3° Dimanche - Temps Ordinaire

Première lecture (Is 8, 23b – 9, 3)

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Première lecture (Is 8, 23b – 9, 3)

Psaume Ps 26 (27), 1, 4abcd, 13-14

Deuxième lecture 1 Co 1, 10-13.17

Évangile Mt 4, 12-23

Première lecture (Is 8, 23b – 9, 3)


« Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations.

Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin. Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés comme au jour de Madiane. – Parole du Seigneur » (Is 8,23b – 9,3)

Chers auditeurs, présentons le contexte de cette lecture.

Au chapitre 6, le jour de sa vocation, le prophète a compris que le Seigneur est le souverain maître de l’histoire, il domine les événements politiques.

En Is 8,4, Isaïe annonce l’invasion du roi d’Assur, roi des Assyriens, il va envahir Damas et la Samarie. Les zones mentionnées (Zabulon, Nephthali, Galilée) renvoient à une réalité historique des territoires les plus exposés aux assauts assyriens à l’époque d’Isaïe.

Puis le prophète donne un oracle : « Vous n'appellerez pas complot tout ce que ce peuple appelle complot, vous ne partagerez pas ses craintes et vous n'en serez pas terrifiés. C'est Le SEIGNEUR Sabaot que vous proclamerez saint, c'est lui qui sera l'objet de votre crainte et de votre terreur. » (Is 8, 12-13)

Non pas qu’il faille avoir peur de Dieu, mais il ne faut pas avoir peur des événements, il faut veiller sur soi-même : est-ce que ce que je fais ce qui est bien devant Dieu ?

En Is 8,21 le prophète annonce une période de détresse qui s'abattra sur le peuple. La faim le consumera, et, furieux, il maudira son roi et son Dieu.

Nous savons par ailleurs que Téglat-Phalasar III, roi d'Assyrie, vint s'emparer « de Galaad, de la Galilée, tout le pays de Nephtali, et il déporta les habitants en Assyrie » (2R 15,29). Des sources extra-bibliques permettent de dater cela de l’an 732 avant J-C. Quant à la ville de Samarie, elle tombera en l’an 721 avant J-C.

Or, dit Isaïe, ce même peuple qui marchait dans les ténèbres connaîtra une grande lumière, c’est la lecture de ce dimanche : 

« Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations. ».

Le roi d’Assur apporta dans le pays la honte et les ténèbres, mais une autre personne apportera l’honneur et la lumière. L’Empire assyrien sera vaincu par l’Empire de Babylone, lui-même vaincu par l’Empire perse. Puis viendront les Grecs, et finalement les Romains. La ténèbre n’est pas uniquement celle de l’occupation étrangère. La prophétie d’Isaïe dépasse les circonstances de son temps, elle vise jusqu’au temps messianique.

« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. » (Is 9, 1)

Cette lumière représente non seulement la fin de la domination étrangère, mais aussi un don de Dieu qui restaure le peuple. Il ne s’agit pas de dire, après la nuit, l’aurore, comme si cette lumière était automatique.  C'est par l'action divine que la nation se relève, que les récoltes sont abondantes et que la victoire est remportée : « Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin. » (Is 9,2) La lumière ne nous est pas due. L’aube est une grâce. Avec le recul, on comprend que l'obscurité est un prélude. 

« Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés comme au jour de Madiane. » (Is 9,3).

« Le jour de Madiane » rappelle l’histoire de Gédéon. Son armée était très faible face aux madianites, mais avec 300 hommes, ils sonnèrent du cor et brisèrent leurs cruches en louant le Seigneur, et l’armée des madianites prit la fuite (Jg 7,21) : le salut ne vient pas de la puissance humaine, mais de l’intervention divine.

La Galilée étant marquée par la présence des païens, la révélation divine s’étend désormais à toute chair, inaugurant l’universalité du salut.

Les ténèbres évoquées par le prophète sont alors comprises non seulement comme des épreuves historiques, mais surtout comme l’ignorance spirituelle et l’éloignement de Dieu. Origène, fidèle à son approche spirituelle de l’Écriture, interprète ces ténèbres comme une obscurité intérieure de l’intelligence et du cœur. Le joug brisé et le bâton du tyran symbolisent la servitude du péché et de l’amour désordonné de soi. Pour saint Augustin, la véritable libération annoncée par Isaïe est le passage de l’amour de soi à l’amour de Dieu, rendu possible par la grâce du Christ, le Messie.

L’évangile de Matthieu 4,15-16 cite explicitement Isaïe 9,1-2 en l’appliquant à la venue de Jésus en Galilée. La Galilée des nations a été le théâtre sur lequel se déploya cette grande lumière, lors de la première venue du Christ. Matthieu change un détail en introduisant l’expression « qui était assis dans les ténèbres », alors que l’Ancien Testament (hébreu, grec ou araméen) dit « qui marche dans les ténèbres ». Le remplacement « marcher » par le verbe « être assis » souligne le désespoir des habitants : ils ont si peu de lumière pour s’orienter qu’ils ne marchent plus du tout. À ce peuple assis, n’ayant plus la force de se tenir debout, Jésus dit : « ‘Convertissez-vous, car le royaume [le Règne] des Cieux est tout proche.’ » (Mt 4,17)

La joie annoncée par Isaïe n’est pas celle d’une victoire militaire, mais celle de la libération intérieure apportée par le Christ. Sa lumière agit en révélant la vérité et en libérant les cœurs de la domination du mal. La joie qui en résulte est celle d’une humanité guérie et restaurée.

Privées de la lumière et de la force qui viennent de Dieu, les œuvres humaines demeurent obscurcies par une fumée intérieure qui engendre l’amour-propre, la vaine gloire et le repli sur soi. Par amour pour les créatures, Dieu permet parfois des épreuves afin que nous recherchions une action plus juste.

À l’inverse, quand l’âme reconnaît que tout bien accompli est l’action de Dieu dans son propre néant, Dieu peut y agir pleinement. La créature devient une petite lumière nourrie par la grande lumière de Dieu, et Dieu lui-même se complaît à nourrir cette flamme.
 

Psaume Ps 26 (27), 1, 4abcd, 13-14

« Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ?

J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche :
habiter la maison du Seigneur, tous les jours de ma vie.

Mais j’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants.
Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur. »

v.1 « Le Seigneur est ma lumière et mon salut » : Mon salut n’est pas seulement ni même d’abord en moi-même, c’est le Seigneur qui est mon salut. C’est pourquoi nous prions. Le Seigneur m’inspire ce que je dois faire, il m’inspire par sa Parole, ainsi que par l’intermédiaire des événements et des personnes qui m’entourent. Nous demandons la vie, la vitalité au Seigneur, au Créateur.

Mon salut n’est pas seulement ni même d’abord dans un homme politique ou une découverte scientifique : c’est le Seigneur qui est mon salut. Il est un Dieu de vie qui veut que le dessein de sa création s’accomplisse, et même s’il permet des événements difficiles, il est le souverain maître de l’histoire.  v.1 « De qui aurais-je crainte ? » Nous souffrons donc à cause des méchants. Mais ce n’est pas une raison pour avoir peur. Car Dieu assignera un terme aux méchants. Dieu pose une limite au mal dès maintenant. Et, de plus, viendra le jugement eschatologique qui anéantira ceux qui rejettent Dieu, ceux qui ne veulent pas de la paix et de la joie.

v.1 « Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? »  

Le Seigneur veut que je vive parce qu’il veut que je puisse le connaître et l’aimer, reconnaitre tout l’amour qu’il a mis pour moi dans ce bel univers, connaître son amour, connaître son caractère en quelque sorte, c’est-à-dire la source de ma vie. Il soutient mes pas, il est présent dans le souffle de ma respiration, dans le battement de mon cœur, il soutient ma vie.

Saint Augustin dit que le Christ prie « pour » nous comme grand prêtre, il prie « en » nous comme notre tête, et il prie « par » nous comme notre Dieu (sermon 282). Vivons-le. Prions. « Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? »  C’est Jésus qui le murmure à nos oreilles ; « Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? »  C’est Jésus qui le dit en nous, dans notre cœur.

v.4 « J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur, tous les jours de ma vie ».

« Habiter la maison du Seigneur » n’exprime pas seulement un attachement à un lieu matériel mais une volonté profonde de demeurer dans l’unité et dans la vérité du Seigneur, quelles que soient les épreuves rencontrées. Tout en allant ici et là, nous pouvons « habiter la maison du Seigneur ». Vivre en son centre, et non pas dispersé, éclaté comme on dit. Vivre partout en étant capable d’entendre la voix du Seigneur et de sentir le parfum de sa grâce, la lumière et la chaleur de son amour. Vivre en étant attentif à sa Volonté, c’est cela la grande lumière.

Ce n’est pas un désir ponctuel ou passager : « Habiter la maison du Seigneur, tous les jours de ma vie ». Cette stabilité du cœur manifeste une persévérance dans la communion avec Dieu et un attachement durable à sa lumière. Demeurer dans la contemplation de la douceur divine, cette lumière intérieure qui éclaire l’âme et la soutient au milieu des combats spirituels.

v.13 La traduction liturgique donne : « Mais j’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants » où l’affirmation « j’en suis sûr » traduit une victoire sur le découragement. On pourrait y voir un simple optimisme naturel, une certitude déduite des circonstances. Or, dans la Bible de Jérusalem, traduite de l’hébreu, le verset 13 fait suite au verset 12 : « ne me livre pas à l'appétit de mes adversaires : contre moi se sont levés de faux témoins qui soufflent la violence ». Les circonstances sont menaçantes et plutôt désespérantes.  Le psalmiste dit alors, c’est le verset 13 « Je le crois, je verrai la bonté du SEIGNEUR sur la terre des vivants ». « Je le crois », ce n’est pas une certitude humaine, c’est un acte de foi qui a germé chez celui qui habite « la maison du Seigneur, tous les jours » et qui, par conséquent, baignant dans une atmosphère de droiture et de bonté, est capable d’espérer parce qu’il peut voir par anticipation les biens du Seigneur.

La bonté du Seigneur se manifeste dès cette vie par sa protection, sa miséricorde et sa présence intérieure, même si elle ne se déploie pleinement que dans la vie éternelle. Un proverbe africain dit : « Dans la misère, tu trouves une famille ». Et c’est vrai. Dans les difficultés, ce ne sont sans doute pas les amis habituels qui vous aident, mais souvent vous avez la surprise de voir un geste de bonté là où vous ne vous attendiez pas. Il ne faut pas en vouloir à vos amis habituels, ils ont leur agenda, ils sont vos amis pour d’autres raisons, mais le Seigneur s’est servi de quelqu’un pour vous faire une bonté. Vous aussi, soyez l’instrument du Seigneur pour qu’il puisse faire des bontés à d’autres !

v.14  « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur. » On peut relier ce verset aux apparitions de Pellevoisin, récemment reconnues, et qui se résument en trois mots : « calme, confiance, courage ». Haut du formulaire

L’espérance est une force intérieure fondée sur deux choses :

Premièrement : l’expérience intérieure, à travers la prière, de la bonté du Seigneur, qui se manifeste par des consolations, des lumières, des goûts : « habiter la maison du Seigneur tous les jours de la vie » (v.4).

Deuxièmement : la connaissance de la fidélité de Dieu, depuis le récit de la Création jusqu’à l’Apocalypse.

La sainteté originelle d’Adam avant sa chute était marquée par une plénitude exceptionnelle, car il percevait la volonté aimante du Créateur lui insufflant la vie, et il y répondait en y correspondant entièrement, au point que toutes les qualités de la volonté divine se reflétaient en lui et le rendaient conforme à l’image de Dieu. Même après la chute, cette relation première n’a pas été totalement perdue et l’homme n’a pas été privé de l’espérance d’une régénération, car l’amour et la puissance de Dieu ne consentent pas à perdre définitivement ce qu’il a voulu faire exister.

En enseignant la prière du Notre Père, Jésus a fait une promesse. En effet, cela n’aurait aucun sens de demander le règne de Dieu sur la terre comme au ciel si cela ne devait pas se réaliser un jour. L’Apocalypse promet une terre nouvelle, c’est-à-dire le règne de la volonté du Père sur la terre comme au Ciel.

« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur. »

Deuxième lecture 1 Co 1, 10-13.17


« Frères, je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus-Christ : ayez tous un même langage ; qu’il n’y ait pas de division entre vous, soyez en parfaite harmonie de pensées et d’opinions. Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères, par les gens de chez Chloé, qu’il y a entre vous des rivalités. Je m’explique. Chacun de vous prend parti en disant : ‘Moi, j’appartiens à Paul’, ou bien : ‘Moi, j’appartiens à Apollos’, ou bien : ‘Moi, j’appartiens à Pierre’, ou bien : ‘Moi, j’appartiens au Christ’. Le Christ est-il donc divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ. – Parole du Seigneur. »

L'Église de Corinthe fut fondée par saint Paul lors de son second voyage missionnaire. Dès que Paul quitte la ville, les difficultés commencent. Des joutes d'idées et de mots augmentées par la venue d'Apollos et d'autres missionnaires se recommandant de Képhas (Pierre) suscitent des divisions. Saint Paul est intervenu dans une première lettre (perdue) à laquelle il fait allusion. Dans le même temps, arrivent aux oreilles de Paul divers désordres moraux. Saint Paul répond.

« Qu’il n’y ait pas de division entre vous, soyez en parfaite harmonie de pensées et d’opinions ». En grec, nous avons deux mots : « nous », c’est-à-dire toutes les facultés de perception et de compréhension et celles de sentiment de jugement et de détermination et « gnômé » la faculté de connaissance, l’esprit, la raison, l’avis, le but et l’intention. En araméen nous avons aussi deux mots synonymes : « tarīṯā la pensée » et « reyānā l’idée ». Il ne s’agit donc pas d’une unité réalisée par exemple par la musique, ou par des repas partagés, mais bien d’une unité qui passe par la raison et la connaissance, donc par exemple l’enseignement et l’apprentissage par cœur des récitatifs évangéliques, etc. Il s’agit d’une connaissance et d’une orientation commune, incluant la profession de foi, l’initiation aux sacrements, les critères de discernement moral. Quand saint Paul dit ensuite « sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ » (v.17), cela ne veut pas dire sans intelligence, sans pensée, sans dogme et sans discernement.

Saint Paul parle des rivalités : « Chacun de vous prend parti en disant : ‘Moi, j’appartiens à Paul’, ou bien : ‘Moi, j’appartiens à Apollos’, ou bien : ‘Moi, j’appartiens à Pierre’, ou bien : ‘Moi, j’appartiens au Christ’. » Les rivalités ne se situent pas entre les apôtres ou entre les missionnaires, qui font chacun ce qu’ils peuvent avec désintéressement, les rivalités se situent entre les gens qui les écoutent avec un esprit partisan. Saint Paul ne dit pas que Pierre, Apollos et Paul se comportent comme des rivaux ou des marchands qui font concurrence. Il dit que les gens se divisent en s’attachant excessivement à Pierre, à Apollos ou à Paul.

Le Christ est Dieu, personne n’est capable de tout dire au sujet de Jésus, comme au sujet de la mère de Jésus etc. Pierre lui-même a ses limites, même si Jésus l’a nommé Pierre en lui disant qu’il bâtirait sur lui son Église, et il y avait certainement des gens qui trouvaient chez Apollos un éclairage qu’il n’avaient pas entendu de Pierre. De même en écoutant Paul. Et c’est pareil de nos jours, le Nouveau Testament est unique, le pape est unique, mais les missionnaires sont nombreux. On aime tel théologien, tel écrit mystique, tel récit d’apparition, telle émission radio, telle musique religieuse, etc. Alors comment trouver l’unité ? En acceptant clairement qu’aucune créature humaine ne peut contenir toute la lumière du Christ et dire tout le message chrétien. Paul sait qu’il est bon qu’il y ait plusieurs missionnaires, normal que les uns préfèrent écouter Pierre, que d’autres préfèrent lire « Apollos en 10 volumes » et que d’autres préfèrent le week-end spirituel que Paul a prêché. Mais il n’est pas normal que les chrétiens se divisent en mettant en compétition la saveur de l’enseignement de l’un avec l’érudition de l’autre. Ce sont des choses humaines. Et le Christ est Dieu. Parfois on perçoit une contradiction, mais cette contradiction n’atteint pas le niveau profond où se joue notre salut. L’un prêche avec flamme et l’autre parle d’une manière très dépouillée, presque sèche. Mais qui peut juger et comparer les fruits ? Ce ne sont que des moyens, comme des doigts qui montrent le Christ.

Saint Paul dit : « Le Christ est-il donc divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? » Autrement dit, saint Paul place chacun devant le Christ, Jésus. C’est lui le chemin, c’est lui l’enseignant, c’est lui la lumière. Les missionnaires ne sont que des moyens, et ils le savent très bien.   Et saint Paul a cette phrase extraordinaire : « Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ. »

Saint Paul appelle non seulement à regarder le Christ, mais il appelle à regarder la croix du Christ. Et quand il dit « sans avoir recours au langage de la sagesse humaine », cela veut dire que Paul vit lui-même comme un crucifié : en effet, la crucifixion ne se limite pas aux formes visibles de la croix, mais consiste dans l’adhésion constante à la volonté de Dieu, jusque dans les profondeurs de l’être. C’est cette oblation intérieure qui rend possible la venue du Royaume de Dieu dans l’unité. L’unité des chrétiens s’enracine dans l’unité divine entre le Père et le Fils. Le renoncement à la volonté propre est le lieu de la parfaite communion entre l’humain et le divin.

À l’inverse, la volonté humaine livrée à elle-même est une force de division. Chaque acte posé en dehors de la volonté divine creuse une séparation entre l’âme et son Créateur, l’éloignant de la sainteté, de la force et de l’amour qui lui donnent la vie. Cette volonté autonome agit comme une puissance destructrice.

Certes, le baptême est important, mais plus important encore est le fait de vivre notre baptême, c’est-à-dire mourir et ressusciter avec le Christ. « Le Christ, dit S. Paul, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ ». Et S. Paul dit cela pour répondre au problème des divisions des croyants.

L’unité réalisée par la croix n’a rien à voir avec l’unité artificielle produite par des effets sonores dans des rassemblements. L’unité réalisée par la croix atteint un niveau divin ; elle n’a rien à voir avec l’adhésion massive produite par un discours percutant, mais qui n’est qu’un effet humain.

La croix est l’instrument par lequel Dieu mène à maturité l’œuvre du salut. Elle est le moyen de la Rédemption, elle est aussi une gardienne qui protège et fait fructifier les effets de cette Rédemption dans les âmes. Accueillie librement, elle purifie, détache des attachements terrestres et dispose l’être à recevoir la vie divine.

Évangile Mt 4, 12-23

La traduction et le commentaire sont extraits de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Matthieu, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Traduction depuis la Pshitta. Préface Mgr Mirkis (Irak) ;  Mgr Dufour (France) et Mgr Kazadi (Congo RDC). Parole et Silence, 2026.

« 4,12 Or Jésus[1], ayant entendu que Jean avait été livré, / se retira en Galilée :
13 il laissa Nazareth / et vint habiter à Capharnaüm, au bord du lac,
à la frontière de Zabulon / et de Nephtali,
14 pour que soit accompli / ce qui a été dit par Isaïe le prophète  qui a dit : 
15 ‘Terre de Zabulon / et terre de Nephtali,
route de la mer / et gués du Jourdain,
Galilée des nations !
16 Le peuple qui était assis dans les ténèbres, / a vu une grande lumière ;
pour ceux qui étaient assis dans la région et les ombres de la mort / une lumière s’est levée pour eux.’

17 À partir d’alors, Jésus commença à proclamer / et à dire :
‘Convertissez-vous, / car le royaume [le Règne] des Cieux[2] est tout proche.’

18 Comme il marchait sur le bord de la mer de Galilée, / il vit deux frères,
Simon, qui est appelé Pierre, / et son frère André,
qui jetaient un filet dans la mer ; / ils étaient en effet des pêcheurs.
19 Et Jésus leur dit : 
‘Venez à ma suite, / et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes’.
20 Eux donc, d’un coup, il laissèrent leurs filets, / et allèrent derrière lui.

21 Lorsqu’il avança plus loin, / il vit deux autres frères,
Jacques, fils de Zébédée, / et Jean son frère,
dans la barque avec Zébédée leur père, / qui arrangeaient leurs filets.
Et il les appela.
22 Eux donc, d’un coup, ils laissèrent la barque et leur père, / et allèrent derrière lui. 

23 Et Jésus allait en tournée[3] / dans toute la Galilée
il enseignait dans leurs synagogues, / prêchait la Bonne Nouvelle du royaume,
et guérissait toute meurtrissure et maladie / parmi le peuple. »

Mt 4,12-17.

La Galilée est un carrefour commercial où l’attente messianique est plus universaliste qu’en Judée.

Mt 4,15-16 cite Isaïe 8,23 – 9,1, en introduisant l’expression originale « qui était assis dans les ténèbres », alors qu’Isaïe parle d’un peuple qui « marche ». Le remplacement du verbe « marcher » par le verbe « être assis » souligne le désespoir des habitants : ils ont si peu de lumière pour s’orienter qu’ils ne marchent plus du tout. À ce peuple assis, n’ayant plus la force de se tenir debout, Jésus proclame : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4,17). Lui-même a fait régner Dieu sur sa propre personne, ayant vaincu toute forme de tentation (Mt 4,1-11). Le verbe « proclamer [akrez] » désigne plutôt une prédication : Jésus touche les cœurs parce qu’il parle de son propre fond. Il a, si l’on peut dire, constitué tous les matériaux du royaume des Cieux qu’il veut instaurer « sur la terre comme au ciel ». L’expression royaume des Cieux désigne le Royaume de Dieu (donc sur la terre), selon la coutume juive où l’on évite de nommer Dieu par respect pour son saint Nom. Le Oui de chacun, la conversion de chacun, c’est le premier acte de bonne volonté que Jésus va ensuite lui-même fortifier et affermir, de sorte que chacun pourra mettre ses pas dans les pas de Jésus, ses actes dans les actes de Jésus, et prendre de Jésus les exemples et les grâces dont il a besoin.

Mt 4,18-22.

Le témoignage primitif de Pierre et Jean[4] raconte un premier appel dans lequel Simon reçoit le nom de Pierre (Jn 1,42), alors que Matthieu le suppose connu et raconte un second appel (donc après le déplacement de Jésus en Judée mentionné en Jn 2,13-25).

L’attitude des deux paires de frères répond d’une manière exemplaire à la prédication de Jésus : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4,17). Les quatre appelés vont désormais le suivre, avec, pour les deux premiers, une mystérieuse promesse : « et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes » (v.19).

Au moment de leur appel, Pierre et André « jetaient un filet dans la mer » : Jésus suggère qu’ils seront aussi habiles comme pêcheurs d’hommes que comme pêcheurs de poissons. L’accent est mis, pour les deux premiers, sur le fait de lâcher leurs moyens socio-économiques, et pour les seconds, sur le fait de lâcher leurs liens familiaux en lâchant leur père. Jésus cependant n’exerce pas de contrainte

Le récitant pourra faire un double geste : la main gauche lâche le filet et la main droite mime une marche en avant. 

v.23 « Et Jésus allait en tournée / dans toute la Galilée
il enseignait dans leurs synagogues, / prêchait la Bonne Nouvelle du royaume,
et guérissait toute meurtrissure et maladie / parmi le peuple. »

Jésus commence par guérir (Mt 4,23). Juste après, viendront les Béatitudes (Mt 5). Les Béatitudes ne disent pas que c’est bien d’être pauvre et de pleurer, les Béatitudes disent que ceux qui sont pauvres et qui pleurent sont visités par Dieu, ils sont bienheureux parce que Dieu en prend soin : Jésus les guérissait tous, et se manifeste par des grâces merveilleuses.

Enfin, et c’est sans doute une surprise pour vous, l’évangile de Matthieu est composé de telle sorte que l’évangile de ce jour est introduit, dans un collier compteur, par l’Annonciation à Joseph. Écoutez les échos :

À Joseph, l’ange annonce que Jésus « sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 21). Les disciples, dans l’évangile de ce dimanche, entendent que Jésus prêche « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » C’est la même thématique.

À Joseph, l’ange demande d’assumer une vocation, son rôle d’époux de Marie et de père de Jésus. Aux disciples, Jésus demande d’assumer leur vocation, leur rôle de pêcheur d’hommes (Mt 4,19). Ainsi, le Oui des premiers disciples qui lâchent leurs filets fait écho au Oui de Joseph.

Joseph ne dit rien, mais il agit, « Joseph fit comme l'Ange du Seigneur lui avait prescrit » (Mt 1,24). Les disciples ne disent rien, mais « Aussitôt, laissant la barque et leur père, ils le suivirent » (Mt 4, 22).

Eh bien, confions-nous à ce grand saint Joseph, confions-lui nos vocations, notre vie, à la suite aussi des apôtres Pierre et André, Jacques et Jean. Et, puisqu’il s’agit dans l’Évangile de guérisons nombreuses, consacrons en particulier l’exercice des charismes de guérison. Saint Jean de la croix explique que les biens charismatiques apportent de nombreux avantages. D’une part, la santé est rendue aux malades, la délivrance des possédés, la résurrection des morts, la prophétie qui avertit les hommes, etc. D’autre part, Dieu est connu et glorifié par ses œuvres, par celui qui les accomplit, par ceux en faveur de qui ou en présence de qui elles s’accomplissent (cf. Jean de la Croix, La montée du Carmel, Livre III, chapitre 29).

Mais ces œuvres peuvent être accomplies par quelqu’un qui n’est pas en état de grâce et ne possède pas la charité. C’est pourquoi, c’est toujours de la charité qu’il faut se réjouir, et non pas des œuvres et des charismes. Et que rien ne nous détourne de l’habitude substantielle de la foi, qui est une habitude obscure. (cf. ibid. chapitre 30).

 

[1] SyrS : Il (au lieu de Jésus). Ce qui suggère une lecture continue de l’évangile (Mt 4,11 « les anges servaient Jésus ». Alors que la Pshitta (et SyrC) met le nom « Jésus » parce qu’il s’agit d’une nouvelle perle, et qui plus est d’un nouveau fil d’oralité. Nous avons l’indice que S n’a plus en mémoire le sens de la composition en pendentif.

[2] « malkūṯā » peut être traduit par royaume (spatial) ou par règne (temporel).

[3] « meṯkreḵ » : allait en tournée.

[4] cf. Françoise BREYNAERT, Le témoignage primitif de Pierre et Jean. Imprimatur Paris. Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence,2024.

Date de dernière mise à jour : 18/12/2025