Le Baptême du Seigneur C

Première lecture (Is 40, 1-5.9-11)
Psaume (Ps 103 (104), 1c-3a, 3bc-4, 24-25, 27-28, 29-30)
Deuxième lecture (Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7)
Évangile (Lc 3, 15-16.21-22)

Première lecture (Is 40, 1-5.9-11)
Consolez, consolez mon peuple, – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes. Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. » Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : ‘Voici votre Dieu !’ Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent. – Parole du Seigneur. 

Cette prophétie a un sens au temps du prophète Isaïe, mais elle s’accomplit aussi au temps de la venue de Jésus sur la terre, et elle s’accomplira au temps de la venue glorieuse du Christ. 
Commençons par le sens historique. L’élite des Hébreux a été exilée à Babylone depuis l’an -598. Or, voici que Cyrus, un roi perse, fait campagne et, en l’an -539, il entre vainqueur à Babylone. Il ne détruit pas les villes. Il ne tue pas les rois. Il autorise les divers temples. Et voici qu’en l’an - 538, il autorise le retour des Juifs en Judée pour y rebâtir leur temple (Esdras 1, 2-7). 
Cyrus est à la tête d’un système politique centralisé avec un dieu lumière, appelé « Mazdâ » (ou « Ahura Mazdâ »), source de toute l’énergie cosmique, un dieu unique mais abstrait, un principe régissant l’univers. Mazdâ est pour Cyrus le plus petit dénominateur commun qui permet aux moralistes de s’entendre, aux scientifiques de s’harmoniser, etc... En conséquence, aux yeux de Cyrus, tout le monde doit entrer dans cette religion qui est la plus haute qui soit. Les autres sont des retardataires, une fois initiés, ils seront intégrés. 
Or, les Juifs en exil à Babylone ne veulent pas se fondre dans le moule de la pensée dominante. Pas plus qu’ils n’ont adoré la lune ou le soleil, ils ne veulent pas s’assimiler à la religion de Cyrus, parce qu’Israël a vécu quelque chose d’unique, qui n’a rien de commun : un compagnonnage avec le Créateur, une Alliance libératrice. Les Juifs ont en quelque sorte une mémoire cassée par l’apparent échec de l’exil, et pourtant, ils croient que leur Dieu est le souverain maître de l’histoire. Isaïe comprend que ce ne sont pas les Juifs qui vont se rallier à la lumière de Mazdâ, au mazdéisme, mais ce sont les païens qui vont s’ouvrir au Seigneur, parce que c’est le Dieu de l’alliance, le souverain maître de l’histoire, qui existe, et non pas Mazdâ. 
Cyrus, perse, fait rentrer les Hébreux au pays où ils lui fourniront du blé : est-ce là la fin heureuse annoncée par les prophètes où est-ce la victoire de ce Dieu abstrait : Mazda ? Pour Isaïe, Cyrus, sans le connaître, est le serviteur de Yahvé (Is 45) et Adonaï (YHWH) est le seul Dieu : il est le seul en effet à avoir constitué un peuple éternel (Is 44,6). Désormais on dira que les idoles sont « néant » (« du vent et du vide leurs statues ! » (Isaïe 41, 29), alors que durant les premiers siècles, tout en croyant au « Dieu de nos pères », on pensait encore que les autres peuples avaient aussi des divinités qui existaient réellement. Ceci étant dit, les pratiques magiques des autres peuples convoquent des esprits qui sont des anges déchus, des « démons » (Ba 4, 7. 35) qui existent réellement.
Certes, les rapatriés sont pauvres et considérés comme des pécheurs par ceux qui sont restés au pays. Cependant, ils deviennent des témoins à la face des nations, par leur confiance, leur abandon, par la présence qui les habite. 
Avec Isaïe, le péché ne nous écrase pas. Le pardon est donné par égard pour l’homme (Is 43, 24-25), alors que chez Ézéchiel, le pardon est donné par égard pour Dieu (Ez 16). « J’ai dissipé tes crimes comme un nuage... » (Is 44, 22). 
L’humilité d’Isaïe est amoureuse, l’amour tient lieu d’explication à tout. 
Il n’y a pas de logique proportionnée. Une petite faute a pu blesser énormément Dieu et il "se met en colère", et de nouveau son amour nous comble et il nous fait rentrer au pays avec des promesses plus grandes encore. La disproportion joue dans le sens de l’exigence : vous avez reçu double punition ! « parlez au cœur de Jérusalem [qui représente ici le peuple hébreu pris dans son ensemble]. Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes » (Is 40, 2). La disproportion joue aussi dans le sens de la réconciliation : « C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d’Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre. » (Is 49, 6). « Éveille, éveille-toi Sion, revêt tes habits les plus magnifiques » (Is 52, 1). 

Ce passage d’Isaïe s’accomplit avec la venue de Jésus sur la terre. « Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem » (Is 40, 9). Marie, qui a su découvrir la nouveauté que Jésus apportait, chantait : « Mon esprit tressaille de joie en Dieu mon sauveur» (Lc 1,47) et Jésus lui-même « tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint » (Lc 10,21). Quand il passait, « la foule était dans la joie » (Lc 13,17). Et l’évangile de ce dimanche fait référence à ce texte d’Isaïe en disant : « 3 Une voix qui crie dans le désert : Préparer le chemin du SEIGNEUR, rendez dignes ses sentiers » (Mc 1, 3 // Isaïe 40, 3).

Ce passage d’Isaïe désigne aussi le temps de la venue glorieuse du Christ. 
« Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage ». La Bible de Jérusalem traduit ce verset : « Voici le Seigneur Yahvé qui vient avec puissance, son bras assure son autorité; voici qu’il porte avec lui sa récompense, et son salaire devant lui » (Isaïe 40, 10) ce que saint Éphrem (écrits N°10), interprétait pour la venue glorieuse du Christ, qui rappelons-le, sera pour les justes un temps de vivification et de préparation à l’éternité. On comprend alors la finale : « Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent » (Is 40, 11). 

Psaume (Ps 103 (104), 1c-3a, 3bc-4, 24-25, 27-28, 29-30)
Revêtu de magnificence, tu as pour manteau la lumière ! Comme une tenture, tu déploies les cieux, tu élèves dans leurs eaux tes demeures. Des nuées, tu te fais un char, tu t’avances sur les ailes du vent ; tu prends les vents pour messagers, pour serviteurs, les flammes des éclairs. Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur ! Tout cela, ta sagesse l’a fait ; la terre s’emplit de tes biens. Voici l’immensité de la mer, son grouillement innombrable d’animaux grands et petits. Tous, ils comptent sur toi pour recevoir leur nourriture au temps voulu. Tu donnes : eux, ils ramassent ; tu ouvres la main : ils sont comblés. Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre.  

« Dieu dit : "Que la lumière soit" et la lumière fut » (Genèse 1, 3)
S. Thomas d’Aquin explique que Dieu est au-dessus de toutes choses (cf. Ps 113, 4), mais il est en toutes choses comme source créatrice de leur être à toutes (cf. Is 26, 12). Enfin, saint Thomas explique que la présence de Dieu, lorsqu’elle est reconnue, devient plus intime (I Prima Pars Qu.8 a.3). Et le psalmiste a reconnu la présence de Dieu en disant « Revêtu de magnificence, tu as pour manteau la lumière ! Comme une tenture, tu déploies les cieux, tu élèves dans leurs eaux tes demeures. Des nuées, tu te fais un char, tu t’avances sur les ailes du vent ; tu prends les vents pour messagers, pour serviteurs, les flammes des éclairs. Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur ! » L’acte divin est un acte pérenne, permanent, et c’est un acte qui enveloppe la créature d’amour, car Dieu est amour. En reconnaissant la source créatrice, le psalmiste rend gloire à Dieu et la présence de Dieu lui devient plus intime. En posant son regard admiratif et reconnaissant sur la lumière, les cieux, les nuées, les eaux, la mer, les arbres, les animaux, le psalmiste reçoit cet amour divin. Ce psaume nous apprend à penser au Créateur, c’est lui qui est la cause primordiale de la conservation de tout ce que nous voyons, c’est lui qui maintient l’ordre des choses créées, l’ordre dans chaque atome et l’ordre dans les galaxies, l’ordre entre les micro-organismes du sol, et le rythme des ondes telluriques… Et tout a été créé pour les créatures que nous sommes et auxquelles Dieu veut octroyer la vie éternelle. Mais si nous ne reconnaissons pas l’amour du créateur… 
Se connecter avec les ondes telluriques ou avec la vitalité d’un arbre, c’est bien mais encore en deçà de notre vocation humaine, nous sommes appelés, à travers ce qui nous entoure dans la nature, à nous relier, par un acte de louange, avec le Créateur. Avec le psalmiste, posons sur la lumière de ce jour, sur le ciel et sur les eaux nos paroles : « mon Créateur, je t’aime, je te bénis, je te remercie, je t’adore », et, comme l’avait dit saint Thomas la présence de Dieu, lorsqu’elle est reconnue, devient plus intime (I Prima Pars Qu.8 a.3), c’est un cercle vertueux : en regardant à nouveau la lumière, les cieux, les eaux, on perçoit encore plus l’amour du Créateur… 
L’école franciscaine, saint Bonaventure en particulier, insistait sur la connaissance de Dieu à partir du livre de la création. Ce n'est pas une connaissance analytique, ni logique, c'est plutôt une intuition, une contuition. Pour le dire simplement, écoutons sainte Thérèse de Lisieux : « Au fond du vaste horizon, on apercevait les montagnes dont les contours indécis auraient échappé à nos yeux si leurs sommets neigeux que le soleil rendait éblouissants n’étaient venus ajouter un charme de plus au beau lac qui nous ravissait… En regardant toutes ces beautés, il naissait en mon âme des pensées bien profondes. Il me semblait comprendre déjà la grandeur de Dieu et les merveilles du Ciel… » (Ste Thérèse de l’Enfant Jésus, Histoire d’une âme, 58 r).
Voyez comme c’est simple : pour entrer en relation avec Dieu, nous commençons par reconnaître que nous sommes entourés de son amour : le sol sous nos pas, et le soleil qui nous éclaire, les plantes et les animaux, chacune de nos respirations, chaque atome, tout cela est maintenu dans l’existence par Dieu, par son amour pour nous. 
« Dieu dit : "Que la lumière soit" et la lumière fut » (Genèse 1, 3) : « Dieu dit… » à qui parle Dieu ? Il parle à l’homme quand il sera prêt. Mais Dieu ne parle pas uniquement en parole, il parle avec ses actes. Et à travers la lumière, les cieux, la mer, les animaux, et à travers le souffle même qui nous fait vivre, Dieu nous dit : « Je t’aime, je suis à toi, à ta disposition, reconnais-moi, je suis ta vie ». Saint Paul déjà s’était adressé aux Athéniens, des païens, en les amenant à rechercher la divinité par ces mots : « [La divinité] n’est pas loin de chacun de nous. C’est en elle en effet que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17, 26-28). « Fiat » est un mot latin qui signifie « que cela soit », par exemple quand Dieu dit : « que la lumière soit (Fiat) ! » au moment de la création. Quand l’homme répond au FIAT de Dieu par son FIAT humain, alors Dieu peut faire des prodiges inouïs de sainteté et de beauté et des vies resplendissantes qui ressemblent à leur Créateur. Car « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27). Fraîchement impressionné par le toucher des mains créatrices, l’être humain, plein de reconnaissance, a senti un élan d’amour : ‘Je t’aime, mon Dieu, mon Père, auteur de ma vie !’ Et cet élan d’amour avait pour source la Trinité, ce premier « je t’aime » à son Créateur fut insufflé par l’amour même de la Divinité. La Genèse dit aussi : « Alors Yahvé Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7). Ainsi, le premier « je t’aime » adressé par l’être humain à Dieu était sa respiration, son rythme cardiaque, son mouvement... 
C’est Dieu qui maintient l’univers dans l’existence, c’est pourquoi le péché est si grave. Comment Dieu maintiendrait-il indéfiniment un univers qui le rejette et rejette sa Loi d’amour ? « Tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière » dit le psaume. L’Apocalypse nous dit qu’il y aura un jugement, que l’on appelle le jugement eschatologique, et que ceux qui se sont endurcis dans le mal n’auront plus le droit de vivre sur la terre, n’y vivront que ceux qui désirent vivre avec Dieu, pour que son règne advienne « sur la terre comme au Ciel », préparant ainsi les hommes à l’éternité (ce sera alors, et alors seulement, l’assomption finale, la fin du monde).
En s’éloignant de son Dieu, Adam a perdu la révélation de cet amour, et donc il ne sait pas comment il est aimé et tout ce que Dieu a fait pour lui dans la création. Il ignore son origine, sa stature et sa merveilleuse beauté ! 
C’est pourquoi nous avons besoin que Jésus vienne à nouveau nous le révéler, et nous rendre notre noble vocation, en nous baptisant dans sa mort et dans sa résurrection. 


Deuxième lecture (Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7)
Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien. Lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance, par Jésus-Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle. – Parole du Seigneur.

« La bienheureuse espérance [saḇrā brīḵā : l’espérance bénie] : la manifestation [gelyānā : manifestation, révélation, Apocalypse] de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur [maḥyānan : notre vivificateur], Jésus-Christ [yešūᶜ mšīḥā : Jésus le Messie] ».
Une certaine mode considère comme de méchants pessimistes ceux qui reprennent les thèmes de l'Apocalypse de Jean, et de l'ensemble du Nouveau Testament, à savoir l’émergence d’un antichrist, et son jugement par la venue glorieuse du Christ. 
Le pessimisme ne réside-t-il pas plutôt dans les philosophies modernes qui considèrent que le mal puisse participer à la construction de l’avenir, ne serait-ce qu’au titre d’une antithèse devant faire partie d’une synthèse future ?
F. Hegel (1774-1831) applique la Trinité comme Idée de l’Histoire. Il oppose le Père (la thèse, le passé) et le Fils (l’antithèse, le présent), l’Esprit est pour lui la synthèse (et l’avenir). Ainsi, en communiant à tout ce qui se dit et tout ce qui se fait dans l’actualité en marche, même les artistes qui blasphèment, même les politiques qui promeuvent des lois antichrétiennes, on croit communier à l’Esprit puisque tous font partie du mouvement de l’Histoire et que l’avenir fera la synthèse dans « l’Esprit (Saint ?) ». C’est une contrefaçon du christianisme, une déformation. 
L’Apocalypse dit que c’est l’amour divin trinitaire qui conduit l’Histoire. Babel aura une fin (Ap 17-18). La bête et le faux prophète auront une fin (Ap 19). L’Apocalypse s’achève sur l’image de la Jérusalem nouvelle, épouse resplendissante du Christ Agneau (Ap 19, 7), et l’influence de Satan aura une fin (Ap 20, 1-10). 
Il n’y aura pas de synthèse finale du bien et du mal, mais un jugement des ennemis de Dieu, un jugement réservé à Jésus, c’est :
    Le jugement de la violence par la douceur, 
    Le jugement de l’arrogance par l’humilité, 
    Le jugement de la cruauté par la gentillesse, 
    Le jugement de l’injustice par la justice. 

« Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée-révélée pour le salut-vivification [maḥyaṯ] de tous les hommes. Elle (la grâce) nous apprend [rāḏyā : elle guide, elle conduit à] à renoncer à l’impiété [rūšᶜā impiété, méchanceté] et aux convoitises de ce monde [ḇargīgāṯā : convoitise, beauté, ce nom dérive du verbe rag, désirer], et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation-Révélation-Apocalypse de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur-Vivificateur, Jésus-Christ. »
Il est normal d’avoir des désirs (ou des aversions), mais notre cerveau doit les analyser et les soumettre, nous devons être actifs et contrôler nos désirs. L’homme n’est pas fait pour suivre passivement tous ses désirs.  Ainsi nous vivons dans la « justice ḵīnūṯā » en donnant à chaque chose ce qui lui est dû : sa nourriture au corps, aux gens le service, au travail son effort, à Dieu la louange, etc. 
Le docteur Vittoz, dans une méthode qui est toujours reconnue valable, a enseigné comment, par des moyens simples, nous pouvons accueillir consciemment les sentiments et les désirs qui nous habitent, et comment nous pouvons les calmer, et, 
-    soit les éliminer comme on laisse s’effacer un dessin à la craie, ou comme on regarde un oiseau s’éloigner et disparaitre, 
-    soit les transformer en une décision et un acte volontaire, je le veux, avec une respiration et un influx d’énergie. 
Il ne s’agit pas de renoncer au monde, à l’amour de la nature, à l’attention à l’environnement, il s’agit de renoncer aux « convoitises de ce monde », car la convoitise génère des relations de domination qui vont jusqu’au meurtre. La convoitise est la conséquence du péché originel. Mais il ne faut pas confondre le péché et la matière. Ce n’est pas la matière du monde qui est mauvaise.  
La concupiscence de la chair conduit à l’adultère, le vol est le fruit de la convoitise du bien d'autrui. Saint Jean parle aussi de « l'orgueil de la vie » (cf. 1Jn 2,16). Selon Hariri, auteur du livre « Sapiens », la particularité de l’homme serait sa capacité à construire des fictions qui rassemblent les individus, et de même que l’homme construit des fictions, il peut les déconstruire, et c’est ainsi que notre époque déconstruit la famille, l’identité sexuelle et même l’identité humaine tout court. Tout cela est présenté comme une manière de sauver l’humanité, alors que c’est une aggravation de l’état déchu ! Le baptême nous donne la beauté des héritiers de la vie divine, la vie qui est pour toujours. Non pas l’éternité d’un cerveau numérisé comme l’explique Hariri, mais la vie réelle, si mystérieuse parce que vécue comme un don réciproque, Dieu nous donne et nous lui rendons grâce. Par sa « grâce-bonté ṭaybūṯēh » : en recevant sa bonté, son amour, sa grâce, nous nous laissons aimer, nous nous laissons guérir, et alors nous devenons justes « Nezdaddaq » En araméen, pour Dieu, on parle de sainteté, et pour l’homme, on utilise généralement le terme de « juste » : Dieu « aime les justes zaddiqé ».
« Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance, par Jésus-Christ notre Sauveur [par les sacrements, par la lecture de l’évangile, par le Rosaire…] afin que, rendus justes par sa grâce nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle [ḥayye dalᶜālam : la vie qui est pour toujours, l’éternelle Vie]. »

Évangile (Lc 3, 15-16.21-22)

La traduction est extraite de mon livre F. Breynaert, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur. Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. (472 pages). Et nous allons donner l’évangile sans coupure. 

« 15 Or, comme le peuple imaginait au sujet de Jean / et que tous faisaient des raisonnements en leur cœur, 
que peut-être, / c’était lui, le Messie…

16 Jean répondit / et leur dit : 
‘Voici que moi, je vous immerge / dans les eaux. 
Or, il vient, / celui qui est plus puissant que moi ! 
Celui dont je ne suis pas digne / de délier les courroies de ses sandales !
Lui, il vous immergera / dans l’Esprit Saint et le feu,
[17 lui qui saisit la pelle à vanner dans sa main / et purifie ses aires ;
 et rassemblera le blé / dans son grenier ; 
quant aux bales, / il les consumera au feu qui ne s’éteint pas.

18 Or il enseignait aussi beaucoup d’autres choses / et annonçait la bonne espérance au peuple. 
19 Or Hérode le tétrarque, / parce qu’il était admonesté par Jean 
au sujet d’Hérodias, / la femme de Philippe, son frère, 
et au sujet de toutes les choses mauvaises / qu’il faisait,
20 ajouta encore, à elles toutes, celle-ci : / il enferma Jean chez les prisonniers !]
[La liturgie a coupé ce passage où l’on dit que Jean-Baptiste a été emprisonné. On comprend que le lecteur occidental soit perturbé d’entendre saint Luc raconter le baptême de Jésus par Jean-Baptiste après avoir dit que Jean-Baptiste est en prison. En réalité, dans une civilisation d’oralité, ceci s’explique facilement si nous sommes ici dans un « collier compteur » qui sert à introduire les « fils » d’un « pendentif » dans la suite de l’évangile, ainsi, ce qui concerne Jean-Baptiste introduit un fil et le baptême de Jésus introduit un autre fil du « pendentif ».] 

« 21 Mais il advint, après qu’il eut baptisé / tout le peuple, 
qu’il baptisa aussi / Jésus.
et, pendant qu’il priait, / le ciel s’ouvrit,
22 Et l’Esprit Saint descendit sur lui, / à la ressemblance d’un corps de colombe.
Et il y eut une voix du ciel, / qui dit : 
‘Tu es mon fils bien-aimé, / en toi je me suis complu !’ »

Tout d’abord, comment comprendre la prophétie de Jean-Baptiste : Jésus immergera « dans l’Esprit Saint et le feu » (Lc 3, 16) ? Il y a une tradition rapportée par Justin selon laquelle un feu s’alluma quand Jésus entra dans l’eau du Jourdain (JUSTIN, Dialogue 88, 3), mais ici, il s’agit du baptême apporté par Jésus. Si le feu est ici une image de l’Esprit Saint, comme à la Pentecôte où les dons de l’Esprit se manifestent sous forme de langues de feu (Ac 2, 2), alors le verset forme une redondance. Il est plus logique de tenir compte que Jean-Baptiste venait de parler de la « Colère » divine. Or le feu est un instrument de la colère de Dieu, par exemple : « comme fond la cire en face du feu, ils périssent, les impies, en face de Dieu » (Ps 68, 3) ; « oui, le feu préparé pour tes ennemis les dévorera » (Is 26, 11) ; etc.
La liturgie a coupé les versets 17-18, où Jean-Baptiste annonce le jugement qui doit précéder l’accomplissement du règne de Dieu sur la terre. Ce jugement commence au présent (« Il vanne ») car désormais chacun doit prendre position pour ou contre Jésus, mais le jugement du monde adviendra lors de la seconde venue de Jésus (« Il consumera »). L’important pour le moment est de produire de bons fruits et de ne pas confondre Jean-Baptiste (ou quiconque) avec le Messie, une telle confusion étant la source de tous les messianismes où l’homme sombre dans la violence en s’attribuant le droit de juger la terre. Et, justement, Jean-Baptiste ne se prend pas pour le Messie. La perspective d’un monde purifié du mal est évidemment une bonne espérance, et de savoir que ce jugement ne nous revient pas est évidemment un message de douceur : Jean Baptiste « enseignait aussi beaucoup d’autres choses / et annonçait la bonne espérance au peuple » (Lc 3, 18).
Le jeune saint AUGUSTIN (354-430) reprend ces images : « Le huitième jour figure la vie nouvelle qui suivra la fin des siècles, comme le septième désigne le repos dont jouiront les saints sur cette terre ; car le SEIGNEUR y régnera avec ses saints […] Dans ce moment donc il n’y aura plus de méchants, ils seront séparés d’avec les bons ; et, semblable à un monceau de froment qu’on voit sur l’aire encore, mais parfaitement nettoyé, la multitude des saints sera placée ensuite dans les célestes greniers de l’immortalité. Ne vanne-t-on pas le froment dans le lieu même où on l’a battu ? [cf. Lc 3, 17] Et l’aire où on l’a foulé pour le séparer de la paille ne s’embellit-elle point de la beauté de ce froment que rien ne dépare ? » (Saint AUGUSTIN, Sermon 259 – dans sa période dite « prémoraliste » où il attend davantage la venue de quelqu’un, Jésus, que la venue d’un jugement sur des actes moraux).

Au moment du baptême de Jésus au Jourdain, l’expérience de l’Esprit Saint est tangible : « à la ressemblance d’un corps de colombe » (Lc 3, 22) ; dans la Bible, la colombe désigne la communauté croyante bien-aimée (Ct 2, 14 ; 5, 2 ; 6, 9 ; Os 7, 11 ; 11,11) : Jésus va fonder un peuple. 
Par ailleurs, dans un psaume de David, l’homme trahi, frappé par ses ennemis et plongé dans les affres de la mort, s’écrit : « Qui me donnera des ailes comme à la colombe, que je m’envole et me pose ? » (Ps 55, 7). À Jésus immergé dans les eaux où tout le peuple a laissé tomber le poids de leurs péchés, l’image de « la colombe » annonce un autre baptême : sa Passion et sa Résurrection.
Sous la forme de colombe, c’est l’Esprit Saint (rūḥā d-qūḏšā) ou « l’Esprit du lieu saint » qui descend sur Jésus. Jésus a été conçu de l’Esprit Saint, il reçoit maintenant une onction spécifique pour sa mission. 
Jésus est consacré comme Messie « Saint des Saints », selon la prophétie de Daniel (Dn 9, 24). Et Jean-Baptiste, qui est de famille sacerdotale, est dans le rôle de celui qui « dédicace ». C’est pourquoi les chrétiens n’attendent pas un troisième Temple de Jérusalem, le Temple, c’est Jésus. Le baptême au Jourdain n’inaugure pas la filiation divine de Jésus. Pour Jésus, être consacré « Saint des Saints » signifie inaugurer sa mission sanctificatrice au milieu des hommes : Jésus va inaugurer son ministère de pardon, de révélation, de rédemption. 
Et tout cela est possible parce que l’humanité de Jésus est unie à la divinité, selon les termes de la voix céleste. 
Selon le texte grec du Codex de Bèze et dans quelques manuscrits de l’ancienne version latine, la voix céleste affirme : « Tu es mon fils ; moi aujourd’hui je t’ai engendré » (Lc 3, 22 BJ). Mais le texte araméen donne : « Tu es mon fils bien-aimé, en toi je me suis complu [ber ḥabbīḇā dḇāḵ eṣṭḇīṯ] » (Lc 3, 22), la parole est similaire à celle donnée dans l’enseignement primitif de Pierre (Tu es mon fils bien-aimé, en toi je me suis complu [ber ḥabbīḇā bāḵ eṣṭḇīṯ] » (Mc 1, 11) ou dans l’évangile de Matthieu « celui-ci [est] mon fils bien-aimé, en lui je me suis complu [ber ḥabbīḇā dḇēh ᵓeṣṭḇīṯ] » (Mt 3, 17) ; eṣṭḇīṯ est la forme passive ou réfléchie du verbe vouloir ṣbā, qui signifie aussi désirer, aimer, se complaire en… La complaisance du Père dans son Fils est une union des volontés. Il est possible de dire que Jésus porte en lui le vouloir divin, pour souligner la puissance et le dynamisme correspondant à une forme verbale. L’Occident mettra longtemps à formuler le fait que la volonté est dans le Christ le lieu de l’union de la nature humaine et de la nature divine, mais dans l’araméen, c’est évident.

 

Date de dernière mise à jour : 27/11/2024