Beauraing : La Mère de Dieu montre son « cœur d’or »
Nous sommes en Wallonie, région francophone de la Belgique (non loin de la France), à 20 km de Dinant, dans le diocèse de Namur. C’est en 1932 une petite bourgade de 2000 habitants environ. A l’angle de la route et du viaduc, une école et un couvent en briques contient un jardin étriqué, séparé du trottoir par un grillage et une aubépine. Cette école est alors dirigée par les Religieuses de la Doctrine Chrétienne de Nancy. C’est l’école du Sacré Cœur… Un nom prémonitoire…
L’Apparition s’adresse à une population qui se modernise, s’urbanise et se déchristianise. Elle s’adresse à des enfants et adolescents qui ressemblent aux autres jeunes de leur temps.
La période des apparitions, du 29 novembre 1932 au 3 janvier 1933 commence la veille de la neuvaine de l’Immaculée conception, pendant l’Avent, et s’achève peu après l’octave de Noël. On peut distinguer :
- Le temps de l’Avent, durant lequel les messages sont assez limités, c’est vraiment un temps d’attente où les enfants apprennent à se tourner vers les réalités d’en-haut.
- Le jour de Noël où Marie n’apparait pas comme pour dire que ce jour-là c’est son Fils qui compte.
- Du 29 décembre au 3 janvier, avec l’apparition de Marie au cœur si lumineux que l’on dira « la Vierge au cœur d’or ».
Les apparitions précèdent de peu l’accession d’Hitler au pouvoir et la seconde guerre mondiale, avec tous les périls et les péchés graves que cette guerre a comporté. L’horizon s’obscurcit donc gravement quand la Vierge Immaculée visite la terre. La nuit du nazisme est sur le point de s’abattre sur toutes ces régions quand la lumineuse apparition vient illuminer les sombres soirées du mois de décembre... L’Apparition accompagne un petit peuple vers Noël, vers ce jour où de nouveau les jours s’allongent et où la lumière revient... Vers ce jour où Jésus vient, comme roi de la paix et joie du Ciel.
Les lieux choisis par Marie sont un message qu’il faut aussi savoir écouter.
La banalité des lieux. Quoi de plus banal qu’une route, une cour d’école, une aubépine, un pont de chemin de fer... L’apparition survient vraiment dans l’ordinaire de la vie, au milieu des aller-venues. Toute sa vie, Gilberte Degeimbre s’étonnera qu’elle soit venue là, et s’attendra à ce qu’elle revienne, aussi simplement, là.
Le viaduc. Comme le train franchit une distance d’une ville à l’autre, le viaduc franchit un obstacle pour unir les hommes les uns aux autres. Marie apparaissant comme quelqu’un qui marche sur un viaduc, ce n’est pas banal et cela symbolise assez bien son rôle pour rassembler l’humanité. C’est un symbole très parlant dans une Belgique divisée en plusieurs communautés linguistiques (français, flamand, allemand), et dans une Europe déchirée par les guerres mondiales.
La grille. Les branches de l’aubépine retombent du côté de l’école et du côté de la rue. Marie apparaît sur une frontière entre l’espace public, laïc dirions-nous, et l’espace d’une école chrétienne. Par cet emplacement, la Vierge semble dire : vous me trouverez dans les institutions de l’Eglise, mais je m’adresse à ceux qui sont en dehors de l’Eglise. D’ailleurs, les parents des voyants, comme nous l’avons dit en introduction, vont très peu à l’église.
L’aubépine. L’arbre plonge ses racines dans la terre et élève ses branches vers la lumière, il unit la terre et le ciel. Marie est déjà apparue sur un arbre (Notre Dame du chêne à Vion par exemple) et cela symbolise assez bien le fait qu’elle a donné au monde celui unit la nature humaine et la nature divine, et qui unit par conséquent le ciel et la terre, l’homme et Dieu.
De plus, l’arbre évoque aussi la croix. Par ses branches épineuses et ses petits fruits rouges, l’aubépine évoque la passion de Jésus avec son couronnement d’épines.
Le jardin. L’aubépine se trouve dans un petit jardin. Dans l’évangile selon saint Jean, la passion de Jésus commence au jardin des Oliviers et s’achève par l’ensevelissement au jardin de Joseph d’Arimathie. C’est aussi le jardin du Cantique des cantiques où l’épouse représente l’humanité et l’époux représente Dieu. C’est aussi le jardin de la Genèse...
Ainsi, à travers les lieux où elle a choisi de se manifester, Marie nous adresse un silencieux message.
Le vendredi 2 décembre, il y a trois apparitions dans la même soirée et quelqu’un a suggéré à Albert de demander son nom à l’apparition.
Vers 18h 30, les enfants viennent au lieu habituel et l’aperçoivent derrière la grille. Ils tombent à genoux comme un seul homme et récitent l’Ave Maria.
- Albert demande : "Êtes-vous la Vierge Immaculée ?"
- La Dame incline la tête en signe d’assentiment.
- Que nous demandez-vous ? reprend-il.
- D’être bien sages, répond-elle.
- Nous le serons, crie Fernande.
Quand, vers 20h 30, l’apparition revient, c’est encore Albert qui l’interpelle :
- Etes-vous bien la Vierge immaculée ?
- De nouveau, elle fait un signe de tête affirmatif.
- Que voulez-vous de nous ?
- Est-il vrai que vous serez toujours sages ?
- Oui, nous le serons toujours, dit l’enfant.
Peu après, un jeune homme s’attarde à fouiller les arbustes avec une lampe électrique. Albert revient en arrière et s’écrie « la revoilà ». Albert récite alors un Ave et annonce que la Vision lui a souri[1].
L’expression « Vierge Immaculée » est un joyeux message. Le mot « Vierge » évoque la stupeur devant la maternité divine et virginale de Marie. Le mot « Immaculée » rappelle sa sainteté, sa fidélité à la grâce. Ce sont deux mots de lumière. La lumière de l’apparition contraste avec la nuit de l’hiver. La Vierge Immaculée contraste avec la nuit du péché, péché de la guerre mondiale qui se prépare, nuit du matérialisme qui videra les églises, sans oublier la nuit de certains péchés spécifiques tels que les réseaux de pédophilie qui traumatiseront à la fin du XX° siècle la ville voisine de Charleroi. La Vierge Immaculée fait le don de sa présence, comme un sourire au cœur de la nuit qui menace.
Ce beau nom est donné pendant la neuvaine de l’Immaculée conception, fêtée le 8 décembre. Le 8 décembre fête la conception immaculée de Marie, sa venue à l’existence, sa sainteté en germe. Le nom « Vierge immaculée » décrit Marie pleinement épanouie dans la grâce qu’elle a reçue à l’aube de sa vie.
Aux enfants, il est demandé deux fois d’être sages.
Dans l’immédiat, pour les enfants, être sage signifiait ne pas pousser trop loin leurs farces - ce qui aurait compromis la transmission du message.
Mais il y a une insistance (deux fois) qui demande à être prise au sérieux.
- « Etre sage » a un sens spirituel profond. La petite Gilberte dira qu’elle a tout de suite compris qu’il s’agissait de vivre selon Dieu. Et comment en douter ? Ces paroles n’ont-elles pas été données dans une lumière céleste ? Etre sage, c’est vivre de Jésus que l’on appelle « la Sagesse éternelle et incarnée ». C’est vivre la Sagesse de l’Immaculée qui se laisse pétrir par l’Esprit Saint. C’est vivre la Sagesse de la croix qui est scandale ou folie quand on n’a pas la foi. C’est vivre la Sagesse comme don de l’Esprit Saint à la Pentecôte.
- « Etre sage » a un sens pour le contexte historique proche. Ce n’est pas seulement à des enfants et des adolescents (tout de même, la plus grande des voyantes va sur ses 16 ans) qu’il est dit d’être sage, c’est au monde entier, et en particulier à cette Europe qui sombre dans la folie des idéologies mortifères.
- « Etre sage » est une parole adressée à des jeunes, et le contexte philosophique lui donne un relief particulier. Au XIX° siècle, on a cru expliquer les comportements humains par l’inconscient. Il existe sans aucun doute des motivations qui restent inconscientes, mais les théories sont tombées dans la déraison quand elles ont poussé les adultes à renoncer à l’exercice de l’autorité devant les jeunes. L’enfant aurait toujours raison et il faudrait laisser s’exprimer son inconscient. Autonomie totale de l’enfant, permissivité, refus de l’autorité, responsabilité parentale au moindre problème, ne pas frustrer, ne pas brider, ne pas sanctionner... En demandant à des enfants et à des adolescents d’être sages, la Vierge Immaculée corrige les germes d’une dérive qui cependant prendra une ampleur importante en Europe, comme nous le savons bien.
« Etre sage », ou avoir le cœur sage, c’est ressembler ou se laisser inspirer par Marie. En effet, dans la 28ème Messe votive en l’honneur de la Vierge Marie, « le cœur immaculé de Marie », la préface eucharistique s’adresse à Dieu le Père en lui rendant gloire car : « Tu as donné à la Vierge Marie un cœur sage et docile pour qu’elle accomplisse parfaitement ta volonté ; un cœur nouveau et doux, où tu pourrais graver la loi de l’Alliance nouvelle ; un cœur simple et pur, pour qu’elle puisse concevoir ton Fils en sa virginité et te voir à jamais ; un cœur ferme et vigilant pour supporter sans faiblir l’épée de douleur et attendre avec foi la résurrection de ton Fils. »
D’une manière très sobre et très simple, l’apparition demande ensuite une chapelle et un pèlerinage. La demande d’une chapelle en dit long sur Marie, elle est celle qui nous conduit à Jésus, à l’Eucharistie, à l’Eglise. Faire un pèlerinage, c’est faire l’expérience fraternelle de l’Eglise en marche, avec Marie, « la première en chemin ».
Samedi 17 décembre :
- Au nom du clergé, que voulez-vous que nous fassions pour vous ?
- Une chapelle.
- Oui, nous vous le promettons... oui, nous vous la ferons construire.
Mardi 19 décembre :
- Etes-vous bien la Vierge Immaculée ?
Signe de tête affirmatif.
Le jeudi 29 décembre, Fernande vit un Cœur d’Or nimbé de grands rayons qu’au moment de s’en aller, en écartant les bras, la Vierge découvrit sur sa poitrine.
Le vendredi 30 décembre, les quatre filles virent la même particularité. Un moment, Fernande se tut, c’est qu’elle entendit, expliqua-t-elle ensuite, l’Apparition lui dire : « priez, priez beaucoup ».
Le samedi 31 décembre, enfin Albert à son tour constate que la Vierge a un cœur d’or. »
La Vierge Marie montre son cœur et demande de prier. Prier en regardant le cœur de Marie, prier avec le cœur, et dans un cœur à cœur.
Là encore, la symbolique est très forte.
La Vierge Marie porte une auréole avec des rayons dorés comme le soleil, et elle montre un cœur d’or.
C’est un cœur de lumière, transparent à la lumière, et cette lumière, c’est le Christ.
L’or au dehors, et l’or au-dedans. Dans l’Ancien Testament l’Arche d’Alliance, lieu de la présence de Dieu, était revêtue d’or au-dedans et au dehors. Marie, en tant que mère de Dieu, est la nouvelle Arche d’Alliance.
Celle qui se montre avec un cœur d’or est sur l’aubépine, qui avec ses petits fruits rouges et ses épines symbolise particulièrement bien l’arbre de la croix. Comme les rayons dorés de son auréole signifient ses bonnes pensées, son cœur d’or signifie l’amour de son cœur éprouvé. Il faut en effet prier beaucoup pour avoir « sur la croix » des pensées inspirées par l’amour.
Enfin, celle qui se montre maintenant avec un cœur d’or avait d’abord marché sur le viaduc, en signe de l’unité qu’elle voulait réaliser, et que son Fils réalise par sa mort sur la croix.
La vision du cœur d’or est un merveilleux message, qui, justement, dépasse les mots !
Le 1° janvier, Albert n’a rien vu ni entendu. Les filles ont vu l’apparition. Ceux qui entouraient les enfants n’ont pas été sans admirer quelle force, et même quelle violence, il a fallu déployer pour arracher de terre, après la vision, les deux Gilberte qui y semblaient enracinées.
Le lundi 2 janvier, l’apparition avertit : « Demain, je dirai quelque chose à chacun de vous en particulier ».
Le mardi 3 janvier, l’apparition dit quelque chose effectivement à chacun en particulier.
A Andrée Degeimbre, qui s’est toujours montrée particulièrement heureuse pendant les apparitions, l’apparition dit : « Je suis la Mère de Dieu, la Reine des cieux, priez toujours. Adieu ! » La Vierge Marie est en effet devenue Mère de Dieu à l’Annonciation, à peu près à l’âge d’Andrée (14 ans)… Le titre « Mère de Dieu » est celui par lequel l’Eglise vient de célébrer Marie dans l’octave de Noël. Quant au titre « Reine des cieux » doit particulièrement réjouir Andrée, elle qui a perdu son père il y a un an, car ce titre, en évoquant le ciel, réaffirme l’existence de ce séjour bienheureux. « Priez toujours » est un appel à la prière permanente, à vivre un état de prière. Non pas à réciter des prières à longueur de temps (quoique l’on puisse dire de petites invocations ferventes assez souvent), mais à s’unir à Dieu par le cœur, toujours, comme la Vierge « au cœur d’or ».
Le titre « Reine des cieux » explique pourquoi on fête les apparitions le 22 août, mémoire liturgique de « Marie reine ».
Gilberte Voisin (13 ½), qui, rappelons-le, est venue dans l’école des sœurs parce qu’elle avait perdu l’appétit, l’apparition dit : « Je convertirai les pécheurs », un secret, puis Adieu. Certainement, ces paroles ont été une source d’espérance pour Gilberte. Attention, l’apparition n’a pas dit qu’elle convertira « tous » les pécheurs, comme si les hommes seraient prédéterminés de toute façon à devenir finalement bons (c’est l’hérésie de « l’apocatastase »). Le triomphe de « son Cœur immaculé » n’enlève rien au jugement dernier. Dieu, comme la Vierge Immaculée respecte la liberté de chacun, et l’apparition a simplement dit : « je convertirai les pécheurs », ce qu’il faut placer dans le contexte et entendre comme une invitation à prier, et à prier pour les pécheurs avec confiance, à les mettre par la prière dans le cœur de Marie, dans son « cœur d’or », parce qu’elle est capable d’agir pour leur conversion.
A Gilberte Degeimbre : un secret, puis Adieu.
A Albert Voisin : un secret, puis Adieu.
Les quatre premiers enfants s’en vont (après chaque apparition ils se rendent séparément dans des lieux d’interrogatoire)
Quant à Fernande Voisin, elle n’a encore rien vu, et elle reste.
La Vierge s’est ensuite montrée pour elle seule, mais dans une « boule de feu » que tous les témoins ont pu voir :
- Aimez-vous mon fils ?
- Oui ! a-t-elle répondu avec le transport que l’on sait.
- M’aimez-vous ?
- Oui !
- Sacrifiez-vous, pour moi !
Sur ces derniers mots, l’Apparition a disparu.
C’est un esprit d’amour qui envahit l’aînée des voyantes. C’est par l’Esprit d’amour que Fernande dit « oui ! ». Le sacrifice est un moyen de prouver l’amour. Est-ce qu’un peu de l’amour du « cœur d’or » de Marie ne serait pas passé dans le cœur de son enfant ?
C’est ainsi que s’achèvent les apparitions de Beauraing.
Le pèlerinage le plus imposant sera celui du 5 août 1933 avec plus de 100.000 pèlerins (et 33 trains spéciaux de malades). Le culte public a été autorisé en 1943 et les apparitions ont été reconnues en 1949 par l’évêque du lieu, Mgr Charue.
Tous les voyants se sont mariés. Albert a travaillé en Afrique puis il est rentré à Beauraing comme instituteur. Fernande a fait l’admiration de son entourage par sa grande générosité. Les autres ont mené au milieu de leur vie ordinaire une intense vie de prière et d’union à Dieu.
L’école a été déplacée et la communauté des religieuses est devenue internationale, capable d’accueillir des pèlerinages provenant l’Amérique latine ou de Corée… Mais bien sûr, de nombreux pèlerinages se font à pied, depuis la proche région. C’est pour une chaque pèlerin une démarche dont on revient différent, embrasé de charité.
Dans le contexte de la montée du nazisme en 1933, le titre « la Vierge immaculée » rappelle qu’il n’existe pas de soi-disant surhommes qui n’aient besoin d’être sauvé du péché originel.
- Le titre « Mère de Dieu » rappelle que tout homme mérite le respect car Dieu s’est fait homme et son berceau a été la terre d’Israël.
- Le titre « Reine des Cieux » rappelle que la mort est un passage vers l’au-delà où bourreaux et victimes trouveront leur juge ou leur sauveur : toute idée humaine d’une « solution finale » n’est qu’une myopie.
A travers ces trois titres, c’est aussi la lumière d’une bénédiction céleste qui nous est communiquée. Bénédiction de la Vierge immaculée, dont la beauté fait tressaillir de joie. Bénédiction de la Mère de Dieu dont l’intercession puissante et le sourire maternel nous rassure. Bénédiction de la Reine des Cieux qui veut pour nous la joie sans fin.
[1] Omer ENGLEBERT, Les apparitions de Beauraing, Paris 1933, p. 72