4e dimanche du temps pascal

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Première lecture (Ac 2, 14a.36-41)

« Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et fit cette déclaration : ‘Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié’. Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : ‘Frères, que devons-nous faire ?’ Pierre leur répondit : ‘Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera’. Par bien d’autres paroles encore, Pierre les adjurait et les exhortait en disant : ‘Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés’.
Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés. Ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux ». – Parole du Seigneur. 

En civilisation orale, un témoin transmet à six personnes. Et se déploie ainsi une croissance exponentielle. Des 12 apôtres on passe aux 72, et on passe au 500 auxquels le Christ ressuscité apparaît (1Co 15, 6) puis 6 fois 500 = 3000, aux 3000 qui sont prêts à recevoir le baptême.

Pierre ne mâche pas ses mots. La maison d’Israël a crucifié Jésus, le Messie, le Seigneur. Et Pierre annonce le baptême chrétien, selon l’ordre que Jésus Ressuscité avait donné aux apôtres « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 19-20). Dans son discours, Pierre ne parle que du baptême « au nom de Jésus-Christ », mais juste après il parle de « l’Esprit Saint » et de « la promesse » qui est celle du Père.

Jésus avait préparé le baptême chrétien par ses discours et ses gestes forts.

L’évangile de Jean donne le récit de la guérison de l’aveugle de naissance (Jn 9). Il est guéri en se lavant au bassin de Siloé, c’est-à-dire de l’Envoyé. La racine utilisée que nous traduisons par « bassin », est la même racine utilisée quand Jean baptise dans l’eau et qu’il annonce que Jésus baptisera dans l’Esprit Saint (Jn 1, 33). Ce miracle nous parle du baptême. L’aveugle est tel depuis sa naissance. Le baptême, quant à lui, concerne l’aveuglement natif, représentant l’état de ténèbres dans lequel l’humanité se trouve depuis le péché d’Adam, c’est pourquoi le texte insiste quatre fois pour dire que Jésus ayant craché sur la terre, utilise de la boue (Jn 9, 6,11.14.15), comme lorsque « le Seigneur Dieu modela l’homme avec la glaise du sol » (Gn 2, 7). C’est toute l’humanité qui est spirituellement aveugle, car, comme l’exprime poétiquement un midrash, après le péché d’Adam, Dieu ne s’impose pas mais il se retire quand l’homme le rejette. Symboliquement Dieu se retire au 7e ciel, et l’éloignement de Dieu a provoqué l’obscurcissement du monde [1].

De plus, j’ai montré dans mon livre « Jean, l’évangile en filet » (Parole et Silence 2020) que l’évangéliste enfile les perles pour former des ensembles cohérents. C’est ainsi qu’un quatrième fil ou collier commence en Jn 7, 37 (fête des tentes) et s’achève en Jn 10, 22 (fête de la Dédicace) et c’est tout ce fil d’oralité qui développe un enseignement sur le baptême.

Le rite d’immersion du baptême se fait sous le signe de la lumière, celle de l’aveugle guéri ou celle du discours qui a précédé : « Je suis Moi : / la lumière du monde ! […] la lumière de la vie ! » (Jn 8, 12).

A ceux qui accueillent Jésus (et son salut), il est dit « ne pèche plus ! » (épisode de la femme adultère Jn 8, 11) ce qui signifie qu’il est possible de résister au péché[2]. Mais à ceux qui refusent le Christ, il est dit « vous mourrez dans votre péché » (Jn 8, 21), ce qui signifie qu’il n’y a pas de salut sans Jésus, le Christ, le Rédempteur. Et Pierre, dans son premier discours, dit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés ».

Le baptême chrétien comporte des exorcismes. Là aussi, l’évangile de Jean le suggère avec éloquence. Juste avant l’épisode où l’aveugle est guéri dans « le bassin d’immersion de l’Envoyé » préfigurant les eaux du baptême, Jésus a affronté le père du mensonge, c’est-à-dire Satan. Il déclare en effet à ses adversaires :

« Vous, quant au père, / vous êtes de l’Accusateur ;
Et c’est la convoitise de votre père / que vous voulez faire ! 
Lui, qui, depuis le début / tue l’homme,

Et qui, dans la vérité, / ne se tient pas debout !
Parce que, de vérité, / il n’y en a pas en lui ;
Et, quand il parle de mensonge / c’est de son propre fond qu’il parle ! 
Parce qu’il est l’illusoire / et son père ! » (Jn 8, 44).

Et juste après la guérison de l’aveugle, dans le discours du Bon berger, Jésus est celui qui affronte le loup qui disperse (Jn 10, 12), encore une fois Satan. Ainsi nous avons expliqué que le baptême chrétien comporte un exorcisme contre Satan.

Le baptême nous donne la vie éternelle que Jésus promet en Jn 10, 28 qui fait partie du même fil d’oralité que la guérison de l’aveugle-né.

Le baptême nous donne l’Esprit Saint. Pendant la fête des Tentes, Jésus déclare : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Celui qui croit en moi, selon le mot de l’Ecriture, des fleuves d’eau vive couleront de ses entrailles » (Jn 7, 37-38) et l’évangéliste ajoute : « Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui » (Jn 7, 39). Le baptême rend accès à l’Esprit Saint qui jaillit des entrailles, c’est-à-dire dans l’intériorité profonde, comme une source offerte par le Christ. L’Esprit Saint ne se confond pas avec notre esprit, mais il est donné comme une source offerte par Jésus, le seul Sauveur.

A la fin de ce fil d’oralité, Jésus dit aussi : « Moi et Mon-Père / nous sommes Un » (Jn 10, 30) et « le Père est en Moi / et Moi dans le Père » (Jn 10, 38) : par le baptême, nous sommes conduits par Jésus vers le Père.

C’est ainsi que tout le collier qui commence en Jn 7, 37 (fête des tentes) et s’achève en Jn 10, 22 (fête de la Dédicace) peut se lire comme un commentaire du baptême chrétien représenté par la guérison de l’aveugle né (Jn 9). Et l’évangile de ce dimanche (Jn 10) fait partie de ce commentaire.

 

Psaume (Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)

« Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom. Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure. Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ; tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante. Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ; j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. »

Le Seigneur est mon berger. Il me fait vivre. Il me conduit. L’expression « ton bâton me guide et me rassure » désigne le bâton du berger qui écarte les dangers, ou les broussailles.

Il est opportun de faire le lien avec le discours de Pierre : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » En effet, saint Pierre fera très fortement l’expérience de l’accomplissement de la promesse, y compris cette petite partie de la promesse qui contenue dans ce psaume. En Actes 4, Pierre et Jean sont brièvement emprisonnés. En Actes 12, c’est tout à fait extraordinaire : « Hérode fit périr par le glaive Jacques, frère de Jean. 3 Voyant que c'était agréable aux Juifs, il fit encore arrêter Pierre. C'étaient les jours des Azymes. 4 Il le fit saisir et jeter en prison, le donnant à garder à quatre escouades de quatre soldats ; il voulait le faire comparaître devant le peuple après la Pâque. 5 Tandis que Pierre était ainsi gardé en prison, la prière de l'Église s'élevait pour lui vers Dieu sans relâche. 6 Or, la nuit même avant le jour où Hérode devait le faire comparaître, Pierre était endormi entre deux soldats ; deux chaînes le liaient et, devant la porte, des sentinelles gardaient la prison. 7 Soudain, l'Ange du Seigneur survint, et le cachot fut inondé de lumière. L'ange frappa Pierre au côté et le fit lever : ‘Debout ! Vite !’ dit-il. Et les chaînes lui tombèrent des mains. 8 L'ange lui dit alors : ‘Mets ta ceinture et chausse tes sandales’ ; ce qu'il fit. Il lui dit encore : ‘Jette ton manteau sur tes épaules et suis-moi’. 9 Pierre sortit, et il le suivait ; il ne se rendait pas compte que ce fût vrai, ce qui se faisait par l'ange, mais il se figurait avoir une vision » (Ac 12, 1-0)

Ainsi vraiment, on peut appliquer ce verset du psaume à cette aventure de saint Pierre : « Si je traverse les ravins de la mort, [réalisons, cet Hérode qui veut faire comparaître Pierre est le même que celui du procès de Jésus et nous sommes juste un an après sa crucifixion] je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure ».

Il est très facile aussi de faire aussi le lien avec l’évangile de ce dimanche :

« Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »

Plus généralement, ce psaume, qui évoque à la fois les eaux, la coupe, et l’onction parfumée préfigure les sacrements.

Saint Augustin fit un beau commentaire de ce psaume. J’ai glané pour vous :

« 1. C'est l'Église qui s'adresse au Christ : ‘Le Seigneur me dirige et rien ne me manquera’ (Ps 22,1). Le Seigneur Jésus est mon pasteur, et je ne manquerai de rien.

2. ‘Il m'a placé dans un lieu de pâturage (Ps 22,2)’. Il m'a placé, pour me nourrir, dans ce lieu de pâturage qui commence par me conduire à la foi. ‘Il m'a entretenu le long des eaux salutaires’. Il m'a fait grandir par les eaux du baptême, qui rendent la force et la santé à ceux qui ont langui. [on pourrait ajouter aussi l’eau bénite, qui est un rappel du baptême).

3. ‘Il rend la force à mon âme, et me fait marcher dans les sentiers de la justice, pour la gloire de son nom (Ps 22,3)’. Il m'a conduit dans les sentiers étroits de sa justice, où peu savent marcher ; non point à cause de mes mérites, mais pour la gloire de son nom.

4. ‘Quand même je marcherais au milieu des ombres de la mort’. Dussé-je marcher au milieu de cette vie, qui est l'ombre de la mort… ‘Je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec moi (Ps 22,4)’. Je ne craindrai aucun mal, parce que vous habitez dans mon coeur par la foi, et maintenant vous êtes avec moi, afin qu'après les ombres de la mort, je sois avec vous.

Seigneur, vous avez préparé un festin sous mes yeux, afin que le lait de l'enfance (1Co 3,2) ne fût plus mon aliment, mais que, devenu plus grand, je prisse une nourriture qui me fortifiât contre ceux qui me persécutent. ‘Vous avez répandu sur ma tête une huile parfumée’. Vous avez donné à mon coeur une joie spirituelle. ‘Quelle délicieuse ivresse dans la coupe que vous m'avez donnée (Ps 22,5) !’ Combien est doux votre breuvage qui nous fait oublier les vains plaisirs !

6. ‘Et votre miséricorde me suivra tous les jours de ma vie (Ps 22,6)’; c'est-à-dire tant que je suis en cette vie mortelle, qui n'est pas la vôtre, mais la mienne. Afin que j'habite la maison du Seigneur, dans les jours éternels. Elle me suivra, non seulement ici-bas, mais elle me donnera la maison du Seigneur, pour la vie éternelle. » (Saint Augustin, sur les Psaumes, 23).

 

2e lecture (1 P 2, 20b-25)

« Bien-aimés, si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes ». – Parole du Seigneur. 

« Par ses blessures, nous sommes guéris ». Alors ayons, nous aussi, un crucifix dans notre chambre… 

Ce texte est dense. Nous allons commencer par quelque chose de plus simple et plus facile, une lettre que sainte Élisabeth de la Trinité écrivit à sa petite sœur : « Ma chère petite Françoise… Je vais te dire quelque chose : puisque je ne suis pas là pour recevoir à chaque instant le trop plein de ton petit cœur, chaque fois que tu ressentiras le besoin de me faire confidence, tu te sauveras dans ta chambre, et là, entre ton crucifix et mon portrait, puisque tu l’aimes tant, tu te recueilleras un moment… Chaque fois que tu auras évité une scène, ou une dispute avec Marie Louise, ou quand tu te sentiras trop mal tournée, tu viendras là, c’est entendu, n’est-ce pas ? » (Bse Elisabeth de la Trinité, Lettre 98). Cette lettre est ainsi une illustration de la parole de saint Pierre : 
Notre commentaire va maintenant suivre la lettre de saint Jean Paul II sur le sens chrétien de la souffrance. Lettre apostolique salvici doloris. 11 février 1984, fête de Notre Dame de Lourdes.

Premier point. « §11 S’il est vrai que la souffrance a un sens de punition lorsqu’elle est liée à la faute, il n’est pas vrai au contraire que toute souffrance soit une conséquence de la faute et ait un caractère de punition. La figure de Job le juste en est une preuve spéciale dans l’Ancien Testament. ». Job était innocent et fut malade, il a tout perdu, mais à la fin il fut restauré.

Deuxième point. Puis Jean Paul II s’inspire du livre des martyrs d’Israël ou Maccabées. « § 12 .  ‘Ces persécutions ont eu lieu non pour la ruine mais pour la correction de notre peuple’ (2 M. 6,12)… La souffrance doit servir à la conversion, c’est-à-dire à la reconstruction du bien dans le sujet, qui peut reconnaître la miséricorde divine dans cet appel à la pénitence ».

Troisième point. « § 17 Les Écritures devaient s’accomplir. Nombreux étaient les textes messianiques de l’Ancien Testament qui annonçaient les souffrances du futur Oint de Dieu. L’un d’entre eux est particulièrement touchant, celui qu’on appelle habituellement le quatrième chant du Serviteur de Dieu, contenu dans le livre l’Isaïe.  Le prophète… présente dans ce chant l’image des souffrances du Serviteur avec un réalisme aigu, comme s’il les voyait de ses propres yeux, les yeux du corps et ceux de l’Esprit. À la lumière des versets d’Isaïe, la passion du Christ devient présence plus expressive et plus émouvante encore que dans les descriptions des évangélistes eux-mêmes…. ‘Il n’avait ni beauté ni éclat pour attirer nos regards. Objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu’un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n’en faisions aucun cas. Or ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison. Tous comme des moutons nous étions errants, chacun selon son propre chemin, et le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à tous. » … (Is 53,2-6)

Interrompons nous pour observer que saint Pierre a reconnu en Jésus la figure de ce serviteur souffrant lorsqu’il dit : « Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes ».

Reprenons Jean-Paul II. « Ce qui nous touche dans les paroles du prophète, plus encore que cette description de la passion, c’est la profondeur du sacrifice du Christ. Bien qu’innocent, voici qu’il se charge des souffrances de tous les hommes parce qu’il se charge des péchés de tous. ‘Le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à tous’ : tout le péché de l’homme dans son étendue et sa profondeur devient la véritable cause de la souffrance du Rédempteur… on peut dire que c’est une souffrance de substitution ; mais elle est surtout une souffrance de Rédemption. [...] Dans sa souffrance, les péchés sont effacés précisément parce que lui seul, comme Fils unique, a pu les prendre sur lui, les assumer avec un amour envers le Père qui surpasse le mal de tout péché… »

Jean Paul II continue. « §20 Le Christ a ouvert sa souffrance à l’homme, parce que Lui-même, dans sa souffrance rédemptrice, a participé en un sens à toutes les souffrances humaine. En découvrant, grâce à la foi, la souffrance rédemptrice du Christ, l’homme découvre en même temps, en elle, ses propres souffrances, il les retrouve, grâce à la foi, enrichies d’un contenu nouveau et d’une signification nouvelle ». Cela signifie que chacun de vous, quelle que soit sa souffrance, physique, nerveuse, morale, spirituelle, peut se tourner dans sa chambre vers le crucifix et y découvrir sa souffrance, mais sa souffrance enrichie d’une signification nouvelle, rédemptrice réparatrice, une connexion avec la vie divine dans le divin vouloir.

Continuons avec Jean-Paul II, sur un autre registre :

« §29-30 En suivant la parabole du bon samaritain, on pourrait dire que la souffrance, présentant des visages si divers à travers le monde humain, s’y trouve également pour libérer dans l’homme ses capacités d’aimer, très précisément ce don désintéressé du propre moi au profit d’autrui, de ceux qui souffrent. Le monde de la souffrance humaine ne cesse d’appeler, pour ainsi dire, un monde autre : celui de l’amour humain ; et cet amour désintéressé, qui s’éveille dans le cœur de l’homme et se manifeste dans ses actions, il le doit en un certain sens à la souffrance. L’homme qui est le ‘prochain’ ne peut passer avec indifférence devant la souffrance des autres, au nom de la loi fondamentale de la solidarité humaine, il le peut encore moins au nom de la loi d’amour du prochain, il doit s’arrêter… ».

Retenons ces paroles de saint Pierre : « Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes ».

 

Évangile (Jn 10, 1-10)

« En ce temps-là, Jésus déclara : ‘Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers’.

Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole :

‘Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance’. » – Acclamons la Parole de Dieu.   

Le mot araméen utilisé désigne le mouton (mâle) ou l’ovin (en général). Comme en français, le mot mouton est connoté (mouton de Panurge = suiveur), il est parfois heureux de traduire par brebis. D’ailleurs, un troupeau est constitué essentiellement de brebis parce qu’elles en portent la reproduction.

Jésus vient de se mettre en opposition avec les autorités religieuses chargées de guider le peuple, il évoque maintenant des pasteurs voleurs et un vrai gardien de la porte, le gardien du troupeau (Jn 10, 1-6). Jésus se présente comme la « porte du troupeau », ce qui peut se référer au Temple. En effet, les premiers prêtres en milieu israélite sont essentiellement des gardiens de sanctuaire, ainsi le prêtre Eli à Silo (1Sam 2) ou le prêtre Ahimélek à Nob (1Sam 21). Après la centralisation du culte à Jérusalem, il arrive que les portiers du Temple soient rangés parmi les lévites [3], mais ailleurs ils en sont distingués [4]. En tout cas, Jésus se dit être « La » porte, sous-entendu celle d’un Temple, c’est-à-dire la porte vers Dieu.

Jésus insiste, il n’est pas une porte, il est « La » porte, parce qu’aussi il est l’Envoyé (Jn 9, 4. 7). L’image de la porte a été récupérée par l’islam : « La porte » est devenu le titre du Sultan, c’est la prétention de prendre la place de Jésus alors qu’il n’y a qu’une seule porte.

Le berger dort à l’entrée de la bergerie durant la nuit. Il devient ainsi littéralement la porte protectrice de son troupeau en cas d’agression extérieure ou de menace (loup, voleur, etc.). C’est pourquoi Jésus est aussi bien « le bon berger » et « la porte ».

L’explication de Jésus est très solennelle : « Amen, amen, je vous le dis… », ce qui signifie que ce qui suit durera et ne cessera d’être.

Quand Jésus dit : « Moi je suis venu pour que la vie soit pour eux » (Jn 10, 10), c’est la définition même du salut, parce qu’il serait inutile de donner la vie à un vivant. Il dit même « Et quelque chose de bien davantage soit pour eux ! » (Jn 10, 10 traduction F. Guigain), souvent traduit : « Et qu’on l’ait surabondante ! » (Jn 10, 10).

Le Bon pasteur, c’est aussi le beau pasteur, envoyé par Dieu. David était beau, il est le beau berger (1Sam 16, 12). Jésus est le nouveau « David beau berger », annoncé par Ézéchiel dans cet oracle : « Malheur aux pasteurs d’Israël qui se paissent eux-mêmes. Les pasteurs ne doivent-ils pas paître le troupeau ? // Je leur reprendrai mon troupeau et désormais, je les empêcherai de paître mon troupeau. // Dans un bon pâturage je les ferai paître // Je susciterai pour mettre à leur tête un pasteur qui les fera paître, mon serviteur David : c’est lui qui les fera paître et sera pour eux un pasteur » (Ez 34, 1-24). Jésus accomplit la prophétie d’Ézéchiel, il est le nouveau « David beau berger ».

Jésus distingue le berger qui « entre par la porte » de l’enclos, du voleur ou du brigand furtif et rapace qui « monte par un autre endroit », faisant résonner l’oracle du prophète Ezéchiel : « Ainsi parle le Seigneur. Voici, je me déclare contre les pasteurs. Je leur reprendrai mon troupeau et désormais, je les empêcherai de paître mon troupeau. Ainsi les pasteurs ne se paîtront plus eux-mêmes. J’arracherai mes brebis de leur bouche et elles ne seront plus pour eux une proie. Car ainsi parle le Seigneur : Voici que j’aurai soin moi-même de mon troupeau et je m’en occuperai » (Ez 34, 10-11).

Commentant ce discours de Jésus, Benoît XVI écrivait : « Pour le pasteur au service de Jésus, cela signifie qu’il n’a pas le droit de lier les hommes à lui-même, à son petit ego. La connaissance de soi qui le lie aux brebis dont il a la charge doit viser à s’aider les uns les autres à entrer en Dieu » [5]. Et, un peu plus loin : « Le don de la vie pour les brebis est absolument central dans le discours du pasteur. La croix [rappelez-vous la 2e lecture] constitue le centre du discours du pasteur, mais non pas comme un acte de violence qui s’abattrait sur lui de façon inattendue et qui lui serait infligé de l’extérieur, mais comme le libre don de soi-même » [6]. Et encore : « Pour le brigand, pour les idéologues et les dictateurs, les hommes ne sont que des choses qu’ils possèdent. Pour le vrai pasteur par contre, ils sont des êtres libres, car orientés vers la vérité et l’amour. […] C’est pourquoi il ne les utilise pas, mais il donne sa vie pour elles » [7].

La première lecture mettait en valeur Pierre, dont le discours est en quelque sorte un modèle pour Paul et les autres. A la fin de l’évangile de Jean, « Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : “Simon fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?” Il lui répond : “Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime.” Jésus lui dit : “Fais paître mes agneaux !” (’emray en araméen)  
De nouveau, il lui dit pour la deuxième fois : “Simon fils de Jean, m’aimes-tu ?” Il lui répond : “Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime.” Jésus lui dit : “Fais paître mes moutons !” (‘erbay en araméen)  
Il lui dit pour la troisième fois : “Simon fils de Jean, m’aimes-tu ?” Pierre fut attristé qu’il lui ait dit pour la troisième fois “M’aimes-tu ?”, et lui répond : “Seigneur, tu sais tout, tu connais que je t’aime.” Jésus lui dit : “Fais paître mes brebis portantes !” (nqawāṯ en araméen).

Les agneaux sont l’image des petits dans la foi, des catéchumènes et des nouveaux baptisés : Jésus demande à Pierre de veiller sur eux. Et pas seulement sur eux : sur les moutons qui sont les chrétiens adultes qui ont besoin eux aussi d’être soutenus. Et ce n’est pas tout : Jésus demande encore de veiller sur les brebis portantes, c’est-à-dire sur ceux et celles qui font naître de nouveaux chrétiens, les missionnaires, les maîtresses de maison qui accueillent et forment, les catéchistes, les diacres, les évêques et les prêtres.

 

[1] Tanhuma naso 16, éditions Eshkol Jer. 1972, pp. 687-688

[2] CONCILE de TRENTE, Session 6, canon 18 : « Si quelqu’un dit que les commandements de Dieu sont impossibles même pour un homme qui est justifié et établi dans la grâce, qu’il soit anathème ».

[3] Né 11,17 ; 13,10 ; 1Ch 15,18 ; 23,5s ; 2Ch 23,4

[4] Esd 2,40ss,70 ; 7,24 ; 10,24 ; Né 7,44s ; 10,29 ; 11,19

[5] Joseph RATZINGER, BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, tome I, Flammarion, Paris 2007, p. 309-310.

[6] Joseph RATZINGER, BENOIT XVI, Ibid., p. 306

[7] Joseph RATZINGER, BENOIT XVI, Ibid., p. 308

 

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Date de dernière mise à jour : 11/08/2023