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20° dimanche ordinaire
Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.
20e dimanche du temps ordinaire Evangile Mt 5, 21-28 (84.95 Ko)
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30).
Première lecture (Is 56, 1.6-7) 1
Psaume (Ps 66 (67), 2-3, 5, 7-8) 3
Deuxième lecture (Rm 11, 13-15.29-32) 5
Première lecture (Is 56, 1.6-7)
Ainsi parle le Seigneur : Observez le droit, pratiquez la justice, car mon salut approche, il vient, et ma justice va se révéler. Les étrangers qui se sont attachés au Seigneur pour l’honorer, pour aimer son nom, pour devenir ses serviteurs, tous ceux qui observent le shabbat sans le profaner et tiennent ferme à mon alliance, je les conduirai à ma montagne sainte, je les comblerai de joie dans ma maison de prière, leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel, car ma maison s’appellera : ‘Maison de prière pour tous les peuples’. » – Parole du Seigneur.
Cette lecture est datée du retour d’exil, où Isaïe, le 3° Isaïe, continue sur la ligne du premier Isaïe qui, avant l’exil, voyait en son Dieu le Roi des rois, et sur la ligne du second Isaïe, qui, pendant l’exil, voyait en Cyrus, un païen, un serviteur de Dieu pour ramener les exilés au pays. Avec la lecture de ce dimanche, il ne s’agit pas de syncrétisme avec les ennemis de Dieu, il s’agit d’accueillir les anciens ennemis de Dieu désormais convertis au Seigneur, comme par exemple dans l’histoire de Ruth, une Moabite qui dit à sa belle-mère juive, « où tu iras, j'irai, où tu demeureras, je demeurerai ; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu » (Ruth 1, 16). Ainsi, comme dit Isaïe : « Les étrangers qui se sont attachés au Seigneur pour l’honorer, pour aimer son nom, pour devenir ses serviteurs, tous ceux qui observent le shabbat sans le profaner et tiennent ferme à mon alliance, je les conduirai à ma montagne sainte » (Is 56, 6)
Un peu plus loin, Isaïe donne cet oracle très réjouissant pour le peuple hébreu : « De même que les cieux nouveaux et la terre nouvelle que je fais subsistent devant moi, oracle de YHWH [le Seigneur], ainsi subsisteront votre race et votre nom » (Is 66, 22). Mais c’est dans une perspective universelle, celle d’un shabbat vécu par « toute chair » : « De nouvelle lune en nouvelle lune, et de shabbat en shabbat, toute chair viendra se prosterner devant ma face, dit YHWH [le Seigneur] » (Is 66, 23).
Les non-juifs ne peuvent jouir du shabbat qu’en relation avec les juifs, comme il est écrit : « Tu ne feras aucun ouvrage, toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’étranger qui est dans tes portes. Car en six jours YHWH [le Seigneur] a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour, c’est pourquoi YHWH [le Seigneur] a béni le jour du shabbat et l’a consacré » (Ex 20, 8-11). Le shabbat s’enracine dans le récit de la création, ne devrait-il pas concerner tout homme, qu’il soit en relation ou non avec les Juifs ? Malgré cela, un grand commentateur du Talmud, RACHI (1040-1105) parle d’une interdiction pour le non-juif de suspendre le travail[1].
Revenons à la lecture de ce dimanche : « Je les conduirai à ma montagne sainte, je les comblerai de joie dans ma maison de prière, leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel, car ma maison s’appellera ‘Maison de prière pour tous les peuples’. » (Is 56, 7). « Pour tous les peuples » : l’Ancien Testament comporte une tension entre Esdras qui fait renvoyer les épouses étrangères, et le livre de Ruth où une étrangère entre dans la foi d’Israël. De même, au XIXe siècle, le judaïsme a oscillé entre l’idée d’une supériorité raciale (M. HESS, 1862) et l’idée d’une fraternité universelle. Or, de nombreuses ambiguïtés doivent être éclaircies. Avec l’idée d’élection, la Bible ne suggère pas une supériorité raciale, mais un exemple de la bienveillance de Dieu envers tous les peuples, c’est pourquoi la Bible ne cache pas, par exemple, les péchés de David. L’élection du peuple juif est ordonnée à la Révélation de Dieu. Quant à l’idée d’une fraternité universelle, la pensée juive moderne la définit sur une base éthique, on parle de loi noahide ou noachique, mais ce n’est pas sans difficulté : quelle est l’universalité du précepte de ne pas tuer quand l’avortement jusqu’au 9e mois est décidé à la majorité parlementaire et quand les bombes à fragmentation théoriquement interdites sont cependant utilisées ? Les israélites seraient-ils, de droit, les législateurs définissant l’éthique ? Dans certains milieux, le mot « juif » devient synonyme de « puissant », « membre de l’élite mondiale dirigeante ». Vous le voyez, de nombreuses ambiguïtés doivent être éclaircies.
Pour le prophète Isaïe, l’unité est d’abord intérieure, il s’agit de devenir un peuple saint qui rejette l’idolâtrie (cf. Is 57, 3-13) et qui pratique le bien : « si tu partages ton pain avec l’affamé... alors ta lumière poindra comme l’aurore » (Is 58, 6s). Alors Israël deviendra un peuple unifié et unifiant : « Je viens rassembler les nations de toutes les langues, elles contempleront ma gloire » (Is 66,18). La gloire de Dieu habite au cœur du Temple, dans le « Saint des Saints ». L’unique Grand-Prêtre y pénètre ‒ et une seule fois par an ‒ pour être en contact avec Dieu et transmettre ensuite Sa bénédiction. Les Hébreux ont découvert peu à peu que le Seigneur n’était pas simplement leur Dieu ‒ un Dieu au-dessus d’autres dieux ‒ mais LE Dieu unique de toute la création, le Créateur. La prière à ce Dieu porte donc une dimension universelle, au-delà de toute nation ou langue. À Jérusalem, désormais, tous les peuples sont concernés par ce qui s’y passe [2].
En fait, seul Jésus sera le véritable Grand-Prêtre capable d’intercéder pour toute l’humanité. D’ailleurs, Jésus meurt pour rassembler les fils de Dieu : « Caïphe, étant grand prêtre cette année-là […] prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation -- et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 47-52). Les dispersés sont tous les hommes, victimes du « loup », c’est-à-dire du Malin qui « s’en empare et les disperse » (Jn 10,12). Leur dispersion sera recomposée dans l’unité même du Père et du Fils (Jn 11,52 ; cf. 10,30). Sur la croix, Jésus remet l’Esprit (Jn 19, 30). Le Fils de Dieu remet l’Esprit de Dieu. L’unité est celle de Dieu Trinité. Cette unité existe.
Marie est maternellement présente au calvaire où se refait l’unité (Jn 19, 25-27). Beaucoup ont fait l’expérience que la mère console, aime, apaise et rassemble les enfants. Lorsque l’on est comblé d’amour, les divisions font horreur et on veut la paix. La tunique du Christ que les soldats n’ont pas déchirée (Jn 19, 23-24) est un signe de cette unité de l’Église qui est sur le point de se créer grâce à l’union d’amour entre la mère de Jésus et le disciple fidèle. En Marie s’accomplissent les prophéties qui annoncent que la « Fille de Sion » reçoit une maternité universelle (Is 54,1 ; 55,3 ; Za 2,15 ; 9,9), pour Isaïe, la fille de Sion, c’est Jérusalem, mais ses oracles s’accomplissent en Marie, attirant des peuples étrangers à partager les privilèges du peuple saint.
Psaume (Ps 66 (67), 2-3, 5, 7-8)
Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse, que ton visage s’illumine pour nous ; et ton chemin sera connu sur la terre, ton salut, parmi toutes les nations. Que les nations chantent leur joie, car tu gouvernes le monde avec justice ; tu gouvernes les peuples avec droiture, sur la terre, tu conduis les nations. La terre a donné son fruit ; Dieu, notre Dieu, nous bénit. Que Dieu nous bénisse, et que la terre tout entière l’adore !
Saint Augustin : «Il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes Mt 5, 45 ». La lumière de ce soleil, vous la répandez sur les méchants comme sur les bons, répandez sur nous la lumière de votre face. «Mais bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu'ils verront Dieu (Mt 5, 8) ». «Que les rayons de sa face tombent sur nous». Il y a deux manières d'entendre cette parole, expliquons l'une et l'autre : répandez sur nous les rayons de votre face, montrez nous votre visage. Car Dieu n'a pas besoin de faire briller son visage, […] mais, faites-le briller sur nous, afin que nous puissions voir ce qui nous était dérobé, et que ce qui est sans que nous le voyions, nous soit révélé ou brille sur nous. […]
Votre image ne doit point demeurer dans l'obscurité : envoyez un rayon de votre sagesse, qu'elle dissipe nos ténèbres, et que votre image brille enfin sur nous ; que nous sachions que nous sommes votre image, que nous entendions ce qui est dit au Cantique des cantiques : «A moins que tu ne te connaisses, ô la plus belle des femmes ». Voilà ce qui est dit à l'Église : «Puisses-tu te connaître toi-même». Qu'est-ce à dire ? Puisses-tu connaître que tu es à l'image de Dieu. […]
«Afin que nous connaissions votre voie sur la terre ». «Sur la terre», ici-bas, en cette vie «que nous connaissions votre voie». Qu'est-ce que « votre voie ?» Celle qui conduit à vous. Que nous sachions où aller, que nous sachions encore par où aller, l'un et l'autre nous sont impossibles dans nos ténèbres. Vous êtes loin de ceux qui voyagent, vous nous avez tracé la route par laquelle nous devons retourner à vous : «Que nous connaissions votre voie sur la terre». Quelle est cette voie de Dieu, puisque nous désirons de «connaître votre voie sur la terre ?» C'est à nous de la chercher, sans pouvoir la connaître par nous-mêmes. Nous pouvons l'apprendre de l'Evangile : «Je suis la voie», dit le Seigneur ; le Christ a donc dit: «Je suis la voie». […]
«Que les nations tressaillent et soient dans l'allégresse !» Si l'aveu devant un homme arrache des pleurs aux fripons, que l'aveu devant Dieu donne la joie aux fidèles. Au tribunal d'un homme, on force un voleur à l'aveu par la crainte et la torture : […]. Mais «que les nations tressaillent et soient dans l'allégresse !» Quelle en sera la cause ? la confession. Pourquoi ? Parce que c'est au Dieu de bonté qu'elles font des aveux ; s'il exige la confession, c'est pour délivrer les humbles ; s'il damne celui qui refuse l'aveu, c'est pour châtier son orgueil. Sois donc dans la tristesse avant l'aveu, et après l'aveu dans la joie, car tu seras guéri. Le pus s'était amassé dans ta conscience, l'abcès était formé, la douleur ne te laissait aucun repos […] fais un aveu, et que cet aveu fasse écouler tout le pus de la plaie ; tressaille ensuite et sois dans la joie ; le reste sera bientôt guéri.
« Que les peuples vous confessent, ô mon Dieu, que tous les peuples « vous bénissent !» Et à cause de leur confession, «que les nations soient dans la joie et dans l'allégresse, parce que vous jugez les peuples dans l'équité». […] Prends en main ta cause, il est un défenseur pour le pénitent, un intercesseur pour celui qui avoue, et pour l'innocent un juge. Peux-tu craindre avec raison, quand c'est ton avocat qui est ton juge ? «Que les nations donc soient dans la joie, qu'elles tressaillent, parce que vous jugez les peuples avec justice ». […]
Oui, «la terre donna là son fruit», un fruit très beau, un fruit excellent. N'y a-t-il que cette terre pour avoir donné son fruit ? « Que le Seigneur nous bénisse, le Seigneur notre Dieu ; que Dieu nous bénisse». Qu'il nous bénisse encore ; car le sens d'une bénédiction est surtout l'accroissement. Prouvons-le par la Genèse ; vois les oeuvres de Dieu. Le Seigneur fit la lumière, et il sépara la lumière des ténèbres ; il appela jour la lumière, et nuit les ténèbres. Il n'est pas dit : Il bénit la lumière ; car c'est la même lumière qui reparaît dans l'alternative des jours et des nuits. Il appela ciel le firmament entre les eaux et les eaux ; il n'est pas dit qu'il bénit le ciel. Il sépara les eaux de l'aride, il donna le nom de terre à l'aride, et celui de mer aux eaux rassemblées ; il n'est pas dit non plus que Dieu les bénit. Il en vint ensuite aux êtres qui devaient avoir la fécondité de la reproduction et vivre dans les eaux. Ceux-ci, en effet, se multiplient d'une manière étonnante, et Dieu les bénit en disant : «Croissez et multipliez, remplissez les eaux de la mer, et que les oiseaux se multiplient sur la terre». De même, quand il eut tout soumis à l'empire de l'homme, qu'il avait créé à son image, il est écrit : «Dieu les bénit en disant : «Croissez et multipliez, couvrez la face de la terre (Gn 1,1-28) ». Donc, l'effet propre de la bénédiction, est cette fécondité qui parvient à couvrir la surface de la terre. […]
Telle est donc, mes frères, la bénédiction féconde qui nous vient de Dieu, au nom de Jésus-Christ, qu'il a rempli de ses enfants la face de la terre, après les avoir adoptés pour son royaume comme les cohéritiers de son Fils unique. Il n'a engendré qu'un Fils unique, mais il n'a point voulu qu'il fût seul ; oui, dis-je, il n'a point voulu qu'il demeurât seul, ce Fils unique engendré par lui. Il lui a fait des frères, et lui a préparé des cohéritiers, sinon par la génération, du moins par l'adoption. Il lui a fait d'abord partager notre nature mortelle, afin que nous crussions que nous pouvons être participants de sa divinité. […]
Tout ce qui est prédit dans les Écritures s'accomplit. De même que tout ce qui est prédit jusqu'aujourd'hui est arrivé, ainsi le reste s'accomplira. Craignons le jour du jugement, car le Seigneur viendra. Il est venu dans l'humilité, il viendra dans la gloire ; il est venu pour être jugé, il viendra pour juger. Reconnaissons-le dans son humilité, afin de ne point redouter sa gloire ; embrassons-le quand il est humble, afin de désirer sa grandeur. Car il viendra dans sa bonté, si nous soupirons après lui. Or, ceux-là soupirent après lui, qui croient en lui, qui gardent ses commandements. Dussions-nous ne point le vouloir, il viendra. Désirons donc son avènement, puisqu'il viendra toujours malgré nous. Comment désirer son avènement ? Par une vie sainte, et des actions pures… et attends avec sécurité le royaume de Dieu » (Augustin, sur les Psaumes 67)
Deuxième lecture (Rm 11, 13-15.29-32)
« Frères, je vous le dis à vous, qui venez des nations païennes : dans la mesure où je suis moi-même apôtre des nations, j’honore mon ministère, mais dans l’espoir de rendre jaloux mes frères selon la chair, et d’en sauver quelques-uns. Si en effet le monde a été réconcilié avec Dieu quand ils ont été mis à l’écart, qu’arrivera-t-il quand ils seront réintégrés ? Ce sera la vie pour ceux qui étaient morts ! Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance. Jadis, en effet, vous avez refusé de croire en Dieu, et maintenant, par suite de leur refus de croire, vous avez obtenu miséricorde ; de même, maintenant, ce sont eux qui ont refusé de croire, par suite de la miséricorde que vous avez obtenue, mais c’est pour qu’ils obtiennent miséricorde, eux aussi. Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde. – Parole du Seigneur. »
Saint Paul se réfère à une tradition juive suivant laquelle la voix du Sinaï s’est adressée à tous les peuples, mais seul Israël avait accepté.
La « mise à l’écart » dont parle saint Paul concerne ceux d’entre les Juifs qui ont rejeté le Christ et qui sont désormais comme des rameaux « élagués » (Rm 11, 20), la majorité des « rameaux » ayant accepté de croire en Jésus le Messie, comme l’indiquent les courbes officielles de la population juive : au tournant de notre ère, on y voit une chute vertigineuse de la population mondiale juive, au moment de la première prédication apostolique : ils ne sont pas morts, ils sont devenus chrétiens.
Le texte de saint Paul sur la « réintégration » vivifiante de tous les Juifs aux rameaux qui n’ont pas été « élagués » signifie que nous ne sommes pas autorisés à imaginer un accomplissement des promesses de l’Ancien Testament en dehors du Christ et de l’Église universelle. Prenons l’exemple de la promesse à Abraham et de la prophétie d’Amos sur la restauration d’Israël. Alors que l’Ancien Testament décrit les frontières de la terre promise à Abraham, saint Paul écrit : « Abraham hérite du monde » (Rm 4, 13) [3]. C’est vrai au temps de saint Paul (qui est juif), et ce sera encore vrai dans les derniers temps. De même, l’apôtre saint Jacques [4] justifie la mission de Paul chez les païens avec un texte d’Amos sur la « restauration » (Amos 9, 11-12), autrement dit, Jacques sous-entend qu’Israël a déjà été restauré dans le mystère pascal du Christ et dans les premières conversions. Israël est restauré dans la résurrection du Christ, c’est une vérité valable hier comme aujourd’hui et demain. La réintégration des Juifs dans le corps mystique du Christ signifie qu’ils accueillent la relecture de saint Jacques sur la promesse d’Amos.
« Rappelons au sujet de cette mise à l’écart que le sang de Jésus n’exige ni vengeance ni punition, mais il est réconciliation... ce n’est pas une malédiction, mais une rédemption, un salut, mais ce salut n’est pas automatique, il doit être accueilli. La réintégration vivifiante de tous les Juifs, c’est d’être greffés sur le Christ (Jésus est avant tout le Messie d’Israël), comme les rameaux qui n’ont pas été élagués, par une greffe de sang et de feu : la Passion de Jésus le Messie et la Pentecôte. Rien n’autorise à imaginer un accomplissement des promesses de l’Ancien Testament en dehors de Jésus le Messie. ‘Mais si quelques-unes des branches ont été coupées tandis que toi, sauvageon d’olivier [saint Paul parle des nations] tu as été greffé parmi elles pour bénéficier avec elles de la sève de l’olivier, ne va pas te glorifier aux dépens des branches’ (Rm 11, 17-18). Et Paul ajoute (concernant les juifs) : ‘Les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance’ (Rm 11, 29). » [5]
Expliquons maintenant le verset : « qu’arrivera-t-il quand ils seront réintégrés ? Ce sera la vie pour ceux qui étaient morts ! » L’Église latine, héritière de s. Augustin (354-430) et de son œuvre magistrale La Cité de Dieu où il n’y a plus rien sur la terre après la Venue glorieuse de Jésus, interprète généralement ce verset dans le cadre de la résurrection générale [6], et souffre d’une certaine cécité.
Mais dans l’optique de saint Justin et de saint Irénée, beaucoup plus proches des apôtres, il y a deux résurrections, dont la première est en réalité l’apparition des saints du Ciel et la vivification de ceux qui sont encore sur la terre au moment de la venue glorieuse du Christ, un mystérieux règne des justes avec le Christ, une transition qui prépare à l’éternité (Ap 20, 5-6 ; 1 Co 15, 23, malheureusement pour ce dernier texte, au verset 22, on n’est plus traduit correctement le terme « ensuite » qui distingue le temps de la manifestation glorieuse de Jésus le Messie et celui de l’assomption finale dans les Cieux (1Co 15, 23).
Ni saint Justin ni saint Irénée ne donnent aux Juifs un statut ou un rôle particulier dans l’avènement de la Parousie ou dans le millenium. (Alors que saint Augustin est se sent obligé d’imaginer une conversion des Juifs avant la venue de l’Antéchrist puisque pour lui le jugement de l’Antéchrist est la fin du monde).
Dans la perspective de saint Irénée, la phrase de saint Paul : « Que sera leur admission, sinon une résurrection d’entre les morts ? » (Rm 11, 15) pourrait constituer une réponse à l’espérance juive qui aspire tellement à une rédemption sur la terre (avant la vie éternelle proprement dite). Ce que le dialogue judéo-chrétien actuel n’a pas encore pris en compte, c’est que « la vie hors des morts (traduction littérale du grec ou de l’araméen) » ne signifie pas hors de l’histoire et hors de ce monde, et que, en conséquence, l’un des moments les plus significatifs de l’histoire juive est encore à venir.
« Paul ne précise pas si l’intégration des Juifs coïncidera avec la manifestation de Jésus en gloire, mais que ce sera ‘une vie hors des morts’, expression que l’on peut rapprocher du « salut-vivification » qui doit accompagner la seconde venue de Jésus (He 9, 28). Alors, pour les Juifs qui accepteront le Messie Jésus, ce sera donc une vie hors des morts. Les uns, étant déjà morts, apparaîtront avec Jésus dans la gloire. Les autres, étant sur la terre au moment de la Venue glorieuse du Messie Jésus, bénéficieront des apparitions des justes ressuscités et du salut vivification dont parle He 9, 8.
Évangile (Mt 15, 21-28)
[En ce temps-là, partant de Génésareth],
Jésus sortit de là, / et vint à la frontière de Tyr et de Sidon.
Et Voici qu’une femme cananéenne, / venue de ces frontières,
sortit en criant / et en disant :
‘Aies pitié de moi, Seigneur, / fils de David !’
Ma fille / est malmenée par un génie.
Or lui, / il ne lui retourna aucune réponse.
Les disciples s’approchèrent pour l’interroger / et disaient :
‘Libère-la, / car elle nous poursuit de ses cris !’
Mais lui répondit / et leur dit :
‘Je n’ai été envoyé / qu’aux brebis qui ont erré loin de la maison d’Israël’.
Elle, toutefois vint se prosterner devant lui / et dit :
‘Seigneur, / viens à mon secours !’
Jésus lui dit :
‘Il n’est pas bien de prendre le pain des fils / pour [le] jeter aux chiens’.
Elle dit alors :
‘Oui, / Seigneur ;
même les chiens mangent les miettes qui tombent des tables de leurs maîtres, / et ils vivent’.
Alors, / Jésus lui dit :
‘Oh Femme, / grande est ta foi !
qu’il te soit fait / comme tu le veux !’
Et sa fille fut guérie, / dès cette heure-là » – Acclamons la Parole de Dieu.
Quelques remarques sur la traduction :
« Ma fille est malmenée [bīšāyīṯ mettddaḇrā conduite de façon mauvaise] par un génie [šīḏā les génies, les démons païens sont de mauvais guides] ». (v. 22)
Les disciples disaient : « Libère-la, [šrīh ambiguïté du verbe : libère-là au sens d’accéder à sa demande ou renvoie-là ; même ambiguïté en grec : απολυω], car elle nous poursuit de ses cris ! » (v. 23)
Nous allons suivre aujourd’hui saint Jean Chrysostome.
« Méditez bien la sagesse de la femme. [‘Seigneur, viens à mon secours !’ ]
Ayez pitié de moi ; je n'ai pas de bonnes oeuvres par devers moi, je n'ai pas la confiance que donne une bonne vie, j'ai recours à la pitié, je me réfugie dans le port ouvert aux pécheurs, je me réfugie auprès de la miséricorde, où il n'y a pas de tribunal, où se trouve, sans examen, le salut ; et ainsi malgré ses péchés, malgré ses infractions à la loi, elle a osé s'approcher.
Voyez encore la sagesse de la femme ! Elle ne s'adresse pas à Jacques, elle ne fait pas de prières à Jean, elle ne s'approche pas de Pierre, elle ne fait pas de distinction dans le choeur des apôtres. Je n'ai pas besoin d'intermédiaire, le repentir parle pour moi, et je vais droit à la source même. S'il est descendu, s'il a revêtu notre chair, c'est pour que moi aussi je m'entretienne avec lui. En haut, les chérubins tremblent près de lui, et, sur la terre, la femme impudique s'entretient avec lui. Ayez pitié de moi. Courte parole, mais elle a découvert l'immense mer d'où le salut découle. Ayez pitié de moi. [‘Seigneur, viens à mon secours !’ ]
Méditez bien la sagesse de la femme. Elle ne va pas trouver les sorciers, elle n'appelle pas les devins, elle n'a pas recours aux amulettes, elle n'a pas la pensée de payer des femmes qui vendent des sortilèges, qui évoquent les démons, qui ne font qu'aigrir la maladie ; elle quitte l'officine du démon, elle se rend près du Sauveur de nos âmes. ‘Ayez pitié de moi, ma fille est misérablement tourmentée par le démon’. Vous comprenez sa douleur, vous tous qui êtes pères ; venez en aide à mon discours, vous toutes qui êtes mères. Je ne peux pas décrire la tempête qu'a supportée cette pauvre femme. Ayez pitié de moi : ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Avez-vous compris la sagesse de la femme ? avez-vous compris sa constance ? avez-vous compris sa force virile ? avez-vous compris sa patience ? Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Chose étrange ! elle le prie, le conjure, déplore auprès de lui son malheur, développe cette tragique histoire, lui raconte son affliction, et lui, plein de bonté pour les hommes, il ne répond pas. Le Verbe se tait, la source demeure fermée, le médecin garde ses remèdes. Quelle nouveauté surprenante ! […]
[Maintenant saint Jean Chrysostome semble critiquer l’attitude de Jésus en citant les Écritures]. Toutes les nations, vous les négligez ? […] Cependant les prophètes ne nous disent pas cela ; votre aïeul selon la chair, que dit-il ? ‘Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et j'étendrai votre possession jusqu'aux extrémités de la terre’ (Ps 2,8). Et maintenant Isaïe, qui a contemplé les séraphins : ‘Le rejeton de Jessé se lèvera pour commander à tous les peuples ; les nations espéreront en lui’ (Is 11,10) […] Et vous-même, à votre avènement, ne vous êtes-vous pas empressé d'appeler à vous les mages ? […] Et quand vient cette malheureuse, cette infortunée, vous implorant pour sa fille, vous conjurant de la délivrer, vous lui dites : ‘Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues’.
[Maintenant saint Jean Chrysostome donne une explication :] La loi avait pourvu à ce que les Juifs ne fassent aucun pacte avec les Cananéens. La loi était comme une haie autour d'eux, et, pour cette raison les Juifs ne voulaient même pas les entendre. […] C'est parce que cette femme était cananéenne, et s'était approchée du Christ, que le Christ dit : Voyez, cette femme a rassemblé autour de moi le peuple qui me regarde, et elle n'a pas encore une réponse ; je ne veux pas que vous me disiez, vous vous êtes livré aux Cananéens, vous avez transgressé la loi, nous nous emparons de ce prétexte pour ne pas croire en vous. […] Pour vous, même quand vous me fuyez, je vous appelle ‘Venez à moi, vous tous qui souffrez’ (Mt 11,28), et vous ne venez pas ; celle-ci, je la rejette loin de moi, et elle persiste. ‘Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens’. O énergie de la femme ! O noble combat ! Le médecin dit, non, et celle-ci dit, oui. Le Seigneur dit : non, et elle dit, il est vrai, oui. Vous m'appelez chien ; et moi je vous appelle Seigneur ; vous me couvrez d'opprobres, et moi je vous glorifie. Il est vrai, Seigneur, oui ; mais les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres (Mt 15,27).
O femme ! Dieu dit, ô femme ! Écoutez tous, vous qui ne savez pas encore bien prier. Quand je dis à quelqu'un, priez Dieu, conjurez-le, suppliez-le ; on me répond : je l'ai prié une fois, deux fois, trois fois, dix fois, vingt fois, et je n'ai jamais rien reçu. Ne cessez pas, mon frère, jusqu'à ce que vous ayez reçu ; la fin de la prière, c'est le don reçu. Cessez quand vous avez reçu, ou plutôt ne cessez pas, même alors persévérez encore. Si vous n'avez pas reçu, demandez pour recevoir ; si vous avez reçu, rendez grâces pour ce que vous avez reçu. Une foule de personnes entrent dans l'Église, y récitent par milliers les vers [des psaumes] en guise de prière et s'en vont, ne se doutant pas de ce qu'elles ont dit : ce sont les lèvres qui remuent, mais le coeur n'entend pas. Comment ! tu n'entends pas toi-même ta prière, et tu veux que Dieu l'entende ? J'ai fléchi, dis-tu, les genoux ; mais ta pensée s'était envolée dehors : ton corps était dans l'église, mais ton esprit, par la ville ; ta bouche récitait la prière, mais ta pensée supputait des intérêts d'argent, s'occupait de contrats, d'échanges, de terrains, de domaines à acquérir, de réunions avec des amis. Le démon est malin, il sait que la prière est ce qui avance le plus nos progrès, c'est alors qu'il fond sur vous. Souvent nous sommes étendus sur le dos dans notre lit, sans penser à mal ; mais si nous venons pour prier, c'est alors qu'il nous envoie mille et une pensées, pour nous chasser de l'Église, les mains vides »
Extraits de saint Jean Chrysostome, Homélie 6589
[1] RACHI, Commentaire à Sanhédrin, 58b
[2] F. BREYNAERT, Jean, L’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre (Préface Mgr Mirkis – Irak). Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020, p. 355-356.
[3] En Gn 12, 7, la promesse se limite à ce qu’Abraham peut voir autour de lui, à partir de Sichem. En Gn 17, 8, la terre promise à Abraham se limite « à toute la terre de Canaan », c’est-à-dire l’ancienne Palestine, mais en Gn 15, 18, il s’agit d’un territoire étonnant : « depuis le fleuve d’Égypte jusqu’au grand fleuve, le fleuve d’Euphrate » (Gn 15,18) : tout le monde connu par Abraham ! Lorsque saint Paul évoque « la promesse faite à Abraham ou à sa descendance de recevoir le monde en héritage » (Rm 4, 13), ce n’est donc pas tant une déformation de l’Ecriture qu’un choix théologique.
[4] « [L’apôtre saint Jacques dit :] Après cela je reviendrai et je relèverai la tente de David qui était tombée ; je relèverai ses ruines et je la redresserai, afin que le reste des hommes cherchent le Seigneur, ainsi que toutes les nations qui ont été consacrées à mon Nom, dit le Seigneur [= Amos 9, 11-12] qui fait connaître ces choses depuis des siècles. C’est pourquoi je juge, moi, qu’il ne faut pas tracasser ceux des païens qui se convertissent à Dieu » (Ac 15, 16-19).
[5] Gabrielle LÉVY, Le 3e Temple et l’ultime Shabbat, l’arbre de vie et le secret de Marie, éditions Vérone, Paris 2022, p. 193-194
[6] S. Augustin, La Cité de Dieu, XX, 30, 5
Date de dernière mise à jour : 05/08/2023