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Dimanche 5 octobre
Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
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Première lecture (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)
Psaume (Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
Deuxième lecture (2 Tm 1, 6-8.13-14)
Première lecture (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)
Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard. Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité. – Parole du Seigneur.
Habacuc prophétise probablement entre 610 et 597 av. J.-C., à une époque où le pays est rongé par l’injustice interne et menacé de l’extérieur par les Babyloniens.
À l’intérieur, la société est minée par l’injustice, la corruption et la violence. Le roi Joïaqim (609–598) pratique une politique oppressive (cf. Jr 22,13-17). « Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. ».
À l’extérieur : l’équilibre international est bouleversé. L’empire assyrien, jusque-là dominant, s’effondre (prise de Ninive en -612). Le nouvel empire babylonien (chaldéen) monte en puissance et devient une menace directe.
Sur le plan théologique, il y a une tension entre la foi en un Dieu juste et l’expérience de son silence. « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? » Contrairement à d’autres prophètes qui annoncent directement le jugement de Dieu, Habacuc dialogue avec Dieu et ose lui poser la question du mal. Le livre est construit comme une dispute entre le prophète et Dieu (1,2–2,5), suivie d’une prière de confiance (chap. 3).
Le silence apparent de Dieu n’est pas un refus, mais une invitation à entrer dans une foi plus profonde. Le cri du prophète légitime notre prière quand nous sommes confrontés à l’injustice : il n’y a pas de vraie foi sans cette lutte.
Dieu ne donne pas immédiatement une solution concrète, mais une vision. « Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. » L’écriture sur des tablettes assure la transmission et l’autorité de la révélation. La vision doit être publique, intelligible, porteuse d’espérance pour tous.
« Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard. » Dieu a un plan, mais il se déploie selon son rythme. Il y a une tension entre l’urgence humaine et la patience divine. Le retard apparent n’est pas un oubli. La fidélité de Dieu est certaine, même si elle échappe au calendrier humain.
« Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité. » (Ha 2,4). Dieu ne supprime pas immédiatement la violence. Il demande au croyant de tenir dans la fidélité, de vivre d’une foi patiente et persévérante.
« L’insolent n’a pas l’âme droite » : l’orgueilleux, qui se fie à lui-même et à la force, incarne l’injustice et la démesure.
« Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 2,4). : cette formule est capitale. Le terme hébreu (’emunah) signifie à la fois fidélité, loyauté, confiance. Le juste vit non pas par la force, ni par des garanties immédiates, mais par une relation de foi confiante et persévérante envers Dieu.
« Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 2,4). Beaucoup pouvaient être tentés de se soumettre aux puissances ou de reproduire leurs logiques violentes pour survivre. Habacuc, lui, affirme que la vraie « vie » n’est pas là, mais dans une fidélité humble à l’Alliance. Historiquement, la majorité à Juda pouvait croire que seule la puissance militaire ou les alliances politiques sauveraient le pays. Habacuc dénonce au contraire l’illusion de la force (qu’elle soit politique, militaire ou économique). « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 2,4) : il s’agit de tenir dans la foi, même quand Dieu paraît tarder, la fidélité n’est pas inutile, elle est source de vie.
À l’époque moderne, saint François de Sales (1567-1622) met beaucoup l’accent sur la fidélité dans les petites choses : la fidélité est active et incarnée, vécue dans les détails concrets de la vie quotidienne. Dans l’Introduction à la vie dévote (I, 3), il écrit : « La dévotion ne gâte rien, mais elle perfectionne tout : le soldat devient plus vaillant en étant dévot, et le mari plus aimant, et la femme plus fidèle, et chacun plus propre à son devoir. » Ici, il souligne que la fidélité quotidienne dans son état de vie est l’expression de la vraie foi. Dans le Traité de l’amour de Dieu (VIII, 6), il dit : « La fidélité en petites choses, par amour, rend les âmes immensément agréables à Dieu. » Cela éclaire la parole d’Habacuc : le juste ne vit pas par des exploits visibles, mais par une fidélité patiente et humble, qui devient source de vie spirituelle.
Seigneur, dans nos petites actions quotidiennes, donne-nous la fidélité de saint François de Sales, qui transforme chaque instant en offrande d’amour.
À notre époque, la corruption de la société et la violence des empires semble prendre des proportions apocalyptiques, mais nous voyons aussi des gens continuer de protéger les plus souffrants, dans des contextes les plus extrêmes. Ce que nous constatons autour de nous semblent incarner sous nos yeux ce qui est écrit dans l’Apocalypse : « On se prosterna devant le Dragon [c’est-à-dire Satan], parce qu'il avait remis le pouvoir à la Bête [c’est-à-dire une organisation socio-politique mondialisée] ; et l'on se prosterna devant la Bête en disant: "Qui égale la Bête, et qui peut lutter contre elle ?" On lui donna de proférer des paroles d'orgueil et de blasphème ; on lui donna pouvoir d'agir durant 42 mois » (Ap 13, 4-5). Ces versets appartiennent à ce que j’appelle dans mon livre L’Apocalypse revisitée [1] le « noyau » de l’Apocalypse, un noyau nous montrant le Messie, « celui qui allait paître tous les peuples avec la verge de fer » (Ap 12, 5), et sa mère, une « femme » (Ap 12, 1-5), qui a aussi d’autres enfants « ceux qui gardent les commandements de Dieu et auprès de qui il y a le témoignage de Jésus » (Ap 12, 17). Et ce « noyau » de l’Apocalypse marque un tournant de l’histoire : la « Terre nouvelle » ne peut advenir avant le jugement. Le jugement final marquera la victoire de ceux qui gardent les commandements de Dieu : « Là est la foi et la persévérance des saints ! » (Ap 13, 10). Seigneur, quand le mal semble triompher, donne-nous la fidélité d’Habacuc, qui continue de croire en ta justice, en gardant toujours un lien intérieur avec Dieu : « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 2, 4)
Psaume (Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
« Venez, crions de joie pour le Seigneur, acclamons notre Rocher, notre salut ! Allons jusqu’à lui en rendant grâce, par nos hymnes de fête acclamons-le ! Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits. Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit. Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit. »
Ce psaume est chemin de la louange à l’écoute. Il nous conduit en trois étapes : la joie et l’action de grâce (vv.1-2), l’adoration dans l’humilité (vv.6-7), et enfin l’écoute du cœur (vv.7-9). Louer Dieu sans écouter sa voix serait rester à la surface.
Dans la prière des heures, c’est le psaume invitatoire pour le premier office du jour. Il oriente toute la prière chrétienne : louer, adorer, écouter. En filigrane, il prépare à l’Eucharistie, qui est à la fois action de grâce, adoration et écoute.
« Venez, crions de joie pour le Seigneur, acclamons notre Rocher, notre salut ! Allons jusqu’à lui en rendant grâce, par nos hymnes de fête acclamons-le ! » (v. 1-2)
On est dans un cadre communautaire : c’est le peuple entier qui est invité à la louange. Dieu est nommé « Rocher », une image fréquente dans l’Ancien Testament : il est stabilité, force, sécurité (cf. Dt 32,4 ; Ps 18,3).
On ne vient pas vers Dieu les mains vides : on s’approche « en rendant grâce » (eucharistie en grec), par le chant et la fête.
Sainte Faustine Kowalska priait en disant : « Mon âme T’adore, Seigneur, dans une profonde humilité. Je me réjouis de Ton infinie bonté, et je T’élève un chant de gratitude, car tout ce que je suis et tout ce que j’ai est Ton pur don. » (Petit Journal, § 1286).
Aller à Dieu, c’est aussi s’offrir à faire sa volonté, c’est se rapprocher de Dieu pour participer à sa Vie. Alors tout devient fête entre nous et Dieu. Cette joie et ces hymnes de fêtes sont puisés en Dieu, dans sa lumière et son amour. En puisant ainsi en Dieu lui-même la source de notre amour, la prière devient universelle, nous pouvons la prononcer au nom de tous, louer Dieu au nom de tous, le remercier au nom de tous : cela ne remplace pas la prière des autres, mais cela attire davantage le règne de Dieu sur la terre.
« Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits. Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit. » (v. 6-7ab). L’accent se déplace de l’acclamation joyeuse à l’attitude d’adoration et d’humilité. Dieu est celui qui nous a fait. Restons humbles, les parents ne font pas un enfant, mais l’acte conjugal permet sa conception. Les laboratoires de PMA ne font pas non plus un enfant, tout au plus manipulent-ils des cellules, mais ils sont incapables de faire la moindre cellule vivante. Nous pouvons ainsi faire nôtre cette belle prière de sainte Faustine : « Devant Ta majesté, je me prosterne, Seigneur, Créateur du ciel et de la terre. Je T’offre tout mon être, conscient que je suis Ton enfant et que Tu es mon Père. » (Petit Journal, § 1285) Dieu est le Créateur (« qui nous a faits ») et il est aussi le Pasteur, on parle du « peuple qu’il conduit », comme dans le psaume 23 ou dans le livre d’Ézéchiel (Ez 34). Le psalmiste nous invite à vivre la reconnaissance de notre dépendance et de notre lien vital à Dieu. Et c’est au nom de tous que nous disons à Dieu : « Tu es notre Dieu, nous sommes ton peuple, œuvre de Tes mains. »
« Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit. » (v. 7d-9). Ici s’introduit un avertissement : la liturgie appelle une vraie ouverture du cœur. Sainte Faustine dit : « Quand une âme s’abandonne à la volonté de Dieu, le Seigneur la guide comme un enfant. Mais quand elle n’écoute pas sa voix, elle perd la paix. » (Petit Journal, § 930). On peut dire aussi que chaque fois que l’on écoute la Volonté de Dieu et qu’on la met en pratique, c’est un nouveau soleil qui se lève en nous.
À l’inverse, « Malheur à l’âme qui résiste aux inspirations de la grâce ! Elle s’expose au grand danger de s’endurcir et de perdre la sensibilité à la voix de Dieu. » dit sainte Faustine (Petit Journal, § 587).
L’« aujourd’hui » est un mot-clé : c’est le temps de Dieu qui se renouvelle sans cesse. Chaque jour est un « aujourd’hui » où Dieu parle. Le danger spirituel est de reporter, de s’endurcir, de rester dans les habitudes. Le psaume nous demande : Veux-tu entendre Dieu aujourd’hui, pas hier ni demain ?
Quand on ne veut pas se laisser conduire par la Volonté de Dieu, on provoque Dieu comme Israël dans le désert. On ferme son cœur, et Dieu ne peut pas donner ses trésors. La référence au désert (Ex 17,1-7 ; Nb 20,1-13) rappelle l’épreuve de Massa et Meriba, où Israël, malgré les signes de Dieu, a douté de sa présence.
Ce psaume évoque aussi nos propres résistances : douter de Dieu même après avoir vu ses bienfaits. Dans nos vies, le désert symbolise les moments de sécheresse spirituelle, de lassitude ou de révolte. Le psaume invite à transformer ces lieux de tentation en lieux de confiance.
Ce psaume, qui devrait être connu de tous les chrétiens, est un des psaumes « invitatoires » chantés au début de chaque office du matin. C’est même le psaume invitatoire par excellence. Nous pouvons facilement en faire une prière en famille.
Rendre grâce et avoir le cœur rempli d’hymne de fête est toujours possible, même quand le monde est rempli de violence, parce que nous remercions Dieu pour ce qu’il est, et Dieu est innocent du mal, il est bon. C’est en lui que nous respirons un air pur et vivifiant, c’est en pensant à lui que l’amour nous remplit et nous met le cœur en fête.
Reconnaître que Dieu est celui « qui nous a fait » protège les relations entre parents et enfants et les maintient dans la justesse.
Se disposer à écouter sa voix pour qu’il nous conduise aujourd’hui et guide notre journée, est la bonne disposition à transmettre.
Enfin, dans nos conversations, en famille, avec nos amis, il est bon de rappeler les exploits du Seigneur, toutes ces situations qui ressemblent parfois à un film d’aventures, où le Seigneur nous a ouvert des chemins et des solutions. Ayons chaque jour l’humour et l’art de nous souvenir de ce qui a bien tourné, de ce qui a bien terminé, de ce qui a été l’occasion de grandir et de se sanctifier.
Deuxième lecture (2 Tm 1, 6-8.13-14)
Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu, ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous. – Parole du Seigneur.
À travers l’encouragement à Timothée, c’est chacun d’entre nous que Paul encourage. « Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu, ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. » (v. 6) Timothée est aimé par Paul, et il a reçu une mission pastorale lors de l’imposition des mains, geste d’ordination ou de consécration. Timothée est aussi et surtout aimé par Dieu notre créateur, c’est Dieu qui, de toute éternité, a préparé avec un amour incommensurable les dons et les missions de chacun d’entre nous. À nous d’y correspondre. Paul exhorte à « raviver » ce don (en grec, c’est l’idée de ranimer comme un feu, en araméen, c’est l’idée de réveiller) : le don de Dieu doit être entretenu, nourri par la prière et la fidélité. Le don reçu au baptême ou dans une mission particulière n’est jamais acquis une fois pour toutes. Saint Paul exhorte à entretenir le feu de la vocation reçue. Le pape Léon XIV, dans son homélie de Pentecôte (8 juin 2025), exprime la même conviction : « L’Esprit Saint descend encore sur nous, brisant les chaînes de la peur et de l’égocentrisme. Il fait éclater ce qui nous enferme à l’intérieur et nous donne une vision et une vitalité nouvelles. »
« Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération » (v. 7) Paul oppose l’« esprit de peur » à l’« Esprit » donné par Dieu. Saint Paul met en garde contre la tentation de la peur et de la honte dans un contexte où témoigner de l’Évangile peut sembler marginal. Nous devons régler nos sentiments avec les critères divins et éternels. Léon XIV a dit aussi : « L’Esprit Saint surmonte leurs peurs, brise leurs chaînes intérieures, apaise leurs blessures, les oint de force et leur donne le courage de sortir… »
(Homélie de Pentecôte, 8 juin 2025)
Saint Paul donne trois traits caractéristiques de l’Esprit de Dieu :
La Force – en araméen ḥaylā (puissance), en grec, dynamis, en latin virtutis – : l’Esprit de Dieu donne la capacité de résister et de témoigner malgré l’opposition.
L’Amour (en araméen ḥūbbā qui désigne un amour ardent ; en grec, agapè ; en latin dilectionis) : l’Esprit d’Amour est le moteur de tout ministère chrétien.
La Pondération / sagesse (selon la traduction du grec sōphronismos) évite les excès et oriente l’action ; mais en araméen nous avons le mot martyānūṯā qui désigne l’instruction, l’admonition, ce qui correspond beaucoup mieux au contexte du ministère de Timothée. On retrouve le verbe de même racine quand un eunuque invite Philippe à l’instruire et à le guider dans sa lecture d’Isaïe (Ac 8, 31), ou quand Paul dit qu’il n’a cessé de « reprendre » chacun d'entre vous (Ac 20, 31)
« N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile » (v. 8). Être chrétien implique parfois de partager l’humiliation du Christ crucifié. Paul se présente comme « prisonnier » : son sort est signe de fidélité, non de déshonneur. Timothée est invité à « prendre sa part des souffrances », en araméen, « supporte avec moi », en grec « souffre avec moi » : la mission apostolique inclut la croix. Nous pouvons réentendre Léon XIV : « Aux jeunes, je dis : N’ayez pas peur ! … Aspirez aux grandes choses, à la sainteté… alors vous verrez la lumière de l’Évangile grandir chaque jour, en vous et autour de vous. » (Discours aux jeunes, mai 2025)
Saint Paul disait aux Corinthiens, en parlant des paroles eucharistiques : « Pour moi, en effet, j'ai reçu du Seigneur ce qu'à mon tour je vous ai transmis » (1Co 11, 23). Ces paroles, Paul les a « reçues » dans l’Église, peut-être à Antioche ou à Jérusalem, mais en disant « j’ai reçu du Seigneur », il souligne que ces traditions sont du Christ lui-même et non de pure invention humaine. En 1 Co 15,3, il dit aussi : « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu », en parlant de la mort et de la résurrection du Christ. Là, il est clair qu’il s’agit d’une tradition reçue de l’Église. Et il dit à Timothée : « Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer, dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus » (2Tm 1, 13). Le bon dépôt, le dépôt de la foi, ce sont principalement les récitatifs évangéliques, mémorisés par cœur et transmis de cœur à cœur. L’apôtre les proclamait avec des gestes et des intonations qui reflétaient ce qu’il avait reçu du Seigneur Jésus.
Une traduction littérale de la Pshitta donne « Que soient pour toi un exemple les paroles solides que tu as entendues de moi ». Les paroles solides, dont parle saint Paul (2Tm 1, 13), en araméen, ḥlīmāṯā sont des paroles entières, dans leur force et leur exactitude. Timothée en est le gardien, mais il ne le fait pas seul : c’est « grâce à l’Esprit Saint qui habite en nous ». En araméen, le mot « esprit [rūḥā] » désigne aussi le « souffle », ce qui fait encore le lien avec la récitation orale « paroles solides que tu as entendues de moi ».
Il s’agit d’une réalité anthropologique capitale. L’enfant qui naît entre en relation avec sa mère puis avec son entourage par le geste, et, parmi les tout premiers gestes, il y a le sourire qui répond au sourire de sa mère. Par la suite, le geste demeure très important, et, dans une transmission orale, le geste accompagne la parole. Le geste assure que le récit est ancré dans le réel. Celui qui s’assied pour lire un livre est dans la position de juger ce qu’il lit. Celui qui est debout et qui proclame ce qu’il a appris en le mimant sobrement devient habité par la parole, et il se prépare à faire ce qu’il dit. Les traductions de l’évangile que je donne dans ces émissions radio font participer le lecteur en tant que « récitant » ; je mentionne dans mes livres le rythme de la proclamation orale (alinéas) et les reprises de souffle (mentionnées « / »). Le texte est fait pour être proclamé en récitatifs avec un léger balancement gauche / droite (comme en marchant) et quelques gestes sobres. Le corps est engagé dans la mémorisation qui s’appuie sur la bilatéralité du corps. L’Esprit Saint peut alors éclairer un enseignement transmis, reçu et intériorisé corporellement « dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus» (2Tm 1, 13).
Évangile (Lc 17, 5-10)
La traduction (depuis la Pshitta[2]) et le commentaire sont extraits de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur (Paris). Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024.
« 5 Les apôtres dirent à notre Seigneur : / ‘Augmente-nous la foi !’
6 Il leur dit :
Si vous aviez la foi comme une graine de moutarde, / vous diriez à ce mûrier :
‘Déracine-toi, / et plante-toi dans la mer !’
et il vous obéirait !
7 Qui de vous, donc, ayant un serviteur qui conduit une paire de bœufs / ou paît les troupeaux,
et qui revient des champs : / lui dit aussitôt : ‘Passe à table !’
8 Ne lui dira-t-il pas plutôt : / ‘Prépare-moi quelque chose, que je dîne !
Ceins tes reins, / et sers-moi,
jusqu’à ce que j’aie mangé / et bu ;
et après cela, toi aussi, tu mangeras / et boiras !’ ?
9 Est-ce que ce serviteur qui a fait ce qui lui était requis recevrait de la reconnaissance ? / Je ne pense pas.
10 Vous de même, / quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné,
dites : / ‘Nous sommes des serviteurs sans emploi ;
c’est ce que nous devions faire, / que nous avons fait.’ »
Aux disciples qui demandent à Jésus de faire grandir leur foi (Lc 17, 5), Jésus fait d’abord mesurer la valeur merveilleuse de la foi : elle se fait obéir et produit des faits étonnants. Jésus approuve la demande des disciples, leur foi doit certainement grandir, les faire participer à la vie divine et aux prérogatives divines ! Le mûrier [tūṯā] (Lc 17, 6) ne désigne pas les ronces [kūbbe] de Lc 8, 7, il désigne un arbre, et on traduit parfois ce mot par sycomore. Jésus veut étonner grâce au double contraste entre la très petite graine de moutarde et l’arbre relativement grand, et entre l’enracinement dans la terre et le fait de se planter dans la mer.
Jésus dit ensuite : « Qui de vous, donc, ayant un serviteur [ᶜaḇdā] qui conduit une paire de bœufs [donc un cultivateur] ou paît les troupeaux [donc un berger] » : le cultivateur représente l’apôtre qui sème la Parole et le berger celui qui commence à guider les autres. À son retour, le maitre lui demande : « sers-moi [šammešayny] » (Lc 17, 8), un verbe qui peut évoquer un service liturgique (comme dans le mot diacre [mšamšānā]).
Les serviteurs sont-ils inutiles (Lc 17, 10) comme le texte latin le suggère (latin : « inutiles ») ? En araméen, nous avons l’adjectif « baṭīlā » qui dérive du verbe « cesser ». En Mt 20, 3. 6, cet adjectif signifie « désoeuvré, sans travail, demandeur d’emploi » ; en Mt 25, 30 « bon à rien, inutile » ; en Tt 1, 12 « [ventre] paresseux » ; en 2P 1, 8 « [elles ne vous laisseront pas] sans activité, [ni sans fruit] » (version Philoxenienne – fin V° siècle). Il faut ici traduire « inactifs », « qui attendent de travailler », « sans emploi » ; on peut aussi considérer qu’après avoir travaillé, les serviteurs cessent, ils ont un peu de loisir rrr. Quand le texte grec écrit que les serviteurs sont « αχρειοι » avec « a » privatif, privés d’utilité, il suggère que leur existence est en manque : en comparaison, tout ce qui leur est donné à faire est une bénédiction.
Pendant le shabbat tout le monde « cesse » le travail, afin d’approfondir l’existence au-delà du « faire », dans sa dimension d’intériorité, de relations humaines, de louange et d’adoration du Créateur, avant de recevoir des mains du Créateur le travail de la nouvelle semaine. Jésus invite ses apôtres à dire : « Nous sommes des serviteurs sans emploi » (v. 10), c’est-à-dire à se reconnaître « employés » par le Créateur, « demandeur d’emploi » auprès du Seigneur ; on ne peut mieux exprimer la vie à l’écoute de la volonté divine, la vie de foi.
Jésus ajoute : « [Dites :] C’est ce que nous devions faire, que nous avons fait » (v. 10), et c’est la fin de la réponse à la demande des apôtres « augmente en nous la foi » (v. 5).
La foi et la confiance augmentent en constatant que ce que le maître a demandé était réalisable.
L’adhésion à la volonté divine et l’accomplissement des actes qui en découlent fait grandir la foi.
Il n’y a donc pas à opposer un salut par les œuvres et un salut par la foi.
Les versets 7-10, et c’est rarement souligné dans les commentaires, sont une réponse à la demande : « Augmente-nous la foi ! » (Lc 17, 5). Jésus invite à une ascèse qui consiste à ne pas demander de récompense. Les récompenses ne sont pas dues aux serviteurs, et s’attarder à les réclamer est un danger pour la confiance dans le maître. D’ailleurs, en général, les hommes ne disent pas merci. « Est-ce que ce serviteur qui a fait ce qui lui était requis recevrait de la reconnaissance ? » (v. 9) Et Jésus fait une observation statistique : « Je ne pense pas [lā sāḇar nā] » (v. 9), qui n’est traduite ni en latin, ni en grec (sauf dans la version liturgique officielle).
De plus, mes recherches ont montré que l’évangile de saint Luc a une structure d’oralité que l’on peut désigner comme un collier en pendentif. La toute première perle constitue l’Ouverture. Les premières perles constituent ensuite un collier compteur. La suite de l’évangile est constituée de plusieurs fils cohérents, chacun étant introduit par une des perles de ce collier compteur. Les récits de la résurrection constituent le sceau final. L’ascèse enseignée par Jésus a été préparée dans le collier compteur par Jean-Baptiste qui appelait les collecteurs d’impôts à n’exiger rien au-delà de ce qui leur prescrit, et les soldats à se contenter de leur solde (Lc 3, 13-14). De plus, dans sa prison (Lc 3, 19-20), si Jean-Baptiste avait attendu de Dieu d’être récompensé de sa bonne prédication, il aurait perdu la foi ou se serait révolté contre Dieu. La satisfaction du devoir accompli est une nourriture pour sa foi.
Mes recherches ont aussi montré qu’un certain nombre de perles particulières à l’évangile de Luc constituaient primitivement une formation des diacres, formation qui les préparait au service de la parole notamment lors des réceptions du samedi soir où l’on se rassemblait autour des récitatifs évangéliques que l’on avait mémorisés, avant la célébration des Saints Mystères le dimanche matin ; et Lc 17, 7-10 faisait déjà partie du collier des diacres : apprendre à servir.
Enfin, les apôtres ont enseigné dans les synagogues. L’année liturgique juive commence en automne avec la Genèse, et l’ensemble du Pentateuque est lu au cours de l’année. Les évangiles synoptiques se lisent en lien avec le calendrier synagogal, mais ils commencent en lien avec la lecture du lévitique et ils s’achèvent à Pâques en lien avec la lecture de l’Exode. En lien avec la lecture synagogale de la Genèse, la valeur de la foi, en Lc 17, 6 comme dans son parallèle en Mt 17, 20, est bellement illustrée par Abraham, personnage central de la Genèse : « Abram crut en YHWH, qui le lui compta comme justice » (Gn 15, 6).
[1] Françoise BREYNAERT, L’Apocalypse revisitée. Une composition orale en filet. Imprimatur. Parole et Silence, 2022. 377 pages. réédité en 2024
[2] On me demande pourquoi j’écris Pshitta et non pas Peshitta. La raison en est qu’en araméen il n’existe pas de shewa (qui donne Peshitta) comme en hébreu, écrire Peshitta est un usage indû.
Date de dernière mise à jour : 08/09/2025