Transfiguration du Seigneur - Année A

Première lecture (Dn 7, 9-10.13-14)

La nuit, au cours d’une vision, moi, Daniel, je regardais : des trônes furent disposés, et un Vieillard prit place ; son habit était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête, comme de la laine immaculée ; son trône était fait de flammes de feu, avec des roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait, qui jaillissait devant lui. Des milliers de milliers le servaient, des myriades de myriades se tenaient devant lui. Le tribunal prit place et l’on ouvrit des livres. Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. – Parole du Seigneur.

Dans les Évangiles, le nom du prophète Daniel est associé à la fin des temps : « Et alors viendra la Fin [šūlāmā : la plénitude, la perfection, même racine que le mot šlāmā « la paix »]. Lors donc que vous verrez l’Abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel… » (Mt 24, 15). Jésus annonce alors des événements dramatiques en Judée, et « l’avènement du Fils de l’homme » (Mt 25, 27).

Jésus a repris de Daniel l’expression « l’abomination de la désolation » (Da 9,27 ; 11,31 ; 12,11), une expression qui, vers l’an 150 avant Jésus-Christ, avait un sens bien précis : Antiochus IV se faisait appeler Épiphane, c’est-à-dire (Dieu) manifesté. Il pensait que son empire grec ne pouvait tenir qu’en brisant la conscience de ses sujets. À Jérusalem, il nomma un nouveau grand prêtre, Ménélas, qui n’était plus de la descendance de Sadoc (et d’Aaron). Il écrasa les troubles à Jérusalem et pénétra dans le temple. Il chercha à interdire les coutumes juives et à imposer la religion grecque, avec le culte de Dionysos, et les sacrifices à Zeus (2M 6 ; 1M 1, 41s). Il fit cesser le culte hébraïque et il érigea dans le temple l’abomination de la désolation pendant trois ans (une demi « semaine » d’années). Il s’agissait d’un autel sur l’ancien (au-dessus) pour y offrir des sacrifices à une divinité non représentée, mais confondant Zeus avec le Dieu d’Abraham pour faire entrer les Juifs dans la religion universelle (1M 1, 54-59 ; 2M 6, 7). Les meilleurs des Juifs s’opposèrent à tout cela et ils furent persécutés.

Jésus ayant repris l’expression « l’abomination de la désolation », on peut en déduire que le scénario de la fin commencera par une tentative humaine d’imposer une religion universelle fausse. De plus, lorsque Jésus se réfère au prophète Daniel, il ne se réfère sans doute pas seulement aux trois versets portant l’expression « abomination de la désolation » (Da 9, 27 ; 11, 31 ; 12, 11), mais à l’ensemble du « scénario de la fin » décrit par Daniel.

Revenons à la lecture de ce dimanche, en regardant dans le livre de Daniel, ce qu’il y a un peu avant et un peu après. Le commencement du chapitre 7 du livre de Daniel peut se résumer ainsi : « Le visionnaire voit la succession des grands empires du monde dans l’image de quatre bêtes énormes sortant de la mer, venues d’en bas, elles représentent un pouvoir reposant avant tout sur la violence, un pouvoir de nature bestiale [image de la bête] »[1]. Daniel continue : « Voici : une quatrième bête, terrible, effrayante et forte extrêmement ; elle avait des dents de fer énormes : elle mangeait, broyait, et foulait aux pieds ce qui restait. Elle était différente des premières bêtes et portait dix cornes » (Dn 7, 7). On retrouve cette bête à dix cornes dans le livre de l’Apocalypse (Ap 13). Le fait qu’elle soit différente des autres bêtes suggère un royaume, une civilisation différente des précédentes, par exemple par sa modernité, ou par son degré de perversité… Vient ensuite la vision d’un jugement et je vous donne les deux versets qui ont été omis par la lecture de ce dimanche : « Le tribunal était assis, les livres étaient ouverts. Je regardais ; alors, à cause du bruit des grandes choses que disait la corne, tandis que je regardais, la bête fut tuée, son corps détruit et livré à la flamme de feu. Aux autres bêtes la domination fut ôtée, mais elles reçurent un délai de vie, pour un temps et une époque » (Daniel 7, 10-12).

Une interprétation est ensuite donnée : « La quatrième bête sera un quatrième royaume sur la terre, différent de tous les royaumes. Elle mangera toute la terre, la foulera aux pieds et l’écrasera. Et les dix cornes : de ce royaume, dix rois se lèveront et un autre se lèvera après eux ; il sera différent des premiers et abattra les trois rois ; il proférera des paroles contre le Très-Haut et mettra à l’épreuve les saints du Très-Haut. Il méditera de changer les temps [les temps liturgiques] et le droit [les lois communément admises], et les saints seront livrés entre ses mains pour un temps et des temps et un demi-temps. Mais le tribunal siégera et la domination lui sera ôtée, détruite et réduite à néant jusqu’à la fin. Et le royaume et l’empire et les grandeurs des royaumes sous tous les cieux seront donnés au peuple des saints du Très-Haut. Son empire [celui du Très Haut] est un empire éternel et tous les empires le serviront et lui obéiront » (Dn 7, 23-27).

Saint Irénée disciple de Polycarpe, disciple de saint Jean, cite précisément ce chapitre de Daniel, et la fin de la quatrième bête est pour lui synonyme de la fin de l’Impie dont parle saint Paul, c’est-à-dire la fin de l’Antichrist : « C’est de cet Antéchrist que l’Apôtre dit dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens : "Car il faut que vienne d’abord l’apostasie et que se révèle l’homme de péché, le fils de la perdition, l’Adversaire, celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui s’appelle Dieu ou objet de culte, jusqu’à siéger en qualité de Dieu dans le Temple de Dieu, en se donnant lui-même comme Dieu" (2Th 2, 3-4) » (Traité contre les hérésies V, 25, 1). Ce qui est intéressant à remarquer, c’est que pour saint Irénée comme pour le prophète Daniel, le jugement, celui de la Bête ou de l’Antichrist, n’est pas synonyme de fin du monde, la fin des temps est un processus qui laisse place à un royaume des justes sur la terre, dans une transition vers l’éternité. Ce royaume des saints adviendra à travers le jugement de la bête, un jugement opéré par Jésus, le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel, dans la gloire. 

Psaume (Ps 96, 1-2, 4-5, 6.9)

Le Seigneur est roi ! Exulte la terre ! Joie pour les îles sans nombre ! Ténèbre et nuée l'entourent, justice et droit sont l'appui de son trône. Quand ses éclairs illuminèrent le monde, la terre le vit et s'affola ; les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur, devant le Maître de toute la terre. Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire. Tu es, Seigneur, le Très-Haut sur toute la terre, tu domines de haut tous les dieux. 

1. À un premier niveau, ce psaume correspond à la foi d’Isaïe pour qui Dieu est le Roi des rois. Nous savions depuis les temps anciens, avec Samuel, que le peuple n’a pas d’autre roi que le Seigneur Dieu (1Sam 8). Mais ce qui est nouveau avec Isaïe, c’est que le Dieu d’Israël est perçu comme le Roi de toute la terre, lisons le récit de la vocation d’Isaïe : « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui […]. Ils se criaient l’un à l’autre ces paroles : "Saint, saint, saint est YHWH Sabaot, sa gloire emplit toute la terre" » (Isaïe 6, 1-3). A cette vision d’Isaïe fait ainsi écho le psaume : « Le Seigneur est roi ! Exulte la terre ! Joie pour les îles sans nombre ! Ténèbre et nuée l'entourent, justice et droit sont l'appui de son trône [….] Tu es, Seigneur, le Très-Haut sur toute la terre, tu domines de haut tous les dieux ».

2. À un second niveau, ce psaume correspond à un passage plus tardif du livre d’Isaïe, après l’épreuve de l’exil à Babylone, le prophète s’écrie : « Regarde Seigneur et vois... Tu es notre Père, notre rédempteur... Reviens à cause de tes serviteurs... Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais, devant ta Face fondraient les montagnes... » (Is 63,15-19). On attend que le silence soit rompu et que Dieu de nouveau, dans sa fidélité, parle. Il s’agit d’une percée qui rejoint l’aujourd’hui de Dieu ou d’une attente pour les "derniers temps".

3. Or Dieu a répondu à l’attente d’Israël par l’incarnation de Jésus, le Messie, le Fils de Dieu. Sa venue a été humble, mais elle a été entourée de signes tels que les anges de Noël, la lumière de la Transfiguration, le tremblement de terre au moment de sa mort, et un autre tremblement de terre au moment de sa Résurrection, sa gloire a ensuite été annoncée à tous les peuples par les apôtres. Ce qui donne un troisième sens au psaume : « Quand ses éclairs illuminèrent le monde, la terre le vit et s'affola ; les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur, devant le Maître de toute la terre. Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire ». Le Christ est Seigneur et il est roi pour tous ceux qui accueillent son salut. Il apporte la justice et la vie. Mais une partie des habitants du monde ont rejeté sa lumière, sa justice, et sa gloire.

4. C’est ainsi que ce psaume attend encore un accomplissement futur en écho avec la première lecture et la vision du prophète Daniel : « Je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » (Dn 7, 13-14).

Jésus s’est attribué l’appellation « Fils de l’homme », ce qui était assez inattendu. Dans les occasions où Jésus utilise le titre « fils de l’homme », Jésus affirme aussi, d’une manière ou d’une autre, sa divinité : par exemple, quand il dit « Le fils de l’homme est maître du Shabbat » (Mc 2, 27-28 ; Mt 12, 8 ; Lc 6, 5), ou quand avec ce titre il se présente comme le Juge eschatologique (Lc 12, 8-9). Cette prétention divine associée au titre du fils de l’homme, les Juifs l’ont bien comprise et c’est pourquoi le procès contre Jésus va se condenser sur ce titre (Mt 26, 63-65).

Jésus a aussi fait cette promesse : « En vérité je vous le dis, à vous qui m’avez suivi : dans la régénération [araméen : bālmā aā littéralement : dans le monde nouveau ou dans le siècle nouveau], quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. Et quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle. » (Mt 19, 28-29)

« Fils de l’homme » : il s’agit d’une expression propre au prophète Daniel, que Jésus s’attribue et qui annonce celui qui, venant sur les nuées, règnera éternellement sur toutes les nations (Dn 7, 13-14) comme l’a annoncé la première lecture.

« Dans la régénération (dans le siècle nouveau) ». Autrement dit, une reprise du dessein du Créateur va s’accomplir. Le monde n’est pas promis à une destruction, il est promis à une régénération.aaaa

« Vie éternelle » : La « régénération » ou « le siècle nouveau », ce n’est pas encore la vie éternelle, c’est un « temps intermédiaire », c’est la préparation à la vie éternelle.

« Son trône » : Le Christ va s’asseoir sur un trône : c’est la position du roi qui juge, il jugera la réponse à l’évangélisation du monde que certains auront fait fructifier, préparant ainsi le royaume de Dieu, mais que d’autres auront refusée et remplacée par des contrefaçons, préparant l’Antichrist.

« Douze trônes » : Les disciples de Jésus vont aussi siéger sur des trônes. Cela ne signifie pas qu’ils vont revenir sur la terre : de même que Jésus reviendra dans la gloire, de même ses disciples vont apparaître avec le Christ, à la manière des apparitions du Christ ressuscité. Le chiffre douze se réfère au travail de l’évangélisation issu des douze apôtres, le 12e étant Mathias et non pas Judas.

De même, l’Apocalypse s’ouvre sur une contemplation du Christ Jésus qui fait (entre autre) référence au chapitre 7 de Daniel : « Je me retournai pour regarder la voix qui me parlait ; et m’étant retourné, je vis sept candélabres d’or, et, au milieu des candélabres, comme un Fils d’homme revêtu d’une longue robe serrée à la taille par une ceinture en or. Sa tête, avec ses cheveux blancs, est comme de la laine blanche, comme de la neige, ses yeux comme une flamme ardente, ses pieds pareils à de l’airain précieux que l’on aurait purifié au creuset, sa voix comme la voix des grandes eaux » (Ap 1, 12-15). « Comme un Fils d’homme » fait penser à Daniel 7, 13 et « les cheveux blancs » à Daniel 7, 9. Plus profondément, l’ensemble du livre de l’Apocalypse constitue une interprétation du chapitre 7 de Daniel. En effet, les derniers chapitres de l’Apocalypse décrivent un jugement du monde, un jugement qui met fin à l’oppression du faux prophète et de la « bête », et ce jugement ne constitue pas l’ultime fin, mais le processus de la fin, laissant place à un mystérieux millénium dans lequel il y a place pour un royaume des justes sur la terre dans une transition vers l’éternité, ce qui correspond bien à la vision de Daniel ainsi bien sûr qu’au psaume 96.

Deuxième lecture (2 P 1, 16-19)

Bien-aimés, ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. – Parole du Seigneur. 

La deuxième lettre de Pierre constitue une réponse à des « sectes pernicieuses » (2P 2, 1) des gens qui ont entendu l’évangile, mais qui l’ont reniée. Autrement dit, Pierre fait face aux premiers post-christianismes, les premiers gnostiques ou spiritualistes qui prétendent offrir eux-mêmes une divinisation, par les moyens humains du paganisme, les extases érotiques notamment. Nous lisons : « il y aura aussi parmi vous de faux docteurs, qui introduiront des sectes pernicieuses et qui, reniant le Maître qui les a rachetés, attireront sur eux-mêmes une prompte perdition. Beaucoup suivront leurs débauches, et la voie de la vérité sera blasphémée, à cause d'eux » (2P 2, 1-2). « Ils leur promettent la liberté, mais ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption, [c’est très actuel, on nous donne une liberté des mœurs jusqu’à la dépravation, mais on fait de nous des esclaves d’un système social, économique et politique corrompu] car on est esclave de ce qui vous domine. En effet, si, après avoir fui les souillures du monde par la connaissance du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, ils s'y engagent de nouveau et sont dominés, leur dernière condition est devenue pire que la première » (2P 2, 19-20).

La réponse de Pierre consiste à rappeler les deux aspects de la venue glorieuse du Christ d’une part le châtiment à venir, et, d’autre part, l’heureuse espérance de la Parousie « la terre nouvelle que nous attendons selon sa promesse, où la justice habitera » (2P 3, 13).

Pierre rappelle surtout que Jésus Christ est le « Dieu et Sauveur » ou  le « Seigneur et Sauveur », alors que les sectes pernicieuses prétendent sauver à sa place par un auto-développement, une auto-vivification, dès le premier verset de sa lettre, Pierre affirme que Jésus est « notre Dieu et Sauveur… »  (2P 1, 1) et Pierre rappelle l’extraordinaire promesse de devenir « participants de la nature divine » (2P 1, 4). Il appelle à se montrer digne des dons reçus « Car c'est ainsi que vous sera largement accordée par surcroît l'entrée dans le Royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ »  (2P 1, 11). On lit encore : « Souvenez-vous des choses prédites par les saints prophètes et du commandement de vos apôtres, celui du Seigneur et Sauveur » (2P 3, 2). Et Pierre termine sa lettre en disant « croissez dans la grâce et la connaissance de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ : à lui la gloire maintenant et jusqu'au jour de l'éternité ! Amen » (2P 3, 18). Jésus est le Seigneur et le Sauveur, il ne faut donc pas se laisser séduire par des contrefaçons et du « toc ».

Alors que les sectes pernicieuses utilisent des fables sophistiquées. Les apôtres, eux, transmettent leur témoignage oculaire, comme le dit la lecture de ce jour : « Bien-aimés, ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur ».

Et Pierre continue : « Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte ». Saint Pierre se réfère ensuite explicitement à son expérience de la Transfiguration, relatée dans l’évangile de ce jour (Mt 17, 5). Seul Jésus peut nous rendre participants de la nature divine, lui seul montre ce qu’est la grandeur pour laquelle nous avons été créés. Pour un instant, Jésus montra sa gloire divine, confirmant ainsi la confession de Pierre « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Jésus montra aussi que sa Passion, dont il venait de donner la première annonce, est bien la volonté du Père. Et la gloire de sa transfiguration annonce la gloire de sa venue glorieuse qui, confondant la vacuité des sectes spiritualistes, amènera les créatures à gloire divine pour l’éternité.  

« Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs ». Les apôtres enseignaient dans des synagogues et ils parlaient à des gens qui lisaient les prophètes, Moïse dans le Pentateuque, Élie dans le livre des rois, Isaïe, Daniel… Donc le décalogue, les commandements, mais aussi l'adoration du Dieu vivant et le rejet des idoles. Les prophètes sont comme une lampe qui brille jusqu’à ce que se lève l’étoile du matin, c’est-à-dire Jésus-Christ. Pierre, comme aussi Paul ,attestent la nature inspirée des Écritures de l’Ancien Testament. Et leur interprétation juste se fait à partir de Jésus-Christ annoncé par les apôtres. Paul dit à Timothée : « Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes Écritures : elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus Christ. Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice » (2Tm 3,15-16). Pierre, dans la 2e lecture de ce jour, fonde son message sur son propre témoignage des choses vues et entendues, et sur la parole des prophètes. Il fait mention de sa présence sur la montagne de la transfiguration, et se réfère ensuite à la parole solide des prophètes (2P 1,19), et juste après, ce que le missel ne donne pas, il dit : « Car vous savez cette chose primordiale : pour aucune prophétie de l’Écriture il ne peut y avoir d’interprétation individuelle, puisque ce n’est jamais par la volonté d’un homme qu’un message prophétique a été porté : c’est portés par l’Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2P 1, 20-21). Et les apôtres qui ont reçu l’Esprit Saint peuvent expliquer le message des prophètes.

Évangile (Mt 17, 1-9)

« 17,1 Et, après six jours,
Jésus emmena Pierre, / Jacques et Jean son frère,

et leur fit monter une haute montagne, / eux seulement.

2 Et Jésus fut transfiguré [se transfigura] / devant eux :
et sa personne s’illumina / comme le soleil,

quant à ses vêtements, ils devinrent blancs / comme la lumière.

3 Et se firent voir à eux Moïse et Elie, / qui parlaient avec lui.

4 Or Pierre répondit / et dit à Jésus :
‘Mon Seigneur,

il est bon [beau], pour nous, / que nous soyons ici ;

si tu le veux, / nous ferons ici trois tentes :

une pour toi, / et une pour Moïse, et une pour Élie.’

5 Comme il parlait encore, / voici : une nuée lumineuse les couvrit.
Et, de la nuée, il y avait une voix, / qui disait :

‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui en qui je me suis complu : / écoutez-le !’

6 En entendant [cela],
les disciples tombèrent sur leur face, / et ils craignirent grandement.

7 Et Jésus s’approcha d’eux
il les toucha / et dit :

‘Relevez-vous ! / Soyez sans crainte !’

8 Et ils levèrent les yeux,
et ils ne virent personne / sinon Jésus, seul.

9 Et comme ils descendaient de la montagne,
Jésus leur commanda / et leur dit :

‘A personne / ne parlez de cette vision,

jusqu’à ce que le Fils de l’homme / ne se soit relevé des morts’. »

Les Juifs accusaient Jésus de ne pas respecter la Loi, or Moïse apparaît ici auprès de Jésus, il en est son témoin. Comment Moïse serait-il le témoin de Jésus, si Jésus était l’ennemi des commandements de Dieu ? De plus, les Juifs accusaient Jésus de se dire l’égal du Père, or Élie qui apparaît avec Jésus avait été brûlé d’un zèle si ardent pour la gloire et le service du Dieu vivant, il n’aurait pas pu supporter être en présence de quelqu’un qui usurperait la gloire de Dieu.

Matthieu parle de vêtements blancs comme la lumière (Mt 17, 3). Cette description dépasse ce qui est dit de Moïse dont le visage rayonnait quand il avait parlé avec le Seigneur (Ex 34, 29.30). Sur la montagne (au Sinaï), Moïse parlait avec Dieu ; de même Élie parlait avec Dieu (à l’Horeb). Ici, sur la montagne, les apôtres voient Moïse et Élie parler… avec Jésus !

De plus, la Transfiguration se situe après la première annonce de la Passion et de la résurrection (Mt 16, 21). Et Jésus fortifie ses apôtres en se montrant avec Moïse et Elie qui s’étaient offerts cent fois à la mort pour obéir aux ordres de Dieu, et pour procurer le bien du peuple qu’il leur avait confié. Après le péché du veau d’or, Moïse voulut donner sa vie à la place du peuple, et après l’épisode du mont Carmel, Élie, poursuivi par la reine Jézabel dut se réfugier au torrent du Kérit.

«  Il est bon [beau], pour nous, que nous soyons ici ; si tu le veux, nous ferons ici trois tentes », mais ni Jésus, ni Moïse, ni Élie n’ont besoin de ces tentes dérisoires faites de main d’homme. La nuée est pour eux une tente (v. 5). La racine qui donne tente, abri, toit, ou le verbe couvrir, est la même racine : les « tentes [mṭalīn] » et la nuée les « couvrait [ᵓaṭlaṯ] ». (maṭlīn, c’est une tente « faite » de branchages pour faire de l’ombre l’été. Pour désigner une vraie tente en poil de chameau « plantée » pour y habiter, il y a un autre mot : maškénā).

La nuée indique la présence de l'Esprit Saint : saint Thomas d’Aquin dit que « toute la Trinité apparût : le Père dans la voix, le Fils dans l’homme, l’Esprit dans la nuée » [2].

La Transfiguration se situe après la première annonce de la Passion : Jésus a accepté une mort ignominieuse ; il va sans dire qu’une telle acceptation correspond à un amour incommensurable pour son Père et pour l’humanité. Jésus en devient incandescent. Et la lumière de la Transfiguration annonce celle de la résurrection. La Passion sera une épreuve redoutable où Jésus pourra sembler être rejeté par Dieu, la voix céleste prévient cette tentation : il est le fils bien-aimé du Père.

Mc 9, 7 et Luc 9, 35 disent simplement « mon fils bien-aimé », alors que Matthieu donne : « mon fils bien-aimé en qui je me complais » (Mt 17, 5). Dans dans la composition de Matthieu, le récit de la Transfiguration appartient très probablement à un fil d’oralité introduit dans un collier compteur par le baptême de Jésus, ce qui explique l’écho parfait des termes « mon fils bien-aimé en qui je me complais en araméen [hānaw ber ḥabbīḇā d-ḇēh ᵓeṣṭḇīṯ] » rigoureusement identiques à la Transfiguration (Mt 17, 5) et au baptême (Mt 3, 17). ᵓeṣṭḇīṯ dérive du verbe vouloir : le Père et le Fils ont même volonté. Et la liturgie byzantine, au Kontakion de la fête de la Transfiguration, donne : « Tu T'es transfiguré sur la montagne, et, autant qu'ils en étaient capables, Tes disciples ont contemplé Ta Gloire, Christ Dieu afin que lorsqu'ils Te verraient crucifié, ils comprennent que Ta Passion était volontaire et qu'ils annoncent au monde que Tu es vraiment le rayonnement du Père ».

« Écoutez-le ! » La Transfiguration et la voix céleste sont une éducation particulière pour préparer Pierre, Jacques et Jean, dont le rôle dans l’Église primitive sera majeur : « écoutez-le ! », ce qui implique une adhésion de l’intelligence et de la volonté. Plus généralement, ces mots expriment le juste rapport des hommes à Jésus.

Écoutons saint Jean Chrysostome : « Comme il parlait encore, une nuée lumineuse vint les couvrir ; et en même temps il sortit une voix de cette nuée qui fit entendre ces mots : C’est mon Fils bien-aimé dans lequel j’ai mis toute mon affection. Ecoutez-le (Mt 17,5) ; Pourquoi cette voix sort-elle d’une nuée ? Parce que c’est de cette manière que Dieu paraît partout. David dit de lui « que la nuée et l’obscurité l’environnent » (Ps 70,4). Et dans les Actes : « Une nuée le reçut et le cacha aux yeux des apôtres » (Ac 1,9) Et ailleurs: «C’était comme le Fils de l’homme venant dans les nuées» (Dn 7, 13) [c’était la première lecture de ce jour] […] Quoi de plus heureux que ces trois apôtres qui furent trouvés dignes d’être avec le Seigneur enveloppés d’une même nuée ? […] Pour nous, mes frères, il dépendra de nous, si nous le voulons, de voir aussi le Fils de Dieu dans sa gloire [Saint Jean Chrysostome passe ici directement de la Transfiguration à la Parousie, la venue glorieuse du Christ] ; nous pourrons le voir, non plus comme ces trois disciples sur la montagne, mais d’une manière bien plus auguste. Quand il viendra au milieu des airs pour juger le monde, ce ne sera plus avec cette faible gloire qu’il fit paraître sur le Thabor. Il fallait épargner la faiblesse des apôtres ; et Jésus-Christ ne leur devait dévoiler sa gloire qu’autant qu’ils étaient capables de la supporter. Mais lorsqu’il se fera voir à la fin du monde [l’expression veut dire plénitude, accomplissement], il viendra dans toute la gloire de son Père. Il ne sera plus accompagné seulement de Moïse ou d’Élie, mais d’un nombre innombrable d’anges, des archanges, des chérubins, et de cette troupe bienheureuse que personne ne peut dénombrer » [3].

 

[1] Extrait de J. Ratzinger - Benoît XVI, Jésus de Nazareth, I, Flammarion, Paris 2007, p.354-355.

[2] S. Thomas d'A., III 45,4, ad 2

[3] Chrysostome sur Matthieu. § 5604

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Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.

Transfiguration du Seigneur Mt 17, 1 10 (132​​​​​​​.25 Ko)​​​​​​​

 

Date de dernière mise à jour : 18/06/2024