10e dimanche Ordinaire (B)

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Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.

10e dimanche du temps ordinaire mc 3 20 3510e dimanche du temps ordinaire Mc 3, 20-35 (95.91 Ko)

Podcast sur  : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#

Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30). 

Première lecture (Gn 3, 9-15)

Psaume (129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8)

Deuxième lecture (2 Co 4, 13 – 5, 1)

Évangile (Mc 3, 20-35)

Première lecture (Gn 3, 9-15)

Lorsqu’Adam eut mangé du fruit de l’arbre, le Seigneur Dieu l’appela et lui dit : ‘Où es-tu donc ?’ Il répondit : ‘J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché.’ Le Seigneur reprit : ‘Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ?’ L’homme répondit : ‘La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé’. Le Seigneur Dieu dit à la femme : ‘Qu’as-tu fait là ?’ La femme répondit : ‘Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé’. Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : ‘Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux et toutes les bêtes des champs. Tu ramperas sur le ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon’. » – Parole du Seigneur.

Chers auditeurs, les peuples anciens exprimaient par des récits imagés ce que l’époque contemporaine pourrait exprimer dans des termes logiques et abstraits. Leur pensée, exprimée par le mythe, n’est pas moins profonde, et dans le cas présent, c’est même une connaissance révélée. Cette lecture advient juste après ce que les chrétiens ont appelé le péché originel, quand, tentés par la perspective de devenir comme des dieux, nos premiers parents mangèrent de l’arbre défendu. Ils pouvaient manger de tous les arbres du jardin, mais Dieu avait interdit l’arbre de la connaissance bonne et mauvaise (en hébreu ce sont deux adjectifs). L’arbre interdit n’est pas celui de la connaissance du bien et du mal, mais celui d’une connaissance bonne et mauvaise – une connaissance bonne si elle est révélée, mauvaise si l’homme cherche à mettre la main dessus, car alors il confond sa propre intellection avec la source divine qui le vivifie, et dès lors, il perd cette gloire qui lui vient d’être vivifié par Dieu, il est nu, il perd cette aura qui lui vient de sa connexion intime avec le souffle divin. Quand il entend la voix de Dieu, Adam a peur, car il a usurpé. Et il se cache. Dieu cherche l’homme : « Où es-tu donc ? ». « Lorsqu’Adam eut mangé du fruit de l’arbre, le Seigneur Dieu l’appela et lui dit : ‘Où es-tu donc ?’ Il répondit : ‘J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché.’ Le Seigneur reprit : ‘Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ?’ »

C’est Dieu d’abord qui nous appelle et qui nous cherche, comme le berger qui appelle sa brebis perdue et qui la cherche. Dieu cherche l’homme, par la voix de nombreux prophètes, Dieu a cherché l’homme, il l’a préparé. Jésus a cherché les gens, il n’est pas resté par exemple, dans la cour de sa maison de Nazareth attendant que les gens viennent à lui. Il n’est pas non plus resté assis au Temple, il a parcouru la Galilée, il a parcouru la Judée… « Jésus allait en tournée [eṯkreḵ] dans les villes et dans les villages. Et il prêchait et annonçait le règne de Dieu » (Lc 8, 1), et après lui, les douze « allaient en tournée [racine krk] » (Lc 9, 6), c’est le même verbe que lorsque Marie a enveloppé [krk] Jésus de langes (Lc 2, 7) et que l’enfant ainsi enveloppé [krk] fut un signe (Lc 2, 12). Jésus enveloppe la terre de lumière et de paix.

Après le péché originel, la relation avec Dieu est obscurcie. On parle d’occultisme, le nom exprime bien ce qu’il dit : il occulte la relation avec Dieu qui est une relation de lumière et de paix.

Après le péché originel, la relation avec le prochain est obscurcie : Adam accuse Éve… Comme s’il ne pouvait pas, lui aussi, se souvenir de l’interdit, et rappeler à Éve cet interdit, et lui donner de la force pour résister à cet interdit ! Adam démissionne de sa responsabilité et il accuse Eve… Et Eve accuse le serpent, Satan, et là, elle a raison : toute la faute ne repose pas sur l’humanité, l’humanité a été tentée par cet ange déchu.

Après le péché originel, la création ayant raté son but, il aurait été logique que le Créateur la détruise entièrement, que Dieu ne soutienne plus l’existence de ce bel univers qu’il a appelé à l’existence. « Et Dieu dit : Que la lumière soit… Et la lumière fut… etc. » Mais au lieu de détruire l’univers, Dieu fait une promesse.

Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : « Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux et toutes les bêtes des champs. Tu ramperas sur le ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. » Cette promesse évoque bien entendu le Messie, le Rédempteur. Et nous avons des représentations où la mère du Christ écrase la tête du serpent, comme dans l’apparition de la rue du Bac.  Il y a même eu récemment, à Kinshasa, en RDC, une statue de Notre-Dame de la rue du Bac qui, miraculeusement, a bougé le pied pour écraser le serpent, devant toute une assemblée, à la paroisse saint Augustin de Lemba [1]. Dieu donne des signes pour fortifier l’espérance des populations les plus éprouvées.

Pour ce peuple, l’espérance est difficile. Le pays est occupé par des forces rwandaises étrangères qui terrorisent la population pour établir des mines. Jésus le Messie n’aurait-il donc rien réussi à faire pour faire cesser tout ce mal, on parle de 10 à 15 millions de morts depuis une génération. Que fait Jésus, où est sa victoire sur Satan ? La victoire sur Satan se fait en deux temps : 1°) tout d’abord, par sa croix, Jésus a vaincu la tentation satanique, et quiconque croit en lui peut être, lui aussi victorieux de la tentation satanique. 2°) Dans un deuxième temps, Jésus reviendra dans la gloire, et sa venue provoquera le jugement de ce que saint Paul appelle l’Antichrist (2Th 2, 8) et ce que l’Apocalypse appelle le faux prophète et surtout « la Bête », c’est-à-dire toute une organisation financière et militaire (Ap 13-19). Alors le monde accomplira le projet du créateur, ce que Dieu a voulu avant le péché originel. L’œuvre rédemptrice du Christ va jusque là. Et nous devons, nous chrétiens, annoncer que l’œuvre rédemptrice inclut son retour dans la gloire, qui n’est pas encore, pas immédiatement la Fin du monde puisque la prière du Notre Père doit s’accomplir : « Notre Père, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite… sur la terre comme au Ciel ». Cette dernière demande, c’est le Maranatha de l’Eglise nous dit le catéchisme de l’Église catholique au § 2817.

En attendant, nous devons demander au Seigneur de ne pas nous laisser entrer en tentation, il ne s’agit pas de fuir l’effort ou la souffrance, mais nous devons fuir les situations injustes, pleines de mensonges, et qui ont quelque chose de démoniaque.

Dieu cherche l’homme : « Où es-tu donc ? ». Jésus parcourt les villes et les villages à la recherche des gens, enveloppant le monde de lumière et de paix, alors mettons- nous sous sa protection !

Psaume (129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8)

Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur, Seigneur, écoute mon appel ! Que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière ! Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur, qui subsistera ? Mais près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne. J’espère le Seigneur de toute mon âme ; je l’espère, et j’attends sa parole. Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore. Oui, près du Seigneur, est l’amour ; près de lui, abonde le rachat. C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes. 

Nous pouvons dire ce psaume pour nous-mêmes.

Nous pouvons prier ce psaume au nom des âmes du purgatoire, c’est-à-dire des défunts qui se purifient avant d’entrer au ciel, les défunts qui n’ont pas terminé leur purification.

Nous pouvons prier ce psaume au nom de ceux, qui sur cette terre, sont entrain de se purifier de leurs fautes, qu’ils soient incarcérés ou non.

Quand, le soir de Pâques, Jésus apparut à ses disciples,

« 22 il souffla en eux / et leur dit :
‘Recevez / l’Esprit Saint !

23
Si vous remettez les péchés à quelqu’un, / ils lui seront remis.

Si vous retenez [ceux] de quelqu’un, / ils sont retenus’. »  (Jn 20, 22-23)

Remettre les péchés, c’est les laisser tomber. C’est le même verbe que quand, au bord du Lac, Jésus appelle Simon, André, Jacques et Jean qui « laissent [verbe šḇaq] leur filet » et se mettent à la suite de Jésus (Mc 1, 20). Les apôtres peuvent remettre [verbe šḇaq] les péchés, avec le discernement procuré par l’assistance de l’Esprit Saint. Le péché pardonné est pardonné pour l’éternité.

Mais si, par exemple, il n’y a aucun regret, les apôtres peuvent « retenir – [racine ’ḥd] » les péchés, les maintenir jusqu’à ce que peut-être les dispositions du pécheur changent… Il ne s’agit pas de condamnation définitive, mais d’une mise à l’écart à cause de l’absence de repentir (c’est le sens originel du mot « excommunication »). On retrouve la racine « ’ḥd » pour dire que les portes étaient « maintenues fermées » quand Jésus ressuscité entra au cénacle (Jn 20, 19). On retrouve aussi cette racine pour dire que les Juifs veulent « saisir » Jésus (Jn 11, 57). Ou encore quand Jésus « saisit » la main de l’enfant pour la faire lever (Mc 5, 41). Jamais ce verbe ne signifie condamner. Ni les apôtres ni leurs successeurs ne condamnent mais il peuvent retenir les péchés. 

Le psaume demande au Seigneur de ne pas retenir les péchés, mais de les pardonner. Le psalmiste ne s’appuie pas sur ses propres mérites, sur ses propres dispositions, mais en réalité, il a une excellente disposition : car « le pardon », dit-il au Seigneur, c’est « pour que l’homme te craigne » autrement dit pour qu’il ne retombe pas dans ses transgressions. Celui qui prie le psaume a donc les bonnes dispositions pour recevoir le pardon. 

Le psalmiste ne préjuge pas de sa capacité à devenir meilleur par lui-même, il  attend réellement tout du Seigneur : « Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore. Oui, près du Seigneur, est l’amour ; près de lui, abonde le rachat. C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes. » 

« En chantant les Psaumes, le chrétien fait l'expérience d'une sorte d'harmonie entre l'Esprit présent dans les Écritures et l'Esprit qui demeure en lui en vertu de la grâce baptismale. Plus que prier à travers des paroles propres, il se fait l'écho de ces "gémissements ineffables" dont parle saint Paul (cf. Rm 8, 26), à travers lesquels l'Esprit du Seigneur pousse les croyants à s'unir à l'invocation caractéristique de Jésus :  "Abba ! Père !" (Rm 8, 15; Ga 4, 6).

Les antiques moines étaient tellement certains de cette vérité qu'ils ne se préoccupaient pas de chanter les Psaumes dans leur langue maternelle, car il leur suffisait d'avoir la conscience d'être, d'une certaine façon, des "instruments" de l'Esprit Saint. Ils étaient convaincus que leur foi permettait aux versets des Psaumes de faire jaillir une "énergie" particulière de l'Esprit Saint. La même conviction se manifeste dans l'utilisation caractéristique des Psaumes, qui fut appelée "prière jaculatoire" - du mot latin "iaculum", c'est-à-dire dard - pour indiquer de très brèves expressions psalmodiques qui pouvaient être "lancées", presque comme des pointes enflammées, par exemple contre les tentations. Jean Cassien, un écrivain qui vécut entre le IVème et le Vème siècle, rappelle que certains moines avaient découvert l'efficacité extraordinaire du très bref incipit du Psaume 69:  "O Dieu, vite à mon secours, Seigneur, à mon aide !", qui est devenu depuis comme la porte d'entrée de la Liturgie des Heures.

2. A côté de la présence de l'Esprit Saint, une autre dimension importante est celle de l'action sacerdotale que le Christ accomplit dans cette prière en associant à lui l'Église, son épouse. A ce propos, précisément en se référant à la Liturgie des Heures, le Concile Vatican II enseigne:  "Le Souverain Prêtre de la Nouvelle et Éternelle Alliance, le Christ Jésus [...] s'adjoint toute la communauté des hommes et se l'associe dans ce cantique de louange. En effet, il continue à exercer cette fonction sacerdotale par son Église elle-même qui, non seulement par la célébration de l'Eucharistie, mais aussi par d'autres moyens et surtout par l'accomplissement de l'office divin, loue sans cesse le Seigneur et intercède pour le salut du monde entier" (Sacrosanctum Concilium, n. 83). […]

La Liturgie des Heures revêt donc un caractère de prière publique, dans laquelle l'Église est particulièrement impliquée. Il est alors illuminant de redécouvrir que l'Église a progressivement défini son implication spécifique de prière rythmée sur les différentes phases du jour. Il faut pour cela remonter aux premiers temps de la communauté apostolique, alors qu'il existait encore un lien étroit entre la prière chrétienne et celles que l'on appelait les "prières légales" - c'est-à-dire prescrites par la Loi mosaïque - qui s'accomplissaient à des heures déterminées dans le Temple de Jérusalem. Du Livre des Actes, nous savons que les Apôtres "d'un seul corps, fréquentaient assidûment le Temple" (2, 46) ou encore qu'"ils montaient au Temple pour la prière de la neuvième heure" (3, 1). Et d'autre part, nous savons également que les "prières légales" par excellence étaient précisément celles du matin et du soir. […]

Une caractéristique typiquement chrétienne a été ensuite l'ajout, à la fin de chaque Psaume et Cantique, de la doxologie trinitaire, "Gloire au Père et au Fils et à l'Esprit Saint". Ainsi, chaque Psaume et Cantique est illuminé par la plénitude de Dieu. »

(Jean Paul II, audience du Mercredi 4 avril 2001)

Deuxième lecture (2 Co 4, 13 – 5, 1)

Frères, l’Écriture dit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. Et nous aussi, qui avons le même esprit de foi, nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. Car, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus, et il nous placera près de lui avec vous. Et tout cela, c’est pour vous, afin que la grâce, plus largement répandue dans un plus grand nombre, fasse abonder l’action de grâce pour la gloire de Dieu. C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. Et notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. Nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes. – Parole du Seigneur. 

« L’homme extérieur va vers sa ruine » et « notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre »… sera un jour « détruit ». « Il nous faut mourir, dit saint Augustin, et nul ne veut mourir. Nul ne veut ce qui doit lui arriver de gré ou de force. Déplorable condition, de rejeter ce que l'on ne saurait éviter.  […] Pendant que nous sommes dans ce corps comme dans une tente, nous gémissons sous sa pesanteur, parce que nous désirons, non pas d'être dépouillés, mais d'être comme revêtus par-dessus ; en sorte que ce qu'il y a de mortel, soit absorbé par la vie  (2Co 5, 1). Nous voulons arriver au royaume de Dieu, mais non par le chemin de la mort ; et toutefois la nécessité vient nous dire : Tu en viendras là. Tu ne veux point en venir là, ô homme fragile, et c'est par là que Dieu est venu jusqu'à toi » (Augustin, 2e discours sur le psaume 30).

« Frères, l’Écriture dit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. Et nous aussi, qui avons le même esprit de foi, nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. Car, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus, et il nous placera près de lui avec vous » dit saint Paul !

Mais, observe saint Bernard, si un homme meurt «  2 avant d'avoir mis la dernière main à cet édifice spirituel, qu'adviendra-t-il de ses espérances? Car on n'est parfait que quand on n'a plus rien à faire, quiconque peut s'élever encore n'a point atteint le faîte. A cela je réponds hardiment que ‘cet homme en peu de temps a vécu bien des siècles’ (Sg 4,13). Oui, bien des siècles, en vérité, car il les a vécus tous; en preuve, c'est qu'il a fini par l'éternité. Ce n'est pas à la longueur du temps ni au nombre des années et des jours que se mesurent la durée de ce qu'il a vécu et l'étendue de ses mérites, mais à la disposition habituelle de son esprit, à l'ardeur de sa pieuse âme et à sa constante résolution de tendre sans cesse à la perfection. Sa vertu lui donne et lui assure tout ce que le temps lui a refusé, car elle n'est point sujette au temps et n'est point limitée par lui. Voilà pourquoi il est dit: ‘La charité ne peut périr’ (1Co 13,8); la persévérance des saints ne meurt point avec eux (Ps 9,19), et la crainte de Dieu qui fait les saints subsiste dans les siècles des siècles (Ph 3,15).

L'homme juste ne croit jamais qu'il est arrivé à la perfection, jamais on ne lui entend dire: C'est assez comme cela! Mais, toujours affamé, toujours altéré de justice, il travaille sans relâche à l'augmenter en lui; il vivrait toujours qu'il ne cesserait de faire de nouveaux efforts pour se rapprocher tous les jours un peu plus de la perfection; car ce n'est pas au jour ou à l'année, comme un mercenaire, il s'engage au service de Dieu, c'est pour l'éternité. Aussi entendez-le s'écrier: Seigneur, votre loi m'a donné la vie, je ne l'oublierai jamais (Ps 118,93); j'ai fait voeu de l'observer toujours (Ps 111,3), et non pas seulement pendant quelques années. Sa justice subsiste donc toujours aussi, et la faim qui ne cesse de le consumer mérite d'être éternellement rassasiée. Il peut ne vivre que quelques jours, il n'en est pas moins regardé comme s'il avait vécu des siècles, parce qu'il était dans la disposition de les employer tous de même.

 ~3. Eh quoi! la brièveté de la vie nous ôterait le mérite d'une vertu qui eût toujours duré si c'eût été possible, quand elle n'empêche pas qu'on impute aux réprouvés leur obstination dans le mal? En effet, leur péché n'a duré qu'un instant et il est puni d'un supplice sans fin; n'est-ce pas parce que dans ses dispositions perverses leur volonté impénitente rend éternel en désir ce qui n'est que temporaire et passager de sa nature? S'ils eussent toujours vécu, ils n'auraient jamais cessé de vouloir le mal, bien plus, ils n'auraient pas voulu mourir afin de pouvoir pécher toujours […]

Voilà sur quel raisonnement je me fonde pour dire qu'on est parfait dès qu'on ne cesse pas d'aspirer et de tendre de toutes ses forces à le devenir.

~4. Mais si c'est être parfait que d'aspirer sans cesse à le devenir, c'est s'éloigner de la perfection que de cesser d'y tendre. Où sont donc ceux qui disent: C'est assez comme cela pour nous, nous n'avons pas la prétention de valoir mieux que nos pères? O moine, est-ce vous qui tenez ce langage, est-ce bien vous qui ne voulez point avancer dans la vertu? Voudriez-vous donc reculer? Je ne veux ni l'un ni l'autre, me répondez-vous, je ne demande qu'à vivre tel que je suis et à demeurer dans l'état où je me trouve; à Dieu ne plaise que je devienne pire, mais je ne tiens pas à devenir meilleur. Vous voulez tout simplement l'impossible, car il n'y a rien de stable en ce monde et encore moins dans l'homme, dont il est dit : ‘Il passe comme une ombre, on ne le trouve pas deux fois de suite dans le même état (Jb 14,2).» L'auteur même des hommes et des temps n'est pas demeuré dans le même état quand il apparut sur la terre au milieu des hommes, mais ‘il passait, dit l'Écriture, en faisant le bien et en guérissant tous les malades’ (Ac 10,38).Il passait non pas en ne faisant rien, non point dans l'indolence et la paresse, ou d'un pas lent et paisible, mais, selon l'expression d'un Prophète, «il s'avançait à pas de géant dans sa carrière (Ps 18,6).» Il faut courir pour l'atteindre, sans cela que nous servirait-il de le suivre? Voilà pourquoi saint Paul nous crie: «Courez, mais courez si bien que vous arriviez au but (1Co 9,24).» […] Jésus-Christ s'est fait obéissant jusqu'à la mort (Ph 2,8). Si longtemps que vous couriez, si vous ne courez jusqu'à la mort, vous n'atteindrez pas le but et n'obtiendrez pas le prix; or le prix de cette course, c'est Jésus-Christ même. Si vous vous arrêtez quand il avance à grands pas, non seulement vous ne vous approchez point du but, mais le but même s'éloigne de vous, et vous vous exposez à cette malédiction du Psalmiste: ‘Seigneur, ceux qui s'éloignent de vous périront’ (Ps 72,27). Si donc c'est courir que d'avancer, en cessant d'avancer vous cessez de courir, et dès qu'on cesse de courir on recule; d'où il suit que ne vouloir plus avancer, c'est effectivement reculer. » (Saint Bernard, lettre 154).

Alors avançons jusqu’à la mort et le Père nous ressuscitera dans la gloire, avec une gloire que nous ne pouvons imaginer à présent. 

Évangile (Mc 3, 20-35)

Cet évangile est formé de trois perles distinctes que nous allons écouter dans ma traduction depuis l’araméen (ce sont les évêques irakiens qui parlent d’araméen, les universitaires français parlent de syriaque).

« 3, 20 Et ils vinrent à la maison.
Et les foules se rassemblèrent, de nouveau, / en sorte qu’ils ne pouvaient pas manger de pain.

21
Et les siens [2] entendirent, / et sortirent pour se saisir de lui.

Ils disaient, en effet, / qu’il était sorti de sa raison »
(Mc 3, 19-20).

« Ils vinrent à la maison ». La maison est celle de la belle-mère de Pierre à Capharnaüm (Mc 1, 29). « Les siens » viennent de Nazareth. Le mot pour les désigner, « ḥyānaw les siens, sa parenté, ses familiers », n’est pas le mot « parent » et ne désigne pas d’abord la mère de Jésus.

Les familiers de Jésus n’accusent pas Jésus d’être un possédé, mais d’être « sorti de sa raison » : ils voudraient que Jésus se comporte comme un descendant royal, un héritier du trône ; il n’est pas normal à leurs yeux que Jésus se laisse accaparer par des foules et n’ait plus le temps de manger ! Ils veulent « se saisir » de Jésus pour le ramener à ce qui est, à leurs yeux, le rang et la dignité d’un fils de David, sa vocation. Ils viennent « le saisir lmeḥdēh » : ce verbe inclut un geste un peu brutal, du moins qui veut s’imposer.

Ils veulent sans doute protéger aussi Jésus puisque, à l’issue de la guérison de l’homme à la main sèche, il est dit que « les Séparés sortirent, sur l’heure, avec ceux de la maison d’Hérode. Et ils tinrent conseil contre lui de manière à le faire périr » (Mc 3, 6). Bref, les familiers de Jésus ont un comportement humain bienveillant, même s’il est inapproprié.

Notons l’opposition du récit entre « les siens » qui « sortirent », et Jésus dont ils disent qu’il est « sorti » de sa raison. En réalité, ce sont « les siens » qui sont sortis de la volonté divine.

La deuxième perle désigne un autre groupe, celui des scribes :

« 22 Et les scribes, ceux qui descendirent de Jérusalem, / disaient :
‘Beelzéboub est en lui : / et c’est par le chef des démons qu’il fait sortir les démons !’

23 Et Jésus les appela, / et par proverbes, il leur dit :
24
‘Si donc un royaume se divise contre lui-même, / il n’est pas capable de tenir debout, ce royaume là !

25
Et si une maison se divise contre elle-même, / elle n’est pas capable, cette maison-là, de tenir debout ! [3]

26
Et, si lui, Satan, s’est levé contre lui-même, / et qu’il s’est divisé,

il n’est pas capable de tenir debout : / mais c’est sa fin !

27
Personne n’est capable d’entrer dans la maison d’un fort, / et de ravir ses affaires,

s’il n’a, d’abord, ligoté le fort ; / et alors il pillera sa maison !

28 Amen, / je vous le dis :
Tous les péchés et les blasphèmes que blasphèment les hommes, / leur seront pardonnés.

29
Mais qui blasphème / contre l’Esprit Saint,

il n’y aura pour lui jamais de pardon [4], / mais il est condamné d’une sentence éternelle [5]’.

30 Parce qu’ils disaient : / ‘Un esprit impur est en lui !’ »

Jésus ironise sur le diagnostic de ses adversaires : comment un possédé (Jésus) aurait-il libéré un autre possédé (le démoniaque) ? Il serait trop beau qu’une guerre civile s’engage au sein même du camp de Satan. Et le « royaume » du mal tient encore. Jésus évoque ensuite le cas d’une maison qui se divise, c’est la maison d’Israël, fondée sur la distanciation des cultes de Baal, qualifiés de cultes de démons (Bar 4, 7). Il y a un combat spirituel…

Vient ensuite la phrase importante sur le pardon des péchés et le péché contre l’Esprit Saint qui ne peut pas être pardonné. Dans la vie courante, quand quelqu’un nie une vérité évidente et se fossilise dans son refus d’entendre, il n’y aura pour lui jamais de pardon, il est dans un procès permanent, et c’est épuisant pour l’entourage. Le péché contre l’Esprit Saint est un manque de ce que l’on appelle en langage courant, la « bonne foi », c’est le péché de celui qui est de « mauvaise foi ». Le péché contre l’Esprit Saint est celui d’une inversion : Jésus, qui est le Saint, est ici accusé d’avoir un « esprit impur ». Une telle inversion appelle une sentence définitive. Il n’y a plus de remède. Sans bonne foi le chemin devient un labyrinthe, le rejet de la vérité conduit à la mort éternelle. Celui qui fait ce péché est condamné d’une sentence éternelle. Alors que les péchés, les blasphèmes peuvent être pardonnés. Le péché d’Adam et Éve était un péché grave, c’était le blasphème de vouloir être comme Dieu. Il a cependant pu être pardonné dans la promesse d’un rédempteur. Mais l’inversion qui consiste à appeler mal le bien ne peut pas être pardonnée, c’est le péché qui sera celui de l’Antichrist et qui est préparé au long des siècles par chaque péché contre l’Esprit Saint.

La troisième perle forme un contraste par sa douceur, la mère et les frères ne veulent pas saisir Jésus, mais le font appeler.

« 31 Et vinrent sa mère et ses frères se tenir debout au dehors, / et ils envoyèrent l’appeler à eux.
32
Or, la foule était assise autour de lui, / et ils lui dirent :

‘Voici ta mère et tes frères, dehors / qui te cherchent !’

33
Et il répondit / et leur dit :

‘Qui est ma mère, / et qui sont mes frères ?’

34
Et il regarda ceux qui étaient assis auprès de lui, / et dit :

‘Voici ma mère, / et voici mes frères ;

35
qui, en effet, fera [6] la volonté de Dieu, / ce sera lui mon frère,

ma sœur / et ma mère !’ »

Ce n’est pas un reproche. Jésus annonce à sa mère son intention de rester fidèle à « la volonté de Dieu », à sa vocation jusqu’à la mort dont il est déjà menacé (Mc 3, 6), et il invite sa mère à le suivre fidèlement.

Il faut noter la tension du futur au verset 35 : On n’oppose pas les disciples à la mère de Jésus, mais Jésus dit : « qui, en effet, fera la volonté de Dieu, ce sera lui mon frère, ma sœur et ma mère ! » Un futur conservé en grec et en latin mais que le français transforme en un présent proverbial [7], mais cela me semble un appauvrissement. Il n’y a pas d’état stable, il n’existe pas d’assurance de posséder le statut de frère de Jésus. Jésus place le disciple sur le registre de l’attention et de l’intention. Comme le dit saint Bernard « On est parfait dès qu'on ne cesse pas d'aspirer et de tendre de toutes ses forces à le devenir » (Lettre 154). Il y a un avenir, un futur : « qui, en effet, fera la volonté de Dieu, ce sera lui mon frère, ma sœur et ma mère ! » 

 

[2] ḥyānaw : les siens, sa parenté.

[3] Nous reprenons ici l’excellente tournure orale de la traduction de F. Guigain.

[4] lᶜālam précédé d’une négation signifie « jamais ».

[5] Le participe passif « mḥayyaḇ » signifie que la personne est déjà jugée coupable et il y aura un verdict qui imposera un châtiment. Nous avons ensuite le mot jugement ḏīnā qui peut signifier le procès ou la sentence du jugement. Enfin, « lḏīnā dalᶜālam » se traduit avec un adjectif, comme dans « rūḥā dəqūḏšā : Esprit Saint, (Esprit de sainteté) ».

[6] L’emploi du futur comme présent n’est attesté que dans des hébraïsmes. Un présent s’exprimerait par un participe.

[7] Même Frédéric Guigain.

Date de dernière mise à jour : 26/04/2024