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3e dimanche pascal
Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Evangile 3e dimanche du temps pascal C (89.55 Ko)
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
Première lecture (Ac 5, 27b-32.40b-41)
Psaume (Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13)
Deuxième lecture (Ap 5, 11-14)
Évangile (Jn 21, 1-19)
Première lecture (Ac 5, 27b-32.40b-41)
En ces jours-là, les Apôtres comparaissaient devant le Conseil suprême. Le grand prêtre les interrogea : « Nous vous avions formellement interdit d’enseigner au nom de celui-là, et voilà que vous remplissez Jérusalem de votre enseignement. Vous voulez donc faire retomber sur nous le sang de cet homme ! » En réponse, Pierre et les apôtres déclarèrent : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice. C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » Après avoir fait fouetter les apôtres, ils leur interdirent de parler au nom de Jésus, puis ils les relâchèrent. Quant à eux, quittant le Conseil suprême, ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus. – Parole du Seigneur.
À Jérusalem, quelques mois après la mort de Jésus, le grand prêtre Caïphe craint que le sang du Christ ne soit une malédiction (Ac 5, 28), mais le sang du Christ n’est jamais une malédiction, même pour ceux qui ont crucifié Jésus. Simplement leur refus de croire et leur endurcissement retombent sur leurs auteurs. Et c’est encore malheureusement vrai de nos jours. Le monde est devenu déséquilibré parce qu’il a perdu la pensée de la Passion, il a perdu la lumière qui lui aurait fait connaître l’amour du Christ, la force de sa passion qui l’aurait soutenu, la sainteté qui lui aurait inspiré la haine du péché.
Lors de la deuxième arrestation des apôtres par le sanhédrin, Pierre répond avec les apôtres : « Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice. C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur » (Ac 5, 30-31). Jésus est le chef, le prince, « rišā », c’est la même racine sémitique que dans la Genèse, en hébreu, au commencement « bereshit ». En effet, quand il fut pendu sur le bois de la croix, Jésus a rétabli l’amour à son juste niveau. Dire qu’il est le rišā, le principe, cela signifie qu’en méditant la Passion du Christ, l’âme s’empare des pensées du Christ, de ses réparations, de ses prières, de ses désirs, de ses affections et même de ses fibres les plus intimes. Et elle les fait siens. Et comme Jésus est ressuscité, on peut dire aussi que Jésus s’unit à la personne qui médite sa passion en la réactualisant.
« C’est lui que Dieu a exalté par sa droite, le faisant Chef (rīšā : Prince, principe) et Sauveur (maḥyānā : celui qui donne vie), afin d’accorder par lui à Israël la conversion, la repentance (tyābbūṯā la pénitence) et la rémission des péchés » (Actes 5, 31).
Saint Pierre parle de repentance ou pénitence ; en saint Matthieu, le nom « pénitence [tyāḇūṯā] » n’apparaît que dans la prédication de Jean Baptiste, deux fois (Mt 3, 8.11) : il enjoint les pharisiens et les sadducéens de produire « des fruits qui soient dignes de la pénitence » (Mt 3, 8) : non pas des pratiques extérieures, mais des actes concrets qui engagent l’homme tout entier – « tyāḇūṯā » désigne la lutte que le pécheur s’impose pour changer de vie, en pleurant pour tuer le péché, en s’efforçant de remporter la victoire sur soi-même pour faire le bien. Nous retrouverons cette idée d’effort quand Jésus fera l’éloge de Jean-Baptiste :
« En effet, depuis les jours de Jean-Baptiste, / et jusqu’à maintenant,
le Royaume des cieux / est conduit par l’effort [ba-qṭīrā]
et les lutteurs [qṭīrāne] / s’en emparent » (Mt 11, 12).
Juste après, saint Pierre continue : « Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent » (Ac 5, 12).
« Quant à nous, nous sommes les témoins [sāhde : un témoignage qui peut aller jusqu’au martyre] de tout cela, avec l’Esprit Saint [rūḥā d-qūḏšā que l’on peut aussi traduire l’Esprit de Sainteté, ou l’Esprit du lieu saint], que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent [damhaymnīn bēh : ceux qui lui font confiance, ceux qui croient en lui] » (Ac 5, 12).
L’Esprit Saint est donné à ceux qui croient, mais la notion de foi dans les langues sémitiques ne se réduit pas à une croyance en une idée, c’est beaucoup plus concret, on s’appuie sur le Christ en engageant toute notre vie. C’est pourquoi on peut aussi entendre la traduction latine ou grecque qui donne « à ceux qui lui obéissent ».
Plus on médite la Passion du Christ, plus on entre dans la volonté divine, plus on suit Jésus, et plus on reçoit l’Esprit de Sainteté, l’Esprit Saint. Pour le dire d’une manière un peu caricaturale, l’Esprit Saint ne vient pas simplement au bout du troisième couplet d’un chant à l’Esprit Saint, il vient dans les cœurs de ceux qui ont une vie de foi, une vie de fidélité aux commandements et d’attachement à l’amour du Christ.
En tout cela, la mère de Jésus a été la première, et le concile Vatican II dit : « En souffrant avec son Fils qui mourait sur la croix, elle apporta à l’œuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour que soit rendue aux âmes la vie surnaturelle. C’est pourquoi elle est devenue pour nous, dans l’Ordre de la grâce, notre Mère » (Vatican II, Lumen gentium 61). Et le concile dit aussi ceci, qui peut s’appliquer à chacun d’entre nous : « l’unique médiation du Rédempteur n’exclut pas, mais suscite au contraire une coopération variée de la part des créatures, en dépendance de l’unique source » (Lumen gentium 62).
C’est ainsi que, « Après avoir fait fouetter les Apôtres, ils leur interdirent de parler au nom de Jésus, puis ils les relâchèrent. Quant à eux, quittant le Conseil suprême, ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus. » (Ac 5, 40-41). Cette joie vient du fait qu’à travers les coups de fouets, les apôtres ont pu se revêtir d’un épisode de la Passion de Jésus, et se faisant, participer à la beauté du sacrifice du Christ et à son œuvre de Rédemption pour le salut du monde.
Cette joie est un fruit de l’Esprit Saint, et l’Esprit Saint est donné lorsque l’on obéit à Dieu, l’obéissance aux commandements de Dieu est le commencement, c’est ce que les disciples ont appris quand ils se sont attachés à Jean-Baptiste puis à Jésus au bord du Jourdain. Ensuite, la vie dans l’Esprit Saint consiste à obéir à Dieu à travers les événements et les contradictions de la vie, comme ce fut le cas pour les disciples qui acceptèrent que Jésus prenne le chemin de la croix. Enfin, la vie dans l’Esprit Saint consiste à puiser dans les richesses divines, à prolonger les œuvres du Christ, les apôtres avaient guéri un impotent par exemple, et à transmettre les paroles du Christ. C’est tout cela l’obéissance au Christ, et l’Esprit Saint est donné à ceux qui lui obéissent (Ac 5, 12).
Psaume (Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13)
Quand j’ai crié vers toi, Seigneur, mon Dieu, tu m’as guéri ; Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse. Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles, rendez grâce en rappelant son nom très saint. Sa colère ne dure qu’un instant, sa bonté, toute la vie. Avec le soir, viennent les larmes, mais au matin, les cris de joie ! Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie ! Que mon cœur ne se taise pas, qu’il soit en fête pour toi ; et que sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rende grâce !
C’est l’Église qui parle ici : l’Église qui a reçu ce premier-né d'entre les morts, et qui chante « Tu as changé mon deuil [celui du vendredi saint] en une danse, mes habits funèbres en parure de joie ! ». Tu as écarté le voile de mes péchés et la tristesse de ma mortalité, pour me revêtir d'une joie impérissable. Et saint Augustin commente : « Afin qu'il n'y ait plus aucun deuil pour moi ; mais que ma gloire chante vos louanges, et non plus mon humilité, puisque vous m'avez tiré de l'abaissement, et que la conscience de mon péché, la crainte de la mort et du jugement ne perce plus mon coeur. Seigneur, mon Dieu, je vous bénirai éternellement. C'est là ma gloire, ô mon Dieu, de proclamer hautement à votre louange qu'il n'y a rien en moi de moi-même, et que tout bien vient de vous, ô Dieu, qui êtes tout en tous 1Co 15,28) ». (Augustin, sur les Psaumes 30)
Le psaume est donc sur les lèvres de l’Église et il est aussi sur les lèvres du Christ qui a prié pour nous. « Quand j’ai crié vers toi, Seigneur, mon Dieu, tu m’as guéri ; Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse. » Saint Pierre disait à Jérusalem : « Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice » (Ac 5, 30) et les apôtres reçurent des coups de fouets (Ac 5, 40) donc ressemblèrent à Jésus. Mais saint Augustin précise : « Que le Verbe Fils de Dieu, que ton Dieu se soit fait homme, ce n'est point une raison de comparer cet homme avec toi-même, mais bien de l'élever au-dessus de toi, puisqu'il est ton médiateur, et au-dessus de toute créature, puisqu'il est Dieu ». Et saint Augustin nous montre que Jésus-Christ, notre chef, notre Prince, notre principe (« rišā » Ac 5, 31) ayant reçu sa consécration dans le ciel, nous devons l'y recevoir aussi et l'y suivre. Et nous y arriverons, en bénissant Dieu, ou en le glorifiant dans nos douleurs, pour le bénir ensuite dans sa gloire. « Que mon cœur ne se taise pas, qu’il soit en fête pour toi ; et que sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rende grâce ! » (Ps 30, 13). Ainsi, chers auditeurs, quand nous bénissons le Seigneur, prenons la prière de Jésus, prions avec Jésus, en Jésus, ainsi notre prière sera celle de Jésus et elle sera divine. « Que mon cœur ne se taise pas, qu’il soit en fête pour toi ; et que sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rende grâce ! » (Ps 30, 13).
Ce psaume parle à notre époque actuelle. Le monde entier n’est-il pas en deuil ? Tant de guerres dans le monde… Et ceux qui meurent, ce sont nos frères et sœurs, même s’ils sont loin de chez nous… Ce sont nos frères et sœurs, et le monde entier est blessé par leur mort cruelle, et le monde entier est en deuil. Alors prions le Seigneur de « changer notre deuil en une danse, nos habits funèbres en parure de joie ».
Un verset du psaume est délicat à expliquer : « Sa colère ne dure qu’un instant, sa bonté, toute la vie ». Il est possible, mais très limité, de l’interpréter par une comparaison à l’éducation d’un enfant, les parents le grondent, mais leur colère ne dure pas longtemps, et toute leur vie ils sont bons envers leurs enfants.
C’est limité, parce que l’on sait bien que le thème de la colère de Dieu se retrouve aussi dans le livre de l’Apocalypse, au moment du retour glorieux du Christ. « De sa bouche sort une épée acérée pour en frapper les païens ; c’est lui qui les mènera avec un sceptre de fer ; c’est lui qui foule dans la cuve le vin de l’ardente colère de Dieu, le Maître-de-tout » (Ap 19,15) – Ne tombons pas dans le piège des images, l’épée est dans sa bouche, c’est sa Parole. L’Apocalypse nous enseigne à ne pas prendre l’épée, « celui qui tue par l’épée, qu’il soit tué par l’épée ! » (Ap 13, 10 de l’araméen). Le seul et l’unique qui puisse juger le monde, c’est Jésus, l’Agneau innocent. Après le jugement, l’humanité réalisera sa vocation sur la terre, et Jean prend l’image d’une Jérusalem nouvelle, « de temple, je n’en vis point en elle ; c’est que le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout, est son temple, ainsi que l’Agneau » (Ap 21, 22).
La colère de Dieu signifie que le péché n’a pas d’avenir. L’idée d’un châtiment divin implique aussi que le souverain bien du Créateur aura le dessus.
Les adeptes du mondialisme considèrent comme de méchants pessimistes ceux qui reprennent les thèmes de l’Apocalypse et de l’ensemble du Nouveau Testament, à savoir l’émergence d’un antichristianisme et d’un antichrist, et son jugement par la venue glorieuse du Christ. Le pessimisme ne réside-t-il pas plutôt dans les philosophies modernes qui considèrent que le mal puisse participer à la construction de l’avenir, ne serait-ce qu’au titre d’une antithèse devant faire partie d’une synthèse future ?
F. Hegel (1774-1831) applique la Trinité comme Idée de l’Histoire. Il oppose le Père (le passé) et le Fils (le présent), l’Esprit est la synthèse (et l’avenir). Ainsi, en communiant à tout ce qui se dit et tout ce qui se fait dans l’actualité en marche, on croit communier à l’Esprit puisque tous font partie du mouvement de l’histoire et que l’avenir fera la synthèse dans « l’Esprit ». Mais est-ce que c’est encore l’Esprit Saint ?
Le Nouveau Testament, et en particulier l’Apocalypse dit que le dessein du Créateur (la Trinité) se réalisera. C’est donc l’amour divin trinitaire qui conduit l’Histoire, et non pas une Idée en perpétuelle dialectique. Le combat se jouera entre « Dieu qui détient tout », la Trinité Sainte, et la fausse Trinité (dragon/ bête/ Faux prophète – Ap 16, 13). Babel aura une fin (Ap 17-18). La bête et le faux prophète auront une fin (Ap 19). L’influence de Satan aura une fin (Ap 20, 1-10). L’Apocalypse décrit aussi des « vivifications » et s’achève sur l’image de la Jérusalem nouvelle, épouse resplendissante du Christ Agneau… Pour préparer l’humanité à la vie éternelle. Le revers de la médaille « des noces de l’Agneau » (Ap 19, 7), c’est le jugement des ennemis de Dieu, mais ce jugement est fait par Jésus, c’est
Le jugement de la violence par la douceur,
Le jugement de l’arrogance par l’humilité,
Le jugement de la cruauté par la gentillesse,
Le jugement de l’injustice par la justice.
« Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles, rendez grâce en rappelant son nom très saint. » (Ps 30, 5)
Deuxième lecture (Ap 5, 11-14)
Moi, Jean, j’ai vu : et j’entendis la voix d’une multitude d’anges qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens ; ils étaient des myriades de myriades, par milliers de milliers. Ils disaient d’une voix forte : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » Toute créature dans le ciel et sur la terre, sous la terre et sur la mer, et tous les êtres qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, la louange et l’honneur, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. » Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! » ; et les Anciens, se jetant devant le Trône, se prosternèrent. – Parole du Seigneur.
Le Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Mais ce n’est pas fini, il reviendra dans la gloire ! il ne reviendra pas charnellement pour prendre en main les rênes d’un gouvernement mondial : son corps est désormais glorieux. D’où cette liturgie céleste : « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau (c’est-à-dire Jésus, le Christ) la louange et l’honneur, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. » (Ap 5, 13).
Le trône et la souveraineté ont comme corollaire, une certaine obéissance de notre part, ce qui pourrait a priori nous rebuter. Bien que nous ayons des libertés politiques, nous sommes saturés d’obéir à mille règlements. En plus, depuis mai 68, nous avons l’idée que l’obéissance serait une aliénation où s’humilie la conscience. Or cette liturgie que voit l’auteur de l’Apocalypse, tout en parlant d’obéissance est aussi l’espace où soufflent les prophètes.
Tout d’abord, observons que l’obéissance humaine est toujours active : obéir, c’est choisir d’obéir, du moins chez l’homme adulte. Seul obéit l’homme réellement libre : il soumet son vouloir à une parole qu’il reçoit d’autrui, mais qu’il choisit de faire sienne. Dans l’éducation, l’obéissance devient l’accueil d’un savoir et d’une expérience qui permet au jeune de construire sa personnalité. Dans la vie commune, l’obéissance devient une ouverture à l’autre, une école du service et du don de soi. (Cf. J.-L. BRUGUÈS Précis de théologie morale générale, Paris, Parole et Silence 2017, p. 147-149)
Dans la relation à Dieu, l’obéissance ouvre à la communion, dont l’étymologie est « cum munis » : il s’agit de partager une charge, une royauté : il s’agit de régner avec ddd lui. Or, dans l’Apocalypse, ce sont les « anciens » qui appellent de leurs vœux de Règne de Dieu sur la terre comme ciel, et qui en chantent la gloire. Or le nombre de vingt-quatre anciens (Ap 4, 4) correspond au nombre de classes de prêtres (1Ch 24) ou de chantres (1Ch 25). Les chantres sont sous la direction et les ordres du roi (1Ch 25, 2.6) et leur service est prophétique, à l’exemple de « Asaph qui prophétisait sous la direction du roi » (1Chr 25, 2) ou de « Yedutûn qui prophétisait au son des lyres en l’honneur et à la louange du Seigneur » (1Chr 25, 3).
Avec les Anciens, Jean voit aussi « quatre Vivants » (Ap 4, 6). Saint IRÉNÉE dira que les quatre Vivants sont les quatre évangélistes (Matthieu : homme ; Marc : taureau ; Luc : lion ; Jean : aigle) (Saint IRÉNÉE, Contre les hérésies, III, 11, 8)
Les « quatre Vivants » font surtout écho à ceux de la vision du prophète Ézéchiel (Ez 1, 5-12) dans un char par lequel la gloire du Temple quitta Jérusalem (Ez 9–11) puis revint avec les exilés pour investir le Temple futur (Ez 43, 1-4). L’image des « quatre Vivants » signifie donc que le Ciel va accompagner les croyants durant les épreuves qui sont décrites dans le livre de l’Apocalypse, jusqu’à l’avènement du Temple futur qui n’est pas un troisième temple bâti à Jérusalem, mais l’Agneau, le Christ lui-même (Ap 21, 22).
Ouvrons ici une parenthèse. Dans l’Apocalypse, la vision des quatre Vivants se réfère au char divin de la vision d’Ézéchiel (Ez 1, 5-12) qui a donné lieu au mysticisme de la Merkabah, que l’on appelle également littérature du char ou encore littérature des hekhalot, qui prétend accéder au pouvoir, en quelque sorte, chevaucher de tels chars et pénétrer dans le palais céleste. C’est un mysticisme inspiré du paganisme qui considère le cosmos comme étant éternel et par conséquent divin (panthéisme). Les principaux chefs pharisiens de l’ère tannaïtique (un siècle avant et un ou deux siècles après J-C) étaient de fervents spéculateurs des thèmes de la Merkavah. Le Talmud (traité Hagigah 2, 1) affirme que les mystères du Ma’aseh Merkabah (Œuvres du char) ne doivent pas être expliqués, à moins qu’il ne s’agisse d’un étudiant déjà très versé dans ces sciences, lesquelles s’apparentent en réalité à du spiritisme, à de la divination et, en somme, à de la magie.
Dans l’Apocalypse, la vision des quatre Vivants se réfère au char divin de la vision d’Ézéchiel (Ez 1, 5-12) mais elle ne laisse aucune place à la recherche de pouvoirs ésotériques. Au contraire, coupant court à tout panthéisme, saint Jean insiste sur l’adoration du Créateur, et à la fin de son Apocalypse, il répètera à deux reprises que les « magiciens » seront exclus de la nouvelle Jérusalem (Ap 21, 8 ; Ap 22, 15).
Enfin, dans le livre de l’Apocalypse, qui est un filet d’oralité, la lecture donnée à entendre appartient à l’ouverture du fil des sept sceaux. Et, par beaucoup de détails, cette série des sept sceaux accomplit le livre d’Ézéchiel.
Comme dans l’Apocalypse et les fléaux du 2e, 3e et 4e sceaux, Ézéchiel, prophétise la famine, les bêtes féroces et l’épée (Ez 5, 16-17) et « ce qui aura été préservé et épargné mourra de faim » (Ez 6, 2) et à nouveau l’épée afin de « détruire vos hauts lieux » (Ez 6, 3), les hauts lieux étant des lieux de culte qui étaient contaminés par le culte des Baals, un culte avide de sang (cf. 1R 18, 28).
Dans le livre d’Ézéchiel, il s’agissait de châtier les abominations d’ordre cultuel, spécialement celles qui sont commises dans l’enceinte du Temple (Ez 8, 6). Ensuite, Ézéchiel fait la description du Temple futur et de la source qui en jaillira (Ez 40–47). De même, dans ce fil de l’Apocalypse, les douleurs doivent amener une purification en vue d’une véritable adoration. À la purification succède le jugement ultime (6e sceau), réclamé par les martyrs (5e sceau). Et le Temple entrevu par Ézéchiel se réalise quand ceux qui sont revenus de la grande tribulation se tiennent devant le Trône de Dieu, « et Le servent, jour et nuit, dans Son Temple », couverts par la Tente du Saint des Saints, abreuvés au jaillissement de la vie divine (Ap 7, 15 – 7e sceau). On peut dire qu’ils habitent le Saint des Saints : ils vivent du contact permanent avec Dieu, qui est vie, instauration de vie nouvelle, révélation, jaillissement créateur…
À la différence du livre d’Ézéchiel, il ne s’agit plus d’Israël, mais du monde entier. Ensuite, Dieu n’est plus lointain, il s’unit à ses fidèles en les marquant de son sceau (7e sceau).
Que le Seigneur vous bénisse, et puissiez vous être marqués de son sceau !
Cf. Françoise BREYNAERT, L’Apocalypse revisitée. Une composition orale en filet. Imprimatur. Parole et Silence, 2022. 377 pages. réédité en 2024
Ma traduction, faite sur la Pshitta (texte liturgique des chrétiens d’Orient)g, a reçu en 2025 l’imprimatur de la conférence des évêques de France.
1 Après ces choses-ci,
Jésus se montra, de nouveau, à ses disciples / sur la mer de Tibériade.
Il [se] montra, donc, ainsi.
2 Ils étaient ensemble : / Simon Pierre,
et Thomas, qui est dit jumeau, / et Nathanaël, celui de Cana de Galilée,
et les fils de Zébédée / et deux autres des disciples.
3 Simon Pierre leur disait :
‘Je m’en vais / pêcher des poissons !’
Ils lui disaient :
‘Et nous aussi, / nous venons avec toi !’
Et ils sortirent / et montèrent dans le bateau.
Et, cette nuit-là, / ils ne pêchèrent rien.
4 Or, lorsque ce fut le matin, / Jésus se tint debout sur le bord de la mer.
Et les disciples ne surent pas / que c’était Jésus.
5 Et Jésus leur dit :
‘Les enfants, / Auriez-vous de quoi manger ?’
Ils lui disaient : / ‘Non !’
6 Il leur disait :
‘Lancez votre filet depuis le côté droit du bateau, / et vous trouverez !’
Et ils [le] lancèrent / et ils ne purent tirer le filet,
du fait de la multitude de poissons / qu’il prit.
7 Et ce disciple que Jésus aimait / dit à Pierre :
‘Celui-ci, / c’est Notre Seigneur !’
Or Simon, / lorsqu’il entendit que c’était Notre Seigneur,
prit sa tunique, / [la] ceignit à ses reins,
parce qu’il était nu, / et se jeta dans la mer pour venir auprès de Jésus.
8 Les autres disciples, donc, / vinrent en bateau.
En effet, ils n’étaient pas très éloignés de la terre, / mais d’environ deux cents coudées.
Et ils tiraient / ce filet de poissons.
9 Or, lorsqu’ils montèrent sur la terre, / ils virent des braises disposées,
et du poisson posé sur elles / et du pain.
10 Et Jésus leur dit : / ‘Faites venir de ces poissons que vous avez pêchés maintenant !’
Et Simon-Pierre monta / et tira le filet sur la terre,
11 plein de gros poissons : / cent cinquante-trois !
Et, malgré tout ce poids, / il ne se déchira pas, ce filet-là !
12 Et Jésus leur dit : / ‘Venez déjeuner !’
Aucun des disciples n’osait… / lui demander qui il était,
car ils savaient / que c’était Notre Seigneur.
13 Or Jésus s’approcha et apporta du pain et des poissons, / et il [les] leur donna.
14 Ce fut la troisième fois que Jésus se fit voir à ses disciples, / lorsqu’il ressuscita d’entre les morts.
15 Or, lorsqu’ils eurent déjeuné, / Jésus dit à Simon-Pierre ;
‘Simon, fils de Yona [colombe], / m’aimes-tu plus que ceux-ci ?
Il lui dit : / ‘Oui, Seigneur !
Tu [le] sais, toi, / que je t’aime !
Jésus lui dit : / ‘Pais pour moi mes agneaux !’
16 Il lui dit, de nouveau, / pour la deuxième fois :
‘Simon, fils de Yona, / m’aimes-tu ?
Il lui dit : / ‘Oui, Seigneur !
Tu [le] sais, toi, / que je t’aime !
Jésus lui dit : / ‘Pais pour moi mes moutons !’
17 Il lui dit, de nouveau, / pour la troisième fois :
‘Simon, fils de Yona, / m’aimes-tu ?’
Et Pierre fut attristé de ce qu’il lui dit pour la troisième fois : / ‘m’aimes-tu ?’
Et il lui dit : / ‘Seigneur, toi tu connais tout,
Tu [le] sais, toi, / que je t’aime !’
Jésus lui dit : / ‘Pais pour moi mes brebis !’
18 ‘Amen, Amen, / je [te] le dis :
Quand tu étais jeune, / toi-même, tu ceignais tes reins,
et tu marchais / là où tu voulais.
Mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, / et un autre te ceindra les reins,
et il t’emmènera / là où tu ne voulais pas.’
19 [Or, il dit cela, pour indiquer par quelle mort il allait glorifier Dieu.]
Et lorsqu’il eut dit / ces choses-ci,
il lui dit : / ‘viens à ma suite !’ »
Acclamons la Parole de Dieu.
Le commentaire est extrait de : Françoise BREYNAERT, Jean, l’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020. 477 pages.
Le Ressuscité était d’abord apparu à Jérusalem, lieu du deuil (Jn 20). Ici, il apparaît à sept apôtres qui pêchent sur la « mer de Tibériade » (Jn 21, 1). Leur retour sur les lieux où beaucoup d’événements se sont déroulés permet aux apôtres de vérifier ce qui est incertain dans leur mémoire. Ils mettent en ordre les éléments nombreux qui vont constituer le trésor de leurs souvenirs communs ; ce que la première Église appellera « les mémoires des apôtres ».
Ils vont à la pêche, mais ils n’ont rien pris jusqu’à ce que le Seigneur leur dise de jeter le filet à droite, alors la pêche est surabondante. Le filet est rempli de 153 gros poissons. Dans la géographie de ce temps-là, le chiffre 153 évoque l’ensemble des nations, que l’Evangile fera sortir des ténèbres, grâce au travail des apôtres, qui ne peuvent rien par eux-mêmes mais que le Ressuscité guidera.
À la suite de cette pêche miraculeuse, Jésus demande trois fois « Pierre, m’aimes-tu ? » En araméen, le verbe aimer est toujours le même verbe [rHm], exprimant l’amour affectueux.
Oui, Pierre aime Jésus et Jésus lui donne trois ordres :
Pais mes agneaux [emrā] ! : il s’agit des catéchumènes et des nouveaux baptisés.
Pais mes moutons [erbā] ! : ce sont les chrétiens adultes.
Pais mes brebis portantes [nqawāṯ] ! : ce sont tous ceux qui font naître de nouveaux chrétiens : les missionnaires, les maîtresses de maison qui accueillent les petits du royaume, les diacres, les prêtres et les évêques qui donnent les sacrements.
Puis Jésus lui annonce : « Quand tu seras vieux, tu étendras les mains et un autre t’emmènera là où tu ne voulais pas » (Jn 21, 18). Jésus lui annonce à la fois une grande fidélité à la volonté divine, et la mort du martyre, à la suite du Christ dans sa Passion.
L’évangile de Jean est un aussi un filet d’oralité, de sorte qu’une lecture transversale est possible. Dans mon livre, Jean, l’évangile en filet, je montre qu’il y a six fils transversaux, ou verticaux, que j’appelle A B C D E F. Par exemple, le fil « C » annonce l’esprit des sacrements avec le discours du Pain de Vie pour l’Eucharistie et la guérison de l’aveugle-né pour le baptême. Etc.
L’épisode de la pêche miraculeuse et du repas avec le ressuscité fait partie du Fil E qui commence avec le dialogue de Jésus avec Nicodème ; il lui dit qu’il faut renaître de l’eau et de l’Esprit (Jn 3, 5) pour accéder au règne de Dieu (perle 1E). Dans ce fil, on trouve aussi le récit de la crucifixion de Jésus, et la Mère de Jésus est donnée au disciple, pour sa nouvelle naissance (perle 7E). Auprès du Ressuscité, le geste de Pierre qui revêt sa nudité (Jn 21, 7 perle 8E) annonce la régénération d’Adam, sa renaissance de l’eau et de l’Esprit (perle 1E). Il y a une cohérence du fil vertical.
Le dialogue de Jésus avec Simon-Pierre fait partie du fil vertical F, le dernier. Dans ce fil, la perle qui précède ce dialogue est la vision du côté transpercé de Jésus (Jn 19, 34 perle 7F). Sa mort, dans un déchirement du myocarde, prépare le dialogue entre Simon-Pierre et Jésus ressuscité ─ « m’aimes-tu ? ».deded La triple question fait avancer le dialogue et répare le triple reniement de Pierre. Par trois fois, elle suscite chez Pierre la parole « je t’aime », et ce faisant, elle le vivifie, le réengendre à la vie d’amour, qui est la vie en Dieu. Ce dialogue du Ressuscité complète aussi la vocation de Pierre : « Pais ─ mes agneaux, ─ mes moutons, ─ mes brebis ddddd» (Jn 21, 15-17). Il y a en Pierre l’harmonie qui rend solide : l’amour pour comprendre, et la droiture de l’intelligence pour aimer. Pierre aime et c’est pourquoi il peut conduire le troupeau. Le Fils a fait connaître le Père, et, pour guider les autres dans cette connaissance, il faut aimer.
La méditation en fil vertical donne une profondeur insoupçonnée à cette scène inoubliable. On se souvient de la parole de Jésus « le Père est en Moi et Moi dans le Père » (Jn 10, 38 perle 4F). À travers Jésus Ressuscité, c’est le Père lui-même qui réengendre et bénit Simon-Pierre en lui donnant sa nouvelle vocation de pasteur. Puis, par deux fois, le Ressuscité dit à Pierre : « Suis-moi ». Il lui donne ainsi une direction, ce qui est aussi une action paternelle, une parole du Père qui habite en Jésus.
N.B. Les vieilles syriaques n’ont pas ces détails et il est important d’utiliser la Pshitta, la version liturgique des églises araméophones.
La Pshitta donne « Simon Pierre » en Jn 21, 15.20.21 (perle 8F) comme en Jn 20, 2 (perle 8A), ce qui permet de tenir les deux derniers angles du filet (perle 8A et 8F). Alors que SyrS, qui a aussi « Simon Pierre » en Jn 20, 2, n’a que « Simon » en Jn 21, 15.20.21.
SyrS omet « pour la deuxième fois (Jn 21, 16) et « pour la troisième fois » (v. 17). Surtout, SyrS met les brebis (v. 16) avant les moutons (v. 17), sans doute comme dans la hiérarchie de la famille patriarcale : les agneaux (les enfants), les brebis (les femmes), les moutons (les hommes). Alors que dans la Pshitta, il s’agit de voir les agneaux (les catéchumènes), les moutons (les adultes dans la foi), les brebis portantes (ceux qui enseignent), un crescendo qui concerne la croissance de l’Église auquel Pierre doit veiller comme un bon berger.
Date de dernière mise à jour : 20/03/2025