4e dimanche de l’Avent (A)

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Première lecture Is 7, 10-16

Psaume Ps 23

Deuxième lecture Rm 1, 1-7

Évangile Mt 1, 18-24

Première lecture Is 7, 10-16

« En ces jours-là, le Seigneur parla ainsi au roi Achaz : « Demande pour toi un signe de la part du Seigneur ton Dieu, au fond du séjour des morts ou sur les sommets, là-haut. » Achaz répondit : « Non, je n’en demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve. » Isaïe dit alors : « Écoutez, maison de David ! Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes : il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu ! C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). De crème et de miel il se nourrira, jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien. Avant que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, la terre dont les deux rois te font trembler sera laissée à l’abandon. » – Parole du Seigneur.

Achaz est à Jérusalem, il est le roi de Judée. Pour comprendre cette lecture, il nous faut faire un peu d’histoire en nous référant au 2e livre des rois, aux chapitres 16 et 17. En ce temps là, de grandes menaces pèsent sur le royaume. L’empire assyrien (Teglat Phalasar) menace toute la région par ses conquêtes. En 735 avant J-C, Damas et Samarie s’allient contre l’empire assyrien ou Assyrie (à ne pas confondre avec ce qu’on appelle de nos jours la Syrie) et demandent au royaume de Juda de s’associer à eux. Le royaume de Juda refuse, c’est donc une guerre qui oppose deux tribus d’Israël, la tribu de Juda et la tribu d’Ephraïm, une guerre fratricide (2R 16). Deux rois, celui de Damas (Recin) et celui de Samarie (Peqah) marchent contre Jérusalem, et le roi Achaz s’affole. Le temps est à la panique. Achaz fait passer son fils par le feu (sacrifice au Moloch) pour tenter de conjurer la menace, c’est une attitude païenne, magique. Et puis, ce n’est pas le moment de procréer : à quoi bon mettre au monde des enfants qui risquent de périr à la guerre ? Son fils mort, il veut stabiliser sa dynastie en s’en remettant à la sollicitude d’un roi étranger et fait alliance avec l’Assyrie, il lui paye tribut en dépouillant le Temple (2 R 16, 7-8).

C’est alors que le prophète Isaïe donne au roi Achaz un message de la part de Dieu qui court-circuite ses manœuvres, nous revenons au livre d’Isaïe chapitre 7. Commençons pas la fin du message : « la terre dont les deux rois te font trembler sera laissée à l’abandon », c’est-à-dire Damas et la Samarie, en effet, l’Assyrie annexe Damas en 732, et en l’an 721, c’est Samarie qui tombe aux mains des assyriens, la population est déportée et des peuplades étrangères et différentes sont forcées de s’installer en Samarie.

Étudions maintenant de plus près le fameux oracle, il est formulé différemment en hébreu et en grec :

Tout d’abord en hébreu, texte massorétique : « Voici la jeune fille (« alma ») est enceinte et enfantera un fils, et il l’appellera Emmanuel. » (Isaïe 7, 14). Il existe en hébreu, un autre terme « betulah », qui pourrait désigner une vierge mais qui est un terme ambigu : - dans les textes non juridiques il peut signifier simplement l’âge de la vie plus que l’état physique de la fille ou de la femme, - dans les textes législatifs le terme « betulah » signifie vierge au sens strict. Peut-être y avait-il un texte hébreu ancien qui parlait d’une vierge, et qu’il aurait été modifié par les massorètes, mais nous ne possédons pas un tel texte.

Dans le texte hébreu que nous avons, la jeune femme n’est pas vierge, le signe donné par Dieu consiste simplement dans ce fait : une jeune femme va donner la vie. Et en effet, ce simple fait s’oppose à l’attitude du roi Achab qui a sacrifié son fils, et il s’oppose à l’atmosphère générale quasi désespérée. C’est un message important, une parole forte qui doit faire changer le comportement du roi, et du peuple. C’est comme si Dieu disait : quitte ton voile de tristesse, espère, prend courage (cf. Is 41, 7)… Isaïe annonce au roi qu’il va recevoir une descendance bien vivante pour la dynastie de Judée, selon le dessein divin. Nous ne savons pas qui est la jeune femme. Mais, de l’avis général, l’enfant est Ezéchias. En effet, Isaïe 1-40 est un livre centré sur l’histoire du roi Ezéchias, le fils d’Achaz. Avec lui, et grâce à sa neutralité, le royaume de Juda sera protégé de l’invasion assyrienne. L’Assyrien Sennacherib (704-681) fait le siège de Jérusalem, mais il échoue et fait demi tour (Isaïe 37). À travers Ezéchias, le peuple peut donc dire : « Dieu est avec nous », c’est le sens de son surnom, Emmanuel (Is 7, 14) ; ou encore « Dieu fort » (Is 9, 5). Pour la tradition juive, le Midrash Rabbah sur Exode 18, 5 qui ait allusion à Isaïe 7, 14 l’enfant qui est en vue est tout simplement Ezéchias.

Dans la Septante, Is 7, 14, en grec, donc, nous lisons : « Voici, la vierge (« parthenos ») portera dans le ventre et enfantera un fils, et tu appelleras Emmanuel ». Le texte grec de la septante est plus tardif, mais il est aussi inspiré. Il y a là une nouvelle révélation, à l’époque des Grecs, donc. Isaïe 7, 14 annonce alors une conception virginale. Le verset ne vise plus Ezéchias, il vise le Messie, et un messie transcendant, qui n’est pas conçu par la semence humaine : un Messie qui vient de Dieu. Les paroles « Emmanuel » (Is 7, 14) et « Dieu fort » (Is 9, 5) reçoivent une signification transcendante : ce Messie vient de Dieu et il est Dieu. Et c’est dans cette version grecque que le Nouveau Testament affirmera l’accomplissement de la prophétie par le Christ.

Joseph, promis en mariage à Marie, n’a pas de prophète à sa disposition, mais il bénéficie d’un songe lui annonçant la naissance de Jésus. Et l’évangéliste précise, en citant l’oracle d’Isaïe : « Or tout ceci advint pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur : Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ». » (Mt 1, 22-23).

Recevoir un songe est un critère de maturité dans l’Esprit Saint, comme il est écrit : « Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions » (Joël 3, 1) Et contrairement à Achaz, Joseph ne rechigne pas devant les propositions divines.

Psaume Ps 23

Intéressons-nous à l’antienne du psaume : « qu’il vienne le Seigneur ! »

Le Seigneur vient à Noël et il reviendra un jour dans la gloire. Cette seconde venue n’est pas la fin du monde mais le jugement de l’Antichrist, sombre personnage appelé aussi le « faux prophète ». Et tous ceux qui avaient rejeté le système de cet Antichrist formeront alors sur la terre le royaume des justes, vivant dans la présence glorieuse du Christ, accompagné des saints du paradis et des anges, pour se préparer à la Vie éternelle (car cette terre-ci finira par passer). Alors prions : « qu’il vienne le Seigneur ! »

Nous ne pouvons en dire plus ici, lire par exemple : Françoise Breynaert, L’Apocalypse revisitée, un filet d’oralité. Imprimatur. Parole et Silence, Paris 2022.

Venons-en au psaume. (Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6) :

« Au Seigneur, le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants !
C’est lui qui l’a fondée sur les mers et la garde inébranlable sur les flots.

Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint ?
L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles.

Il obtient, du Seigneur, la bénédiction, et de Dieu son Sauveur, la justice.

Voici le peuple de ceux qui le cherchent ! Voici Jacob qui recherche ta face ! »

Une anthropologie ternaire. Cœur/ main / âme.

« Qui montera sur la montagne sainte ? L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles ».

Le cœur est le siège de la volonté, et la pureté du cœur, c’est la pureté des intentions. En copte, faire attention à quelque chose se dit « donner le cœur à ».

Les mains correspondent au corps tout entier avec ses œuvres. Les mains innocentes sont celles de celui qui a posé des actes bons. Le psaume parle d’abord du cœur, puis des mains, puis de l’âme : le corps sanctifié par ses actes prend une place médiatrice.

L’âme correspond ici au lieu profond de communion à Dieu, le Saint des Saints dans le Temple. Si l’âme est livrée aux idoles, la communion à Dieu est obscurcie, c’est pourquoi on parle d’occultisme. L’occultisme obscurcit le sens de Dieu.

Joseph

L’Évangile de ce dimanche nous parle de saint Joseph. À la manière du psalmiste, Joseph se présente comme l’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles. Et Dieu le visite par un songe lui annonçant « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ». Jean-Paul II commente : « « Ce qui est engendré en elle vient de l’Esprit-Saint » (Mt 1, 20) : ne faut-il pas conclure, devant ces expressions, que son amour d’homme est, lui aussi, régénéré par l’Esprit-Saint ? [...] Joseph, obéissant à l’Esprit, retrouva précisément en lui la source de l’amour, de son amour sponsal [= conjugal] d’homme, et cet amour fut plus grand que ce que l’homme juste pouvait attendre selon la mesure de son cœur humain. » (Exhortation apostolique Redemptoris Custos 19)

 « Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange lui avait ordonné et prit avec lui son épouse » (Mt 1, 24). Joseph donne place à Dieu le Père dans la vie de son épouse.

Joseph est un homme juste. Il a une attitude d’offrande envers Marie, jusqu’à décider le sacrifice de son projet de mariage. Cette offrande exprime son amour d’époux. Et finalement, il est l’époux de Marie. Son amour conjugal est pétri de don de soi. Cette offrande ne change pas la nature de Marie, qui reste sa fiancée et devient son épouse. Offerts, ces évènements prennent leur place, ni plus ni moins ; et le cœur se trouve libre, léger, disponible, en paix. L’amour de Joseph ne prend pas toute la place mais il laisse à Marie l’espace d’accomplir sa vocation très particulière de fille du Père, mère du Fils, épouse de l’Esprit Saint...

Chacun de nous est appelé à vivre le don de soi, l’offrande qui donne place à Dieu dans la vie des autres.

Au début de la nouvelle Alliance, un homme et une femme sont interpellés, et nous avons une annonce à Marie (Lc 1, 26-38) et une autre à Joseph (Mt 1, 18-25).

Jean Paul II écrivit le 15 août 1988 au sujet de Marie :« Au début de la Nouvelle Alliance, qui doit être éternelle et irrévocable, il y a une femme : la Vierge de Nazareth. » (Jean Paul II, Lettre apostolique Mulieris dignitatem § 11)

Et au sujet de Joseph, le 15 août 1989 : « L’homme juste [Joseph], qui portait en lui tout le patrimoine de l’antique alliance, a été lui aussi introduit au début de la nouvelle et éternelle alliance, en Jésus-Christ.» (Jean-Paul II, Exhortation apostolique Redemptoris Custos § 32)

Grâce donc au « oui » d’une femme (Marie) et au « oui » d’un homme (Joseph) Dieu réalise la Nouvelle Alliance : le fils du Très Haut, le Verbe divin revêt notre chair pour devenir, de la façon la plus sublime, l’Emmanuel, Dieu avec nous.

Prier le psaume avec le Christ.

C’est le Christ qui prie en nous. C’est le Christ, verbe éternel qui prie pour que tout le cosmos, la terre entière retourne à l’ordre et à la noblesse que le Créateur lui destine. « Au Seigneur, le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants ! C’est lui qui l’a fondée sur les mers et la garde inébranlable sur les flots ».

C’est le Christ qui nous montre l’exemple de celui « Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint. L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles ». Il veut vivre en nous et inspirer les pensées de notre cœur, les actes de nos mains, le souffle de notre âme. Alors appelons le Christ vivre en nous, appelons sa divine volonté.

Et le psaume s’achève avec une promesse qui nous concerne : « Il obtient, du Seigneur, la bénédiction, et de Dieu son Sauveur, la justice. Voici le peuple de ceux qui le cherchent ! Voici Jacob qui recherche ta face ! »

Deuxième lecture Rm 1, 1-7

« Paul, serviteur du Christ Jésus, appelé à être apôtre, mis à part pour l’Évangile de Dieu, à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome. Cet Évangile, que Dieu avait promis d’avance par ses prophètes dans les Saintes Écritures, concerne son Fils qui, selon la chair, est né de la descendance de David et, selon l’Esprit de sainteté, a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts, lui, Jésus Christ, notre Seigneur. Pour que son nom soit reconnu, nous avons reçu par lui grâce et mission d’apôtre, afin d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes, dont vous faites partie, vous aussi que Jésus-Christ a appelés. À vous qui êtes appelés à être saints, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ. – Parole du Seigneur » (Rm 1, 1-7).

Paul annonce Jésus-Christ, autrement dit le Messie Jésus (Christ signifie Messie) ; Dieu l’avait « promis d’avance par ses prophètes dans les Saintes Écritures ». C’est ainsi par exemple que le prophète Isaïe a donné l’oracle que nous avons lu en première lecture. Ce Messie est « Emmanuel », Dieu avec nous. Dans l’évangile de ce dimanche, il est dit que l’enfant qui est engendré en Marie « vient de l’Esprit Saint » (Mt 1, 20) parole de l’ange Gabriel à Joseph. Il est conçu par l’action de l’Esprit Saint, que l’on peut traduire (en syriaque) l’Esprit du lieu saint. L’enfant descend comme la présence divine descendait dans le sanctuaire, entre les ailes des chérubins sur le couvercle de l’Arche d’Alliance. D’ailleurs, le récit de l’Annonciation à Marie souligne le mouvement de descente : « l’Esprit Saint surviendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira » (Lc 1, 35).

Peut-on confondre ce mouvement « descendant » avec la croyance païenne en un homme divinisé dans un mouvement « ascendant » ? Pourtant, beaucoup d’universitaires font une telle confusion en affirmant que des communautés auraient inventé la foi en la divinité du Christ – avec un mouvement ascendant typiquement païen –, et comme cela nécessitait du temps, les évangiles seraient très tardifs, et ils auraient été composés dans la langue de ces communautés issues du paganisme : en grec [1]. L’idée d’une telle influence de « païens christianisés » laisse songeur : les apôtres et les premiers papes étaient juifs, le socle hébréo-araméen biblique et cultuel assurait l’unité, en particulier l’unité liturgique (les Indiens de Saint Thomas célèbrent aujourd’hui encore en araméen).

Quand Philon, juif d’Alexandrie, vint à Rome et y vit l’empereur s’exhiber déguisé en Jupiter, il fut outré. Il écrit dans la Légation à Caïus : « Dieu se changerait plutôt en homme que l’homme en Dieu » [2]. Sa réaction est typiquement biblique, où Dieu est « descendu » délivrer son peuple (Ex 3, 8). Et si Philon va jusqu’à envisager qu’un Dieu « se change en homme », c’est certainement parce qu’il avait déjà rencontré des chrétiens, et ce n’est pas la lettre aux Éphésiens de saint Paul qui a inventé de telles idées puisque Philon est mort en 45, donc bien avant.

La foi des apôtres est biblique, elle est à l’opposé des croyances païennes. Oui, c’est Dieu qui descend, et lui seul peut « vivifier ». En face, les croyances païennes ne sont que des ballons de baudruche parce qu’un homme qui, comme Caïus Caligula, se « diviniserait » ne peut être qu’un faux messie qui s’éteint dans la poussière de son palais, ou un modèle qui ne donne pas la vie. Pour sauver et vivifier, il faut être Dieu, Dieu qui visite les hommes, Dieu avec nous, Emmanuel.eee

Saint Paul dit qu’il a mission d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes. Pour comprendre de quoi il s’agit, nous allons utiliser les explications que fit Jésus à une mystique italienne en lui montrant une foule de gens de petite taille, mal nourris, et maladifs : « l’héritage donné par mon Père céleste à cette foule de gens était ma Divine Volonté. C’est en elle qu’ils devaient trouver la nourriture pour grandir et atteindre la bonne taille, l’air balsamique qui devait les rendre sains et forts, imprimer sur leur visage la fraîcheur de l’enfant, la beauté du jeune âge et la dignité de l’homme adulte. […] Quelle foule de malheureux. Ils ne sont rien d’autre que la grande foule de ceux qui sont sortis de l’héritage paternel, don de leur Père céleste »[3].

En appelant toutes les nations païennes, Paul évoque donc un universalisme chrétien. Nous savons qu’il y a beaucoup de façons de penser l’universalisme. Les musulmans pensent que tout homme est né musulman, et que les chrétiens sont donc des gens qui ont renié l’islam. Les Juifs de la kabbale pensent qu’Israël est investi par Dieu pour être la lumière du monde ; Élie Bénamozegh écrit : « La constitution de la religion universelle est le but du judaïsme »[4].

En réalité, explique saint Paul, l’universalité est fondée sur Jésus-Christ, le nouvel Adam qui sauve tout homme. Adam vivait selon l’intention de Dieu. C’est en ce sens que l’on peut lire qu’Adam vit « par le souffle de Dieu » (Gn 2, 7). En reprenant les explications de Jésus à Luisa Piccarreta en 1929, les actes qu’Adam fit en suivant la volonté divine sont autant de souffles que la divine volonté forme en lui comme un souffle divin. Et Dieu prenait plaisir à respirer son œuvre[5]. Adam n’avait pas de « loi », la loi fut conférée plus tard, comme un pare fou, avec Noé, puis surtout avec Moïse.

Saint Paul s’adresse « à vous qui êtes appelés à être saints ». L’appel à la sainteté est universel. Ailleurs, saint Paul appelle à vivre « comme il convient à des saints » (Ep 5,3), à revêtir « comme des élus de Dieu saints et bien-aimés, des sentiments de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, de longanimité » (Col 3,12), et à porter les fruits de l’Esprit pour leur sanctification (cf. Ga 5,22 ; Rm 6,22).

Pour cela, nous avons constamment besoin de la miséricorde de Dieu, et l’évangile nous dit : « car c’est lui [Jésus] qui sauvera son peuple de ses péchés ». Être saint, c’est d’abord permettre à Jésus de nous sauver et de nous communiquer l’héritage paternel, la vie divine.

Évangile Mt 1, 18-24

« Voici comment fut engendré Jésus-Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : ‘Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), [dans le texte araméen, syriaque, nous lisons : ‘elle lui donneras le nom de Jésus’] car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés’. Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : ‘Dieu-avec-nous’. Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse. – Acclamons la Parole de Dieu » (Mt 1, 18-24 AELF).

Il y a sur ce texte des q estions de traductions très intéressantes.

Le Messie attendu doit être fils de David. Que Jésus ne soit pas conçu par Joseph contrarie sa messianité, mais la conception de Jésus accomplit l’oracle d’Isaïe 7, 14 : « Voici, la vierge (« parthenos ») portera dans le ventre et enfantera un fils, et tu appelleras Emmanuel » (Is 7, 14 grec , Septante].

Selon le texte grec (la Septante), c’était le père qui donnait le nom. Mais, selon le texte hébreu de l’oracle d’Isaïe 7,14, c’est la mère qui donnait le nom à l’enfant.

Or, dans l’évangile, en Mt 1, 21, le texte araméen comporte une ambiguïté : « ṯeqre » peut être traduit : « elle l’appellera » ou « tu l’appelleras ». Bien que les textes grecs et latins aient traduit « tu appelleras [grec : καλεσει ; latin : vocabis] », selon le rôle qui revient au père au moment des rites publics de la circoncision, il serait plus cohérent de traduire « elle l’appellera ». En effet, un signe analogue est donné à Zacharie avec les mêmes mots en araméen, et les mêmes traductions en grec et en latin (Lc 1, 13), mais pour comprendre le reproche de l’ange en Lc 1, 20, il faut traduire « elle l’appellera ». Le sens est alors clair : l’ange a donné un premier signe à Zacharie, signe qu’il devait constater au moment de la naissance de l’enfant : Élisabeth appellera [ṯeqre] son fils du nom de Jean (Lc 1, 13). Et c’est bien ce qui advient (Lc 1, 60).

De même, l’ange Gabriel donne un signe similaire à Joseph. Et le soir de Noël, quand Joseph entend Marie nommer le nouveau-né « Jésus », il est confirmé dans sa foi aux paroles de l’ange.

Joseph n’a pas fait un simple rêve, il a fait un songe où l’ange lui a donné un signe tangible que Joseph a pu vérifier par la suite.

Dans l’annonce à Joseph (Mt 1, 18-25), trois phrases (ou expressions) dénotent le caractère divin de l’enfant conçu par Marie :

  1. « Il sauvera son peuple » (Mt 1,21) : cette expression se rapporte uniquement à Dieu. L’expression « son peuple » est très forte. Le Nouveau Testament, en héritant du langage de l’Ancien Testament, la rapporte uniquement à Dieu qui avait choisi Israël comme son peuple ; maintenant, par l’œuvre du Christ, il s’est acquis un nouveau peuple, formé aussi des gentils, les chrétiens issus du paganisme (Ac 15, 14 ; Hé 4, 9 ; 10, 30 ; 1 Pt 2, 10 ; Tt 2, 14). Si dans la première alliance le peuple était exclusivement celui de Dieu, au temps de la nouvelle alliance il appartient en même temps au Père et au Fils, le Christ. Le Christ, le nouvel Emmanuel a reçu tout pouvoir au ciel et sur la terre (Mt 28, 19). Donc il a aussi « son peuple » (Mt 1, 21), qui est le peuple de Dieu.
  2. « … de ses péchés » (Mt 1,21) : sauver des péchés est une prérogative divine. Nous l’apprenons de la suite de l’évangile. « Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : ‘Aie confiance, mon enfant, tes péchés sont remis’. Et voici que quelques scribes se dirent par-devers eux : ‘Celui-là blasphème’ » (Mt 9, 3). Marc précise encore mieux : « Qui peut remettre les péchés sinon Dieu seul ? » (Mc 2, 7). Par conséquent, ces paroles « il sauvera son peuple de ses péchés » sont aussi un témoignage indirect de la divinité du Christ.
  3. « Emmanuel… Dieu avec nous » (Mt 1, 23) : selon la doctrine de Matthieu, cette appellation « Emmanuel… Dieu avec nous » (Mt 2, 23) doit être comprise dans son sens plein. Jésus ressuscité, en apparaissant aux disciples, leur promet : « Et voici que je suis avec vous [c’est-à-dire je suis « Emmanuel… Dieu avec nous »] pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Aucun homme ne peut être avec nous jusqu’à la fin du monde. L’Emmanuel n’est donc pas simplement un homme, aussi prestigieux soit-il. On pouvait penser qu’Ezéchias été celui qu’annonçait l’oracle d’Isaïe 7, 14. Mais nous sommes ici dans une autre situation. L’Emmanuel, le Christ, est le ressuscité, qui a révélé sa divinité dans le mystère pascal et déjà bien avant.

Aussi pour le premier évangéliste, et pour Joseph, il n’y a absolument aucun doute que le fils de Marie soit de nature unique, un Être divin ! Dieu ne va pas s’incarner en Marie sans annoncer qu’il vient. Marie ne va pas être enceinte d’un enfant sans savoir qui il est.

Jésus dira : « Il y a ici plus que le temple » (Mt 12, 6) ; « il y a ici plus que Jonas !.. il y a plus que Salomon ! » (Mt 12, 41.42). Celui dont nous célébrons la naissance à Noël est plus que x,y,z. Il est Dieu qui visite l’humanité. Nous n’allons pas devant lui uniquement avec des sentiments humains, nous allons à sa rencontre comme à la rencontre du Créateur, dans l’émerveillement, l’action de grâce, l’adoration.


[1] C’est la thèse de la publication financée par le ministère de la culture : Après Jésus, l’invention du christianisme (sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim), Albin Michel, 2020.

[2] Philon d’Alexandrie, Légation à Caïus, trad. Delaunay, Paris, Didier, 1870, p.310 (§ 118).

[3] Luisa RRETA, Le livre du Ciel, 6 janvier 1929

[4] Élie BÉNAMOZEGH, Israël et l’humanité. Étude sur le problème de la religion universelle et sa solution., Editions Ethose 2020, p. 47

[5] Cf. Luisa PICCARRETA, Le livre du Ciel, 9 juin 1929 (Tome 26, p. 44)

Date de dernière mise à jour : 31/08/2023