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4e dimanche de l’Avent (A)

Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
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Première lecture Is 7, 10-16)
« En ces jours-là, le Seigneur parla ainsi au roi Achaz : « Demande pour toi un signe de la part du Seigneur ton Dieu, au fond du séjour des morts ou sur les sommets, là-haut. » Achaz répondit : « Non, je n’en demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve. » Isaïe dit alors : « Écoutez, maison de David ! Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes : il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu ! C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). De crème et de miel il se nourrira, jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien. Avant que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, la terre dont les deux rois te font trembler sera laissée à l’abandon. » – Parole du Seigneur.
Achaz est à Jérusalem, il est le roi de Judée. Pour comprendre cette lecture, il nous faut faire un peu d’histoire en nous référant au 2e livre des rois, aux chapitres 16 et 17. En ce temps là, de grandes menaces pèsent sur le royaume. L’Empire assyrien (Teglat Phalasar) menace toute la région par ses conquêtes. En 735 avant J-C, Damas et Samarie s’allient contre l’empire assyrien ou Assyrie (à ne pas confondre avec ce qu’on appelle de nos jours la Syrie) et demandent au royaume de Juda de s’associer à eux. Le royaume de Juda refuse, c’est donc une guerre qui oppose deux tribus d’Israël, la tribu de Juda et la tribu d’Ephraïm, une guerre fratricide (2R 16). Deux rois, celui de Damas (Recin) et celui de Samarie (Peqah) marchent contre Jérusalem, et le roi Achaz s’affole. Le temps est à la panique. Achaz fait passer son fils par le feu (sacrifice au Moloch) pour tenter de conjurer la menace, c’est une attitude païenne, magique. Et puis, ce n’est pas le moment de procréer : à quoi bon mettre au monde des enfants qui risquent de périr à la guerre ? Son fils mort, il veut stabiliser sa dynastie en s’en remettant à la sollicitude d’un roi étranger et fait alliance avec l’Assyrie, il lui paye tribut en dépouillant le Temple (2 R 16, 7-8).
C’est alors que le prophète Isaïe donne au roi Achaz un message de la part de Dieu qui court-circuite ses manœuvres, nous revenons au livre d’Isaïe chapitre 7. Commençons pas la fin du message : « la terre dont les deux rois te font trembler sera laissée à l’abandon », c’est-à-dire Damas et la Samarie, en effet, l’Assyrie annexe Damas en 732, et en l’an 721, c’est Samarie qui tombe aux mains des assyriens, la population est déportée et des peuplades étrangères et différentes sont forcées de s’installer en Samarie.
Étudions maintenant de plus près le fameux oracle, il est formulé différemment en hébreu et en grec :
Tout d’abord en hébreu, texte massorétique : « Voici la jeune fille ("alma") est enceinte et enfantera un fils, et il l’appellera Emmanuel. » (Isaïe 7, 14). Il existe en hébreu, un autre terme "betulah", qui pourrait désigner une vierge mais qui est un terme ambigu : - dans les textes non juridiques il peut signifier simplement l’âge de la vie plus que l’état physique de la fille ou de la femme, - dans les textes législatifs le terme "betulah" signifie vierge au sens strict. Peut-être y avait-il un texte hébreu ancien qui parlait d’une vierge, et qu’il aurait été modifié par les massorètes, mais nous ne possédons pas un tel texte.
Dans le texte hébreu que nous avons, la jeune femme n’est pas vierge, le signe donné par Dieu consiste simplement dans ce fait : une jeune femme va donner la vie. Et en effet, ce simple fait s’oppose à l’attitude du roi Achab qui a sacrifié son fils, et il s’oppose à l’atmosphère générale quasi désespérée. C’est un message important, une parole forte qui doit faire changer le comportement du roi, et du peuple. C’est comme si Dieu disait : quitte ton voile de tristesse, espère, prend courage (cf. Is 41, 7)… Isaïe annonce au roi qu’il va recevoir une descendance bien vivante pour la dynastie de Judée, selon le dessein divin. Nous ne savons pas qui est la jeune femme. Mais, de l’avis général, l’enfant est Ezéchias. En effet, Isaïe 1-40 est un livre centré sur l’histoire du roi Ezéchias, le fils d’Achaz. Avec lui, et grâce à sa neutralité, le royaume de Juda sera protégé de l’invasion assyrienne. L’Assyrien Sennacherib (704-681) fait le siège de Jérusalem, mais il échoue et fait demi tour (Isaïe 37). À travers Ezéchias, le peuple peut donc dire : « Dieu est avec nous », c’est le sens de son surnom, Emmanuel (Is 7, 14) ; ou encore « Dieu fort » (Is 9, 5). Pour la tradition juive, le Midrash Rabbah sur Exode 18, 5 qui ait allusion à Isaïe 7, 14 l'enfant qui est en vue est tout simplement Ezéchias.
Dans la Septante, Is 7, 14, en grec, donc, nous lisons : « Voici, la vierge ("parthenos") portera dans le ventre et enfantera un fils, et tu appelleras Emmanuel ». Le texte grec de la septante est plus tardif, mais il est aussi inspiré. Il y a là une nouvelle révélation, à l’époque des Grecs, donc. Isaïe 7, 14 annonce alors une conception virginale. Le verset ne vise plus Ezéchias, il vise le Messie, et un messie transcendant, qui n’est pas conçu par la semence humaine : un Messie qui vient de Dieu. Les paroles « Emmanuel » (Is 7, 14) et « Dieu fort » (Is 9, 5) reçoivent une signification transcendante : ce Messie vient de Dieu et il est Dieu. Et c’est dans cette version grecque que le Nouveau Testament affirmera l’accomplissement de la prophétie par le Christ.
Joseph, promis en mariage à Marie, n’a pas de prophète à sa disposition, mais il bénéficie d’un songe lui annonçant la naissance de Jésus. Et l’évangéliste précise, en citant l’oracle d’Isaïe : « Or tout ceci advint pour que s'accomplît cet oracle prophétique du Seigneur : Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera du nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : "Dieu avec nous". » (Mt 1, 22-23).
Recevoir un songe est un critère de maturité dans l’Esprit Saint, comme il est écrit : « Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions » (Joël 3, 1) Et contrairement à Achaz, Joseph ne rechigne pas devant les propositions divines.
« Au Seigneur, le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants !
C’est lui qui l’a fondée sur les mers et la garde inébranlable sur les flots.
Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint ?
L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles.
Il obtient, du Seigneur, la bénédiction, et de Dieu son Sauveur, la justice.
Voici le peuple de ceux qui le cherchent ! Voici Jacob qui recherche ta face ! »
Une anthropologie ternaire. Cœur/ main / âme.
« Qui montera sur la montagne sainte ? L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles ».
Le cœur est le siège de la volonté, et la pureté du cœur, c’est la pureté des intentions. En copte, faire attention à quelque chose se dit « donner le cœur à ».
Les mains correspondent au corps tout entier avec ses œuvres. Les mains innocentes sont celles de celui qui a posé des actes bons. Le psaume parle d’abord du cœur, puis des mains, puis de l’âme : le corps sanctifié par ses actes prend une place médiatrice.
L’âme correspond ici au lieu profond de communion à Dieu, le Saint des Saints dans le Temple. Si l’âme est livrée aux idoles, la communion à Dieu est obscurcie, c’est pourquoi on parle d’occultisme. L’occultisme obscurcit le sens de Dieu.
La généalogie de Matthieu apparaît comme la face concrète de ce que proclame le psaume : le Seigneur qui possède « la terre et tous ses habitants » n’est pas un Dieu lointain, mais un Dieu qui inscrit sa présence dans l’histoire humaine. En déroulant les noms d’Abraham à David, puis jusqu’au Christ, Matthieu montre que le dessein du Seigneur passe par une lignée réelle, faite de générations qui portent et transmettent la promesse. La souveraineté du Dieu créateur se manifeste ici dans la patience d’une histoire familiale où Dieu se laisse approcher.
Et pourtant, cette lignée n’est pas celle d’hommes « aux mains innocentes » ou au « cœur pur ». Elle rassemble des justes et des pécheurs. C’est une humanité traversée de lumière et d’ombre, qui avance vers Dieu sans jamais atteindre pleinement l’innocence requise.
Mais voici qu’au terme de cette longue marche apparaît celui qui accomplit enfin ce que le psaume annonçait : l’Homme au cœur parfaitement pur et aux mains vraiment innocentes : Jésus. Ainsi, la bénédiction promise dans le psaume — « Il obtient du Seigneur la bénédiction, et de Dieu son Sauveur, la justice » — trouve son accomplissement en Jésus. Toute la lignée, avec ses fidélités et ses infidélités, converge vers lui : il est celui qui reçoit parfaitement la bénédiction dddest aussi celui qui la donne, en apparaissant comme le Sauveur promis à Abraham et le roi attendu de la lignée de David.
L’Évangile de ce dimanche nous parle de saint Joseph. À la manière du psalmiste, Joseph se présente comme l’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles. Et Dieu le visite par un songe lui annonçant : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ». sssJean-Paul II commente : « "Ce qui est engendré en elle vient de l’Esprit-Saint" (Mt 1, 20) : ne faut-il pas conclure, devant ces expressions, que son amour d’homme est, lui aussi, régénéré par l’Esprit-Saint ? [...] Joseph, obéissant à l’Esprit, retrouva précisément en lui la source de l’amour, de son amour sponsal [= conjugal] d’homme, et cet amour fut plus grand que ce que l’homme juste pouvait attendre selon la mesure de son cœur humain. » (Exhortation apostolique Redemptoris Custos 19)
« Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange lui avait ordonné et prit avec lui son épouse » (Mt 1, 24). Joseph donne place à Dieu le Père dans la vie de son épouse.
Joseph est un homme juste. Il a une attitude d’offrande envers Marie, jusqu’à décider le sacrifice de son projet de mariage. Cette offrande exprime son amour d’époux. Et finalement, il est l’époux de Marie. Son amour conjugal est pétri de don de soi. Cette offrande ne change pas la nature de Marie, qui reste sa fiancée et devient son épouse. Offerts, ces évènements prennent leur place, ni plus ni moins ; et le cœur se trouve libre, léger, disponible, en paix. L’amour de Joseph ne prend pas toute la place, mais il laisse à Marie l’espace d’accomplir sa vocation très particulière de fille du Père, mère du Fils, épouse xxxx de l’Esprit Saint...
Chacun de nous est appelé à vivre le don de soi, l’offrande qui donne place à Dieu dans la vie des autres.
Au début de la nouvelle Alliance, un homme et une femme sont interpellés, et nous avons une annonce à Marie (Lc 1, 26-38) et une autre à Joseph (Mt 1, 18-25).
Jean Paul II écrivit le 15 août 1988 au sujet de Marie :« Au début de la Nouvelle Alliance, qui doit être éternelle et irrévocable, il y a une femme : la Vierge de Nazareth. » (Jean Paul II, Lettre apostolique Mulieris dignitatem § 11)
Et au sujet de Joseph, le 15 août 1989 : « L’homme juste [Joseph], qui portait en lui tout le patrimoine de l’antique alliance, a été lui aussi introduit au début de la nouvelle et éternelle alliance, en Jésus-Christ.» (Jean-Paul II, Exhortation apostolique Redemptoris Custos § 32)
Grâce donc au « oui » d’une femme (Marie) et au « oui » d’un homme (Joseph) Dieu réalise la Nouvelle Alliance : le fils du Très Haut, le Verbe divin revêt notre chair pour devenir, de la façon la plus sublime, l’Emmanuel, Dieu avec nous.
Saint Éphrem le syrien, au IVe siècle, nous montre saint Joseph remplissant auprès de l’Enfant divin les touchants devoirs du père. Il embrasse, dit-il, le nouveau-né, il lui prodigue ses caresses, et il sait que cet enfant est un Dieu. Hors de lui, il s’écrie : « D’où me vient cet honneur que le Fils du Très-Haut me soit ainsi donné pour fils ? O enfant, je fus alarmé, je le confesse, au sujet de ta mère : je songeais même à m’éloigner d’elle. L’ignorance où j’étais du mystère m’avait été un piège. En ta mère cependant résidait le trésor caché qui devait faire de moi le plus opulent des hommes. David mon aïeul ceignit le diadème royal, moi j’étais descendu jusqu’au sort de l’artisan ; mais la couronne que j’avais perdue est revenue à moi, lorsque, Seigneur des rois, tu daignes te reposer sur mon sein. » (5e hymne pour le jour de Noël, § 3 cité sur https://www.introibo.fr/Nativite-du-Seigneur-25-decembre#nb76)
Revenons au psaume. Nous pouvons le prier avec le Christ. Laisser le Christ prier en nous. « Au Seigneur, le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants ! C’est lui qui l’a fondée sur les mers et la garde inébranlable sur les flots ». C’est le Christ, verbe éternel qui prie pour que tout le cosmos, la terre entière retourne à l’ordre et à la noblesse que le Créateur lui destine.
« Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint. L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles ». C’est le Christ qui nous montre l’exemple ; il veut vivre en nous et inspirer les pensées de notre cœur, les actes de nos mains, le souffle de notre âme. Alors appelons le Christ à vivre en nous, appelons sa divine volonté.
Et le psaume s’achève avec une promesse qui nous concerne : « Il obtient, du Seigneur, la bénédiction, et de Dieu son Sauveur, la justice. Voici le peuple de ceux qui le cherchent ! Voici Jacob qui recherche ta face ! »
« Paul, serviteur du Christ Jésus, appelé à être apôtre, mis à part pour l’Évangile de Dieu, à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome. Cet Évangile, que Dieu avait promis d’avance par ses prophètes dans les Saintes Écritures, concerne son Fils qui, selon la chair, est né de la descendance de David et, selon l’Esprit de sainteté, a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts, lui, Jésus Christ, notre Seigneur. Pour que son nom soit reconnu, nous avons reçu par lui grâce et mission d’apôtre, afin d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes, dont vous faites partie, vous aussi que Jésus-Christ a appelés. À vous qui êtes appelés à être saints, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ. – Parole du Seigneur » (Rm 1, 1-7).
Paul annonce Jésus-Christ, autrement dit le Messie Jésus (Christ signifie Messie) ; Dieu l’avait « promis d’avance par ses prophètes dans les Saintes Écritures ». C’est ainsi par exemple que le prophète Isaïe a donné l’oracle que nous avons lu en première lecture. Ce Messie est « Emmanuel », Dieu avec nous. Dans l’évangile de ce dimanche, il est dit que l’enfant qui est engendré en Marie « vient de l’Esprit Saint » (Mt 1, 20) parole de l’ange Gabriel à Joseph. Il est conçu par l’action de l’Esprit Saint, que l’on peut traduire (en syriaque) l’Esprit du lieu saint. L’enfant descend comme la présence divine descendait dans le sanctuaire, entre les ailes des chérubins sur le couvercle de l’Arche d’Alliance. D’ailleurs, le récit de l’Annonciation à Marie souligne le mouvement de descente : « l’Esprit Saint surviendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira » (Lc 1, 35).
Peut-on confondre ce mouvement « descendant » avec la croyance païenne en un homme divinisé dans un mouvement « ascendant » ? Pourtant, beaucoup d’universitaires font une telle confusion en affirmant que des communautés auraient inventé la foi en la divinité du Christ – avec un mouvement ascendant typiquement païen –, et comme cela nécessitait du temps, les évangiles seraient très tardifs, et ils auraient été composés dans la langue de ces communautés issues du paganisme : en grec [1]. L’idée d’une telle influence de « païens christianisés » laisse songeur : les apôtres et les premiers papes étaient juifs, le socle hébréo-araméen biblique et cultuel assurait l’unité, en particulier l’unité liturgique (les Indiens de Saint Thomas célèbrent aujourd’hui encore en araméen).
Quand Philon, juif d’Alexandrie, vint à Rome et y vit l’empereur s’exhiber déguisé en Jupiter, il fut outré. Il écrit dans la Légation à Caïus : « Dieu se changerait plutôt en homme que l’homme en Dieu » [2]. Sa réaction est typiquement biblique, où Dieu est « descendu » délivrer son peuple (Ex 3, 8). Et si Philon va jusqu’à envisager qu’un Dieu « se change en homme », c’est certainement parce qu’il avait déjà rencontré des chrétiens, et ce n’est pas la lettre aux Éphésiens de saint Paul qui a inventé de telles idées puisque Philon est mort en 45, donc bien avant.
La foi des apôtres est biblique, elle est à l’opposé des croyances païennes. Oui, c’est Dieu qui descend, et lui seul peut « vivifier ». En face, les croyances païennes ne sont que des ballons de baudruche parce qu’un homme qui, comme Caïus Caligula, se « diviniserait » ne peut être qu’un faux messie qui s’éteint dans la poussière de son palais, ou un modèle qui ne donne pas la vie. Pour sauver et vivifier, il faut être Dieu, Dieu qui visite les hommes, Dieu avec nous, Emmanuel.eee
Saint Paul dit qu’il a mission d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes. Pour comprendre de quoi il s’agit, nous allons utiliser les explications que fit Jésus à une mystique italienne en lui montrant une foule de gens de petite taille, mal nourris, et maladifs : « l’héritage donné par mon Père céleste à cette foule de gens était ma Divine Volonté. C’est en elle qu’ils devaient trouver la nourriture pour grandir et atteindre la bonne taille, l’air balsamique qui devait les rendre sains et forts, imprimer sur leur visage la fraîcheur de l’enfant, la beauté du jeune âge et la dignité de l’homme adulte. […] Quelle foule de malheureux. Ils ne sont rien d’autre que la grande foule de ceux qui sont sortis de l’héritage paternel, don de leur Père céleste »[3].
En appelant toutes les nations païennes, Paul évoque donc un universalisme chrétien. Nous savons qu’il y a beaucoup de façons de penser l’universalisme. Les musulmans pensent que tout homme est né musulman, et que les chrétiens sont donc des gens qui ont renié l’islam. Les Juifs de la kabbale pensent qu’Israël est investi par Dieu pour être la lumière du monde ; Élie Bénamozegh écrit : « La constitution de la religion universelle est le but du judaïsme »[4].
En réalité, explique saint Paul, l’universalité est fondée sur Jésus-Christ, le nouvel Adam qui sauve tout homme. Adam vivait selon l’intention de Dieu. C’est en ce sens que l’on peut lire qu’Adam vit « par le souffle de Dieu » (Gn 2, 7). En reprenant les explications de Jésus à Luisa Piccarreta en 1929, les actes qu’Adam fit en suivant la volonté divine sont autant de souffles que la divine volonté forme en lui comme un souffle divin. Et Dieu prenait plaisir à respirer son œuvre[5]. Adam n’avait pas de « loi », la loi fut conférée plus tard, comme un pare fou, avec Noé, puis surtout avec Moïse.
Saint Paul s’adresse « à vous qui êtes appelés à être saints ». L’appel à la sainteté est universel. Ailleurs, saint Paul appelle à vivre « comme il convient à des saints » (Ep 5,3), à revêtir « comme des élus de Dieu saints et bien-aimés, des sentiments de miséricorde, de bonté, d'humilité, de douceur, de longanimité » (Col 3,12), et à porter les fruits de l'Esprit pour leur sanctification (cf. Ga 5,22 ; Rm 6,22).
Pour cela, nous avons constamment besoin de la miséricorde de Dieu, et l’évangile nous dit : « car c’est lui [Jésus] qui sauvera son peuple de ses péchés ». Être saint, c’est d’abord permettre à Jésus de nous sauver et de nous communiquer l’héritage paternel, la vie divine.
La traduction et le commentaire sont extraits de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Matthieu, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Traduction depuis la Pshitta. Préface Mgr Mirkis (Irak) ; Mgr Dufour (France) et Mgr Kazadi (Congo RDC). Parole et Silence, 2025.
« 1,18 Quant à l’enfantement de Jésus le Messie, / ce fut ainsi :
Marie sa mère, étant fiancée à Joseph, / avant qu’ils ne fassent vie commune,
fut trouvée enceinte / par le fait de l’Esprit de Sainteté.
19 Or Joseph, son mari, / était un juste et ne voulut pas l’exposer,
et il réfléchissait / comment la répudier secrètement.
20 Or, tandis qu’il réfléchissait à ces choses-là, / lui apparut l’ange du SEIGNEUR en songe,
et il lui dit :
‘Joseph, Fils de David, / ne crains pas de prendre Marie, ta femme ;
celui qui, en effet, a été engendré en elle, / l’est par le fait de l’Esprit de Sainteté :
21 Or elle enfantera un fils, / et elle appellera son nom : Jésus.
Lui, en effet, / il vivifiera son peuple loin de ses péchés’.
22 Car en effet tout ceci est advenu / de sorte que soit accompli
ce qui fut dit de la part du SEIGNEUR / par le prophète :
23 ‘Voici : la vierge concevra et enfantera un fils, / et ils appelleront son nom : Emmanuel,
qui signifie : / notre Dieu avec nous.
24 Lorsque Joseph se releva de son sommeil, / il fit comme lui commanda l’ange du SEIGNEUR. »
À la fin de la généalogie de Jésus, Matthieu a indiqué que la conception de Jésus est une œuvre divine, mais n’aurait-il pas inventé ? Non : Joseph prouve la vérité de l’événement par les hésitations de sa conduite. Marie est fiancée [mḵīrā] (Mt 1,18) : le mariage est socialement scellé. Or elle est trouvée enceinte. La loi ne permet pas à Joseph de vivre avec elle, et les autorités devraient être informées. Pire, les autorités auraient pu demander de voir le drap tâché prouvant le dépucelage, une preuve que Joseph ne possède évidemment pas[6]. Il réfléchissait comment la « délier secrètement » du contrat de mariage, sans « nparsēh » : ce verbe signifie répandre, étaler un tissu ou une nouvelle, ce n’est pas le mot « dénoncer » (qui implique un soupçon). Joseph est juste « kīnā » (Mt 1,19). Mgr Alichoran[7] explique que cet adjectif joue sur deux tableaux : intégrité et droit de l’autre. Joseph est intègre, il réfléchit dans le silence pour respecter les droits de Marie et les droits de Dieu.
« Or, tandis qu’il réfléchissait à ces choses-là, lui apparut l’ange du SEIGNEUR » (Mt 1,20).
Recevoir un songe est un critère de maturité dans l’Esprit Saint, comme il est écrit : « Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions » (Joël 3,1). En pénétrant les pensées secrètes de Joseph et les angoisses de son cœur, le messager prouve qu’il vient du ciel. Corrigeant le projet de Joseph, l’ange désigne en Marie son épouse, et il l’invite à la prendre chez lui.
Le récitant soignera la mémorisation des versets 20 et 21, qui sont les versets centraux.
Marie « fut trouvée enceinte par le fait de l’Esprit de Sainteté » (Mt 1,18) et l’ange du SEIGNEUR explique à Joseph que « celui qui, en effet, a été engendré en elle, l’est par le fait de l’Esprit de Sainteté » (Mt 1,20). (Les prêtres chaldéens préfèrent traduire rūḥā d-qūḏšā « l’Esprit de Sainteté » plutôt que « l’Esprit Saint »). En Mt 1,20 : « men » a un sens causal historique : par le fait, par l’action unique de l’Esprit Saint. On remarque que l’ordre des mots grecs εκ πνευματος εστιν αγιου est inhabituel dans cette langue, c’est un décalque de l’ordre des mots araméens : men rūḥā hū d-qūḏšā. Cette remarque n’est pas un détail : dans la pensée grecque, certains hommes sont exaltés comme des divinités, mais « l’Incarnation » ne viendrait pas à l’esprit ; au contraire, dans la pensée juive, qu’un homme se fasse Dieu serait une abomination, alors que l’idée de Dieu qui descend visiter son peuple est une idée familière. C’est pourquoi nous pensons que le récitatif de l’annonciation à Joseph n’a pas été composé par une communauté grecque, mais bien par le premier concerné, de culture juive et de langue araméenne, puis transmis par la famille de Jésus.
L’ange du SEIGNEUR annonça à Joseph :
« Or elle enfantera un fils, / et elle appellera son nom : Jésus.
Lui, en effet, / il vivifiera son peuple loin de ses péchés. » (Mt 1,21).
« Il vivifiera son peuple » (Mt 1,21) : cette expression se rapporte uniquement à Dieu. L’expression ‘son peuple’ est très forte. Le Nouveau Testament, en héritant du langage de l’Ancien Testament, la rapporte uniquement à Dieu qui avait choisi Israël comme son peuple ; maintenant, par l’œuvre du Christ, il s’est acquis un nouveau peuple, formé aussi des gentils, les chrétiens issus du paganisme (Ac 15,14 ; Hé 4,9 ; 10,30 ; 1 Pt 2,10 ; Tt 2,14). Si dans la première alliance le peuple était exclusivement celui de Dieu, au temps de la nouvelle alliance il appartient en même temps au Père et au Fils, le Christ. Le Christ, le nouvel Emmanuel a reçu tout pouvoir au ciel et sur la terre (Mt 28,19). Donc il a aussi « son peuple » (Mt 1,21), qui est le peuple de Dieu.
« Loin de ses péchés » (Mt 1,21) : sauver des péchés est une prérogative divine. Nous l’apprenons de la suite de l’évangile, quand Jésus dit à un paralytique « Ils te sont remis, tes péchés ! », les scribes sont scandalisés (Mt 9,2-3).
En Mt 1,21, le texte araméen comporte une ambiguïté : « teqre » peut être traduit : « elle appellera » ou « tu appelleras ». Bien que les textes grecs et latins aient traduit « tu appelleras [grec : καλεσει ; latin : vocabis] », il serait plus cohérent de traduire « elle appellera » : le soir de Noël, quand Joseph entend Marie nommer le nouveau-né : « Jésus » ; il est confirmé dans sa foi aux paroles de l’ange « elle l’appellera Jésus ».
« Et ils appelleront son nom : Emmanuel », ce n’est pas son prénom, mais c’est un nom qui désigne un événement et la destinée de l’enfant. « Emmanuel… Dieu avec nous » (Mt 1,23). Jésus ressuscité, en apparaissant aux disciples, leur promet : « Et voici que je suis avec vous [c’est-à-dire je suis « Emmanuel… Dieu avec nous »] pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Aucun homme ne peut être avec nous jusqu’à la fin du monde. L’Emmanuel n’est donc pas simplement un homme, aussi prestigieux soit-il. On pouvait penser qu’Ezéchias était celui qu’annonçait l’oracle d’Isaïe 7,14. Mais nous sommes ici dans une autre situation. Pour le premier évangéliste, et pour Joseph, il n’y a absolument aucun doute que le fils de Marie soit de nature unique, un Être divin !
Enfin, l’évangile de Matthieu est un lectionnaire liturgique, il termine à Pâques et reprend juste après. J’ai établi que l’annonciation à Joseph, avec le fil d’oralité qui lui est attaché, fait écho au livre du Lévitique.
Marie « fut trouvée enceinte par le fait de l’Esprit de Sainteté » (Mt 1,18) et « celui qui, en effet, a été engendré en elle, l’est par le fait de l’Esprit de Sainteté » (Mt 1,20) ; cette répétition répond à l’attente majeure du livre du Lévitique « Vous vous êtes sanctifiés et vous êtes devenus saints car je suis saint » (Lv 11,44) : la sainteté est requise de tout le peuple Lv 19,2 ; 20,7.24-26 ; 21,8 ; 22,31-33.
De plus, annoncer que Jésus « vivifiera[8] son peuple loin de ses péchés » (Mt 1,21), c’est annoncer un accomplissement du rituel du Yom Kippour, ou fête des Expiations, qui se trouve au centre du livre du Lévitique. Aaron exécutait, par un rite sanglant, « l’expiation pour lui, pour sa maison et pour toute la communauté d’Israël » (Lv 16,17). On y trouvait très précisément, avec le bouc émissaire, la représentation de l’éloignement des péchés (Lv 16,20-22). Maintenant, c’est Jésus qui « vivifiera son peuple loin de ses péchés » (Mt 1,21),
[1] C’est la thèse de la publication financée par le ministère de la culture : Après Jésus, l’invention du christianisme (sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim), Albin Michel, 2020.
[2] Philon d’Alexandrie, Légation à Caïus, trad. Delaunay, Paris, Didier, 1870, p.310 (§ 118).
[3] Luisa RRETA, Le livre du Ciel, 6 janvier 1929
[4] Élie BÉNAMOZEGH, Israël et l'humanité. Étude sur le problème de la religion universelle et sa solution., Editions Ethose 2020, p. 47
[5] Cf. Luisa PICCARRETA, Le livre du Ciel, 9 juin 1929 (Tome 26, p. 44)
[6] Ce drap [šušepā] est mentionné par ÉPHREM de Nisibe, dans les Hymnes sur la Nativité 14,12 ou 16,13 cf. op.cit., p. 194 et note 4 p. 208.
[7] Mgr ALICHORAN, L’évangile en araméen Mt 5–7, éditions Bellefontaine (spiritualité orientale n °80),2002 sur Mt 5,6. Ordonné en Irak, Mgr Alichoran fut le recteur de la mission chaldéenne de Paris jusqu’à sa mort en 1987.
[8] En araméen, le verbe sauver est très souvent le verbe « vivifier ».
Date de dernière mise à jour : 17/11/2025