8. As-tu dis : Prenez-Moi et ma Mère pour deux divinités ?

8 . As-tu dis : Prenez-moi et ma mère pour deux divinités ?

Si Jésus était un « walad Allah », il serait une créature extérieure tout en étant charnellement liée à Dieu, ce qui est une absurdité et une contradiction. Le mot Fils « Ibn », comme on l’a vu, ne se réduit justement pas à la signification charnelle de « walad », enfanté.

Mais si on ne comprend pas cela, on pourrait imaginer qu’au jour du jugement Dieu rappelle : « ‘Issa (Jésus), fils de Maryam, as-tu dit aux gens : Prenez-moi et ma mère pour deux divinités, à côté de Dieu ? » (sourate « La table servie » 5, 116).

En plus de cette erreur, on en imagine une autre à propos de l’identité de « ma mère » dans ce verset. En araméen, l’Esprit Saint est un mot féminin et a une connotation maternelle. Par exemple, saint Aphraate (dit le Sage de Perse) redoute qu’en se mariant, un homme oublie Dieu « son Père et l’Esprit Saint sa mère »[1].

Dans l’Eglise assyro-chaldéenne (de langue araméenne) l’expression « mère de Jésus » désigne le Saint-Esprit (un mot féminin) et cette expression est encore tout à fait usuelle, aujourd’hui. Tel est bien sûr le sens de l’expression « mère de ‘Issa (Jésus) » dans le verset 116 de la sourate « Al Ma-ida, La table servie » : « Quand Dieu dira : ‘Issa (Jésus), fils de Maryam, as-tu dit aux gens : Prenez-moi et l’Esprit Saint pour deux divinités, à côté de Dieu ? » L’ironie du verset ne porte pas sur l’invention consistant à mettre Maryam à côté de Dieu mais sur le fait que ‘Issa (Jésus) lui-même soit mis en scène, au Jour du Jugement, pour accuser les chrétiens (ici arabes) de croire en lui et en l’Esprit Saint ! Que sa « mère » soit l’Esprit Saint, beaucoup de commentateurs musulmans anciens le savaient encore très bien. Tabarî, al-Baydawî, al-Zamahšarî, al-Jalâlayn ou d’autres encore moins connus : tous indiquent à propos de ce verset (s. 5, 116) qu’il s’agit de l’Esprit-Saint et non pas de la Vierge Marie[2].

Cela veut dire aussi que ce verset s’adresse à des Arabes chrétiens, et qui, de surcroît, partagent les expressions théologiques chrétiennes du monde perse, chaldéen, à près de mille kilomètres de La Mecque. Mais parler de cela, c’est politiquement très incorrect : si un verset du Coran ne s’explique que par un contexte syro-araméen, comment l’islam a-t-il pu apparaître si loin de là ? [3]

Quant aux chrétiens, il est bien évidemment faux de dire qu’ils adorent la déesse Maryam, une compagne d’Allah, une divinité. Ils vénèrent celle qui a enfanté Jésus tout en restant vierge. C’est une maternité royale : l’enfant de Maryam est de la descendance de David (Daoud) et son règne n’aura pas de fin. Son enfant (walad) est « Verbe » (venant) de Dieu (son Fils-Ibn)! L’étonnement, la stupeur, l’émerveillement devant une telle maternité conduisent à vénérer Maryam la très pure.

Françoise Breynaert

 

[1] APHRAATE, Les exposés [écrits entre 336 et 345], trad. Marie-Joseph Pierre, Sources Chrétiennes n° 359, Paris, Cerf, 1989, t.2 p.791

[2] cf. AZZI Joseph, Le prêtre et le prophète : aux sources du Coran, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001, p.169

[3] On pourra lire à ce sujet : Patricia CRONE & Michael COOK, Hagarism. The Making of the Islamic World, 1977. Christoph LUXENBERG - Die Syro-Aramäische Lesart des Koran (2004) (« La Lecture Syro-araméenne du Coran ») : le coran provient pour une part de textes transposés de l’araméen (syriaque) en arabe. Manfred KROPP - Vom Koran zum Islam : Schriften zur frühen Islamgeschichte und zum Koran (2009) : contexte syriaque (araméen) de l’écriture du coran ; poursuite de l’écriture et de la réécriture du Coran aux 8e et 9e siècles.


 

Bibliographie

Françoise Breynaert, Le Messie va revenir, sœur Françoise parle aux musulmans. Éditions BoD (janvier 2022).

On pourra aussi s’intéresser à : Françoise Breynaert, Jalons d’une espérance sans violence à la lumière de la Fatiḥa. BoD, janvier 2022, qui est la version « jeunesse » du Canevas de méthode de déradicalisation, dans un cadre laïc en tenant compte de la croyance, éditions Vérone, Paris 2021.

Date de dernière mise à jour : 01/02/2022