26° dimanche du Temps Ordinaire

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Evangile mt 21 28 32Evangile Mt 21, 28-32 (74.04 Ko)

 

Première lecture (Ez 18, 25-28)

Psaume (Ps 24 (25), 4-5ab, 6-7, 8-9)

Deuxième lecture (Ph 2, 1-11)

Évangile (Mt 21, 28-32)

Première lecture (Ez 18, 25-28)

Ainsi parle le Seigneur : « Vous dites : ‘La conduite du Seigneur n’est pas la bonne’. Écoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Il a ouvert les yeux et s’est détourné de ses crimes. C’est certain, il vivra, il ne mourra pas. » – Parole du Seigneur.

Le juste vivra, mais le méchant mourra : c’est une théologie de la rétribution. Dans la Bible, la théologie de la rétribution explique l’exil à Babylone comme étant la conséquence des fautes d’Israël. Mais cette explication est fragile, car elle n’explique pas la prospérité au temps de Manassé pourtant très idolâtre, ni la mort brutale de Josias à Megiddo, alors qu’il convertissait le pays. Il faut savoir que l’Ancien Testament nuancera ensuite la théologie de la rétribution en considérant l’au-delà la mort. On lit par exemple les paroles d’une mère à son fils au temps de la persécution grecque : « Je t’en conjure mon enfant, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les as fait de rien et que la race des hommes est faite de la même manière. Ne crains pas ce bourreau, mais, te montrant digne de tes frères, accepte la mort, afin que je te retrouve avec eux dans la miséricorde » (2M 7, 28-29). Et le dernier fils à mourir prie pour que son bourreau confesse le seul Dieu : « Je livre comme mes frères mon corps et ma vie pour les lois de mes pères, suppliant Dieu d’être bientôt favorable à notre nation et de t’amener par les épreuves et les fléaux à confesser qu’il est le seul Dieu » (2M 7, 37).

De la lecture de ce dimanche, ce qu’il faut surtout retenir, c’est que chacun peut se convertir et que le juste doit persévérer dans le bien, sans se fier à ses acquis. « Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. » Dans la prière du Notre Père, « en disant "Ne nous laisse pas entrer en tentation" nous demandons à Dieu qu’il ne nous permette pas d’emprunter le chemin qui conduit au péché. Cette demande implore l’Esprit de discernement et de force ; elle sollicite la grâce de la vigilance et la persévérance finale » (CEC 2863) C’est par sa prière que Jésus est vainqueur du Tentateur, dès son séjour 40 jours au désert (cf. Mt 4,1-11) et dans l’ultime combat de son agonie à Gethsémani (cf. Mt 26,36-44). Dans l’évangile, la vigilance du coeur est rappelée avec insistance, « soyez sur vos gardes […] vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d’eux » dit Jésus (Mc 13, 9) et encore « Il surgira, en effet, des faux Christs et des faux prophètes qui opéreront des signes et des prodiges pour abuser, s’il était possible, les élus. Pour vous, soyez vigilants : je vous ai prévenus de tout » (Mc 13, 22-23). Et « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible » (Marc 14, 38). Nous veillons en communion avec Jésus qui a été vigilant avant nous. La vigilance est "garde du coeur" et Jésus demande au Père de « nous garder en son Nom » (Jn 17,11). L’Esprit Saint cherche à nous éveiller sans cesse à cette vigilance. Saint Pierre dit : « Soyez sobres, veillez. Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer » (1Pierre 5, 8) Et saint Paul dit : « Soyez assidus à la prière; qu’elle vous tienne vigilants, dans l’action de grâces » (Colossiens 4, 2). Dans la prière du Notre Père, en disant "Ne nous laisse pas entrer en tentation", nous demandons la persévérance finale par rapport à la tentation finale de notre combat sur terre, car dit Jésus, « Je viens comme un voleur : heureux celui qui veille ! » (Ap 16, 15).

Et puisque la seconde lecture va nous parler de Jésus qui « s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2), nous allons évoquer la grâce du martyre, qui est l’aboutissement d’une série de grâces et d’efforts.

La grâce du martyre est par excellence la grâce de la persévérance finale. Elle est généralement, de la part de Dieu, le couronnement de toute une série de grâces échelonnées le long de la vie ; comme de la part de l’homme, le témoignage du sang est d’ordinaire la perle précieuse qui termine une longue chaîne de correspondances à la grâce.

Aussi ce serait montrer que l’on connaît d’une façon fort superficielle le sens du martyre que de l’attribuer trop facilement à quelque circonstance fortuite ou à quelque coup de foudre.

Il y a un long et secret cheminement de l’action divine dans l’âme et dans le coeur des personnes concernées, et, en réponse, il y a toute une succession d’actes généreux qui, durant une vie où peut-être n’ont pas manqué les ombres, indiquent mystérieusement le chemin par lequel des chrétiens, certains étant des convertis récents, certains étant des pécheurs pénitents, se sont trouvés transformés en héroïques confesseurs du Christ.

Au fond du coeur du gamin turbulent comme du jeune homme timide et de la petite fille délicate, brûle la flamme d’un pur amour pour Dieu et pour les âmes, le désir généreux — vivace ou calme — de se vaincre, de dominer les caprices de la nature.

Par exemple, parmi les martyrs de Chine béatifiés en 1946, il y avait Marie-Hermine : peu importe que les travaux prosaïques de la comptabilité courbent son front à longueur de journées sur des registres austères, et stérilisent apparemment dans l’alignement des colonnes de chiffres le zèle apostolique qui la dévore. L’important est invisible. C’était son amour de Dieu, son désir missionnaire. Il y avait aussi Maria de Sainte-Nathalie, une robuste paysanne, qui n’arrive en Chine que pour y trouver, au lieu des belles fatigues aaa qu’elle désirait, l’apostolat d’une souffrance continuelle. Elle était malade. Sous la morsure de la souffrance, elle se disait heureuse, parce que, disait-elle, ‘quand on souffre, le coeur se détache de la terre’, et elle faisait ainsi son apprentissage du martyre. « Et ils l’avaient aussi comprise à leur manière, savante ou ingénue, ces martyrs indigènes, et spécialement ces adolescents auxquels la vie apostolique ouvrait les plus larges et les plus favorables prévisions »[1]

Psaume (Ps 24 (25), 4-5ab, 6-7, 8-9)

Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, ton amour qui est de toujours. Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse ; dans ton amour, ne m’oublie pas. Il est droit, il est bon, le Seigneur, lui qui montre aux pécheurs le chemin. Sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin.

Conversation de Dieu miséricordieux avec l’âme pécheresse. (Petit Journal § 1485).

Jésus : Ne redoute pas ton Sauveur, âme pécheresse, c’est moi qui fais les premiers pas, car je sais que tu n’es pas capable par toi-même de t’élever jusqu’à moi. Enfant, ne fuis pas ton Père, veuille entrer en conversation, seul à seul, avec ton Dieu de miséricorde qui veut lui-même te dire une parole de pardon et te combler de ses grâces. Oh ! combien ton âme m’est chère. Je t’ai inscrite sur mes mains. Et tu t’es gravée en mon coeur d’une profonde blessure.

L’âme : Seigneur, j’entends Ta voix qui m’appelle afin que je m’écarte du mauvais chemin, mais je n’en ai ni le courage ni la force.

Jésus : Je suis ta force, je te donnerai le pouvoir de lutter.
[…]

L’âme : Seigneur, je redoute que Tu ne me pardonnes pas un si grand nombre de péchés, ma misère me remplit de frayeur.

Jésus : Ma miséricorde est plus grande que ta misère et celle du monde entier. Qui a pris la mesure de ma bonté ? Pour toi, je suis descendu du ciel sur la terre, pour toi je me suis laissé clouer à la croix, pour toi j’ai permis que mon très saint cœur soit ouvert d’un coup de lance et je t’ai ainsi ouvert la source de miséricorde ; viens et puise les grâces de cette source avec le vase de la confiance. Je ne rejette jamais un cœur humble, ta misère a sombré dans l’abîme de ma miséricorde. Pourquoi devrais-tu te disputer avec moi au sujet de ta misère ? Fais-moi plaisir, abandonne-moi toute ta pauvreté et ta misère et je te comblerai d’un trésor de grâces.

L’âme : Tu as vaincu mon cœur de pierre, ô Seigneur, par Ta bonté ; et voici qu’avec confiance et humilité je m’approche du tribunal de Ta miséricorde [dddd , absous-moi Toi-même, par la main de celui qui tient Ta place. Ô Seigneur, je sens comme la grâce et la paix se sont déversées en ma pauvre âme. Je sens que Ta miséricorde, Seigneur, m’a envahie de part en part. Tu m’as plus pardonné que je n’aurais osé l’espérer ou même que je n’étais capable de le penser. Ta bonté a surpassé tous mes désirs. Et maintenant je T’invite en mon coeur, saisie de reconnaissance pour tant de grâces. Je m’étais égarée comme l’enfant prodigue quittant le droit chemin, mais Tu n’as cessé d’être un Père pour moi. Multiplie en moi Ta miséricorde, car Tu vois combien je suis faible.

Jésus : Enfant, ne parle plus de ta misère, car je l’ai déjà oubliée. Écoute, mon enfant, ce que je désire te dire : blottis-toi dans mes plaies et puise à la source de vie tout ce que ton cœur peut désirer. Bois à longs traits à la source de vie et tu ne t’arrêteras pas en chemin. Contemple l’éclat de ma miséricorde et ne redoute pas les ennemis de ton salut. Rends gloire à ma miséricorde.

Psaume : « Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, ton amour qui est de toujours. Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse ; dans ton amour, ne m’oublie pas. Il est droit, il est bon, le Seigneur, lui qui montre aux pécheurs le chemin. Sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin. »

Conversation de Dieu miséricordieux avec l’âme tendant à la perfection (Petit Journal § 1488).

Jésus : Tes efforts me sont agréables, âme qui tends à la perfection. Mais pourquoi te vois-je si souvent triste et abattue ? Dis-moi, mon enfant, ce que signifie cette tristesse et quelle en est la cause ?

L’âme : Seigneur, la raison de ma tristesse est que, malgré mes sincères résolutions, je retombe sans cesse […].

Jésus : Tu vois, mon enfant, ce que tu es de toi-même, et la cause de tes chutes, c’est que tu comptes trop sur toi-même et que tu t’appuies trop peu sur moi. Mais que cela ne t’attriste pas outre mesure, tu as affaire au Dieu de miséricorde, ta misère ne saurait l’épuiser, puisque je n’ai pas limité le nombre du pardon.

L’âme : Oui, je sais tout cela, mais je suis assaillie par de grandes tentations, et des doutes divers s’éveillent en moi, et avec ça, tout m’irrite et me décourage.

Jésus : Mon enfant, sache que les plus grands obstacles à la sainteté sont le découragement et l’inquiétude dénuée de fondement, elle t’enlève la possibilité de t’exercer à la vertu. Toutes les tentations réunies ne devraient pas, même un instant, troubler ta tranquillité intérieure, quant à l’irritabilité et au découragement, ce sont là les fruits de ton amour-propre. Il ne faut pas te décourager, mais t’efforcer à ce qu’à la place de ton amour-propre puisse régner mon amour. Confiance donc, mon enfant ; tu ne dois pas te décourager, viens demander mon pardon puisque je suis toujours prêt à te pardonner. À chaque fois que tu me le demandes, tu célèbres ma miséricorde.

L’âme : Je reconnais ce qui est le plus parfait ainsi que ce qui Te plaît le plus, mais j’ai de si grandes difficultés à accomplir ce que j’ai compris.

Jésus : Mon enfant, la vie sur terre est une lutte, une bien grande lutte pour mon royaume, mais n’aie pas peur, car tu n’es pas seule. Je te soutiens toujours, appuie-toi donc sur mon épaule et lutte sans aucune crainte. Prends la confiance et puise à la source de vie, non seulement pour toi, mais pense aussi aux autres âmes, et particulièrement à celles qui se défient de ma bonté.

L’âme : Ô Seigneur, je sens que mon coeur s’emplit de Ton amour, que les rayons de Ta miséricorde et de Ton amour ont pénétré mon âme. Et voici que je réponds à Ton appel [pour penser aux autres…]

Psaume : « Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. »

 

Deuxième lecture (Ph 2, 1-11)

Frères, s’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres. Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : ayant la condition de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : ‘Jésus Christ est Seigneur’ à la gloire de Dieu le Père. – Parole du Seigneur.

« Ayant la condition de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes ». Dieu descend. Le nom de Jésus signifie : « Il sauve » (Yešūa’) ou « salut » (et non pas « Dieu sauve », ce qui est le nom de Josué). En Jésus, c’est bien sûr Dieu qui sauve : qui peut sauver-vivifier frfrf, sinon l’auteur de la vie ? Dans la Bible, l’idée que Dieu visite son peuple est très présente, c’est le cœur de l’espérance juive, même si le comment ne ressort clairement d’aucune prophétie. Lors de l’Annonciation, Marie dit : « Comment adviendra ceci ? » (Lc 1, 34). Et l’ange répondit à Marie : « L’Esprit Saint viendra, et la Puissance du Très Haut t’envahira, c’est pourquoi celui qui sera enfanté en toi sera saint, et c’est Fils de Dieu qu’il sera appelé » (Lc 1, 35). Les nuances de l’araméen suggèrent que le Très Haut « fera descendre » le Fils de Dieu que Marie va enfanter. Le texte grec a pris soin de souligner ce mouvement de descente en répétant le préfixe «ἐπι » : Πνεῦμα Ἅγιον ἐπελεύσεται ἐπὶ σὲ καὶ δύναμις ὑψίστου ἐπισκιάσει σοι, littéralement l’Esprit Saint surviendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira.

Le Verbe s’est fait chair (Jn 1, 14). Et dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus a déclaré : « ‘En effet le pain de Dieu, c’est celui qui descend des Cieux, et qui donne la Vie au monde !’ Ils lui disaient : ‘Seigneur ! En tout temps donne-nous ce pain !’ Jésus leur dit : ‘Je suis le Pain Vivant [le Pain de Vie]’ » (Jn 6, 32-35a).

« C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : ‘Jésus Christ est Seigneur’ [māryā] à la gloire de Dieu le Père ». En Ph 2, 11, nous avons māryā qui désigne dans les écrits bibliques le Seigneur Dieu, l’équivalent du tétragramme.

Peut-on confondre ce mouvement « descendant » avec la croyance païenne en un homme divinisé dans un mouvement « ascendant » ? Pourtant, beaucoup d’universitaires font une telle confusion en affirmant que des communautés auraient inventé la foi en la divinité du Christ – avec un mouvement ascendant typiquement païen –, et comme cela nécessitait du temps, les évangiles seraient composés très tardivement, et dans la langue de ces communautés issues du paganisme : en grec[2]. L’idée d’une telle influence de « païens christianisés » laisse songeur : les apôtres et les premiers papes étaient juifs, le socle hébréo-araméen biblique et cultuel assurait l’unité, en particulier l’unité liturgique (les Indiens évangélisés par Saint Thomas célèbrent aujourd’hui encore en araméen). Quand Philon, juif d’Alexandrie, vint à Rome et y vit l’empereur s’exhiber déguisé en Jupiter, il fut outré. Il écrit dans la Legatio ad Caïum : « Dieu se changerait plutôt en homme que l’homme en Dieu » [3]. Sa réaction est typiquement biblique, où Dieu est « descendu » délivrer son peuple (Ex 3, 8). Et si Philon va jusqu’à envisager qu’un Dieu « se change en homme », c’est certainement parce qu’il avait déjà rencontré des chrétiens (Philon est mort en 45). La foi des apôtres est biblique, elle est à l’opposé des croyances païennes. Oui, c’est Dieu qui descend, et lui seul peut « vivifier ». En face, les croyances païennes ne sont que des ballons de baudruche parce qu’un homme qui, comme Caïus Caligula, se « diviniserait » ne peut être qu’un faux messie qui s’éteint dans la poussière de son palais, ou un modèle qui ne donne pas la vie.

« Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers [au séjour des morts (les enfers) et non pas l’enfer de Satan], et que toute langue proclame : ‘Jésus Christ est Seigneur’ à la gloire de Dieu le Père. »

L’exaltation du Christ est la conséquence de son acceptation du calvaire, alors qu’il est innocent. Il n’était qu’une plaie, et pourtant il en coulait un onguent, et c’est dans ses blessures que nous trouvons la guérison. Il avait une apparence ignoble et pourtant Dieu reconnaissait en lui l’incandescence de l’amour divin. Dieu lui donne le nom « māryā » en araméen ou Kyrios en grec, ce nom, c’est le nom sacré du Dieu biblique, qui est maintenant appliqué au Christ ressuscité SSS. Il est le souverain maitre de l’histoire, on dit en grec le Pantocrator, il porte encore les signes de la passion, mais il se révèle dans les splendeurs de sa divinité. Proche de nous dans la souffrance et la mort, le Christ nous attire maintenant à lui dans la gloire, en nous bénissant et en nous rendant participant de son éternité.

De nos jours, certains groupes s’exhibent comme victimes, pourquoi ? Pour pouvoir être exaltés comme nouveaux maîtres de la société ou du monde. : Ils sont victimes, on ne peut plus rien leur dire, ils ont tous les droits. C’est un abus qui s’inspire du schéma christologique, c’est une contrefaçon de ce qu’a vécu Jésus. Jésus est exalté comme Seigneur à la gloire de Dieu le Père non seulement parce qu’il a souffert sa Passion, lui l’Innocent, mais parce qu’il vient d’en haut, et qu’il a ainsi vécu sa Passion d’une manière divine. C’est pourquoi, chers auditeurs, « dans le Christ, on se réconforte les uns les autres », « on s’encourage avec amour », « on est en communion dans l’Esprit », on a de l’humilité et on n’est « pas préoccupé de ses propres intérêts », cela c’est le Christ qui le fait en nous !

Évangile (Mt 21, 28-32)

[En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple] :

« 28 Que donc / vous en semble-t-il ?
Un homme avait deux fils.

Il s’approcha du premier / et lui dit :
‘Mon enfant, / va travailler aujourd’hui à la vigne !’
29 Or lui, il répondit / et dit : ‘Je ne veux pas.’
Mais, finalement, / il se repentit et [y] alla.

30 Puis il s’approcha de l’autre / et lui parla de la même manière.
Or lui, il répondit / et dit : ‘me voici maître !’
et… /  il n’y alla pas.

31 ‘Qui des deux / a fait la volonté de son père ?’
Ils lui disent : / ‘Celui-là, le premier’.

Jésus leur dit : / ‘Amen, je vous le dis :
les publicains et les prostituées / vous précèdent dans le royaume de Dieu.

32 En effet, Jean est venu à vous sur le chemin de la justice, / et vous ne l’avez pas cru ;
mais les publicains et les prostituées / l’ont cru.
Et vous, en voyant cela,  / vous ne vous êtes même pas finalement repentis pour le croire’. » – Acclamons la Parole de Dieu.

Chers auditeurs, pour comprendre cet épisode, il faut savoir que, juste avant, Jésus était entré dans le Temple et il enseignait, quand les grands prêtres et les anciens du peuple s'approchèrent (Mt 21, 23) pour l’interroger sur son autorité, mais lui Jésus, retourna la question et les interrogea sur l’autorité de Jean-Baptiste, et eux, ils ne répondirent pas. C’est pourquoi Jésus reprend la parole et évoque à nouveau Jean-Baptiste. « En effet, Jean est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous ne l’avez pas cru » (v 32).

Jésus, qui arrive à la fin de son ministère public et qui sait que sa Passion approche, appelle, presque ultimement, les grands prêtres et les anciens du peuple à travailler à la vigne du Père, c’est-à-dire à entrer dans l’œuvre d’évangélisation du monde que Jésus prépare.

Réfléchissons avec attention. Nous savons que l’évangélisation par l’Église primitive a été fulgurante et que les apôtres suivirent les routes commerciales tenues par les douze tribus d’Israël et le long desquelles ils trouvèrent des interprètes pour porter l’évangile jusqu’au bout du monde connu à l’époque. Or Dieu le Père avait un dessein sur les grands prêtres et les anciens d’Israël auxquels Jésus s’adresse. S’ils s’étaient convertis, auraient contribué puissamment à appuyer solidement l’évangile sur le socle biblique hébréo-araméen. 

Jésus avait dit : « N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5, 17). Effectivement, dans la pratique de l’Église, les livres sapientiaux formèrent la base de l’enseignement moral pendant le catéchuménat, la Torah et les prophètes annoncent le Christ (le Messie), et les psaumes deviennent le grand livre de prière de l’Église qui considère que Jésus, fils et Seigneur de David, est celui qui prie les psaumes, c’est donc à partir du Christ et avec lui que nous les lisons.

Le plus important concerne sans doute la compréhension du sacrifice eucharistique. Dans les paroles de la Cène, Jésus a uni la tradition du Sinaï [incluant donc  la loi et les prescriptions relatives au culte et aux sacrifices] à la tradition prophétique [incluant donc la critique du culte, « c’est l’amour que je veux et non les sacrifices ! (Os 6, 6) »]. Sur la croix de Jésus, le Messie d’Israël, la critique du culte par les prophètes atteint définitivement son but parce que Jésus donne sa vie par amour pour nous. En même temps, est institué le nouveau culte : l’amour du Christ, toujours présent dans l’Eucharistie, est le nouvel acte de culte. Ah, si Luther avait compris cela, il n’aurait pas considéré que Dieu s’opposait à lui-même, et que la messe catholique était aussi fausse que le sacrifice de l’Ancien Testament, et qu’il fallait la combattre jusqu’à user d’actes de violence. Si les grands prêtres et les anciens d’Israël avaient été plus nombreux à se convertir et à aller à la vigne du Seigneur, ils auraient rempli leur belle vocation pour que l’Église soit fondée sur le socle de l’Ancien Testament avec sagesse et profondeur.

Le fils qui ne veut pas aller à la vigne, mais qui finalement y va, représente par exemple les gens qui ne sont liés par aucun statut religieux ou sacerdotal, mais qui font ce à quoi ils ne s’étaient pas engagés : ils écoutent ce que Dieu leur demande à travers ses commandements, à travers les événements de la vie et par la voix de la conscience, et, par leur bon exemple, ils évangélisent.  Jésus va jusqu’à suggérer que ce premier fils est représenté même par les publicains et les prostituées qui ont cru à la parole de Jean-Baptiste. En araméen le verbe croire à la nuance de « prendre appui sur » : ils ont refondé leur vie sur les commandements rappelés par Jean-Baptiste. Ils sont allés à la vigne, c’est-à-dire qu’ils ont travaillé sur eux-mêmes, ils ont travaillé pour changer de vie, pour se purifier, etc. Leur conversion était un message, un signe qui aurait dû interpeler les anciens et les grands prêtres. Leurs témoignages de conversion évangélisent. Le texte unit très fortement l’acte de croire et les œuvres de la foi. On ne peut pas les séparer. C’est une grâce d’entendre les convertis exprimer leur joie de croire, de comprendre comment ils ont su croire et comment ils ont trouvé la force de se repentir. Nous en trouvons une impulsion pour progresser, nous aussi.

Certes, parfois, la mort nous surprend avant la vendange, mais l’important est d’avoir travaillé à la vigne. Sainte Faustine écrit : « Dieu, en Ses jugements impénétrables, permet parfois que ceux qui ont pris le plus de peine à l’accomplissement d’une œuvre ne puissent pas le plus souvent jouir sur cette terre des fruits de cette œuvre, Dieu leur en conservant toute la joie pour l’éternité ; mais malgré tout, parfois Dieu leur fait savoir combien les efforts de telles âmes Lui sont agréables, et ces moments les fortifient pour de nouvelles luttes et épreuves. Ce sont les âmes les plus semblables au Sauveur qui n’a goûté qu’amertume dans l’œuvre qu’Il fonda sur la terre. » (Petit Journal § 1402).

Dans la parabole, le fils qui dit « me voici, maître ! et…  il n’y alla pas » représente les grands prêtres et les anciens qui enseignent la loi mais ils ne vont pas à la vigne : respectent-ils la loi ? Le procès de Jésus permet d’en douter. Jésus ne les agresse pas, mais il les fait réfléchir, il leur fait un reproche, mais il ne le dit pas directement, la parabole laisse aux auditeurs une liberté intérieure, un espace de réflexion. Mais les grands prêtres et les anciens ne se sont pas « repentis », c’est-à-dire qu’ils n’ont fait aucun travail, ni intellectuel, ni spirituel, ni pratique, et ils n’évangélisent pas. Mais le bel aujourd’hui de Dieu demeure, et c’est maintenant, alors prions pour que beaucoup d’anciens d’Israël aillent travailler à la vigne du Père.

 

[1] 1946 Pie XII - Béatification des 29 martyrs de Chine

[2] C’est la thèse de la publication financée par le ministère de la culture : Après Jésus, l’invention du christianisme (sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim), Albin Michel, 2020.

[3] Philon d’Alexandrie, Légation à Caïus, trad. Delaunay, Paris, Didier, 1870, p.310 (§ 118).

Date de dernière mise à jour : 08/09/2023