Le matin du jeudi 11 février 1858, Bernadette, sa sœur Marie dite Toinette et Jeanne Abadie, une amie, partent glaner du bois entre le Gave et le canal du moulin. Jeanne et Toinette passent le canal à gué, le moulin en amont étant arrêté : il y a du bois de l’autre côté. Bernadette n’ose les suivre à cause de son asthme. Elle reste sur l’île, face à la grotte, à une douzaine de mètres.
Finalement, tandis qu’elle se déchausse pour rejoindre les autres, elle entend par deux fois un bruit, « comme un coup de vent ». Elle s’étonne, car il n’y a pas de vent. Elle se retourne pour vérifier : « Les peupliers ne remuaient pas. Je continuai à me déchausser et j’entends la même rumeur. Je levai la tête en regardant la grotte. » La niche du rocher, située à trois mètres environ de hauteur, est envahie d’une lumière, précisera plus tard Bernadette, et dans cette lumière, aquerô [cela] », dit-elle prudemment en patois. Car ce qu’elle voit, c’est bien une silhouette féminine : sa présence pénétrante est ineffable. Elle la décrira ainsi :
« Une dame habillée de blanc ; elle avait une robe blanche, un voile blanc, une ceinture bleue et une rose jaune sur chaque pied. Je me frottai les yeux, je croyais me tromper. Je mis la main à la poche et trouvai mon chapelet ».
Mais Bernadette n’arrive pas à lever la main jusqu’au front pour faire le signe de croix. Quand la Vierge le fait elle-même dans le creux du rocher, alors Bernadette fait le signe de la croix et récite le chapelet avec la Dame. La prière terminée, la Dame disparaît brusquement.
Par la suite, quand Bernadette fera le signe de croix, ce sera chaque fois d’une manière si recueillie, si convaincante, qu’à soi seul, c’était un témoignage surnaturel.
Après l’apparition, Bernadette traverse l’eau que ce jour-là elle n’a pas trouvée glaciale, mais étonnamment tiède. Oh, ce n’est pas la traversée de la mer rouge au temps des Hébreux, mais on sent bien la proximité du Dieu de la Bible. Le même Dieu et Seigneur !
Peut-être peut-on y voir un premier signe. Le signe de toutes ces épreuves que la famille Soubirous avait déjà très dignement traversées, honnête et fervente dans la prière. Le signe de la grande traversée que Notre Dame de Lourdes va faire vivre à tout un peuple de pèlerins : traversée de la guérison, traversée de la conversion, traversée ultime vers la vie éternelle.
Le dimanche 14 février, sur les recommandations de son entourage qui craint un phénomène démoniaque, Bernadette asperge l’apparition l’eau bénite. La Dame ne trouve pas inconvenante cette précaution. Elle sourit et incline la tête. Toutes les deux prient le chapelet, et la prière terminée, l’apparition disparaît.
Le mercredi 17 février est le mercredi des cendres. Nous observons 2 apparitions avant le carême, 14 pendant le carême, 2 après le carême. L’essentiel des apparitions de Lourdes, a lieu pendant le carême, et le message central « Pénitence, Pénitence, Pénitence », est bien un message de carême. Les 40 jours du carême rappellent la délivrance d’Egypte et les 40 ans des Hébreux au désert. Le carême signifie une purification, pour monter par la croix jusqu’à la résurrection.
Le jeudi 18 février est le jour de la troisième apparition. Nous nous souvenons que Bernadette était une adolescence humiliée par la vie au cachot et par la venue du gendarme qui accusa faussement son père d’avoir volé (c’est si fréquent que l’on trouve normal que les pauvres soient humiliés et qu’on en rajoute à leurs malheurs…) Dans cette ambiance de mépris, une dame avait préparé une plume et du papier pour que l’apparition écrive son nom à la place de Bernadette (qui, c’est vrai, avait un orthographe assez sommaire).
Bernadette demande à l’apparition d’écrire son nom et tend la plume et le papier, mais reçoit seulement cette réponse dans le patois de Lourdes : « Ce n’est pas nécessaire. » Une parole, qui dans le contexte, signifie clairement la confiance et l’estime et notre Dame de Lourdes pour l’adolescente qu’elle s’est choisie !
Puis elle lui adresse cette courtoise invitation : « Voulez-vous avoir la grâce de venir ici pendant quinze jours ? » L’expression vraiment courtoise a de quoi surprendre. On s’adresse généralement ainsi à des notables, or Bernadette se trouve dans le sous-prolétariat !
Ensuite la Dame dit quelque chose que je vais d’abord donner dans la traduction habituelle des livres : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde, mais dans l’autre. » Il semble alors que la Dame prophétise la destinée ultérieure de Bernadette, qui sera si souvent malade. Mais en réalité, le texte original se traduit d’une manière plus positive : « Je vous promets de vous rendre heureuse, non pas dans ce monde mais dans l’autre. ». Autrement dit, « je vous promets de vous rendre heureuse », c’est la promesse d’une béatitude. L’apparition de Lourdes, c’est la même Marie que celle des Evangiles. Dans l’Evangile, Marie reçoit la première béatitude. Au moment de la Visitation, sa parente Elisabeth lui dit « bienheureuse celle qui a cru » ! La Vierge Marie a aussi vécu la béatitude des pauvres, des cœurs purs, des miséricordieux, des persécutés… L’apparition à Lourdes invite Bernadette aux Béatitudes de l’Evangile, et à regarder les réalités éternelles, au-delà des soucis de la vie présente. Et Dieu sait si la famille Soubirous a des soucis dans la vie quotidienne, son père gagne l’argent pour une journée à la fois, pour 1F50 par jour. Et sa mère cherche chaque jour à faire des lessives ou parfois des travaux agricoles. C’est dans ce contexte que l’apparition dit à Bernadette de regarder l’autre monde, la vie en Dieu, la vie éternelle.
Le vendredi 19 février, Bernadette vient à la Grotte avec un cierge bénit et allumé. C’est de ce geste qu’est née la coutume de porter des cierges et de les allumer devant la Grotte.
Le samedi 20 février, la Dame lui a appris une prière personnelle. La Vierge parle à Bernadette comme une personne parle à une autre personne. On peut penser qu’elle lui ait dit des choses graves, car à la fin de la vision, une grande tristesse envahit Bernadette.
Le dimanche 21 février, la Dame se présente à Bernadette le matin de bonne heure. Une centaine de personnes l’accompagnent. Elle est ensuite interrogée par le commissaire de police Jacomet. Il veut lui faire dire ce qu’elle a vu. Bernadette ne dit pas qu’elle a vu la sainte Vierge, elle ne lui parle que d’ "Aquero" (cela). Elle laisse le discernement à l’Eglise !
Le lundi 22 février, ses parents interdisent à Bernadette de retourner à la grotte. Pourtant, une force irrésistible l’y entraîne, mais elle n’y voit rien, comme si la Vierge elle-même se conformait aux injonctions des parents de Bernadette qui ont dit « non ». L’apparition est la même femme que Marie de Nazareth dans l’Evangile où l’on lit que Jésus adolescent, après son séjour au temple redescend à Nazareth avec ses parents, Joseph et Marie, et leur était « soumis ». Le respect des parents est une valeur de la Bible. Bernadette est discrètement invitée à garder cette attitude.
Le mardi 23 février, entourée de cent cinquante personnes, Bernadette se rend à la Grotte. L’Apparition lui révèle un secret "rien que pour elle". Peut-être pour l’encourager ? Comme elle bonne la Vierge Marie ! Elle s’occupe pour une personne à la fois. Elle donne à Bernadette un secret « rien que pour elle » !
Le mercredi 24 février, l’Apparition parle à nouveau :
« Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! Vous prierez Dieu pour les pécheurs. Allez baiser la terre pour la conversion des pécheurs. »
Bernadette embrasse la terre…
Le jeudi 25 février, trois cents personnes sont présentes. Les messages sont répétés :
« Pénitence ! Pénitence ! Pénitence !.... »
« Vous prierez Dieu pour les pécheurs. »
« Allez baiser la terre en pénitence pour la conversion des pécheurs. »
Bernadette raconte aussi : "Elle me dit d’aller boire à la source (...). Je ne trouvai qu’un peu d’eau vaseuse. Au quatrième essai je pus boire. Elle me fit également manger une herbe qui se trouvait près de la fontaine puis la vision disparut et je m’en allai." Devant la foule qui lui demande: "Sais-tu qu’on te croit folle de faire des choses pareilles ?" En effet, Bernadette se relève toute barbouillée de cette eau sale (surtout que c’est endroit où venaient des cochons !) qu’elle a bue avec une visible répugnance. C’est la consternation des plus fervents supporters. Cela ne devait pas être facile d’être regardée comme une folle… Et pourtant Bernadette garde son aplomb et répond : "C’est pour les pécheurs." Etonnante simplicité d’une petite pauvre. Stupéfiante sainteté d’une adolescente.
Observons encore un détail. L’herbe que Bernadette a mangé, c’était de la dorine, une herbe amère. Les herbes amères, cela ne vous rappelle rien ? Le Dieu des chrétiens à Lourdes, c’est le même Dieu que dans la Bible, quand les Hébreux mangèrent un agneau rôti et des herbes amères la nuit de la première Pâque, avant de traverser la mer rouge et le désert. D’ailleurs le 5 février 1858, nous sommes dans le carême qui dure 40 jours en souvenir des 40 ans des Hébreux au désert. Ainsi, la dorine que mange Bernadette est un symbole qui nous dit que la pénitence à laquelle nous sommes appelés a pour but une sortie de l’esclavage et une libération, une purification et l’entrée dans la terre promise du royaume de Dieu…
Le 27 février, Bernadette accomplit de nouveau les gestes de pénitence : boire de l’eau, baiser le sol, manger des herbes amères (il s’agit de la dorine).
Le 28 février, plus de mille personnes assistent à l’extase. Bernadette accomplit de nouveau les gestes de pénitence (manger des herbes amères, boire l’eau, baiser le sol). Elle est ensuite emmenée chez le juge Ribes qui la menace de prison.
Durant la nuit du 28 février au 1° mars, Catherine Latapie trempe son bras déboîté dans l’eau de la source : son bras et sa main retrouvent leur souplesse.
Ainsi, les guérisons ont commencé dès le temps des apparitions. La plupart sont liées à l’eau de la source. Bernadette a toujours refusé que cette eau soit appelée miraculeuse ou que les guérisons lui soient, personnellement, attribuées. Pour elle, seules la foi et la prière obtiennent les guérisons.
Par la suite, pour être reconnue comme miraculeuse, la guérison doit ailleurs répondre à sept critères.
- La réalité de la maladie doit être avérée et elle doit être grave, avec un pronostic fatal.
- La maladie doit être organique ou lésionnelle.
- Un traitement ne doit pas avoir été à l’origine de la guérison.
- La guérison doit être soudaine, instantanée.
- La reprise des fonctions doit être complète.
- La reprise des fonctions doit être sans convalescence.
- La reprise des fonctions doit être durable. C’est pourquoi la reconnaissance des miracles prend de nombreuses années.
Une fois reconnue par nous, la guérison est ensuite publiée par l’évêque du diocèse où réside le miraculé. Les normes sont si sévères que beaucoup de miracles ne sont pas répertoriés, soit parce que la guérison a été progressive, soit parce que ce n’était pas une maladie considérée comme étant grave, etc.
Le 1° mars, il y a plus de mille cinq cents personnes sont rassemblées et parmi elles, pour la première fois, un prêtre. Bernadette accomplit de nouveau les gestes de pénitence.
Arrêtons-nous un peu. Comme il est difficile d’avoir été choisie pour être voyante ! Etre traitée de folle par la foule, être menacée de prison ! Que de souffrances pour une jeune fille ! Pensons aussi à la souffrance des malades qui viennent à Lourdes. Certains sont physiquement guéris, d’autres non. Et pourtant, ils reviennent en foule, à cause d’une certaine lumière, à cause d’une certaine joie… Je voudrais évoquer à cette occasion le pape Jean-Paul II. Il est venu présider à Lourdes les fêtes du 15 août 1983 et s’y est de nouveau rendu en pèlerin pour la fête de l’Assomption du 15 août 2004. Entre temps, après l’attentat et la longue hospitalisation qui a suivi, autrement dit, après avoir souffert lui-même, il a donné la lettre apostolique Salvifici Doloris (SD) sur le sens chrétien souffrance, le 11 février 1984, en la fête Notre Dame de Lourdes. Résumons cette lettre.
Jean Paul II commence par expliquer que l’Ancien Testament avait compris que la souffrance a un sens de punition lorsqu’elle est liée à la faute, mais aussi qu’elle n’est pas toujours liée à la faute. La souffrance de l’innocent montre la justice de ce dernier. Par exemple Job parle à Dieu d’une manière un peu rugueuse en demandant ‘Pourquoi ?’ mais il reste juste et demeure dans la foi. Enfin, la souffrance corrige et doit servir à la conversion, à la reconstruction du bien (par exemple 2M 6,12). Il s’agit de se reconstruire en corrigeant ses propres défauts, il s’agit aussi de réparer le mal fait pour que les autres puissent avoir de nouveau confiance.
Jean Paul II montre ensuite le Rédempteur et sa Mère. La souffrance est globalement liée au problème du mal, de l’absence d’un bien. C’est pourquoi, le Christ communique l’espérance aux hommes, par l’exemple de sa sainteté et en communiquant la grâce sanctifiante. La « Toute sainte » est aussi cette source pure en qui l’espérance renaît.
Cette dimension très spirituelle n’entraîne aucune passivité. Au contraire. Le Christ passe en faisant le bien et il montre l’exemple du Bon Samaritain, qui soigne sur le bord de la route un homme blessé. De même, quand Marie va à la rencontre de sa parente enceinte et âgée, c’est aussi par compassion, « à un titre vraiment personnel », par un amour désintéressé.
Le pape prend ensuite l’exemple des « martyrs de la foi » mais aussi aux nombreux autres hommes qui parfois, « sans avoir la foi au Christ, souffrent et donnent leur vie pour la vérité ou pour une juste cause ». La souffrance manifeste la grandeur morale de l’homme, sa maturité spirituelle.
A côté de ceux qui souffrent pour le Christ ou pour une juste cause, il y a ceux dont la souffrance a une signification plus cachée. La souffrance de l’aveugle né (Jn 9) ou celle de Lazare qui meurt (Jn 11) rendent réceptif, particulièrement ouvert à l’action des forces salvifiques de Dieu offertes à l’humanité dans le Christ.» Marie a montré l’exemple de cette ouverture, de cette réceptivité. Ainsi, dit Jean-Paul II, « dans le combat « cosmique » entre les forces spirituelles du bien et celles du mal, dont parle la lettre aux Ephésiens (Eph 6, 12), les souffrances humaines, unies à la souffrance rédemptrice du Christ, constituent un soutien particulier pour les forces du bien, en ouvrant la route au triomphe du salut.
Après l’apparition du 2 mars 1858, Bernadette apporta courageusement au curé de Lourdes ce message : « Allez dire aux prêtres de faire bâtir une chapelle et qu’on y vienne en procession.» Elle fut reçue par l’une des plus célèbres et plus foudroyantes colères du curé, homme généreux entre tous, mais au sang chaud. Il était secrètement écartelé : il voyait au confessionnal un afflux de conversions mais il voyait aussi les moqueries de la presse autour de Bernadette, qualifiée d’hallucinée.
Bernadette retourna pourtant le jour même. Le curé lui dit alors qu’il ne veut savoir qu’une chose : le nom de la Dame. Il exige en plus une preuve : voir fleurir en plein hiver le rosier (l’églantier) de la Grotte.
Le 3 mars : Dès 7 heures le matin, en présence de trois mille personnes, Bernadette se rend à la Grotte, mais la vision n’apparaît pas ! Après l’école, elle entend de nouveau l’invitation intérieure de la Dame. Elle se rend à la Grotte et lui redemande son nom. La réponse est un sourire. Le curé Peyramale lui redit : "Si la Dame désire vraiment une chapelle, qu’elle dise son nom et qu’elle fasse fleurir le rosier de la Grotte".
Le 4 mars : Tout le monde attendait pour ce dernier jour de la quinzaine un grand miracle ou une révélation majeure parce que le message du 18 février avait dit : « Voulez-vous avoir la grâce de venir ici pendant quinze jours ? » et la quinzaine s’achevait le 4 mars.
8 000 personnes affluaient des deux côtés du Gave.
En ce « grand jour », ni miracle, ni révélation. La vision est silencieuse.
L’apparition n’a toujours pas dit son nom.
Bernadette ne sait même pas si elle reviendra à la grotte... On le sent bien, si les apparitions étaient inventées, le 3 mars et le 4 mars, devant 3000 et 8000 personnes, Bernadette n’aurait pas laissé de telles déceptions, elle aurait inventé quelque chose… Ces déconvenues sont donc plutôt un signe d’authenticité !
Du 5 au 25 mars, Bernadette ne ressent plus l’irrésistible attrait qui l’amenait à la grotte. Pendant cette période sans apparitions, Bernadette fait sa première communion – Marie et Jésus sont indissociables. Marie fait passer devant Jésus. Marie Mère de Dieu fait place à Jésus. Marie nous conduit à Jésus. La demande de conduire une chapelle, une église, un sanctuaire, c’est bien pour célébrer l’eucharistie. Marie est unie à Jésus. Marie n’est pas là seulement pour dire « Je suis l’immaculée conception », mais pour nous conduire à Jésus. Il y a l’apparition, il y a la vie eucharistique. L’expérience d’un pèlerinage et la vie de paroisse, les deux vont ensemble. On ne peut pas se contenter de prier Marie, il faut aussi contempler de prier Marie, il faut aussi contempler les mystères du chapelet qui sont la vie de Jésus, sa vie racontée dans les évangiles, qu’il faut lire.
Le 25 mars 1858, jour de l’Annonciation, Bernadette est attirée à la grotte, très tôt le matin, sans préavis. Elle a toujours le même souci : quel est le nom d’Aquerô, exigé par M. le curé. Bernadette le demande avec la formule cérémonieuse longuement préparée : « Mademoiselle, voulez-vous avoir la bonté de me dire qui vous êtes, s’il vous plaît ? »
L’apparition, les mains ouvertes, sourit mais ne répond pas. Bernadette répète. La vision révèle enfin son nom, mais le rosier (ou églantier) sur lequel elle pose les pieds au cours de ses Apparitions ne fleurit pas. Bernadette raconte :
"Elle leva les yeux au ciel, joignant en signe de prière ses mains qui étaient tendues et ouvertes vers la terre, et me dit: Que soy era immaculada councepciou".
Bernadette part en courant et répète sans cesse, sur le chemin, des mots qu’elle ne comprend pas vraiment.
Après une réaction un peu brusque, le brave curé s’éclipse car il sent les sanglots monter en lui. En effet, quatre ans plus tôt, en 1854, le pape Pie IX a proclamé le dogme de Marie conçue sans péché.
Le premier aspect du dogme est de rappeler la doctrine du péché originel. Alors que Rousseau disait « l’homme nait bon, c’est la société qui le corrompt », les croyants savent que ce n’est pas vrai. L’homme est enclin au mal. Le péché originel n’est pas transmis par l’acte conjugal, mais il est quand même transmis. Et nous avons besoin d’un rédempteur, nous avons besoin du Christ rédempteur. Le premier point est donc la doctrine du péché originel.
Le deuxième aspect du dogme, c’est que Marie est conçue immaculée, ce qui signifie qu’elle est exempte du péché originel. Elle est immaculée par l’effet anticipé du salut obtenu par le Christ rédempteur sur la croix. (Ce n’est pas la seule fois qu’il y a une grâce anticipée. Quand saint Paul dit que les Hébreux au désert buvaient à un rocher spirituel qui était déjà le Christ, il veut dire qu’il y a eu quelque chose de l’Esprit Saint qui a été donné aux Hébreux, en anticipation, ils n’ont pas déjà reçu le salut, mais ils ont reçu une grâce anticipé de l’Esprit Saint qui les a préparés et leur a permis de reconnaître ensuite Jésus quand il s’est incarné).
Le troisième aspect du dogme, c’est que Marie est restée fidèle à la grâce. Adam et Eve sortis « tous frais » des mains du créateur, ont aussi été conçus immaculés, mais ils ont été infidèles et c’est le péché originel. Pour Marie, c’est bien plus héroïque, elle a été conçue immaculée, mais au milieu des mauvais exemples dans un monde de péché (comme Bernadette au comptoir du cabaret de sa tante, elle devait en voir des mauvais exemples !) Marie est fidèle, elle est la toute sainte, la toute pure, saluée pleine de grâce par l’ange Gabriel…
A Lourdes, Bernadette a donc reçu le nom de Marie « Je suis l’immaculée conception ». Or, ce nom ne reprend pas exactement la formulation du dogme. La méditation de saint Maximilien Kolbe nous ouvre des perspectives. Saint Maximilien Kolbe est venu à Lourdes, le 30 janvier 1930 pour demander la bénédiction de la Mère Immaculée avant son départ en mission en Extrême Orient. Il s’étonne de l’expression « Je suis l’immaculée conception ». Et il comprend que le curé de Lourdes ait vacillé sous le choc en disant : « une dame ne peut pas porter ce nom-là ! » En effet, ce titre ne semble pas découler directement de la définition du dogme : l’expression n’a pas une signification passive (je suis conçue immaculée), mais une signification active (je suis conception).
Cette signification est peut-être à rapprocher du jour où Notre Dame révéla son nom : "Je suis l’immaculée conception". Ce n’est pas le 8 ou 9 décembre (dates traditionnelles de la fête de la conception de Marie), mais c’est le 25 mars, jour de l’Annonciation. Marie est immaculée afin de devenir dignement la mère de Dieu.
Saint Maximilien Kolbe observe :
« Qu’est donc l’Immaculée ? Qui la comprendra parfaitement ? Marie, Mère de Dieu, l’Immaculée, mieux : l’Immaculée Conception, comme elle a voulu elle-même se dénommer à Lourdes.
Ce que veut dire mère, on le sait, mais ‘de Dieu’, on ne peut le comprendre par la raison, dans notre cerveau limité.
Seul Dieu sait parfaitement ce que veut dire : ‘Immaculée’.
‘Conçue immaculée, on le comprend un peu, mais ‘Immaculée Conception’, c’est plein des plus consolants mystères. » (Lettre au P. Antoine Vivoda, 12 avril 1933.)
Le 25 mars 1858 précédait de quelques jours la semaine sainte et la célébration du mystère pascal où Jésus sur la croix dit à la mère « voici ton fils » et au disciple « voici ta mère ». Jésus désigne Marie d’une manière active, avec une mission maternelle. Et c’est à l’heure de notre rédemption, de notre renaissance. Nous sommes baptisés dans la mort et la résurrection de Jésus. C’est pourquoi Marie est présente auprès du baptistère. Dans le passé, on demandait aux catéchumènes « crois-tu en Jésus, né de la Vierge Marie » ? Et de nos jours, il est bien, à la fin du baptême, d’entonner le cantique de Marie, le Magnificat, ou encore de faire une consécration à Dieu par Marie. Marie présente aussi au renouvellement de notre baptême, quand nous redisons que nous renonçons à Satan et que nous décidons de suivre Jésus. Marie présente auprès des fonts baptismaux comme mère, une mère toute pure, conçue immaculée, mais aussi une mère active, immaculée conception.
Le carême est fini. Pâque cette année-là est fêtée le 4 avril.
Le mercredi de Pâques, 7 avril, Bernadette est attirée à la grotte. Pendant l’apparition, Bernadette tient son cierge allumé. Or voici que la flamme entoure longuement sa main sans la brûler. Ce fait est immédiatement constaté par le médecin, le docteur Douzous. C’est un signe qui pour quelqu’un qui connaît la Bible est plein de significations. Quand Dieu l’a appelé, Moïse a vu un buisson qui brûlait sans se consumer, et c’est aussi pourquoi on appelle la Vierge Marie « Buisson ardent », car elle porte le Fils de Dieu sans être consumée. C’est aussi un signe qui nous fait penser à sainte Bernadette qui vient de faire sa première communion : Bernadette porte la présence de Jésus sans pour autant être brûlée. Beau signe du feu en cette première semaine de Pâque… Le Christ par qui nous vivons, sans pour autant être consumés...
La dernière apparition a lieu le 16 juillet 1858 (fête de N-D du mont Carmel)
C’est le plein été. Les apparitions de Lourdes ont commencé dans la froidure et s’achèvent dans la chaleur. Elles ont commencé durant les jours sombres de l’hiver et s’achèvent dans les beaux jours, longs et lumineux, en plein juillet. C’est un signe. La pénitence est un chemin constructif, un chemin positif, vers la lumière de la foi, la chaleur de l’amour, de l’amitié.
Durant le printemps, parmi les jeunes de Lourdes, une épidémie de visionnaires de plus en plus ridicules avait amené les autorités à barricader la grotte pour calmer toute cette jeunesse. Quand le 16 juillet Bernadette ressent le mystérieux appel de la Grotte, l’accès à Massabielle est interdit et fermé par une palissade. Bernadette se rend donc en face, de l’autre côté du Gave... et voit la Vierge Marie, une ultime fois :
« Il me semblait que j’étais devant la grotte, à la même distance que les autres fois, je voyais seulement la Vierge, jamais je ne l’ai vue aussi belle ! »
Il est utile de faire le lien avec la fête de Notre Dame du Mont Carmel, dont c’est justement le jour. Cette fête évoque la protection et l’encouragement de la Vierge pour un ordre religieux à un moment délicat de son histoire (le passage de la vie érémitique en Terre sainte à la vie urbaine en Europe).
La fête de Notre Dame du Mont Carmel, le 16 juillet 1858, évoque la protection et l’encouragement de la Vierge pour cet ordre religieux à un moment délicat de son histoire (le passage de la vie érémitique en Terre sainte à la vie urbaine en Europe).
En clôturant ses visites à Lourdes le 16 juillet, Marie indique une spiritualité dont tous peuvent s’inspirer.
Sainte Bernadette disait : « Je ne vivrai pas un instant que je ne le passe en aimant. » Comme chacun de nous, elle peut faire sienne la devise de la grande réformatrice du Carmel, sainte Thérèse d’Avila : « Il n’est pas nécessaire de penser beaucoup mais d’aimer beaucoup ».
Sainte Thérèse de Lisieux disait que Dieu ne regarde pas la grandeur ou la difficulté de notre action, mais l’amour que nous y mettons. Les brancardiers de Lourdes découvrent cela : des gestes simples, avec beaucoup d’amour… Sainte Bernadette a aussi vécu cela, elle ne savait faire des choses très ordinaires. Notre Dame du Carmel est proche des réalités les plus communes, elle fait véritablement signe à chacun de nous.
Chacun peut aussi partager avec sainte Bernadette l’expérience de saint Jean de la Croix qui disait que ce dont nous avons le plus besoin de faire des progrès, c’est de faire silence devant Dieu, un silence d’amour. Avant les apparitions, Bernadette a vécu de longues heures de silence quand elle gardait les moutons à Bartrès, de retour à Lourdes, plusieurs apparitions furent silencieuses, et la dernière apparition à Lourdes, le 16 juillet 1858, est un appel à vivre ce silence d’amour qui rend la Vierge Marie tellement belle… enfin, à Nevers, le silence tenait aussi une place importante et Bernadette, devenue sœur Marie-Bernard, s’est attachée à Jésus, qu’elle a aimé jusqu’à l’extrême... "Celui-ci me suffit..."
Sainte Bernadette a eu bien des épreuves avant les apparitions (l’asthme, le déménagement au cachot, le mépris des gens) pendant les apparitions (les menaces de prison, la colère du curé, la foule qui la prend pour une folle quand elle se barbouille avec une eau boueuse), et après les apparitions (Sa maîtresse à Nevers avait des mots si durs que les autres novices se disaient heureuse de ne pas être Bernadette ! Bernadette avait des douleurs physiques aigues ou chroniques, etc.). Sainte Bernadette traversait tout cela en priant, et, comme Marie Madeleine de Pazzi, elle aurait pu écrire : « Les épreuves ne sont rien d’autres que la force qui purifie l’âme de ses imperfections. ». Purifiée, l’âme peut contempler Dieu. Quand Bernadette dit " jamais je ne l’ai vue aussi belle !", ce n’est pas que la Vierge Marie s’embellisse, mais c’est Bernadette qui a progressé : les yeux de son âme voient mieux.
De son temps, on ne pensait pas que Bernadette soit une grande spirituelle, plusieurs disaient en la voyant « c’est ça Bernadette ? » Pourtant, elle mettait déjà en pratique l’enseignement des grands saints du Carmel : l’amour de Dieu ne consiste pas à ressentir des douceurs mais à le servir fidèlement (sainte Thérèse d’Avila), et il est doux de penser à Jésus, plus doux encore de faire sa volonté (Bienheureuse Mariam la petite arabe)…
Bernadette est décédée à 33 ans, à Nevers, le mercredi de Pâques 1879. Elle est béatifiée en 1925 et canonisée en 1933.