23e dimanche ordinaire (C)

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Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30. 

Première lecture (Sg 9, 13-18)

Psaume (Ps 89 (90), 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc)

Deuxième lecture (Philémon 9b-10.12-17)

Évangile (Lc 14, 25-33)

 

Première lecture (Sg 9, 13-18)

Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? Les réflexions des mortels sont incertaines, et nos pensées, instables ; car un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées. Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ; ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ? Et qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? C’est ainsi que les sentiers des habitants de la terre sont devenus droits ; c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés. Parole du Seigneur.

Cette lecture est une méditation de Salomon qui vient d’accéder au trône :

« 8, 21 Comprenant que je ne pourrais devenir possesseur de la Sagesse que si Dieu me la donnait, -- et c'était déjà de l'intelligence que de savoir de qui vient cette faveur -- je m'adressai au Seigneur et le priai, et je dis de tout mon coeur:

1 "Dieu des Pères et Seigneur de miséricorde, toi qui, par ta parole, as fait l'univers, 2 toi qui, par ta Sagesse, as formé l'homme […] 4 donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse, […] 4. Avec toi est la Sagesse, qui connaît tes œuvres  et qui était présente quand tu faisais le monde ; elle sait ce qui est agréable à tes yeux et ce qui est conforme à tes commandements. […] 7. C'est toi qui m'as choisi pour roi de ton peuple et pour juge de tes fils et de tes filles. […] 9 Avec toi est la Sagesse, qui connaît tes oeuvres et qui était présente quand tu faisais le monde; elle sait ce qui est agréable à tes yeux et ce qui est conforme à tes commandements. 10 Mande-la des cieux saints, de ton trône de gloire envoie-la… » (Bible de Jérusalem)

[Et vient alors la lecture de ce dimanche : ] « Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? » (v. 13 AELF)

Nous aussi, osons reconnaître notre pauvreté et prier, se défier de sa volonté propre, de ses propres calculs pour demander à Dieu son avis, son conseil, ses décisions.

« 14 Les réflexions des mortels sont incertaines, et nos pensées, instables ;

15 car un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées. » (AELF)

Quand on dit que le corps appesantit l’âme, ce n’est pas pour déprécier le corps et les réalités de la terre : elles sont été créées dans un but noble et ne sont pas un obstacle à la connaissance de ce qui vient d’en haut, dire cela serait une injure au Créateur. Ce qui est un obstacle ce sont les soucis liés à notre survie, parce que le corps est corruptible comme une tente d’argile et que nous avons perdu la confiance au Dieu Vivant.

Surtout, dans ce texte, il y a l’image de ce qui vient d’en haut.

« 16 Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ; ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ? 17 Et qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? » (AELF)

Bien sûr, Dieu est immatériel, mais l’image qui vient à l’esprit est celle de la voûte des cieux et du soleil qui éclaire toute la terre. Tous les habitants de la terre peuvent se mettre au soleil, mais on peut aussi se mettre à l’ombre, alors on reçoit moins de soleil. Ou même, si on est dans une grotte, on ne reçoit plus du tout de soleil. C’est la même chose pour découvrir la volonté de Dieu. Celui qui se ferme à Dieu est dans une grotte sombre. Celui qui reste dans ses calculs personnels est à l’ombre de ses propres calculs. Celui qui prie sort de l’ombre et se met au soleil, alors il peut comprendre les couleurs que la lumière du soleil suscite, il peut goûter les saveurs des fruits qui mûrissent au soleil. Celui-là peut donc découvrir et connaître le dessein de Dieu, il peut concevoir ce que veut le Seigneur. Mais celui qui vit enfermé dans les calculs de ses propres intérêts ne peut rien percevoir.

Bien que dans notre lecture, les mots grecs traduits pas intention ou volonté ne soient pas l’équivalent exact des mots français (la Bible de Jérusalem a choisi d’autres mots), il est bon de profiter de l’occasion pour préciser, dans la langue française, la distinction entre l’intention et l’acte de volonté.

En 1907, le docteur Vittoz expliquait, dans son ouvrage Traitement des psychonévroses par la rééducation du contrôle cérébral que celui qui fait usage de sa volonté « prend appui sur l’air qu’il garde dans sa poitrine pendant un bref instant, ce qui augmente la tension du pouls et la circulation ».[1] Et, un peu plus loin, « Dans l’intention, l’effort reste, tant que l’intention persiste ; l’énergie n’est que comprimée, non utilisée ; il reste toujours le sentiment de quelque chose d’incomplet et d’à moitié vrai. […] Le désir ne donne pas le déclenchement de la volonté, mais seulement une tension plus ou moins forte. »[2] « L’intention trompe souvent l’opérant. […] On peut mettre une certaine force dans son intention, illusion d’énergie, comme on peut se sentir sincère dans l’intention de bien faire et de donner l’illusion de la vérité. Avec un peu de bonne volonté, il n’est cependant pas difficile de différencier l’intention de la volonté. La volonté seule satisfait complètement la conscience ; elle sent que, sa décision prise, elle n’a plus à se préoccuper du but, ni de ce qu’elle a voulu ; l’essor de son énergie est donné, c’est le calme. » [3] La volonté n’est donc pas une impulsion de courte durée, c’est une « force intérieure ressentie comme une énergie physique, toujours à disposition ».

Achevons avec la bienheureuse Vierge Marie. Marie très certainement a connu le dessein de Dieu, elle a découvert progressivement la volonté de Dieu sur elle, sur Jésus, sur les apôtres, etc. Comment a-t-elle découvert qu’elle serait la mère du Seigneur ? Par le message de l’ange, direz-vous. C’est vrai. Mais elle était disposée à comprendre ce message par de bonnes dispositions. Elle a pu comprendre parce qu’elle était disposée à tout donner, à se donner entièrement pour que Dieu fasse le don du Verbe incarné. Son amour qui se donne a rencontré l’amour de Dieu qui se donne. Comment a-t-elle compris que Jésus, son Fils, devait porter une croix et mourir au calvaire ? Parce que Jésus l’a annoncé, et que déjà, quand il était enfant, le vieillard Siméon avait annoncé qu’il serait en butte à la contradiction. Mais comment Marie l’a-t-elle compris de l’intérieur, avec le cœur ? Parce qu’elle avait l’intention de communier à son amour jusque dans ses souffrances, alors elle a compris le dessein de la Rédemption qui, pourrait-on dire, remet l’amour à son niveau.

De même pour nous, si notre intention est uniquement de rencontrer le Seigneur, de le consoler du scandale du monde et de demander son règne, alors nous le rencontrons dans les occasions quotidiennes qui se présentent à nous et nous découvrons ce qui plaît à Dieu. Quand nous sommes prêts au sacrifice pour servir le Seigneur, alors nous sommes instruits par le Seigneur. «C’est ainsi que les sentiers des habitants de la terre sont devenus droits ; c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés. » (v. 18 AELF).

Psaume (Ps 89 (90), 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc)

« Tu fais retourner l’homme à la poussière ; tu as dit : ‘Retournez, fils d’Adam !’ À tes yeux, mille ans sont comme hier, c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit. Tu les as balayés : ce n’est qu’un songe ; dès le matin, c’est une herbe changeante : elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée. Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse. Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs. Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants. Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu ! Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains. »

Nous vivons, travaillons, nous avons des enfants, et puis un jour nous mourrons. Quand on est enfant, en janvier, la promesse de l’été semble très lointaine. Quand on a pris de l’âge, les années s’en vont aussi brèves qu’une heure dans la nuit.

Le livre de la Sagesse dit : « c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 2, 24). Si c’est par l’envie du diable, la mort n’est pas dans le projet initial du Créateur. La mort est entrée dans le monde comme conséquence du péché, à l’instigation de cet ange déchu appelé diable ou Satan. « Ne dis pas : ‘C’est le Seigneur qui m’a fait pécher’, car il ne fait pas ce qu’il a en horreur. Ne dis pas : ‘C’est lui qui m’a égaré’, car il n’a que faire d’un pécheur » (Siracide 15, 11-12). Puisque le péché est entré dans le monde, il y a aussi la mort, et le psaume peut dire à Dieu :

« Tu fais retourner l’homme à la poussière ;
tu as dit : ‘Retournez, fils d’Adam !’ » (Ps 90, 3 AELF)

Le rêve transhumaniste d’éterniser une personne humaine en numérisant son cerveau est un rêve immature, un rêve qui ne comprend pas l’humanité dans son drame profond, celui d’une nature déchue. De nationalité israélienne, Yuval Noah Harari est professeur d’histoire à l’Université Hébraïque de Jérusalem ; il est aussi est un contributeur officiel du forum économique mondial, il est même le principal conseiller de Klaus Schwab et de son projet transhumaniste. Harari commence par vanter la vie des cueilleurs chasseurs, présentée d’une manière idyllique, riche de loisir et de bonne santé, exempte d’instincts artificiels et de conflits d’argent. Il considère ensuite un état déchu, le nôtre, comme le fruit de la poussée naturelle des forces évolutives produisant la révolution agricole et l’urbanisation. Cet état déchu n’a rien à voir avec l’enseignement chrétien sur le péché originel, que le concile de Trente a défini comme un « état déchu ». Harari n’attend donc absolument rien du Seigneur. Il attend une nouvelle révolution, celle de l’intelligence artificielle qui résoudra les problèmes de l’urbanisation.

Le psaume est donc d’une grande valeur pour notre temps parce qu’il ose méditer d’une manière honnête et mature sur la finitude humaine, sur les limites humaines. L’existence de l’homme a des limites. Et pourtant, il peut communier au Créateur, et, dans l’union à Dieu, il entre dans une dimension sans limites, réellement sans limites, incommensurable.

« Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nos cœurs pénètrent la sagesse » (Ps 90, 12 AELF)

La vraie mesure de nos jours est limitée, c’est donc la voie de l’humilité.
La sagesse, c’est la sagesse divine, on y entre, on y pénètre, et c’est un océan interminable et sans confins. Le starets Silouane écrit : « Lorsque l’âme s’approche du Seigneur, elle est dans la crainte ; mais lorsqu’elle voit le Seigneur, elle jouit ineffablement de la beauté de sa Gloire. L’amour de Dieu et la douceur du Saint-Esprit lui font complètement oublier la terre. Tel est le Paradis du Seigneur. »[4]

« Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs » (Ps 90, 13).

Dans l’optique du psalmiste, quand le malheur arrive, c’est que Dieu s’est retiré, et il se retire à cause des scandales. La liturgie a omis les versets relatifs à colère de Dieu : « 7 Par ta colère, nous sommes consumés, par ta fureur, épouvantés.

8 Tu as mis nos torts devant toi, nos secrets sous l'éclat de ta face » (Ps 90, 7-8).

Avec les évangiles, nous sommes accoutumés à un visage très patient de la miséricorde divine. Mais Jésus annonce aussi son retour, bonne nouvelle où les justes relèveront la tête, mais jour de jugement pour les hommes de mauvaise volonté. Ce psaume peut ainsi se prier dans l’attente de la venue glorieuse du Christ. Cette venue glorieuse doit être désirée et implorée. Le Ciel attend notre prière. En commentant « Que ton règne vienne » (Mt 6, 10), sur la terre comme au ciel (la prière du Notre Père) le catéchisme de l’Église catholique nous en dit déjà beaucoup. Il nous dit que cette demande, c’est le "Marana Tha", autrement dit, la prière typique pour demander la Venue glorieuse du Christ (cf. Ap 22, 20). « Dans la prière du Seigneur, il s’agit principalement de la venue finale du Règne de Dieu par le retour du Christ (cf. Tt 2, 13). » Cf. Missel romain, prière eucharistique IV et Catéchisme de l’Église catholique § 2817, 2818

« Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants » (v. 14).

Dans son commentaire, saint Augustin cite ici : « Philippe lui dit : "Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit". » (Jn 14, 8). Ainsi que le verset « Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime; or celui qui m'aime sera aimé de mon Père; et je l'aimerai et je me manifesterai à lui. » (Jn 14, 21). Et saint Augustin commente : « Jusqu'à ce que ce bien se réalise, aucun bien ne nous suffit, et ne doit nous suffire, de peur qu'il ne s'arrête en chemin, ce désir que nous devons toujours pousser en avant tant qu'il n'est pas au but. » (St Augustin, sur les Psaumes 90)

« Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu ! Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains » (v. 17). L’ouvrage de nos mains est solide quand il est fait dans l’ordre, selon le mode d’emploi de la création, selon la volonté divine, comme l’a dit Jésus à la fin du sermon sur la montagne :

« Quiconque, par conséquent, qui entend mes paroles que voici, / et met celles-ci en pratique,

sera comparable à un homme sage, / qui a bâti sa maison sur le roc.

La pluie est descendue, les fleuves sont venus, / et les vents ont soufflé ;

et ils se sont précipités contre cette maison, / et elle n’est pas tombée ;

ses fondations, en effet, / étaient posées sur le roc. » (Mt 7, 24-25 traduit depuis la Pshitta).

Deuxième lecture (Philémon 9b-10.12-17)

Bien-aimé, moi, Paul, tel que je suis, un vieil homme et, qui plus est, prisonnier maintenant à cause du Christ Jésus, j’ai quelque chose à te demander pour Onésime, mon enfant à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ. Je te le renvoie, lui qui est comme mon cœur. Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu’il me rende des services en ton nom, à moi qui suis en prison à cause de l’Évangile. Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses ce qui est bien, non par contrainte mais volontiers. S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : il l’est vraiment pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur. Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi, accueille-le comme si c’était moi. – Parole du Seigneur.

La petite lettre à Philémon (25 versets) est un chef-d’oeuvre de délicatesse et d'abandon. L'épître à Philémon nous montre comment le christianisme préparait doucement d'une manière non révolutionnaire la plus grande révolution sociale de l'histoire : la suppression de l'esclavage. Le plan est très simple : adresse et salutation (1-3), action de grâce (4-7), requête en faveur d'Onésime (8-21), recommandation et salutation (22-25).

Onésime était l’esclave de Philémon. Il s’était enfui sans doute aussi en volant puisqu’au verset 18, Paul écrit : « s'il t'a fait du tort ou te doit quelque chose, mets cela sur mon compte ».

Saint Paul ne demande pas grâce pour Onésime dès le début, il ne le fait qu'après avoir admiré et loué Philémon pour ses bonnes oeuvres, et lui avoir donné une grande marque de son affection pour lui, en lui disant qu'il se souvient toujours de lui dans ses prières, il lui dit: « j'ai eu grande joie et consolation en apprenant ta charité : on me dit, frère, que tu as soulagé le coeur des saints! » (v. 7).

Si les autres obtiennent ce qu'ils demandent, combien plus saint Paul, alors surtout qu'il ne demande rien pour lui-même. Il aurait pu demander d’obtenir en se mettant en premier, mais non, il veut obtenir la grâce qu’il demande en se plaçant après les autres saints, c’est-à-dire après tous les autres chrétiens auxquels Philémon a fait du bien.

Une autre délicatesse consiste à ne pas faire d’Onésime la seule requête : « Avec cela, prépare-moi un gîte; j'espère en effet que, grâce à vos prières, je vais vous être rendu. » (v. 22). De la sorte, on ne peut pas penser que, sans Onésime, il n'aurait pas écrit à Philémon toutes ces bonnes paroles.

Saint Paul dit : « bien que j'aie une grande liberté en Jésus-Christ de te commander ce qui est de ton devoir... » (v. 8). Autrement dit, c'est pour le Christ, et c'est une chose conforme à la raison.  Et il continue : « L'amour que j'ai pour toi fait que j'aime mieux te supplier » (v. 9). C'est comme s'il disait : comme la chose que je te demande me tient fort au coeur, je te prie plutôt. Il montre ainsi deux choses à la fois, c'est qu'il a confiance en lui et qu'il est grandement inquiet sur cette affaire, et c'est pour cela qu'il se sert de la prière.

Et nous arrivons aux versets de notre lecture :

« moi, Paul, tel que je suis, un vieil homme » (Phm 1,9). Oh ! que de raisons puissantes ! « Paul », c'est-à-dire la dignité de la personne ; « un vieil homme », c'est-à-dire, le respect dû à la vieillesse ; « et, qui plus est, prisonnier maintenant à cause du Christ Jésus » (v. 9). Saint Jean Chrysostome commente : « Qui ne recevrait avec des mains suppliantes cet athlète couronné ? En le voyant enchaîné pour Jésus-Christ, qui ne lui accorderait mille faveurs ? Bien qu'il ait d'avance adouci l'âme de Philémon par tant de raisons, il ne prononce pas encore le nom d'Onésime, mais même après de telles sollicitations, il diffère encore. Vous savez en effet quelle est la colère des maîtres contre leurs esclaves fugitifs, et surtout comment elle grandit même chez les plus doux, lorsque cette fuite a été précédée d'un vol. C'est cette colère qu'il a essayé de calmer par tout ce que nous avons vu. »

« J’ai quelque chose à te demander pour Onésime, mon enfant à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ » (v. 10). Saint Jean Chrysostome commente : « C'est ici enfin que paraît le nom d'Onésime. Paul n'a pas seulement éteint la colère, il a encore fait naître la joie dans le coeur de Philémon. Je ne l'appellerais pas mon fils, semble-t-il dire, s'il ne m'était grandement utile. Je l'appelle du même nom que j'ai donné à Timothée. De plus, en même temps qu'il montre son amour, il tire du temps où il l'a engendré une grande exhortation. ‘Mon enfant à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ’ (v.10). C'est afin que par cela même il mérite d'être tenu en haute estime puisqu'il a été engendré au milieu des combats de l'apôtre, au milieu des épreuves qu'il a soutenues pour le Christ. » 

‘Onésime qui t'a été autrefois inutile’ v. 11). Voyez comment il reconnaît la faute de l'esclave, et par ce moyen apaise la colère du maître. Je sais, dit-il, qu'il t'a été inutile, ‘mais maintenant il est bien utile et à toi et à moi’ (v.11) »

« Je te le renvoie, lui qui est comme mon cœur » (v. 12). Saint Jean Chrysostome commente : « C'est encore un moyen d'éteindre sa colère que de le lui livrer. En effet, si les maîtres s'irritent, c'est surtout lorsqu'on leur demande grâce pour des esclaves qui ne sont pas rentrés chez eux : ainsi de cette manière il l'adoucit davantage. ‘Reçois-le donc comme mes propres entrailles’ : il ne se contente pas de l'appeler simplement par son nom, il ajoute des paroles persuasives plus tendres encore que le nom de fils. »

« Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu’il me rende des services en ton nom, à moi qui suis en prison à cause de l’Évangile. Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses ce qui est bien, non par contrainte mais volontiers. S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : il l’est vraiment pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur. Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi, accueille-le comme si c’était moi.» (v. 13-17).

Saint Jean Chrysostome commente : « Ce qui adoucit le plus celui à qui on fait une prière, c'est de lui dire qu'on pense à une chose très utile en soi, mais cependant qu'on n'en veut rien faire sans consentement. De là il résulte deux avantages, c'est que l'un y trouve son profit, et que l'autre est plus sûr de réussir. […] Tu avais perdu un esclave pour un temps, tu trouves un frère pour toujours, et un frère qui n'est pas seulement le tien, mais encore le mien. Cela a encore une grande force. S'il est mon frère, dit-il, tu ne rougiras point de le reconnaître toi-même pour ton frère. Ainsi, en l'appelant son fils, il a montré l'amour qu'il lui portait ; en l'appelant son frère, il prouve sa bienveillance et témoigne qu'il le regarde comme son égal. »

(Saint Jean Chrysostome, commentaire sur la lettre à Philémon, Tiré de l’édition des OEuvres complètes sous la direction de M. Jeannin, Bar-le-Duc 1864)

Évangile (Lc 14, 25-33)

En ce temps-là, de grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : ‘Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !’ Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix. Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. » – Acclamons la Parole de Dieu.

Nous allons reprendre cet évangile avec la traduction et le commentaire extraits de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur (Paris). Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. (472 pages).

Nous sommes ici dans le 5e fil d’oralité très nettement structuré par des mots crochets par lesquelles les perles s’enfilent les unes aux autres : « Dix-huit » victimes à Siloé (Lc 13, 4 perle 1), « dix-huit » ans pendant lesquels une femme fut liée (Lc 13, 11 perle 2). « Une femme » (Lc 13, 11-12 perle 2) « une femme » (Lc 13, 21 perle 3). « Le royaume de Dieu » (Lc 13, 20 perle 3) ; « Le royaume de Dieu » (Lc 13, 29 perle 4). « Vers Jérusalem » (Lc 13, 22 perle 4), « Jérusalem » (Lc 13, 33 perle 5), « Jérusalem, Jérusalem » (Lc 13, 34 perle 6). « Votre maison » (Lc 13, 35 perle 6), « la maison d’un pharisien » et « le seigneur de la maison » (Lc 14, 1.21 perle 7). Etc.

« 25 Et comme allaient, avec lui, / des foules nombreuses,
il se retourna / et leur dit : 
26 Qui vient derrière moi, / et ne hait pas son père et sa mère,
et ses frères, / et ses sœurs,

et sa femme et ses enfants, / et aussi lui-même,
disciple, / il n’est pas capable de l’être pour moi.
27 Et qui ne porte pas sa croix / et ne vient pas derrière moi,
disciple, / il n’est pas capable de l’être pour moi. »

Marcher avec Jésus (14, 25), ce n’est pas encore avoir rompu avec l’esprit du monde imbibant ses attaches, à sa famille, à l’épouse que l’on s’est un jour choisie, et à soi-même.

Les perles s’enfilent. Celui qui ne laisse [šḇq] pas son avoir n’est pas capable [ᵓškḥ] d’être disciple de Jésus (Lc 14, 33) rappelle, dans la perle précédente, celui qui, ayant acheté un champ ou des bœufs décline l’invitation au dîner en disant : « Laisse-moi [šḇq] » et celui qui a pris femme déclare « je ne suis pas capable [ᵓškḥ] de venir » (Lc 14, 18.19.20 perle 7). Au don absolu du Père qui prépare un dîner (Lc 14, 15-24 perle 7), doit répondre le don absolu du disciple.

Jésus invite maintenant à renoncer à sa famille et à soi-même, jusqu’à « haïr (ne pas vouloir) [snā] » (Lc 14, 16). Le fil d’oralité permet de comprendre ce verbe choquant qui sera encore présent lorsque Jésus parlera du choix entre Dieu et Mammon (le dieu argent) : « il hait [snā] l’un et aime l’autre » (Lc 16, 13 perle 10). La haine dont parle Jésus ici correspond à la non-compromission avec l’esprit du monde, seigneur ou prince de ce monde. Dans la perle suivante, le fils prodigue qui opère une rupture avec sa famille est un contrexemple, parce qu’il l’a fait par amour pour soi (Lc 15, 13 perle 9).

Selon notre hypothèse, ce fil d’oralité est porté dans le collier compteur par l’épisode où Jésus, âgé de douze ans, est perdu et retrouvé au Temple (Lc 2, 41-52), ce qu’il faut vérifier.

Dans le collier compteur, le jeune Jésus n’a pas voulu s’occuper de l’anxiété de ses parents pendant qu’il accomplissait ce qu’il convenait qu’il fasse ; puis il est redescendu avec eux à Nazareth avec un amour qui est allé jusqu’à la soumission (Lc 2, 41-52). Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une fois la rupture crucifiante opérée, l’amour du prochain, famille comprise, va renaître dans une lumière nouvelle, purifiée de l’esprit du monde[5], une vie pleine de sel.

L’évangile selon saint Luc est aussi un lectionnaire liturgique en lien avec le calendrier synagogal, et, ce 5e fil est en lien avec le livre de la Genèse.

La demande de Jésus de le préférer à sa famille (Lc 14, 26) a été préparée dans la Genèse par la parole que le Seigneur adressa à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction ! » (Gn 12, 1-2).

Celui qui a connu la saveur de l’amour de Dieu, ainsi que l’amertume de sa perte, se détourne de tout ce qui peut causer cette perte. Jésus parle de la totale concentration de toutes les puissances de notre être en Dieu, jusqu’à l’oubli de soi, dans une disposition qui prend un caractère catégorique. Jésus parle d’une haine pour soi-même qui est une haine sainte : tout retour complaisant sur soi-même diminue ou même fait cesser notre demeure dans la lumière de la divinité.

Jésus parle ensuite du supplice de la croix [ṣlīḇēh], qui est connu chez les Perses et dans l’Empire romain ; « sans porter sa croix », c’est-à-dire sans se préparer au martyre, on ne peut pas être disciple (Lc 14, 27).

« 28 Qui est celui parmi vous en effet, / voulant bâtir une tour,
qui ne s’assoit d’abord, calcule ses dépenses, / s’il a de quoi la porter à son achèvement,
29 de peur qu’ayant posé la fondation / et n’étant pas capable d’achever,
tous ceux qui le voient ne se moquent de lui, / 30 en disant :
‘Cet homme a commencé à bâtir / et il n’a été capable d’achever !

31 Ou bien, quel roi va en guerre / pour combattre un autre roi,
et, d’abord, / ne réfléchit
s’il est capable d’aller à la rencontre, avec 10.000 / de celui qui vient contre lui avec 20.000 ?
32 Et s’il ne l’est pas, donc, / tandis qu’il est encore loin de lui,
ne lui envoie des ambassadeurs, / et ne demande la paix ?
33 Ainsi, quiconque parmi vous / qui ne lâche pas tout son avoir,
n’est capable d’être pour moi / disciple ! »

La tour à bâtir (Lc 14, 28-29) rappelle, dans la Genèse, la tour de Babel, qui resta inachevée. La foi se vit sur terre et chacun doit juger ses capacités, mais l’essentiel est de lâcher son avoir et d’être disciple, faute de quoi, ce n’est qu’un projet humain, une « tour de Babel ».

Dans la Genèse, on voit aussi Abram compter ses partisans avant d’aller à la guerre (Gn 14, 13-16). Jésus explique aussi qu’il faut calculer et réfléchir, la vie de foi intègre la délibération et le conseil des autres. Mais il faut surtout « lâcher tout son avoir », c’est-à-dire ses fausses sécurités, par exemple celle des liens familiaux (Lc 14, 26) comme Abraham l’avait fait (Gn 12, 1).

 

[1] Roger VITTOZ, Traitement des psychonévroses par la rééducation du contrôle cérébral, Desclée de Brouwer, groupe Artège, 2016 (première édition 1907), p. 84

[2] Roger VITTOZ, Traitement… op. cit. p. 91

[3] Roger VITTOZ, Traitement… op. cit. p. 91

[4] Archimandrite Sophrony, Starets Silouane, moine du mont Athos, Vie – Doctrine – Ecrits - Edition Présence, Belley, 1982, p.281. 286

[5] Dans le parallèle de Matthieu, il s’agit de ne pas aimer « plus que » Jésus « yattīr men » (Mt 10, 37). Matthieu omet la mention « sa femme », mais son évangile montre l’exemple de Joseph qui voulut répudier Marie son épouse afin de ne pas s’opposer à la loi de Dieu et à son dessein (Mt 1, 20).

Date de dernière mise à jour : 11/08/2025