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15° dimanche ordinaire (C)
Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
(Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30).
Première lecture (Dt 30, 10-14)
Psaume (Ps 68, 14, 17, 30-31, 33-34, 36ab.37)
Deuxième lecture (Col 1, 15-20)
Première lecture (Dt 30, 10-14)
Moïse disait au peuple : « Écoute la voix du Seigneur ton Dieu, en observant ses commandements et ses décrets inscrits dans ce livre de la Loi, et reviens au Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme. Car cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. Elle n’est pas dans les cieux, pour que tu dises : ‘Qui montera aux cieux nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ Elle n’est pas au-delà des mers, pour que tu dises : ‘Qui se rendra au-delà des mers nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. » – Parole du Seigneur.
« Écoute la voix du Seigneur ton Dieu » (Dt 30, 10) : c’est-à-dire porte ton attention, dirige ton attention vers le Seigneur. C’est le Seigneur ton Dieu, celui qui t’a créé, et qui t’aime, et qui est proche de toi, qui est même « à toi » : il est « ton » Dieu qui se donne à toi et veut se communiquer à toi.
La relation à Dieu n’est pas floue, mais elle est précise, nette. « Écoute la voix du Seigneur ton Dieu, en observant ses commandements et ses décrets inscrits dans ce livre de la Loi » (Dt 30, 10). Il est dit de ne pas avoir d’autre divinité que Dieu, de lui consacrer un jour de la semaine, et, avant tout, on l’oublie souvent, de se souvenir que « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Dt 5, 6). Ah oui ! Le Seigneur nous a libérés. Alors « reviens au Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme ». L’apparence, le statut social, l’extérieur, c’est une chose, mais Dieu voit l’intérieur. « Reviens au Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme ». Et la loi dit d’honorer ses parents, de ne pas tuer (on peut tuer par des attitudes méprisantes qui dépriment les autres), ne pas commettre d’adultère (ni d’impudicité), ne pas voler, ne pas mentir, ne pas entretenir de jalousie et de convoitise (parce que c’est le début du meurtre, de l’adultère ou du vol) (Dt 5, 16-21). « Reviens au Seigneur ton Dieu ».
La Loi de Dieu est possible : « cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte » (Dt 30, 11). C’est possible, parce que celui qui nous donne cette loi est le Créateur, c’est mon Créateur qui me donne cette Loi, comme un mode d’emploi de l’existence qu’il m’a donné, comme les instructions pour construire la vie qu’il m’offre à vivre. Il est possible de marquer le dimanche, il est possible d’avoir des gestes qui honorent nos parents, il est possible de ne pas tuer, ni blesser les autres, il est possible de vivre sans commettre d’adultère, sans mentir, il est possible de vivre sans voler, sans cultiver de convoitise et de jalousie. « Car cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. […] Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. » (Dt 30, 11.14).
La loi divine est donnée avec une grâce divine, une aide, un secours divin.
La mettre en pratique requiert un acte de volonté. La volonté est une force intérieure ressentie comme une énergie physique, toujours à disposition. Ce n’est pas l’impulsion de courte durée. Le docteur Vittoz expliquait que celui qui fait usage de sa volonté « prend appui sur l’air qu’il garde dans sa poitrine pendant un bref instant, ce qui augmente la tension du pouls et la circulation ».* Ensuite, la conscience « sent que, sa décision prise, elle n’a plus à se préoccuper du but, ni de ce qu’elle a voulu ; l’essor de son énergie est donné, c’est le calme. »**
L’intention, qui n’est que l’idée de départ, ne doit pas être confondue avec la volonté, qui opère le passage à l’acte. On peut mettre une certaine force dans son intention, illusion d’énergie, comme on peut se sentir sincère dans l’intention de bien faire et se donner l’illusion de la vérité.
La Loi de Dieu est possible à vivre. Je veux la vivre. Cela passe par le « je » conscient : « je décide », un « je » libre de toute recherche de soi, de toute flatterie, de toute gloire personnelle, dégagé de sa propre image. Je pratique la Loi de Dieu dans une finalité d’amour. Je veux pratiquer la Loi de Dieu pour la gloire de Dieu. Je pratique la Loi de Dieu parce que je me donne à mon Dieu, je m’abandonne à mon Dieu.
La Loi de Dieu « est dans ta bouche et dans ton cœur » (Dt 30, 14). La volonté n’est pas une tension volontariste qui correspond à l’idée exagérée du « il faut ». Là où il y a une attitude vraie et sincère, tout se passe d’une manière souple et harmonieuse. La Loi de Dieu « est dans ta bouche et dans ton cœur ». La Loi de Dieu est lumière, et elle est source de liberté.
Le commencement de la sagesse, « c’est le désir très vrai de l’instruction, le souci de l’instruction, c’est l’amour, 18 l’amour, c’est l’observation de ses lois, l’attention aux lois, c’est la garantie de l’incorruptibilité, 19 et l’incorruptibilité fait qu’on est près de Dieu ; 20 ainsi le désir de la Sagesse conduit à la royauté. 21 Si donc trônes et sceptres vous plaisent, souverains des peuples, honorez la Sagesse, afin de régner à jamais » (Sg 6, 17-21).
La Loi de Dieu est éternelle, elle vient de la vie éternelle et conduit à la vie éternelle, l’éternelle Vie : la mettre en pratique conduit à l’incorruptibilité parce qu’elle conduit à participer à la vie divine. On ne participe pas à la vie divine au milieu des adultères, ou des vols et des mensonges. Mais quand on respecte la loi divine, alors, on entre aussi dans la vie divine, et quand on pratique le repos du jour du Seigneur, on goûte à l’éternité.
La volonté de Dieu sera un jour pleinement vécue sur la terre comme au ciel, et ceux qui font les commandements de Dieu « règneront », ils seront couronnés de la royauté, une royauté qui s’exerce sur soi-même et sur le monde. Certes, Dieu est roi et nous disons que le Christ est roi, mais il veut aussi nous couronner et nous faire participer à sa royauté. C’est le message de la parabole des mines dans l’évangile de Luc : le bon serviteur règne sur 10 villes (Lc 19, 17), c’est aussi le message de l’Apocalypse : les serviteurs de Dieu « régneront pour les siècles des siècles » (Ap 22, 5).
Dès maintenant, même en étant dans une situation d’oppression sociale, celui qui pratique les commandements de Dieu participe de la royauté divine. Alors que celui qui jouit des richesses et du pouvoir, s’il bafoue la Loi divine, il n’est qu’un vil personnage.
*Roger VITTOZ, Traitement des psychonévroses par la rééducation du contrôle cérébral, Desclée de Brouwer, groupe Artège, 2016 (première édition 1907), p. 84
** Roger VITTOZ, Traitement… op. cit. p. 91
Psaume (Ps 68, 14, 17, 30-31, 33-34, 36ab.37)
Moi, je te prie, Seigneur : c’est l’heure de ta grâce ; dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi, par ta vérité sauve-moi. Réponds-moi, Seigneur, car il est bon, ton amour ; dans ta grande tendresse, regarde-moi. Et moi, humilié, meurtri, que ton salut, Dieu, me redresse. Et je louerai le nom de Dieu par un cantique, je vais le magnifier, lui rendre grâce. Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : ‘Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu !’ Car le Seigneur écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés. Car Dieu viendra sauver Sion et rebâtir les villes de Juda : patrimoine pour les descendants de ses serviteurs, demeure pour ceux qui aiment son nom.
L’homme humilié est voûté, appesanti, courbé sous le poids d’un déshonneur. Mais Dieu l’aime et le vivifie, il le redresse. Qui n’a jamais été quelque peu courbé sous un fardeau qui dévalorise ? Ce peut alors être l’heure de la tentation de chercher un échappatoire pour cacher sa faiblesse, un stratagème pour cacher sa faute, ou chercher une vengeance contre celui qui a causé l’humiliation. Mais cela peut aussi être l’heure de la grâce.
« MOI, JE TE prie, Seigneur, c’est l’heure de TA grâce » :
Le psalmiste se met en prière. Le « MOI », c’est l’homme qui arrive avec ses soucis, sa situation, ce qu’il a, ce qu’il a à faire, ses relations. Le « JE », c’est l’homme avec sa responsabilité, sa décision de bien faire. Le « TOI », c’est le Seigneur, son Créateur, celui qui donne la grâce. « C’est l’heure de ta grâce ». En un sens, c’est toujours l’heure de la grâce de Dieu, car tout est dans sa main. Mais nous ne ressentons pas la présence divine de la même manière tout le temps. « C’est l’heure de ta grâce ». C’est le moment de faire une pause, de se reconnecter avec le Seigneur et avec son amour. Le « moi » dépose ses soucis, prend de la distance avec ses préoccupations.
« Dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi, par ta vérité sauve-moi ». C’est le moment de se faire aimer par Dieu. Il nous aime d’un « grand amour ». Il nous maintient dans l’existence avec un grand amour, un amour bien plus grand que celui d’un artiste pour son œuvre.
« C’est l’heure de ta grâce », c’est l’heure de « la vérité » : « par ta vérité sauve-moi ». Vérité des faits, vérité des actes, vérité des paroles, vérité sur Dieu, vérité sur nous-mêmes.
Pour le moment, le psalmiste est « humilié, meurtri », la vérité, c’est d’abord ce ressenti : il a été rabaissé, ce qui est noble en lui n’a pas été reconnu, son travail n’a pas été reconnu à sa juste valeur, son amour a été méprisé et son cœur est blessé, il ressent jusque dans son corps une meurtrissure. C’est peut-être aussi votre cas, à vous qui écoutez. Accueillir la vérité de cette meurtrissure. On ne consent pas à l’injustice à laquelle au contraire on s’oppose, mais on peut accueillir la meurtrissure, on peut consentir à la douleur que l’on ressent face au scandale du monde. Dieu sait, et il compatit.
L’homme n’est pas seul. On peut tout dire à Dieu. « C’est l’heure de ta grâce ». Ce n’est plus l’heure de ressasser, c’est l’heure de s’exposer à l’amour de Dieu, c’est l’heure où la tendresse divine va se poser sur la meurtrissure du cœur.
« C’est l’heure de ta grâce », c’est l’heure où le grand amour de Dieu va poser son regard sur ce qui n’a pas été aimé à sa juste mesure.
« Par ta vérité sauve-moi », la vérité, ce n’est pas seulement ma meurtrissure personnelle, c’est aussi la vérité de l’ensemble des acteurs, et les autres ne se réduisent pas à ce mal qu’ils ont commis. Ils ont aussi leur histoire, leur fardeau. Cette vérité aussi est source de vie…
Le salut, c’est la vivification. C’est la vie. Dieu vous aime et vous redresse. Dans la vérité. Dieu n’est pas là pour entretenir les illusions que l’on a sur soi-même, mais pour nous redresser, dans l’humilité.
« Réponds-moi, Seigneur, car il est bon, ton amour ; dans ta grande tendresse, regarde-moi. Et moi, humilié, meurtri, que ton salut, Dieu, me redresse.
Et je louerai le nom de Dieu par un cantique, je vais le magnifier, lui rendre grâce. Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : ‘Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu !’ »
Après avoir fait l’expérience du regard d’amour de Dieu qui m’ennoblit, je peux aussi inviter les autres à venir à Dieu et à le chercher. Ceux qui participeront à cette joie, ce sont les pauvres, ceux qui se savent pauvres, ceux qui sont humbles, ceux qui savent que ce qu’ils ont, ils l’ont reçu de Dieu, y compris ce qu’ils ont fait de bien.
Sans cette pauvreté intérieure, il n’y a pas de cadeau reçu, il n’y a pas de fête.
Sans cette pauvreté intérieure, on est toujours à vouloir donner, à montrer l’exemple, à donner des conseils, à donner des leçons, mais on ne connaît rien de cette fête où l’on pleure de joie de se voir aimé de Dieu.
Sans cette pauvreté intérieure, on est exposé à être humilié, à tomber de la haute tour où l’on se tient perché. Mais celui qui est humble ne peut pas tomber de haut, il ne peut qu’être redressé et élevé par le Seigneur.
« Car le Seigneur écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés. » Cette expérience a été celle de tout un peuple, un peuple qui a été humilié par l’invasion de l’Empire de Nabuchodonosor, un peuple meurtri de voir sa ville sainte détruite, son Temple saccagé, son roi partir en exil les yeux crevés.
« Car le Seigneur écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés. Car Dieu viendra sauver Sion et rebâtir les villes de Juda : patrimoine pour les descendants de ses serviteurs, demeure pour ceux qui aiment son nom. » Il s’agit, dans le psaume de la reconstruction après la dévastation par les armées de Nabuchodonosor, la reconstruction au retour d’exil, au temps de Zorobabel, du prophète Agée, etc.
Pour chacun de vous aussi, qui traversez un temps d’épreuve, il y aura un temps de reconstruction. Et quand c’est le Seigneur qui reconstruit, c’est toujours surprenant. Surprenant et magnifique. Pour l’humanité toute entière aussi, ce psaume aura son accomplissement, comme nous le lisons à la fin de l’Apocalypse :
« Puis l’Ange me montra le fleuve de Vie, limpide comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau. Au milieu de la place, de part et d’autre du fleuve, il y a des arbres de Vie qui fructifient douze fois, une fois chaque mois; et leurs feuilles peuvent guérir les païens. De malédiction, il n’y en aura plus; le trône de Dieu et de l’Agneau sera dressé dans la ville, et les serviteurs de Dieu l’adoreront ; ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts ». (Ap 22, 1-4).
Ainsi, comme dit le psaume, le Christ prépare une « demeure pour ceux qui aiment son nom. » Non seulement au ciel, mais aussi sur la terre où le Christ veut régner sur la terre comme au ciel, avant de remettre le royaume au Père (1Co 15, 24).
Deuxième lecture (Col 1, 15-20)
Le Christ Jésus est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui. Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel. – Parole du Seigneur.
« Jésus a révélé que Dieu est "Père" dans un sens inouï : Il ne l’est pas seulement en tant que Créateur, Il est éternellement Père en relation à son Fils unique, qui éternellement n’est Fils qu’en relation au Père : "Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien Le révéler" (Mt 11,27) » (Catéchisme de l’Église catholique 240).
C’est pourquoi saint Paul dit qu’il est "l’image du Dieu invisible" (Col 1,15). Et l’Église a confessé en 325 au premier concile oecuménique de Nicée que le Fils est "consubstantiel" au Père, c’est-à-dire un seul Dieu avec lui.
« Les êtres visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui. » Aux premiers temps du christianisme, les croyants en Jésus-Christ furent contraints d’affronter les religions gnostiques. Loin de les ignorer, ils relevèrent le défi en appliquant à Jésus-Christ les termes employés pour s’adresser aux divinités cosmiques : « Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations ».
Il est possible que certains mouvements des comètes ou des planètes soient à l’origine de grands cataclysmes mondiaux de gravité diverse, soit au temps de l’Exode, soit au temps de Sennacherib et du prophète Isaïe. On en retrouverait la trace dans les écrits de diverses civilisations, et cela expliquerait les prières adressées par exemple à Mars, une divinité associée à la planète du même nom et dont on pouvait surveiller avec anxiété les mouvements.
Pas plus que les Hébreux, les premiers chrétiens n’attendaient pas une nouvelle ère cosmique. Ils ne s’adressent pas à des forces cosmiques impersonnelles, mais à la sollicitude aimante d’un Dieu personnel.
Dans les gnoses modernes, la croyance dans les forces cosmiques et dans un destin plutôt nébuleux nie la possibilité d’un rapport avec le Dieu personnel révélé en Jésus-Christ. L’hymne de la lettre aux Colossiens montre au contraire l’espérance chrétienne de l’accomplissement de tout ce qui avait commencé en Jésus-Christ. Les chrétiens, loin d’être prisonniers d’un modèle cyclique d’événements cosmiques, se concentrent sur le Jésus historique et en particulier sur sa crucifixion et sa résurrection.
Saint Paul dit du Christ : « Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui. » (Col 1, 17). La préposition « avant » n’est pas temporelle mais logique : le Christ contient le bien. Et, celui qui croit au Fils a la vie éternelle (Jn 6, 40) avec les biens éternels et illimités. Les philosophes antiques avaient déjà certaines intuitions. Platon, dans ses Idées, envisage le beau en soi par lequel toutes les choses belles sont belles, le juste en soi par lequel toutes les actions justes sont justes, etc. Aristote a parlé d’eidos (archétype) ou de morphé (forme). Édith Stein préfère parler « d’essence ». Par exemple, il y a beaucoup d’expériences de joie, mais l’essence de la joie est une. Quel que soit le lieu ou le temps où la joie est éprouvée, l’essence de la joie est réalisée. Toutes les expériences joyeuses lui doivent leur nom. Mais il ne pourrait pas y avoir de la joie vécue s’il n’y avait pas avant l’essence de la joie. Elle est ce qui rend possible toute joie vécue (1). Mais on ne doit pas suggérer que l’homme est naturellement participant des biens éternels (ce qui est parfois la faiblesse d’Édith Stein). Le Christ « est avant toutes choses et tout subsiste en lui. » (Col 1, 17) et en orientant notre volonté vers le Christ, nous participons à sa joie, à sa force, à son amour, à sa fraîcheur, à sa lumière, à sa beauté.
Saint Paul avait dit que « le Christ est la tête du corps [c’est-à-dire] de l’Église » (Col 1, 18), en reprenant l’image sociologique de l’Empire romain comme corps dont l’empereur est la tête. Au cours de l’histoire, le Christ ressuscité étant au ciel, l’image de la « tête » a été reportée sur le pape : le titre « vicaire du Christ », qui fut longtemps porté par tous les évêques et même par les empereurs, prit progressivement un sens fort et le pape Innocent III (1198-1216) se réserva ce titre. La hiérarchie de l’Église eut tendance à devenir une hiérarchie de commandement à l’image de celle d’un Empire politique. Or, la vérité est tout autre : « le pape lui-même est soumis au droit divin, et il est lié aux dispositions tracées par Jésus-Christ à son Église. Il ne peut pas modifier la constitution donnée à l’Église par son divin fondateur, comme un législateur temporel peut modifier la constitution de l’État ». Il est faux de le considérer comme un monarque qui priverait les évêques de leurs initiatives, et « ce n’est pas dans l’Église catholique qu’est admis le principe immoral et despotique que l’ordre d’un supérieur dégage sans restriction la responsabilité personnelle » (2).
Saint Paul dit du Christ : « Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel. » Saint Jean-Paul II commentait en ces termes : « Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, est devenu notre réconciliation avec le Père. C’est Lui, et Lui seulement, qui a correspondu pleinement à l’amour éternel du Père, à cette paternité que Dieu a exprimée dès le commencement en créant le monde, en donnant à l’homme toute la richesse de la création. Le Christ a également correspondu pleinement à cette paternité de Dieu et à cet amour, alors que l’homme a rejeté cet amour en rompant la première Alliance (Gn 3, 6-13) et toutes celles que Dieu par la suite a souvent offertes aux hommes. La Rédemption du monde ce mystère redoutable de l’amour, dans lequel la création est renouvelée est, dans ses racines les plus profondes, la plénitude de la justice dans un Cœur humain, dans le Cœur du Fils premier-né, afin qu’elle puisse devenir la justice des cœurs de beaucoup d’hommes ». (Jean-Paul II, Redemptor Hominis § 9)
(1) Cf. Édith STEIN, L’être fini et l’être éternel, Ed Nauwelaert, Paris 1972 (Fribourg 1950), p. 69
(2) Déclaration commune (DS 3114-3115) des évêques d’Allemagne en janvier-février 1875, après que Bismarck trouva dans la définition de l’infaillibilité pontificale (Pastor Aeternu, 1870) un prétexte pour persécuter davantage les évêques catholiques, considérés comme les fonctionnaires d’un souverain étranger. Cette déclaration commune fut aussitôt approuvée par Pie IX (Lettre apostolique "Mirabilis illa constantia" aux évêques d’Allemagne).
Évangile (Lc 10, 25-37)
La traduction et le commentaire sont extraits de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur (Paris). Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. (472 pages).
« 25 Et voici qu’un certain scribe se leva pour le tester, / et il dit :
‘Docteur, / que ferai-je pour hériter de la vie éternelle ?
26 Or, lui, Jésus, / il lui dit :
‘Dans la Loi, / comment est-il écrit ?
Comment, toi, / récites-tu ?’
27 Il répondit / et lui dit :
‘Tu aimeras le Seigneur, / ton Dieu,
de tout ton cœur, / de toute ton âme,
de toute ta force / et de toute ta pensée ;
et ton prochain / comme toi-même’.
28 Jésus lui dit :
C’est droitement / que tu l’as dit.
Fais cela, / et tu vivras !
29 Or, lui, désirant se justifier, / il lui dit :
Mais qui est-il, / mon prochain ?
30 Jésus lui dit :
‘Un homme descendait de Jérusalem / vers Jéricho,
et lui tombèrent dessus / des brigands !
Ils le dépouillèrent, / le frappèrent,
et le laissèrent, son âme tenant à peine en lui, / et s’en allèrent.
31 Et il arriva qu’un prêtre descendit / par cette même voie ;
il le vit, / et passa outre.
32 Et, de la même façon, vint un lévite / qui parvint au même lieu ;
et le vit, / et passa outre.
33 Or, un homme, un Samaritain, qui pérégrinait, / parvint où il était ;
et il le vit, / et fut pris de pitié pour lui.
34 Et il s’approcha, / pansa ses plaies,
et y versa du vin / et de l’huile.
et il le déposa sur son âne, / le fit venir à une hôtellerie,
et il s’en occupa, / de lui !
35 Et, au matin du jour,
il dépensa deux deniers, / les donna à l’hôtelier,
et lui dit : / ‘prends-en soin !
et si quelque chose de plus / tu [devais] dépenser
quand je m’en retournerai, / je te le donnerai.
36 Qui, par conséquent, de ces trois-là, / te semble-t-il,
a été le prochain / de celui qui tomba aux mains des bandits ?
37 Or, lui, / il dit :
‘Celui-là / qui fut pris de pitié pour lui.
Jésus lui dit : / ‘Va !
toi aussi, / fais de même’. » – Acclamons la Parole de Dieu.
Un scribe, un spécialiste des Écritures, veut tester Jésus en tant que « Docteur [malpānā enseignant] ». Il voulait d’abord tester Jésus (Lc 10, 25), mais Jésus se comporte en maître qui interroge son élève.
Le scribe cite (Lc 10, 27) le commandement d’aimer Dieu « Tu aimeras [rḥm] le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir [qenyānā] » (Dt 6, 5 Bible de Mossoul). Le scribe remplace le mot « qenyānā (possession, troupeau, pouvoir) » par « ta force [ḥaylāḵ] », et il ajoute de toute « ta pensée » (une anthropologie quaternaire). Il faut savoir que l’anthropologie biblique n’est pas exprimée de manière homogène. Le mot âme désigne la gorge et l’esprit désigne le souffle. En Sg 9, 15, l’âme et l’esprit sont mis en parallèle, alourdis tous les deux par le corps, ils semblent équivalents. Dans un psaume, le cœur équivaut à l’esprit (Ps 50 (51), 12.19.). En 1Th 5, 23, pour être entier, l’être humain doit être corps, âme et esprit, et, selon saint Irénée, il semble que l’esprit soit alors de l’Esprit Saint qui doit vivifier l’âme
(St IRÉNÉE, Adv. Haer., V, 6, 1).
Le scribe cite ensuite le livre du Lévitique : « et [tu aimeras] ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Et Jésus se comporte encore en maître qui encourage son élève : « fais cela et tu vivras » (Lc 10, 28). Les mots de Jésus pourraient contenir un reproche implicite : « tu ne l’as pas fait ». Le scribe veut se justifier et demande : « Mais qui est-il, mon prochain ? », c’est-à-dire quelle est l’extension de la définition du prochain que je dois aimer, par exemple, dois-je aimer seulement mes coreligionnaires ?
Jésus répond par une parabole montrant un homme tombé aux mains des bandits, un prêtre et un lévite vont et viennent de Jérusalem à Jéricho, une ville de perdition, tout en étant soucieux de ne pas perdre leur pureté rituelle en soignant ce blessé (Lc 10, 31-32). Mais un Samaritain s’arrête et s’occupe de ce blessé (Lc 10, 30-37). Il donne de son temps pour s’occuper de lui, se préoccupe de lui donner un espace convenable sur sa propre monture puis dans une hôtellerie afin que ce blessé ait le temps de se rétablir. Son action s’inscrit inséparablement dans l’espace et dans le temps. Ensuite, il prend ses distances et délègue à l’hôtelier, qu’il paye et il s’engage à revenir après un certain temps pour le payer encore. L’espace et le temps évitent au Samaritain la tentation de la toute-puissance et lui évitent aussi de se laisser dévorer par l’action humanitaire. Il aime son prochain comme soi-même, la relation entre l’aidant et l’aidé est respectueuse, équilibrée.
À son exemple, le scribe désireux de la vie éternelle (Lc 10, 25) est invité à s’engager dans l’ici et maintenant.
On observe aussi que le scribe se situe d’abord sur le registre de l’avoir (Lc 10, 25-29) : il veut « hériter de la vie éternelle », il a la connaissance de la Loi, il veut posséder sa propre justice, et calcule la liste de ses prochains. Jésus l’amène à une question sur l’être : « qui a été le prochain de celui qui tomba aux mains des bandits ? »
Selon 2R 17, 24-41, les Samaritains seraient en grande partie des colons installés par le roi d’Assyrie après la chute de Samarie en l’an -721. Ils constituaient une population métissée, et lorsque Zorobabel organisa la reconstruction du Temple de Jérusalem après l’exil, il rejeta les Samaritains désireux d’y contribuer (Esdras 4, 1-23). Les Samaritains ne lisent que le Pentateuque. Le scribe est invité au passage à estimer un étranger, ce Samaritain, suivant ainsi le Deutéronome : « Vous entendrez vos frères et vous rendrez la justice entre un homme et son frère ou un étranger en résidence près de lui. Vous ne ferez pas acception de personne en jugeant, mais vous écouterez le petit comme le grand » (Dt 1, 16-17).
Développons maintenant la méditation dans le fil d’oralité qui commence avec l’envoi des 70 disciples et l’ordre que Jésus leur donne de guérir les malades (Lc 10, 9). L’exemple du Samaritain et de l’hôtelier suggère que la guérison des malades ne met pas nécessairement en œuvre des miracles.
Le Samaritain a compris et vécu ce qu’en premier lieu le clergé aurait dû faire. Résonne ici l’action de grâces de Jésus à son Père « d’avoir voilé ces choses-ci aux sages et aux prudents, et de les avoir révélées aux petits enfants » (Lc 10, 21).
De plus, en fil d’oralité, on peut rapprocher la parabole de l’exorcisme relaté en Lc 11, 37-54. L’homme blessé et dépouillé par des brigands représente alors l’humanité dépouillée par Satan depuis le péché d’Adam. L’argent versé représente le prix du salut, la Passion de Jésus, annoncée auparavant. Le temps de guérison à l’hôtellerie représente donc le temps où l’humanité est confiée à l’Esprit Saint (St IRÉNÉE, Adv. Haer., III, 17, 3), le temps de l’Église (ORIGÈNE, homélie sur Luc, 34, 9) que Jésus a commencé d’organiser et qu’il récompensera lors de son retour, dans la gloire.
La méditation en fil d’oralité permet de retrouver les fondements de la compréhension de l’époque patristique, qui est plus christologique. « Va ! Toi aussi, fais de même » (Lc 10, 37), le modèle à suivre n’est pas seulement une idée joliment présentée en parabole, mais c’est le Christ lui-même qui est la source de la force morale du disciple. Elle corrige au passage l’école allemande, qui, dans la tradition de d’E. Kant, s’est concentrée sur l’éthique de la parabole sans s’intéresser à l’être même du Seigneur.
Date de dernière mise à jour : 31/05/2025