’être homme, comme tout homme il est unique. Les deux qnūmé de Jésus sont invisibles, dans son être profond, et les gens ne voient qu’un personnage avec son visage et ses gestes, Jésus n’a qu’un « parṣopā ».

Mais quand Nestorius doit se faire comprendre en grec, il ne dispose pas d’une traduction du mot « qnūmā », en conséquence, il parle tantôt de deux « prosôpa » (l’équivalent des deux qnūmé), et tantôt d’un seul « prosôpa » (l’équivalent de l’unique « parṣopā »).

Nestorius ne comprend rien quand Cyrille lui écrit que l’union se situe au niveau de « l’hypostase », il l’interprète comme un mélange blasphématoire des natures divines et humaines.

L’intention de Nestorius était saine, mais le pape ne le comprit pas.

Le concile d’Éphèse

La méthode du concile d’Éphèse consiste à lire les écrits de Nestorius et de Cyrille et à les juger en se référant au concile de Nicée.

  • La lettre de Cyrille est validée.
  • Les écrits de Nestorius sont condamnés.

Nicée était pour les Pères la formule christologique normative. On y entend : « Un seul et le même est le Fils éternel du Père et le Fils qui, dans le temps, est né selon la chair de la Vierge Marie, celle que nous pouvons, de ce fait, appeler Mère de Dieu » [6].

La vie divine auprès du Père, la descente sur la terre, l’incarnation et l’existence humaine doivent toutes être énoncées d’un seul et même sujet : le Logos qui est consubstantiel avec le Père.

« Nous ne disons pas en effet que la nature du Verbe par suite d’une transformation est devenue chair, ni non plus qu’elle a été changée en un homme complet, composé d’une âme et d’un corps, mais plutôt ceci : le Verbe, s’étant uni selon l’hypostase une chair animée d’une âme raisonnable, est devenu homme d’une manière indicible et incompréhensible et a reçu le titre de Fils d’homme, non par simple vouloir ou bon plaisir, ni non plus parce qu’il en aurait pris seulement le personnage ; et nous disons que différentes sont les natures rassemblées en une véritable unité, et que des deux il est résulté un seul Christ et un seul Fils, non que la différence des natures ait été supprimée par l’union, mais plutôt parce que la divinité et l’humanité ont formé pour nous l’unique Seigneur Christ et Fils par leur ineffable et indicible concours dans l’unité.

Ainsi, bien qu’il subsiste avant les siècles et qu’il ait été engendré par le Père, il est dit aussi avoir été engendré selon la chair par une femme, non point que sa nature divine ait commencé à être en la sainte Vierge, ni qu’elle ait eu nécessairement besoin d’une seconde naissance par elle après celle qu’il avait reçue du Père, car c’est légèreté et ignorance de dire que celui qui existe avant les siècles et est coéternel au Père a besoin d’une seconde génération pour exister,- mais puisque c’est pour nous et pour notre salut qu’il s’est uni selon l’hypostase l’humanité, et qu’il est né de la femme, on dit qu’il a été engendré d’elle selon la chair. » (Seconde Lettre de Cyrille, approuvée par le concile d’Éphèse. DS 250)

« Car ce n’est pas un homme ordinaire qui a d’abord été engendré de la sainte Vierge et sur lequel ensuite le Verbe serait descendu, mais c’est pour avoir été uni à son humanité dès le sein même qu’il est dit avoir subi la génération charnelle, en tant qu’il s’est approprié la génération de sa propre chair. C’est ainsi que nous disons qu’il a souffert et qu’il est ressuscité, non pas que le Dieu Verbe ait souffert en sa propre nature les coups, les trous des clous et les autres blessures (car la divinité est impassible, puisqu’elle est incorporelle) ; mais puisque le corps qui est devenu le sien propre, a souffert tout cela, on dit encore une fois que c’est lui (le Verbe) qui a souffert pour nous : l’Impassible était dans le corps qui souffrait Et c’est de la même façon que nous pensons au sujet de sa mort. Car le Verbe de Dieu est par nature immortel, incorruptible, vie et vivifiant. Mais encore une fois puisque son propre corps a, par la grâce de Dieu, goûté la mort pour tout homme, comme dit Paul (He 2,9), on dit qu’il a souffert la mort pour nous : non qu’il ait fait l’expérience de la mort en ce qui regarde sa propre nature (ce serait folie de dire cela ou de le penser), mais parce que, comme je l’ai dit à l’instant, sa chair a goûté la mort. Ainsi, sa chair étant ressuscitée, on parle de la résurrection du Verbe, non point que le Verbe soit tombé dans la corruption, non certes, mais encore une fois parce que son corps est ressuscité. ...

C’est ainsi qu’ils (les saints Pères) se sont enhardis à nommer la sainte Vierge Mère de Dieu, non que la nature du Verbe ou sa divinité ait reçu le début de son existence à partir de la sainte Vierge, mais parce qu’a été engendré d’elle son saint corps animé d’une âme raisonnable, corps auquel le Verbe s’est uni selon l’hypostase et pour cette raison est dit avoir été engendré selon la chair. » (Seconde Lettre de Cyrille, approuvée par le concile d’Éphèse. DS 251)

EN BREF. Par l’Esprit Saint, le Verbe divin est descendu dans le sein de la Vierge Marie, il n’est pas descendu en un homme qui aurait déjà été conçu [7], il assume en lui-même l’union de la divinité et de l’humanité [8].

Conclusion dans l’unité

La grave hérésie du christianisme est l’arianisme : si Jésus n’est pas Dieu, alors il ne sauve pas, (car qui peut sauver-vivifier sinon Dieu ?). Alors on va se dire : « je vais me sauver tout seul » (spiritualismes gnostiques) ou bien « je vais me prendre pour le sauveur du monde » (messianismes politique). L’hérésie d’Arius est l’hérésie fondamentale, aux conséquences très lourdes.

Dans leur lutte pour défendre la vraie foi en Jésus, les grandes Églises d’Occident et d’Orient ont travaillé leur langage, mais il est arrivé malheureusement qu’elles ne comprennent pas les mots que l’autre choisissait.

Finalement, et heureusement, l’Église catholique et l’Église assyrienne d’Orient (qui n’avait pas participé aux conciles d’Éphèse et de Chalcédoine en 431 et 451) ont fait une déclaration christologique commune le 11 novembre 1994.

« Sa divinité et son humanité sont unies en une seule personne, sans confusion ni changement, sans division ni séparation. [...] L’humanité à laquelle la Vierge Marie a donné naissance a toujours été celle du Fils de Dieu. Pour cette raison, l’Église assyrienne d’Orient élève ses prières à la Vierge Marie comme "Mère du Christ notre Dieu et Sauveur." À la lumière de cette même foi la tradition catholique s’adresse à la Vierge Marie comme "Mère de Dieu" et aussi "la Mère du Christ". Nous reconnaissons la légitimité et l’exactitude de ces expressions de la même foi et respectons la préférence que chaque Église leur donne dans sa vie liturgique et dans sa miséricorde » [9]. 

Françoise Breynaert,

Docteur en théologie (Pontificia facoltà Marianum, Rome)

foi-vivifiante.fr

 

[1] Mes livres préfacés par un évêque irakien me poussent à parler d’araméen plutôt que de syriaque. Le texte syriaque (ou araméen) de la Pshitta de la London Bible Society (Gwilliam) :

G. H. GWILLIAM, Tetraevangelium sanctum, Clarendon Press, 1901

est disponible en ligne :

Avec l’apparat critique : https://archive.org/details/tetraeuangeliums00puse/page/n5/mode/2up

Sans l’apparat critique, mais avec les parallèles dans les vieilles syriaques : (Cureton et Synaïticus) :

http://www.dukhrana.com/peshitta/index.php

Le texte chaldéen édité par les Dominicains de Mossoul est disponible ici :

https://archive.org/details/BibliaSacraIuxtaVersionemSimplicemQuaeDiciturPschittavol.3Mosul1891/page/n101/mode/1up

[2] Déclaration christologique du pape JEAN PAUL II et de sa Sainteté Mar DINKHA IV, patriarche de l’Eglise assyrienne d’Orient.

[3]Hymne à Marie pour l’office des heures, n° 10

[4] cf. NESTORIUS, Nestoriana 273, 6-13

[5] Cf. Cardinal Aloys GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, de l’âge apostolique au concile de Chalcédoine. Cerf, Paris 2003, p. 881

[6] Cardinal Aloys GRILLMEIER, op. cit., p. 922

[7] Erreur rejetée, cf. DS n°256

[9] Déclaration christologique du pape JEAN PAUL II et de sa Sainteté Mar DINKHA IV, patriarche de l’Église assyrienne d’Orient. Texte complet sur le site du Vatican (dicastère de l’unité) : http://www.christianunity.va/content/unitacristiani/fr/dialoghi/sezione-orientale/chiesa-assira-dell-oriente/dichiarazioni-comuni/1994-dichiarazione-cristologica-comune-tra-giovanni-paolo-ii-e-k/texte-de-la-declaration-christologique-commune-.html

8 . As-tu dis : Prenez-moi et ma mère pour deux divinités ? (Soeur Françoise parle aux musulmans)

Compléments et autres approches (2007)

Christologie 19 bis. Par toi, Marie, mère de Dieu... (homélie de l'an 431)

Maternité de Marie et de l'Eglise (2007)

La maternité divine selon saint Paul

 

En Gal 4,4-6 l’apôtre écrit :

« Mais quand vint la plénitude du temps,
Dieu envoya son Fils,
né d’une femme, né sujet de la loi,
afin de racheter les sujets de la Loi,
afin de nous conférer l’adoption filiale.
Et la preuve que vous êtes des fils,
c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie:
Abba, Père ! » (Ga 4,4-6)

a) La divinité du Christ

Galates 4,4 fait partie de ces passages du Nouveau Testament rédigés selon un "schéma d’envoi". On y parle de Dieu (le Père) qui "envoie" (Gal 4,4 ; Rm 8,3-4 ; Jn 3,16 ; 1 Jn 4,9), qui "donne" (Jn 3,16) son propre Fils au monde. Le Fils "envoyé" par Dieu est donc préexistant comme "Fils" du Père, et il passe à une autre forme d’existence, selon la chair : c’est « l’incarnation ». Marie est sa mère selon la chair.

Quand Paul parle de Jésus Christ comme "Fils du Père", il utilise cet appellatif au sens plein. Jésus de Nazareth n’est pas seulement un homme particulièrement cher à Dieu, ou un fils préféré. Il est Dieu au sens véritable. Le Père l’a ainsi révélé, quand il l’a ressuscité des morts par la puissance de l’Esprit Saint (Rm 1,1-4). Et que Jésus soit vraiment tel le montrent aussi les effets de sa venue parmi nous. Par lui, en effet, nous devenons aussi fils de Dieu, en vertu de l’Esprit Saint, qui est l’Esprit de Jésus (cf 2 Thes 2,8 ; 2 Cor 3,17b ; Gal 4,6 ; Rm 8,9 ; Phil 1,19). Devenu, donc "fils dans le Fils", nous pouvons invoquer Dieu avec le nom ineffable de "Père".

b) La maternité de Marie, "maternité divine"

Pour venir en ce monde Dieu a choisi la médiation d’une femme. Bien que la Vierge ne soit pas nommée explicitement en Gal 4,4 c’est d’une femme que le fils de Dieu vient, c’est d’une femme qu’il est né comme fils de l’homme. Il sera aussi le fils de Marie (Mc 6,3 ; et cf Mt 13,55 ; Jn 6,42).

"Né de la femme" est une expression semblable à cette autre : "engendrée par femme" qui apparaît cinq fois dans le livre de Job 11,2.12 dans les LXX; 14,1; 15,14; 25,4, deux fois dans les évangiles (Mt 11,11; Lc 7,28) et quatre fois dans les textes de Qumran (1QS XI, 21; 1QH XIII, 14; XVIII, 12-13.16.23-26).

Elle met l’accent sur la fragilité de la créature humaine, sa bassesse et son impureté: « L’homme, né de la femme, qui a la vie courte, mais des tourments à satiété. » (Job 14,1) ; « Comment l’homme serait-il pur, resterait-il juste, l’enfant de la femme ? » (Job 15,14)

Paul utilise cette expression pour souligner l’abaissement, l’humiliation à laquelle le Fils de Dieu s’est soumis en se faisant homme. C’est ce que l’apôtre dit en Phil 2,5-8. 

"Sous la loi" : c’est-à-dire la loi de Moїse. La société du peuple hébraïque se tenait à la règle de ces commandements qui sont à la fois politiques et religieux. Chacun de nous est enraciné dans une terre, dans une culture, dans un groupe social.

Pour devenir complètement homme, le Fils de Dieu devait naître dans une région déterminée de notre monde. Et cette région, dans les desseins du Père, c’était la Palestine avec ses us et coutumes. Jésus est fils de cette patrie dont il respecte loyalement la loi : ses parents le font circoncire, puis il observe les fêtes, monte au temple, obéit à l’autorité, paie les taxes…

Unique exception, de cette loi il conteste les distorsions, les interprétations de confort imaginées par les égoïsmes de quelques groupes de pharisiens ou de prêtres… alors Jésus dira : " Pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au nom de votre tradition? … vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition." (Mt 15,3.6)[1]

Mt 1, 18-25 : La maternité divine

 

Dans l’annonce à Joseph (Mt 1,18-25), trois phrases (ou expressions) dénotent le caractère divin de l’enfant conçu par Marie[2] :

« L'Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme: car ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint; 21 elle enfantera un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus: car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. Or tout ceci advint pour que s'accomplît cet oracle prophétique du Seigneur:23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera du nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: "Dieu  avec nous." » (Matthieu 1, 20-23)

"Il sauvera son peuple" (Mt 1,21) : cette expression se rapporte uniquement à Dieu.

L’expression "son peuple" est très forte. Le Nouveau Testament, en héritant du langage de l’Ancien Testament, la rapporte cette expression uniquement à Dieu qui avait choisi Israël comme son peuple ; maintenant, par l’œuvre du Christ, il s’est acquis un nouveau peuple, formé aussi des gentils (Ac 15,14; Hé 4,9; 10,30; 1 Pt 2,10; Tt 2,14).

Si dans la première alliance le peuple était exclusivement celui du Seigneur Dieu, YHWH, au temps de la nouvelle alliance il appartient en même temps au Père et au Fils, le Christ. Le nouvel Emmanuel a reçu tout pouvoir au ciel et sur la terre (Mt 28,19). Donc il a aussi "son peuple" (Mt 1,21), qui est le peuple de Dieu (cf. Mt 2,6).

En relation à ce nouveau peuple qu’il s’est acquis, Jésus dira: "Sur cette pierre j’édifierai mon Eglise" (Mt 16,18) "Allez annoncer à mes Frère" (Mt 28,10) "Je suis avec vous…" (Mt 28,20).

"… de ses péchés" (Mt 1,21) : sauver des péchés est une prérogative divine

"… de ses péchés" (Mt 1,21) Ces paroles aussi sont un témoignage indirect de la divinité de Christ.

Nous l’apprenons de la suite de l’évangile. "Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique: Aie confiance, mon enfant, tes péchés sont remis. Et voici que quelques scribes se dirent par-devers eux: Celui-là blasphème." (Mt 9,3)

Marc précise encore mieux : "Qui peut remettre les péchés sinon Dieu seul ?" (Mc 2,7)

"Emmanuel… Dieu avec nous" (Mt 2, 23) : cette appellation doit être comprise dans son sens plein (cf. Mt 28, 20)

Selon la doctrine de Matthieu, cette appellation "Emmanuel… Dieu avec nous" (Mt 2, 23) doit être comprise dans son sens plein, c’est à dire dans son sens post-pascal. Jésus ressuscité, en apparaissant aux disciples, il leur promet: "Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde" (Mt 28,20).

L’Emmanuel n’est donc pas simplement un homme, aussi prestigieux soit-il. On pouvait le penser d’Ezéchias annoncé par Is 7,14. Mais nous sommes ici dans une autre situation. L’Emmanuel-Christ est le ressuscité, qui a révélé sa divinité dans le mystère pascal.

Aussi pour le premier évangéliste, il y n’a absolument aucun doute que le fils de Marie soit de nature unique, un Être divin ! Plus tard Jésus dira : "Il y a ici plus que le temple" (Mt 12,6) "il y a ici plus que Jonas !.. il y a plus que Salomon! " (Mt 12,41.42).

La maternité divine de Marie en saint Luc

 

Dans l’évangile de saint Luc, l’ange de l’Annonciation présente le caractère divin de l’enfant avec le langage de la culture juive, en disant que Marie est comme la tente de la rencontre ou l’arche d’Alliance, autrement dit, le lieu de la présence divine. Dans ce contexte, nous sommes assurés que les expressions « Fils du Très Haut » (Lc 1, 32) et « Fils de Dieu » (Lc 1, 35) ont un sens fort. De même, dans le récit de la Visitation, l’expression « la mère de mon Seigneur » (Lc 1,43) a aussi un sens fort[3].

Lc 1,35 Marie nouvelle tente de la rencontre

Beaucoup d’exégètes pensent que Lc 1,35 a des affinités avec Exode 40,34-35.

Les correspondances entre Lc 1,35 et Ex 40,34-35 seraient les suivantes :

Evangile de Luc : L’Esprit Saint, qui est la Puissance du Très Haut, descend et couvre de son ombre Marie. Donc son sein elle donnera vie à celui qui sera appelé "Fils de Dieu."

Exode : La nuée, symbole de la présence de Dieu couvre et ombrage la tente de la rencontre qui est rempli par la Gloire de Dieu.

Pour ces représentations, cf Ex 16,10 ; 19,9 ; Nm 9,15-22 ; 10,36 ; 1R 8,10-12 (= 2 Cr 5,13-6,2)…

 

La pointe de ces parallèles est l’équivalence entre "la Gloire de Dieu" et l’appellation "Saint-fils de Dieu". En d’autres paroles, l’enfant qui naîtra de Marie sera de nature divine. Les titres de "Saint" et "Fils de Dieu" sont à entendre au sens plein. Lc 1,39-44.56

Marie nouvelle arche

Le récit de la visite de Marie à Elisabeth (Lc 1,39-44.56) semble modelé sur 2 Sam 6,2-16, qui raconte le transport de l’arche d’alliance de Baala de Judas à Jérusalem. Les commentaires mentionnent ces points de contact entre les deux passages:

1. Le voyage soit de l’arche soit de Marie se passe dans le pays de Judas.

2. Dans les deux épisodes ont lieu des manifestations de joie.

3. David et le peuple d’une part et Elisabeth poussent des cris de joie. Elisabeth fut remplie de l’Esprit Saint, et « poussa un grand cri » : le verbe anaphoeô, employé par Lc 1,42, il est utilisé par les LXX exclusivement pour les acclamations liturgiques, spécialement celles qui accompagnent le transport de l’arche d’alliance. La clameur sacrée du peuple devant l’arche est maintenant le cri d’allégresse d’Elisabeth qui, éclairée par l’Esprit, sait qu’elle se trouve devant la nouvelle arche d’Alliance, c’est-à-dire Marie qui porte en son sein la présence de Dieu incarné.

4. La présence de l’arche dans la maison d’Obed-Edom (1 Sam 6,10.11a) et la présence de Marie dans la maison de Zacharie (Lc 1,40a) sont des motifs de bénédiction.

5. Une crainte religieuse pénètre aussi bien David qu’Elisabeth. 6. L’arche stationne dans la maison d’Obed Edom trois mois (2 Sam 6,11) et Marie resta avec le parent âgé "environ trois mois" (Lc 1,56).

 

Marie est comme l’arche d’Alliance, autrement dit, le lieu de la présence divine.

 

Les autres expressions de la divinité de Jésus

"Il sera grand" avait dit l’ange à Marie (Lc 1,32) : l’épithète "grand" est réservée à Dieu dans l’Ancien Testament.

 

Les prérogatives de "Saint, Fils de Dieu" (Lc 1, 35) sont l’effet de l’intervention de l’Esprit dans le sein de la Vierge.

"La mère de mon Seigneur" (Lc 1,43) : Elisabeth honore Marie comme la mère du roi-messie. Mais le contexte proche et lointain nous oblige à entendre le titre "Seigneur" dans un sens transcendant-divin.

La maternité de Marie et sa foi suscite notre reconnaissance

 

La maternité divine constitue le motif principal du culte envers Marie[4].

1) Le caractère tout à fait unique de la maternité de Marie suscite notre vénération

La vénération envers la maternité de Marie apparaît dans l'attitude d'Elisabeth et de Jean Baptiste au moment de la Visitation (Luc 1,39-45) :

-         La simple salutation de Marie révèle l'événement opéré en elle ;

-         Jean Baptiste tressaille parce qu'il est rempli de l'Esprit Saint ;

-         L'Esprit Saint introduit Elisabeth dans le mystère de la maternité de Marie

-         Elisabeth reconnaît Marie comme la Mère du Seigneur

Or, la Visitation (où les verbes sont au présent ou au passé) est le prolongement de l'Annonciation, (où les verbes sont surtout au futur).

La maternité de Marie suscite notre vénération :

-       C'est une maternité virginale : Marie est vierge (Lc 1,27) et dit « je ne connais pas d'homme » (Lc 1,34)

-       C'est une maternité royale : ce fils est de la descendance de David et son règne n'aura pas de fin. Il accomplit les promesses de Nathan (2 Sam 7) et la prophétie d'Is 7,14, qui ont en commun l'initiative unilatérale de Dieu et sa fidélité. Mère du messie davidique, Marie est la « gebirah », la reine mère à qui s'adresse l'hommage et la vénération de tout le peuple messianique. Le prince qui naîtra d'elle n'est pas seulement fils de David, mais Fils de Dieu (on observe la progression entre le v 32 et le v 35).

-      C'est une maternité par l'opération du Saint Esprit, qui de sa puissance divine prend sous son ombre la Vierge Marie, comme la nuée couvrait l'arche de l'alliance et rendait présent le Seigneur.

Une telle maternité virginale, royale, divine, œuvre de l'Esprit Saint, est objet d'une vénération pleine de stupeur de la part d'Elisabeth et de l'Eglise de saint Luc.

2) Le second motif de la vénération de Marie, c'est sa foi :

« Bienheureuse celle qui a cru ! » (Lc 1, 45)

La maternité et la foi sont intimement liées : on ne peut pas les séparer. La foi est au service de la maternité et la maternité divine ne s'explique pas sans elle. Il s'agit d'une adhésion à la Parole à la manière d'Abraham, qui a cru contre toute évidence et fut béni par le don d'un fils.

La foi est l'attitude caractéristique de Marie : son existence est sous le signe de son Fiat initial - véritable option fondamentale - qui illumine tout le reste. En est la preuve aussi l'éloge de la femme de la foule (Lc 11, 27) que Jésus rectifie, la béatitude est celle de ceux qui écoutent la parole et qui la gardent. Le même enseignement émerge de la péricope de la mère et des frères cherchant Jésus (cf. Lc 8,21).

Le Sub tuum praesidium (Sous l'abri de ta miséricorde)

 

Cette prière se disait ici et là, selon de nombreuses variantes quand on a retrouvé en 1917, près d’Alexandrie en Egypte, un papyrus[5] qui contenait cette prière en langue grecque dont la traduction est :

« Sous ta miséricorde, nous nous réfugions, mère de Dieu.

Ne repousse pas nos prières dans la nécessité,

mais du danger, libère-nous :

toi seule chaste, toi seule bénie. »

Un papyrus très ancien

A propos des critères externes (la paléographie qui observe le type de papyrus, la forme des lettres...) et des critères internes qui observent la doctrine, l'un des plus grands spécialistes, G. Giamberardini, résume les avis :

La critique ne semble plus rétive à accepter comme date de composition les dernières décennies du 3e siècle (c'est à dire vers 280). Le jugement des experts est que le papyrus ne peut pas être postérieur au 3e siècle[2]; à une telle datation ne s'opposent plus de motifs d'ordre terminologique ou doctrinal, car il apparaît suffisamment prouvé que l'usage du terme Theotokos dans le milieu alexandrin existait déjà au 3e siècle[3][6].

Contexte de cette prière

Adressé directement à la Vierge, la prière est un appel pressant à la Mère de Jésus, venant d'une communauté chrétienne dans un moment de tentations et de dangers graves.

La région d’Alexandrie est une des régions les plus évangélisées de cette époque, elle évoque l’évangéliste Marc et la tradition de Pierre, la Didachè, la Tradition apostolique… Probablement le Sub tuum praesidium n'est pas apparu à l'improviste mais c'est un fruit mûr de la foi et de la pitié de l'Église égyptienne où la figure d'Origène excelle († 253/254), Origène qui appelait Marie "mère de Dieu". Ce tropaire n'est donc pas isolé dans le contexte du 3e siècle[7]. C’est une époque où la distinction entre la liturgie et la piété populaire serait anachronique. Cette prière est née dans la vie et a été écrite pour être incorporée dans la liturgie.

Ce qui est extraordinaire est le fait que cette communauté égyptienne se tourne alors vers Marie.

La communauté se tourne vers Marie

1° La communauté perçoit le rapport entre Marie de Nazareth, Theotokos, et Jésus.

2° Les auteurs ont conscience du fait que la Vierge est proche de la communauté en danger. Le type de danger n’est pas spécifié (Les persécutions ? Une inondation ?)...

3° De grandes vérités doctrinales y sont exprimées :

- La maternité divine ("Mère de Dieu"), et virginale (" o seule chaste"), l'élection spéciale de la part de Dieu ("o seule bénie").

- L'intercession miséricordieuse ("sous ta miséricorde nous nous réfugions,... sauve-nous").

- La fonction de Marie dans le contexte liturgique où habituellement la grâce de Dieu passe.

 

4° Toute la prière repose sur un fond biblique :

La « bénie » est une expression de Luc,

La prière « délivre du danger » et dans la version ambroisienne « ne soumets pas nos prières à la tentation » sont inspirées du Notre Père enseigné dans les Evangiles.

Etre sous l'abri de ta miséricorde, "comme sous les ailes", évoque les ailes de l’aigle divin qui porte (Dt 32,11 ; Ex 19,4) et qui abrite (Ps 91, 4). Ici, c'est Marie qui abrite : n’oublions jamais qu’il y a dans la Bible le principe de l’assimilation à Dieu: "soyez saints comme je suis saint" (Lv 19)…

Une prière d'invocation confiante en la Vierge, mère de Dieu

Cette prière est une invocation collective à la Vierge mère de Dieu, de caractère liturgique, qui laisse apercevoir la coutume, de la part de la communauté chrétienne, de s'adresser directement à la Vierge en invoquant son aide dans les heures difficiles: "[...] Ne repousse pas nos prières dans la nécessité, mais du danger, libère-nous."

Le texte du Sub tuum praesidium exprime avec une efficacité rare la confiance dans l'intercession de la Vierge: elle qui est la "Mère de Dieu", la "seule pure", la "seule bénie", elle est pour la communauté chrétienne un "refuge de miséricorde". En elle, la communauté se sent sûre[8].

Une prière devenue traditionnelle

Plus tard, au Moyen Age, on trouve cette prière comme antienne du Benedictus, ou associée comme tropaire à l’office des complies, elle eût une énorme diffusion dans les rites d'Occident et d'Orient.

N.B. La « seule chaste » deviendra dans la version latine « la Vierge glorieuse ».

Concile de Constantinople (381)

           

La formule mariale de ce Concile, dans sa version littérale latine du texte grec original est : "Et Incarnatus est de Spiritu santo et Maria virgine".

            Nous voyons dans cette formule très courte, le reflet du récit de l’Annonciation à Marie : « L’ange lui répondit : "L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Luc 1, 35).

            "de" : Par la préposition causale "de", l’action du verbe (incarnatus est) est rapportée en même temps à l’Esprit Saint et à la Vierge Marie, comme à un unique principe composé, divin et humain.

            "Spiritu Sancto", dans le grec original est sans l’article, qui aurait pu légitimer avec sûreté la référence à la troisième Personne de la très sainte Trinité. Cependant rien n’empêche de penser que, vu la clarification sur l’Esprit Saint faite par ce concile, les pères entendaient déjà lui donner précisément un sens personnaliste ; dans la pratique liturgique, l’Esprit Saint est invoqué et adoré.

            "et Maria Virgine", la personne de Marie est grammaticalement et doctrinalement jointe avec l’Esprit Saint comme co-principe humain de l’Incarnation et de l’humanisation du Fils de Dieu pour le salut de l’homme.

            "Maria Virgine" Extrêmement significatif est le terme "Vierge", lié à la personne de Marie comme apposition, non comme adjectif ou attribut. Le texte grec devrait être traduit : "Marie, La Vierge", il indique doctrinalement la caractéristique essentielle, l’élément significatif de l’apport humain à l’Incarnation.

            La valeur de la formule mariale du premier concile de Constantinople est d’exprimer solennellement la fonction maternelle de la Vierge Marie dans l’Incarnation du Fils de Dieu en tant que tel.

            Cette formule se rapporte aussi au but même de l’Incarnation, c’est-à-dire le Fils de Dieu s’est incarné de Marie la Vierge "pour les hommes et pour leur salut."[9]

Le concile d’Ephèse

 

Le titre « Theotokos » dans le contexte des hérésies

            Ce qui va déclencher la crise, c’est le rejet du titre « Theotokos » (Mère de Dieu) par Nestorius. Pourquoi ? Là encore, il faut nous plonger dans le contexte de l’époque et ne pas juger trop vite Nestorius.

         Les ariens, pour qui le titre Fils de Dieu n’est qu’une façon de dire, tentaient de répandre le titre Theotokos afin d’avoir l’occasion d’attaquer la divinité du Christ elle-même. En quelque sorte, si une simple femme, Marie, est dite « mère de Dieu », Jésus n’est donc pas vrai Dieu.

        Les Apollinaristes nient l’âme humaine du Christ qui est remplacée par le Logos divin ; dans leur perspective, Jésus n’est pas un homme normal et le titre « Theotokos » prend une signification particulière qui place Marie au rang de Dieu.

            Dans l’intention d’écarter ces deux hérésies, Nestorius veut écarter le titre Theotokos, Mère de Dieu[10].

            Nestorius s’en prend donc aussi à la doctrine de la communication des idiomes, puisque c’est cette doctrine qui s’exprime dans l’appellation « Mère de Dieu » ou dans l’idée de la Passion de Dieu. En outre, les ariens et les Apollinaristes faisaient un usage abusif de « la communication des idiomes »[11].

         Nestorius veut bien dire que la divinité du Fils « s’approprie » ce qui appartient à son Temple, c’est-à-dire son corps, mais pour lui, cette appropriation est une « suprême et divine conjonction », et ne va pas jusqu’à l’échange des idiomes qui consiste à attribuer les propriétés de l’humanité (la souffrance et la mort) à la divinité du Christ[12].

            Cyrille et les défenseurs de la « communication des idiomes » s’appuient sur le symbole de Nicée qui met tout d’abord en relief la relation du Fils avec le Père à l’intérieur de la divinité avant de parler de sa descente dans l’incarnation. Le Logos est donc le sujet unique d’une double série d’énoncés qui inclut du divin et de l’humain : au Fils sont également attribués les aspects temporels de l’Incarnation. La communication des idiomes applique à l’unique sujet, le Fils, des choses divines et humaines.                                                      

            Nestorius lui-aussi se veut fidèle au concile de Nicée et précise qu’en lisant de près le concile de Nicée, le nom commun aux deux natures, c’est « Christ ». Et par conséquent, il faut appeler Marie « mère du Christ » (et non pas mère de Dieu). Or, ce titre « Theotokos » était largement utilisé par la piété populaire (on a retrouvé sur un papyrus datant des environs de l’an 200 une prière avec le mot »Theotokos ») : en écartant ce titre, Nestorius scandalise son peuple.

            Nestorius veut répondre avec plus de perspicacité à l’hérésie d’Arius ou d’Apollinaire. Il a bien compris que leur deux doctrines sont des tentatives (erronées) d’expliquer l’unité du Christ. Nestorius tente d’améliorer le langage christologique de l’Eglise en parlant de l’unité au niveau du prosôpon, la distinction au niveau des natures.

            Il offre ainsi une réponse à la question de l’unité du Christ sans qu’il ne soit nécessaire d’entrer dans les idées d’Arius ou d’Apollinaire.

            En outre, le mot prosôpon s’inspire de la Bible et évoque le visage, la face de Dieu. Le Christ révèle la face de Dieu que Moïse ne pouvait voir que de dos. En même temps qu’elle est une kénose, un abaissement, l’incarnation est une révélation. La divinité cachée donne cependant à la chair une plus grande gloire qui manifeste et proclame l’union avec la nature cachée[13].

            C’est en réalité une grande avancée, mais ce n’est pas suffisant. En effet, le mot « prosôpon » n’est pas très précis. Chaque nature concrète a son prosôpon, et les deux natures unies dans le Christ ont un seul prosôpon. En conséquence, il parle tantôt de deux prosôpa et tantôt d’un seul. Il ne comprend rien quand Cyrille lui écrit que l’union se situe au niveau de l’hypostase, il l’interprète comme un mélange blasphématoire des natures divines et humaines.

            L’intention de Nestorius était saine, mais le pape ne le comprit pas.

Le concile d’Ephèse

            La méthode du concile d’Ephèse consiste à lire les écrits de Nestorius et de Cyrille et à les juger en se référant au concile de Nicée.

  • La lettre de Cyrille est validée.
  • Les écrits de Nestorius sont condamnés.

            Nicée était pour les pères la formule christologique normative. L’idée que les pères y trouvèrent est que « Un seul et le même est le Fils éternel du Père et le Fils qui, dans le temps, est né selon la chair de la Vierge Marie, celle que nous pouvons, de ce fait, appeler Mère de Dieu »[14].

            La vie divine auprès du Père, la descente sur la terre, l’incarnation et l’existence humaine doivent toutes être énoncées d’un seul et même sujet : le Logos qui est consubstantiel avec le Père.

            Au concile d’Ephèse, l’Eglise, particulièrement inspirée de l’Esprit Saint, s’engage à confesser l’union profonde de la nature humaine et divine du Christ. C’est le Verbe qui est devenu le Fils de l’homme ; le Verbe n’est pas d’un côté et le Fils de l’autre : le Verbe est véritablement devenu Fils de l’homme tout en demeurant Verbe. Ce n’est pas l’union morale d’un homme extérieur au Verbe. Et Dieu n’a pas seulement assumé la personne de Jésus, son personnage : Dieu (le Verbe) a assumé la nature humaine, l’humanité. Répétons-le : il ne s’agit pas d’un homme qui ouvre son cœur pour accueillir Dieu, il s’agit de Dieu qui s’approche de l’homme, qui rencontre l’homme en devenant homme.

​« Nous ne disons pas en effet que la nature du Verbe par suite d’une transformation est devenue chair, ni non plus qu’elle a été changée en un homme complet, composé d’une âme et d’un corps, mais plutôt ceci : le Verbe, s’étant uni selon l’hypostase une chair animée d’une âme raisonnable, est devenu homme d’une manière indicible et incompréhensible et a reçu le titre de Fils d’homme, non par simple vouloir ou bon plaisir, ni non plus parce qu’il en aurait pris seulement le personnage ; et nous disons que différentes sont les natures rassemblées en une véritable unité, et que des deux il est résulté un seul Christ et un seul Fils, non que la différence des natures ait été supprimée par l’union, mais plutôt parce que la divinité et l’humanité ont formé pour nous l’unique Seigneur Christ et Fils par leur ineffable et indicible concours dans l’unité.

Ainsi, bien qu’il subsiste avant les siècles et qu’il ait été engendré par le Père, il est dit aussi avoir été engendré selon la chair par une femme, non point que sa nature divine ait commencé à être en la sainte Vierge, ni qu’elle ait eu nécessairement besoin d’une seconde naissance par elle après celle qu’il avait reçue du Père, car c’est légèreté et ignorance de dire que celui qui existe avant les siècles et est coéternel au Père a besoin d’une seconde génération pour exister,- mais puisque c’est pour nous et pour notre salut qu’il s’est uni selon l’hypostase l’humanité, et qu’il est né de la femme, on dit qu’il a été engendré d’elle selon la chair. » (Seconde Lettre de Cyrille, approuvée par le concile d’Ephèse. DS 250)

            La suite de la seconde Lettre de Cyrille développe de manière très simple ce que l’on appelle aussi l’union hypostatique et la communication des idiomes : les idiomes, ce sont les attributs, comme la soif, la souffrance, la mort. La nature divine et la nature humaine sont distinctes mais les idiomes sont attribués à la même hypostase, à l’unique personne du Verbe incarné. Ainsi, quand Jésus a soif, c’est Dieu qui a soif. Et Marie est appelée Mère de Dieu.

« Car ce n’est pas un homme ordinaire qui a d’abord été engendré de la sainte Vierge et sur lequel ensuite le Verbe serait descendu, mais c’est pour avoir été uni à son humanité dès le sein même qu’il est dit avoir subi la génération charnelle, en tant qu’il s’est approprié la génération de sa propre chair. C’est ainsi que nous disons qu’il a souffert et qu’il est ressuscité, non pas que le Dieu Verbe ait souffert en sa propre nature les coups, les trous des clous et les autres blessures (car la divinité est impassible, puisqu’elle est incorporelle) ; mais puisque le corps qui est devenu le sien propre, a souffert tout cela, on dit encore une fois que c’est lui (le Verbe) qui a souffert pour nous : l’Impassible était dans le corps qui souffrait Et c’est de la même façon que nous pensons au sujet de sa mort. Car le Verbe de Dieu est par nature immortel, incorruptible, vie et vivifiant. Mais encore une fois puisque son propre corps a, par la grâce de Dieu, goûté la mort pour tout homme, comme dit Paul (He 2,9), on dit qu’il a souffert la mort pour nous : non qu’il ait fait l’expérience de la mort en ce qui regarde sa propre nature (ce serait folie de dire cela ou de le penser), mais parce que, comme je l’ai dit à l’instant, sa chair a goûté la mort. Ainsi, sa chair étant ressuscitée, on parle de la résurrection du Verbe, non point que le Verbe soit tombé dans la corruption, non certes, mais encore une fois parce que son corps est ressuscité. ...

C’est ainsi qu’ils (les saints pères) se sont enhardis à nommer la sainte Vierge Mère de Dieu, non que la nature du Verbe ou sa divinité ait reçu le début de son existence à partir de la sainte Vierge, mais parce qu’a été engendré d’elle son saint corps animé d’une âme raisonnable, corps auquel le Verbe s’est uni selon l’hypostase et pour cette raison est dit avoir été engendré selon la chair. » (Seconde Lettre de Cyrille, approuvée par le concile d’Ephèse. DS 251)

 

            Avec le recul des siècles, Nestorius est maintenant mieux compris, et finalement, l’Eglise catholique et l’Eglise assyrienne d’Orient (qui n’avait pas participé aux conciles d’Ephèse de Chalcédoine en 431 et 451) ont fait une déclaration christologique commune le 11 novembre 1994.

« Sa divinité et son humanité sont unies en une seule personne, sans confusion ni changement, sans division ni séparation. [...]

L’humanité à laquelle la Vierge Marie a donné naissance a toujours été celle du Fils de Dieu. Pour cette raison, l’Église assyrienne d’Orient élève ses prières à la Vierge Marie comme "Mère du Christ notre Dieu et Sauveur." À la lumière de cette même foi la tradition catholique s’adresse à la Vierge Marie comme "Mère de Dieu" et aussi "la Mère du Christ". Nous reconnaissons la légitimité et l’exactitude de ces expressions de la même foi et respectons la préférence que chaque Église leur donne dans sa vie liturgique et dans sa miséricorde »[15]

 

Marie, Mère de Dieu, chez Luther

À l'époque de la réforme protestante, la mariologie catholique était plus centrée sur la Vierge Mère de Dieu que sur Marie Nouvelle Ève et sur sa participation à la rédemption.

Pour Luther, dans ce titre "Mère de Dieu" est contenu tout l'honneur de Marie :

« Les "grandes choses" ne sont pas autre chose que ceci : elle est devenue la Mère de Dieu, en une telle oeuvre sont données tant de dons et de si grands biens que personne ne peut les comprendre.

De cela lui vient tout honneur, toute béatitude, ainsi que sa position singulière dans toutes les générations humaines, parce que personne comme elle n'a eu du Père céleste un enfant et un enfant semblable.

Et elle-même ne peut pas lui donner un nom pour sa grandeur immense, et ne peut que déborder d'amour, car ce sont de grandes choses qu’on ne peut ni exprimer ni mesurer. Donc par un mot, en l'appelant "Mère de Dieu", on comprend tout son honneur ; on ne peut ni lui dire ni dire d'elle rien de plus grand, même si on avait autant de langues que sont les feuilles et l'herbe, les étoiles du ciel et le sable de la mer. Aussi le cœur doit réfléchir sur ce que signifie être la "Mère de Dieu". » (Luther, le Magnificat)

"Mère de Dieu", Marie l’est au vrai sens du terme, en tant que Mère du fils de Dieu.

Dans la confession de foi de Luther sur la Cène du Christ, en 1528, on lit :

« Je crois… que Marie, la Vierge sainte est une mère dans le sens le plus vrai du mot et non seulement de l’homme-Christ, comme les Nestoriens l’enseignent, mais du Fils de Dieu comme Luc dit: "celui qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu". Tel est notre Seigneur et le Seigneur de tous, Jésus-Christ, le même de Dieu et de Marie, vrai Fils naturel de Dieu et de Marie, vrai Dieu et homme. » (W 26,501)

Peu avant de mourir, Luther confirme :

« … Le même que Dieu engendra dans l’éternité, elle l’enfanta dans le temps. » (W 50/III,708)

Luther vérifie que le contenu du titre est déjà présent en Lc 1,32 (Fils du Très-haut), Lc 1,43 (Mère du Seigneur) ; Lc 2,11 (Sauveur, Christ, Seigneur) ; Ga 4,4. Ces témoignages prouvent assez que Marie est la Mère de Dieu (W 50,591-592).

 

La façon dont Luther exprime sa foi en "Marie, mère de Dieu" est conforme à celle de la foi catholique.

En utilisant le titre "Mère de Dieu", Luther entend réaliser un recentrement christologique et théologique. En parlant de Marie il veut reconduire la foi au Christ et à travers le Christ à l'action salvatrice exclusive de Dieu.

Jésus, tout en étant vrai homme, n'est pas un homme quelconque. S'il était seulement homme il ne pourrait pas nous sauver. Il est le salut même, le salut en personne, il est Dieu.

D'un autre côté, Jésus-Christ est Dieu dans la chair de l'homme, le Verbe Incarné. Luther s'oppose à la théorie de l’alleosis de Zwingli et à l’extra-calvinisticum du Réformateur de Genève parce qu'ils séparent la divinité de l'humanité du Christ. Plusieurs fois il affirme de ne pas connaître ni adorer d’autre Dieu que Celui qui s'est fait homme : il n’y en a pas d’autre par lequel on puisse trouver le salut. (Entretien de Marburg 1529, W30/III,132)

A présent, si le Christ est Dieu concrètement dans la chair humaine, il est le Fils de Marie en toute sa totalité et non pas simplement comme homme, Marie est la Mère de Dieu.

 

Le titre de "Mère de Dieu" est donc destiné - selon Luther - à manifester la divinité du Christ et à témoigner de l’œuvre de Dieu en Marie :

« Quoiqu’Elisabeth l'ait avec perspicacité reconnue comme la Mère de Dieu, c’est avec une pénétration encore plus grande que la Vierge a vu que Dieu seul est grand en toutes les choses... La Bienheureuse Vierge voit Dieu en toutes choses, elle n'adhère à aucune créature et rapporte tout à Dieu.... la bienheureuse Vierge est ainsi pure adoratrice de Dieu, (purissima cultrix Dei), qui magnifie Dieu seul au-dessus de toutes les créatures » (W 1,60-77: Sermon 1514-1517)

L'accueil que Luther réserve au titre "Theotokos" et l'explication qu'il en donne sont parfaitement dans la ligne de la foi de l'Église.

Extraits de : C.COLLO Maria nel pensiero di Luther, Theotokos 1996, n° 1, p. 220-223

 

 

 

St Matthieu : l’Église engendre le Christ en imitant Marie

Saint Matthieu donne un témoignage très clair sur la maternité virginale de Marie, puis il offre quelques propositions essentielles concernant la maternité de l’Église[16]:

Le mandat missionnaire de l’Église.

Le Ressuscité a laissé cette consigne aux apôtres: « 19 Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, 20 et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde." » (Mt 28,19)

Annonce de la parole et maternité de l’Église.

En prêchant l’évangile, l’Église, fondée sur les apôtres, déploie une mission maternelle. En effet les hommes, en observant la parole de Jésus que prêche l’Église (Mt 28,20) deviennent ses disciples (Mt 28,19). Et c’est de ces disciples que Jésus a dit: « Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m’est un frère et une soeur et une mère. » (Mt 12,49, cf Mc 3,34-35 ; Lc 8,21) en annonçant donc l’Evangile, l’Église offre aux hommes la faculté d’engendrer le Christ, de devenir mère de Jésus. Il y a donc un mystère de génération spirituelle dans l’activité évangélisatrice de l’Église.

 

Fonction de l’Esprit dans la maternité de l’Église.

Matthieu est explicite sur l’intervention de l’Esprit Saint lors de la maternité virginale de Marie (Mt 1,18.20). Pour ce qui est de la maternité de l’Église, le baptême qui scelle l’obéissance à l’enseignement de l’évangile est conféré aussi au nom de l’Esprit Saint (Mt 28,19). Jean Baptiste avait dit: « Pour moi, je vous baptise dans de l’eau en vue du repentir; mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne d’enlever les sandales; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » (Mt 3,11) Le Baptiste voulait dire que Jésus convertirait à sa parole en répandant dans les coeurs le feu de la puissance de l’Esprit.

 Luc 8 : la maternité de Marie et celle de l’Eglise

La scène de l’Annonciation révèle que Marie devient mère du Fils de Dieu grâce au consentement qu’elle donna à la Parole du Seigneur (Lc 1,38) : "Fiat", et grâce à la vigueur de l’Esprit Saint qui la rend féconde (1,35). Or la maternité de Marie apparaît comme le prototype de la maternité de l’Église.[17]

1) L’écoute de la parole et la génération spirituelle du Christ.

L’Église, c’est-à-dire les disciples de Jésus, à l’imitation de Marie, engendre le Christ par une écoute active de la parole de Dieu. Jésus affirme "Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique." (Lc 8,21).

2) L’Esprit Saint et l’accueil de la parole de Dieu.

Comme l’Esprit Saint donna vie à la chair du Fils de Dieu, l’Esprit est à l’oeuvre en faisant que l’homme accueille la parole du Christ, parole qui lui permet de réaliser dans sa propre personne la génération spirituelle du Christ. Il y a de nombreux exemples de cette interaction admirable entre la parole de Dieu et l’Esprit Saint dans le livre des Actes des Apôtres.

 

Saint Jean, la maternité de l'Eglise et de Marie

La génération des croyants est modelée sur la génération virginale du Verbe

« 12 Mais à tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, 13 lui qui ne fut engendré ni du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu. » (Jean 1,12-13)

Ces deux versets suggèrent que l’engendrement des croyants à la filiation divine (v. 12) est modelé sur la génération virginale du Verbe selon la chair (v. 13).

On connaît cependant la précision terminologique de saint Jean : pour Jésus seul est réservé le titre de "yios" (= Fils) alors que les chrétiens sont "tékna" (= fils).

La condition pour devenir fils de Dieu est la foi au Christ : pour naître de Dieu il faut, en effet, accepter le Verbe et croire en son nom (Jn 1,12) c’est-à-dire croire que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu (1 Jn 5,1.4-5; cf Jn 20,31).

C’est la force de l’Esprit Saint qui donne à l’homme de s’ouvrir à la foi et de persévérer en elle. C’est l’Esprit qui introduit peu à peu l’homme à la vérité du Christ toute entière (Jn 16,13; 1Jn 5,6).

À la suite de ce dynamisme de la foi, le croyant qui est né de Dieu transforme son propre comportement dans l’amour (1 Jn 4,7) et la charité envers le frère (1 Jn 3,10), il pratique la justice (1 Jn 2,29) avec la force qui lui vient de la foi dans le Christ, Fils de Dieu et il est apte à vaincre le mal (1 Jn 5,1.4) ; il devient capable de pécher de moins en moins, car il accueille en lui la semence de la parole de Dieu (1 Jn 3,9) et le Christ le préserve du Malin (1 Jn 5,18).

 

La maternité de l’Église et celle de Marie

En saint Jean l’attribut de "mère" n’apparaît pas en référence à l’Église. Cependant, il y a l’équivalent:

L’évangéliste, en effet, en s’adressant à une communauté chrétienne avec le nom symbolique de "Dame Élue", écrit: « Moi, l’Ancien, à la Dame élue et à ses enfants, que j’aime en vérité » (2Jn 1,1 cf. aussi le v. 13: « les fils de ta soeur élue »).

Jean considère les disciples qu’il a évangélisés comme ses enfants. Il les appelle "mes petits enfants" (1 Jn 2,1), "petits enfants" (1 Jn 2,12.28; 3,7.18; 4,4; 5,21), "mes fils" (3 Jn 4).

La maternité spirituelle de l’Église trouve son commencement exemplaire dans la maternité de Marie envers les croyants, proclamée par Jésus sur le Calvaire (Jn 19,25.27) et  scellée dans l’Esprit que Jésus mourant répand (Jn 19,30 ; cf 7,39).

 

Par l'Esprit Saint, elle est Mère du Christ et de l'Eglise

 

Elle est mère de l'Eglise par l'action divine de l'Esprit Saint.

Sans l'Esprit Saint, qui est divin, Dieu n'aurait pas pu se faire homme sans perdre sa divinité. Le Christ s'est incarné de Marie et de l'Esprit Saint (Credo).

Dans l'Incarnation, le rôle de Marie dépend de l'action de l'Esprit Saint.

Il en est de même au moment de la naissance de l'Eglise.

Dans l'Evangile de saint Jean, l'Eglise naît au pied de la croix à l'heure où Jésus remet l'Esprit Saint. La mère de Jésus et les quelques disciples présents forment alors l'Eglise naissante.

Dans le livre des Actes des apôtres, l'Eglise naît au cénacle le jour de la Pentecôte, quand les apôtres et la mère de Jésus, rassemblés dans la prière, reçoivent l'Esprit Saint comme des langues de feu.

S'il est vrai que la mère de Jésus (et il n'y a qu'une mère de Jésus !) peut être appelée à juste titre la « mère de l'Eglise », le mystère de « Marie mère de l'Eglise » est inséparable du mystère de « Marie et l'Esprit Saint » : la Vierge Marie est mère de l'Eglise d'une manière subordonnée à l'action divine de l'Esprit Saint.

 

Par l'Esprit Saint, elle est la mère du Fils de l'homme : Jésus et le royaume.

Nous avons expliqué par ailleurs que dans le livre de Daniel, le Fils de l'homme désigne le Royaume, un royaume dont les qualités d'humanité dénotent avec l'inhumanité et la bestialité des royaumes de ce monde (Dn 7). En prenant ce titre, tout à fait inhabituel pour un homme singulier, Jésus prépare les disciples à comprendre qu'il veut les greffer sur lui pour établir le Règne de Dieu. Ces expressions sont si fréquentes que c'est sur le titre « Fils de l'homme » que se concentre le procès de Jésus. Marie, la mère du Fils de l'homme est donc à la fois la mère qui a donné à Jésus son humanité, et la mère du Fils de l'homme en tant que Royaume auquel sont appelés tous les disciples (ce Royaume, c'est Jésus).  Or Jésus dit à Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'eau et d'Esprit,  nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. » (Jn 3, 5).

 

Par l'Esprit Saint, elle est la fille de Sion qui enfante le messie et le peuple.

Ces considérations rejoignent la prophétie de Michée sur la Fille de Sion qui enfante à la fois un messie-roi et un peuple libéré (Mi 4,1 et 4,9). L'Eglise voit en Marie l'accomplissement de cette prophétie. A l'Annonciation, Marie est saluée par l'ange comme fille de Sion invitée à se réjouir car le Seigneur vient en son sein (Lc 1, 28), et elle conçoit de l'Esprit Saint (Lc 1, 35). Au calvaire, Marie enfante dans la douleur le disciple bien-aimé, et en lui un peuple nouveau (Jn 19, 25-27), et cette heure est aussi l'heure où Jésus remet l'Esprit (Jn 19, 30). L'Apocalypse, au chapitre 12 décrit une Femme qui enfante le messie (Ap 12, 3) et un peuple (Ap 12, 17), et le messie est « un Agneau, comme égorgé, portant sept cornes et sept yeux, qui sont les sept Esprits de Dieu en mission par toute la terre. » (Ap 5, 6).

   

Marie, mère du Fils de l’homme, mère de l’Eglise

« Le titre "Fils de l'homme" n'existait pas en tant que titre à l'époque de Jésus.

Mais on peut sans doute en voir l'esquisse dans la vision de l'histoire universelle relatée dans le livre de Daniel avec les quatre bêtes et le "Fils d'homme". [...]

Les quatre bêtes représentent un pouvoir reposant avant tout sur la violence, un pouvoir de nature bestiale [...]

L'image du "Fils d'homme" qui arrive "sur les nuées du ciel" annonce un royaume absolument nouveau, un royaume "d'humanité". [...]

En tant que tel, le Fils de l'homme (de Daniel 7) ne symbolise pas une figure individuelle, mais il est la représentation du royaume dans lequel le monde parviendra à son but. »[1][18]

 

Nous sommes donc devant une réalité tout à fait nouvelle et surprenante.
Jésus, homme individuel, assume un titre qui désigne un royaume, donc un « collectif ».

L'image de la vigne et des serments, que saint Jean est le seul à transmettre (Jn 15, 1-8), est déjà sous-jacente au titre « Fils de l'homme », contenu dans les quatre évangiles. Et il est légitime de penser que toute une série d'affirmations théologiques que l'on trouve dans les lettres apostoliques ne sont qu'une explicitation de ce que Jésus a dit lui-même en se disant « Fils de l'homme » :

« Il n'est pas simplement un, mais de nous tous avec lui-même il ne fait "plus qu'un" (Ga 3, 28) : il nous transforme en une humanité nouvelle.

Le cortège entrevu de loin par Daniel ("comme un fils d'homme", Daniel 7) devient une personne, mais étant là pour la multitude, cette personne dépasse les limites de l'individu, embrasse une multitude, et devient avec la multitude un seul corps et un seul esprit (1 Co 6, 17). »[19]

Et Jésus veut nous emporter dans sa sainte résurrection, devenant le premier-né d'une multitude de frères (Rm 8, 29).

 

Marie

Jésus s'étant proclamé « Fils de l'homme », l'Eglise primitive a donc regardé Marie comme celle qui est la « mère du Fils de l'homme » : l'Eglise primitive a donc embrassé d'un seul regard la mission de « Marie dans le mystère du Christ et de l'Eglise ».

Le concile Vatican II, en choisissant de situer Marie d'une manière indissociable « dans le mystère et de l'Eglise » est fidèle à la volonté de Jésus se désignant comme « Fils de l'homme ».

Le pape Benoît XVI, en revalorisant le titre « Fils de l'homme » offre finalement un nouveau fondement scripturaire au concile Vatican II qui situe Marie « dans le mystère du Christ et de l'Eglise »[20], et au titre « Marie mère de l'Eglise ».

Marie, mère du Fils de l'homme, est donc la mère de l'Eglise.

Françoise Breynaert (2007)

[1] Cf. A.SERRA, articolo Madre di Dio, nel Nuovo dizionario di mariologia, a cura di de Fiores, ed. san Paolo 1985, p.725-726

[2] A.SERRA, "Madre di Dio", nel Nuovo dizionario di mariologia, a cura di de Fiores, ed. san Paolo 1985, p.726-727

[3] Cf. A.SERRA,  "Madre di Dio", nel Nuovo dizionario di mariologia, a cura di de Fiores, ed. san Paolo 1985, p.729-730

[4] Cf. A.VALENTINI Primi indizi di venerazione della Madre del Signore, dans Marianum, revue de la Pontificia facultas Theologica Marianum, ordinis Fratum servorum S. Mariae, n° 150 1996 , p 329-352.

[5] Aujourd'hui propriété du John Rylands Library de Manchester, édité en 1938 par M.C.H Roberts.

[6] G. GIAMBERARDINI, Il culto mariano in Egitto, vol. I, Studium Biblicum Franciscanum, Gerusalemme 1975, p. 96 note 12. Et p. 111-112.

[7] Ibid., p. 96.

[8] I. CALABUIG, Liturgia (Origini), in Nuovo dizionario di mariologia, p.779.

[9] Cf. S. MEO, “Madre di Dio”, nel Nuovo dizionario di mariologia, a cura di de Fiores, ed. san Paolo 1985, p.731-733

[10] cf. NESTORIUS, Nestoriana 273, 6-13

[11] Cf. Cardinal Aloys GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, Ibid., p. 867

[12] NESTORIUS, Lettre de à Cyrille, DS 251c – cette lettre a été condamnée par le concile d’Ephèse.

[13] Cf. Cardinal Aloys GRILLMEIER, op. cit. p. 881

[14] Cardinal Aloys GRILLMEIER, op. cit., p. 922

[15] Déclaration christologique du pape JEAN PAUL II et de sa Sainteté Mar DINKHA IV, patriarche de l’Eglise assyrienne d’Orient.

[16] Extraits de A.SERRA, article Vergine, nel Nuovo dizionario di mariologia, a cura di de Fiores, ed. san Paolo 1985, p.1436-1437

[17] Extraits de A. Serra, article Vergine, nel Nuovo dizionario di mariologia, a cura di de Fiores, ed. san Paolo 1985, p.1436-1437

[18] JOSEPH RATZINGER, BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, Paris 2007, p. 354-355

et : « Beaucoup d'exégètes supposent qu'il pourrait y avoir derrière ce texte une version où le fils d'homme était aussi une figure individuelle, mais, quoi qu'il en soit, nous ne connaissons pas cette version et elle demeure une hypothèse. Les textes souvent cités de IV Esdras 13 et de l'Ethiopien Enoch, dans lesquels le Fils de l'homme est représenté comme une figure individuelle, sont plus récents que le Nouveau Testament et ne peuvent donc être considérés comme une de ses sources. » Ibid., p. 355

[19] JOSEPH RATZINGER, BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, Paris 2007, p. 362-363

[20] Titre du chapitre VIII de Lumen gentium à Vatican II.

 

 

Faire un don : 
Mentionner "pour les frais du site internet"
France.
Agence: Bailleul (00557)
RIB 30004 01342 00002340548 92
IBAN: FR7630004013420000234054892
BIC: BNPAFRPPARR

 

Date de dernière mise à jour : 18/12/2023