Le cosmos, le Christ

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Etude : F. Breynaert, Parcours christologique, Parole et Silence 2016, p. 187-194

Exercices : 

1) Jésus est Dieu, il est créateur, il a puissance sur la création. Donnez des exemples. 

2) Jésus est Fils et il est Sagesse de Dieu. Le péché nous détourne de Dieu, et nous fait perdre la Sagesse. Le Fils de Dieu s'est incarné pour nous sauver. 

Retrouvez cet enseignement chez saint Anselme. 

3) Réfléchissez à l'actualité de ce chapitre. Vous pouvez vous inspirer de cette réfléxion concernant notre époque : 

"Que la nature ait une raison mathématique, c’est devenu, pour ainsi dire, de l’ordre d’une évidence ; que s’exprime aussi en elle une raison morale, cela, on l’écartera comme des sornettes métaphysiques. La disparition de la métaphysique va de pair avec la disparition de la doctrine de la création. /.../ Nous devons montrer à nouveau ce que cela signifie que le monde ait été créé « avec sagesse », et que l’acte créateur de Dieu est fondamentalement autre chose que le déclanchement d’une « explosion primordiale ». Alors seulement, conscience et norme pourront être aussi resituées dans un juste rapport mutuel. Car alors il deviendra clair que la conscience morale (Gevissen) n’est pas un calcul individualiste (ou collectiviste), mais une conscience (Mit-wissen), une science reliée à la création, et à travers elle au Dieu Créateur. Alors on pourra de nouveau percevoir que la grandeur de l’homme ne consiste pas dans l’autonomie mesquine d’un nain se proclamant maître tout-puissant, mais dans le fait que sa nature est ouverte à une sagesse supérieure, à la vérité elle- même." (« Les difficultés en matière de foi dans l'Europe d'aujourd'hui ».  Cardinal Joseph Ratzinger Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Rencontre des Commissions doctrinales européennes, 2 mai 1989)

4) Le monde a été créé bon, et à la Fin des temps, il sera régénéré comme terre nouvelle et cieux nouveaux, récapitulé dans le Christ au moment de sa Venue glorieuse. Un approfondissement de cette persective est donnée ici : http://lavenueglorieuseduchrist.e-monsite.com/

Le cosmos, le Christ et sa mère immaculée (St Anselme, XI° siècle)

Le cosmos, le Christ, et l’Immaculée

« C’est en lui qu’ont été créées toutes choses » (Col 1, 16)

           

            Dès lors que le Christ unit la nature humaine et la nature divine sans confusion ni séparation (concile de Chalcédoine), nous comprenons que le cosmos tout entier est appelé à une union avec Dieu, sans confusion ni séparation.

            L’Apocalypse nous apprend qu’au terme de notre histoire marquée par le péché, le Créateur, fidèle à sa création, fera une terre nouvelle et des cieux nouveaux, où il sera lui-même la lumière et le Temple…

            Par ailleurs, saint Maxime le Confesseur nous a appris l’importance de l’âme : c’est dans son âme humaine que le Christ unit à Dieu sa volonté humaine. La transfiguration du cosmos met aussi à contribution notre volonté humaine, notre âme, et, celle en qui est comme la fine fleur de l’humanité, Marie immaculée.

            Le thème du cosmos mérite d’être déployé dans toute sa splendeur. Exceptionnellement, nous allons tracer dans ce chapitre une vaste fresque qui traverse les siècles jusqu’à Jean-Paul II. Au chapitre suivant, nous reprendrons l’ordre du développement doctrinal (au Moyen Age).

La création

            L’Ancien Testament[1] affirme la vanité des idoles, ce qui constitue aussi une désacralisation du monde. En même temps, l’Ancien Testament est la longue histoire d’Alliance d’un peuple avec le Dieu de ses pères, qui se révèle comme le Créateur de l’univers. Dieu est donc transcendant par rapport au cosmos, et en même temps, il est intime, il est « partenaire d’Alliance ».

 

Le Christ et la création dans le Nouveau Testament

            Le rapport du Christ à la création est tout d’abord une révélation que le Christ fait de lui-même. Rappelons quelques exemples :

            Ses nombreuses guérisons provoquent des controverses liées à l'activité de Dieu le jour du Shabbat. Dans le texte de Genèse 2, 2-3, le 7° jour est marqué d’une ambiguïté : Dieu « acheva » et « se reposa ». Les traductions du Targum optent pour l’un et/ou l’autre[2]. Guérir c’est parfaire la création, c’est l’achever, c’est donc faire l’œuvre de Dieu le jour du Shabbat.

            Lorsqu’il guérit l’aveugle-né, Jésus fait de la boue, comme Dieu le créateur (Gn 2), Jésus se révèle par ce geste.

            Un jour, Jésus marche sur la mer pendant une tempête, il monte dans la barque, et le vent tombe. Ce qui est remarquable, c’est qu’à ce moment-là les disciples sont effrayés pour de bon : « Ils étaient complètement bouleversés de stupeur » (Mc 6, 51). Benoît XVI commente : « La peur initiale des disciples de voir un fantôme s’avère sans objet, mais leur crainte n’est pas apaisée pour autant, elle augmente, au contraire, à l’instant même où Jésus monte dans la barque et où le vent tombe brusquement. Il s’agit à l’évidence d’une crainte typiquement "théophanique", celle qui s’abat sur l’homme quand il se voit immédiatement confronté à la présence de Dieu lui-même […] C’est la "crainte de Dieu" qui envahit les disciples. Car marcher sur l’eau est le fait de Dieu : "A lui seul il déploie les cieux, il marche sur la crête des vagues", peut-on lire dans le Livre de Job au sujet de Dieu (Jb 9,8) […]. Le Jésus qui marche sur les eaux n’est pas simplement le Jésus familier ; en lui les disciples reconnaissent soudain la présence de Dieu lui-même »[3].

            Les épîtres ne font que commenter ce que Jésus a lui-même révélé : Dieu, « en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles » (Hé 1,2). « La création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19), et, comme l’a bien compris saint Athanase[4], le Christ, par son incarnation, sa mort et sa résurrection, est l’aîné d’une multitude de frères (Rm 8, 29), et c’est en ce sens que, sans être l’une des créatures comme le pensaient les ariens, le Christ est dit « Premier-né de toutes les créatures » (Col 1, 15).

« Car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses,

dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles,

Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances;

tout a été créé par lui et pour lui.

Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui » (Col 1, 16).

            Les textes apocalyptiques (Lc 23 ; Ap 20 ; etc.) nous expliquent que cette terre va disparaitre, ce monde va passer, mais Dieu est fidèle à sa création et il y aura une terre nouvelle et un ciel nouveau. Cela, c’est l’œuvre de Dieu. Le cosmos actuel nous parle de Dieu, mais de manière imparfaite puisqu’il a été abîmé par la chute des anges et des hommes. Le Rédempteur soumet les puissances mauvaises (Col 1, 16-20), et, au moment du jugement dernier quand il aura tout soumis, le cosmos sera renouvelé.

 

Les pères de l’Eglise, le « Logos » et la fidélité de Dieu à sa création

            Les pères de l’Eglise ont aussi médité cette perspective de la christologie.

            La première étape de la réflexion a consisté à contempler le Christ comme étant le Logos qui donne son ordonnancement au cosmos.

            En attendant la rénovation du cosmos, nous pouvons connaitre Dieu à partir du cosmos actuel (Rm 1, 20), mais d’une manière imparfaite : nous avons besoin de la révélation du Christ, logos incarné : « Car tout le bien que les philosophes et les législateurs ont découvert et exprimé, ils l’ont reçu grâce à leur recherche et à leur étude sous la conduite partielle du Logos. Mais ceux qui n’ont pas connu le Logos dans sa totalité, qui est le Christ, se sont souvent contredits eux-mêmes »[5].

            Dans la pensée des pères de l’Eglise, la révélation de Dieu comme Créateur qui fait alliance est toujours sous-jacente : Dieu est distinct de la création, et en même temps il est proche, fidèle. Quand les pères de l’Eglise disent que le Christ est le Logos (saint Irénée, Justin, Clément d’Alexandrie, Origène, etc.), ils ne veulent pas dire que le Christ serait l’ordre du monde selon une doctrine panthéiste. Ils ne veulent pas non plus dire qu’il serait un intermédiaire nécessaire pour combler la distance avec un Dieu qui nous serait éloigné par une séparation absolue. Il a fallu d’abord réfuter les erreurs de Valentin et de Marcion qui considéraient que le Dieu créateur ne serait que le Dieu de l’Ancien Testament, un dieu inférieur, tandis que le Christ serait le Fils d’un autre Dieu, inconnu jusque-là. Pour cela, il fallait souligner la continuité de l’Ancien et du Nouveau Testament[6].

            Ensuite, il a fallu encore travailler contre deux erreurs opposées : quand on dit que le Christ est le Logos, la parole de Dieu, on ne parle ni d’une force émanant de la divinité (modalisme), ni d’un intermédiaire inférieur à Dieu (arianisme), on parle d’un médiateur, de quelqu’un qui est pédagogue, sauveur, divinisateur.

            Une autre dimension de la réflexion des pères de l’Eglise a consisté à réfléchir sur la rénovation du cosmos. Le royaume est comme un levain dans la pâte. Commentant l’Apocalypse, saint Irénée donne un enseignement[7] sur la Venue glorieuse du Christ inaugurant le jugement et le royaume des justes devant les accoutumer à l'éternité. Cet enseignement d’Irénée met en lumière la fidélité de Dieu à sa création et la cohérence de son dessein. Saint Augustin n’a pas oublié que « c’est dans la transformation des êtres… que ce monde passera. »[8]. Mais, gêné sans doute par les descriptions exubérantes de saint Irénée, il imagine que toute cette transformation sera vécue sur la terre, dans le temps de l’Eglise, qu’il identifie aux « 1000 ans » dont parle l’Apocalypse (Ap 20, 1-4). Saint Augustin porte le germe du millénarisme qui prétendra « accomplir dans l’histoire l’espérance messianique qui ne peut s’achever qu’au-delà de l’histoire », soit sous la forme intrinsèquement perverse d’un « messianisme sécularisé », soit sous la forme « d’un faux mysticisme » (CEC 676). Heureusement, en associant les 1000 ans à tout le temps de l’Eglise, Augustin évitait au moins pour lui-même une telle dérive.

           

Christologie et mariologie se complètent et se répondent

            Le rapport entre le Christ et le cosmos implique bel et bien la réponse de l’Eglise, sans pour autant qu’il faille attendre une rénovation complète du cosmos avant la Venue glorieuse du Christ. La clé de voûte qui maintient l’équilibre entre le déjà-là et le pas encore, c’est Marie. Plusieurs auteurs l’ont particulièrement bien exprimé, en particulier saint Nicolas Cabasilas, ou saint Anselme.

            Considérant que c’est aussi par Marie, par laquelle le Christ s’est incarné, que le cosmos est restauré, saint Anselme comprend, dans la foi, que la création entière, terrestre et angélique, est toute entière restaurée dans le Christ, en Marie immaculée. Cette réflexion permet de situer le discours christologique dans la théologie de l’Alliance, où la réponse humaine est importante. De plus, Marie immaculée anticipe la beauté resplendissante des réalités ultimes.

            Héritier des pères de l’Eglise, qui, depuis saint Irénée, savaient voir Marie dans le vaste plan créateur de Dieu, saint Anselme montre le rôle de Marie dans la restauration du cosmos. La création tout entière gémit dans l’attente de la révélation des fils de Dieu (cf. Rm 8, 19-22). La nature est faite pour que les hommes louent Dieu[9], mais les hommes ont été idolâtres, et les choses ont perdu leur vitalité. Dieu est à l’origine des choses créées, et Marie est la mère des choses recrées, en tant que mère du Christ rédempteur.

            C’est le même qui est engendré par le Père de toute éternité et enfanté par Marie, selon l’humanité, comme l’enseignaient les conciles de Nicée et de Chalcédoine.

 

  « Ciel, étoiles, terre, fleuves, jour, nuit et toutes les créatures qui sont soumises au pouvoir de l’homme ou disposées pour son utilité se réjouissent, O Notre Dame, d’avoir été par toi d’une certaine manière ressuscités à la splendeur qu’ils avaient perdue, et d’avoir reçu une nouvelle grâce inexprimable.

 

  Les choses étaient comme mortes car elles avaient perdu la dignité originelle à laquelle elles avaient été destinées.

  Leur but était de servir à la maîtrise ou aux nécessités des créatures auxquelles appartenait de faire monter la louange vers Dieu.

  Elles étaient écrasées par l’oppression et avaient perdu leur vitalité par l’abus de ceux qui s’étaient faits serviteurs des idoles. Mais elles n’étaient pas destinées aux idoles.

 

  Maintenant par contre, presque ressuscitées, elles se réjouissent d’être soutenues par la maîtrise et embellies par l’usage des hommes qui louent Dieu.

  Elles ont exultées comme d’une nouvelle et inestimable grâce en entendant que Dieu lui-même, leur Créateur, non seulement invisiblement les gouverne d’en haut, mais est aussi présent parmi eux visiblement, et les sanctifie en se servant d’elles.

  Ces biens si grands sont venus du fruit béni du sein béni de Marie bénie.

 

  Par la plénitude de ta grâce les créatures qui étaient aux enfers [c’est-à-dire les défunts] se réjouissent dans la joie d’être libérées, et celles qui sont sur la terre se réjouissent d’être renouvelées.

  En vérité par le fils glorieux même de ta virginité glorieuse, tous les justes exultent, libérés de leur asservissement, et ceux qui sont morts avant ta mort vivifiante se réjouissent avec les anges parce qu’elle est refaite nouvelle leur ville démolie.

   O femme pleine et surabondante de grâce, chaque créature reverdit, inondée du débordement de ta plénitude.

  O Vierge bénie, par tes bénédictions chaque créature est bénie par son Créateur, et le Créateur est béni par chaque créature.

  A Marie Dieu donna le Fils unique qu’il avait engendré de son sein égal à lui-même et qu’il aimait comme lui-même, et de Marie il modela le Fils, pas un autre mais le même, de manière que selon la nature ce fût le seul fils commun à Dieu et à Marie. Dieu créa chaque créature, et Marie engendra Dieu : Dieu qui avait tout créé se fit lui-même créature de Marie, et a ainsi récréé tout ce qu’il avait créé. Et alors qu’il avait pu créer toutes les choses du néant, après leur ruine, il ne voulut pas les restaurer sans Marie. Celui qui a créé de rien toutes les choses n’a pas voulu les restaurer, après leur ruine, sans se faire d’abord fils de Marie.

 

  Dieu est donc le Père des choses créées ; Marie est la mère des choses récréées.

  Dieu est Père de la fondation du monde, Marie la mère de sa réparation, car Dieu a engendré celui au moyen de qui tout a été fait, et Marie a accouché de celui par qui toutes les choses ont été sauvées.

  Dieu a engendré celui sans qui absolument rien n’existe, et Marie a accouché de celui sans lequel rien n’est bien.

  Vraiment le Seigneur est avec toi, lui qui voulut que toutes les créatures, et lui-même, te doivent tant »[10].

 

Saint Jean-Paul II

            Fidèle à l’antique tradition, saint Jean-Paul II, en parlant du Christ rédempteur, met en perspective toute la création :

« Le Rédempteur du monde ! En Lui sest révélée, dune manière nouvelle et plus admirable, la vérité fondamentale sur la création que le livre de la Genèse atteste quand il répète à plusieurs reprises: «Dieu vit que cela était bon».

Le bien prend sa source dans la sagesse et dans lamour. En Jésus-Christ, le monde visible, créé par Dieu pour l’homme - ce monde qui, lorsque le péché y est entré, a été soumis à la caducité -, retrouve de nouveau son lien originaire avec la source divine de la sagesse et de lamour ».[11]

© Françoise Breynaert


[1] On se référera à F. BREYNAERT, Parcours biblique, Parole et silence 2016, en particulier sur Genèse 2-3 puis Genèse 1.

[2] Targum Onkelos (targum officiel du Pentateuque) : Dieu se réjouit et se repose le 7e jour. Targum Jonathan (targum officiel des prophètes) : Dieu acheva et se reposa le 7° jour. Targum Néofiti I : La Parole de Yahvé acheva et il y eut Shabbat et repos en sa présence le 7° jour. Septante : Dieu acheva le 6° jour et se reposa le 7°. Samaritains : Dieu acheva le 6° jour et se reposa le 7° jour.

[3] J. RATZINGER BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, Paris 2007, p. 379-380.

[4] Cf. St ATHANASE, Contre les Ariens II, 62-63 : PG 26. 277-280.

[5] St JUSTIN, Apologie II, 10, 1

[6] D’où l’importance, pour le lecteur de ce parcours de christologie, d’avoir suivi aussi le Parcours biblique.

[7] Saint IRENEE, Contre les hérésies, livre V, 31-36

[8] Saint AUGUSTIN, La Cité de Dieu, Livre XX, 14

[9] Le récit de Genèse 1 est une procession liturgique.

[10]ST ANSELME, Oratio 52, PL 158,956 A, citée dans la Liturgie des heures, 8 décembre, office des lectures

[11]JEAN PAUL II, Lettre encyclique Redemptor hominis § 8

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Date de dernière mise à jour : 15/07/2019