Immaculée Conception et Christologie

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Etude : F. Breynaert, Parcours christologique, Parole et Silence 2016, p. 229-244

Exercices :

1) En quoi le dogme de l'Immaculée conception de Marie est-il un dogme christologique ? 

2) En quoi le dogme de l'Immaculée conception nous concerne-t-il ? 

 

L'Immaculée conception, un développement christologique

Dogme de l’Immaculée conception (1854) et christologie

« Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi » (Lc 1, 28)

           

            L’Immaculée, c’est un mystère de lumière et d’amour.

            Le mot immaculé signifie sans tache. Comme un linge propre. On pense par exemple à la neige si blanche avec le soleil qui fait briller ses cristaux. Dans les apparitions de Lourdes, il y a la lumière. A la Salette les deux enfants voient une lumière, ils étaient pris dans cette lumière, et ils pensaient que tout le monde avait vu cette lumière. A Fatima, la voyante dit que cette lumière, c’était Dieu.

            Nous sommes dans un monde qui nous remplit de tristesse parce qu’on y entend des choses mauvaises. Quand on pense à Marie, on a une joie qui nous monte au cœur, et l’on se dit, c’est beau, c’est ce que je désire. Dans le sermon sur la montagne, Jésus nous apprend la bonté, l’amour de notre famille et de nos ennemis. L’Evangile ne consiste pas d’abord à dénoncer des péchés, c’est d’abord, comme disent les exégètes, une Torah nouvelle : un guide. C’est parce que l’on a vu Jésus, que l’on comprend que l’on a été sauvé du péché originel. C’est parce qu’on comprend l’amour, qu’on comprend que s’endurcir dans la colère, ce n’est pas bien. La colère ne peut être qu’un bref moment de réaction contre quelque chose de mal, c’est alors une passion neutre, mais elle ne doit pas rester en nous.

            Jésus nous apprend à avoir compassion des pécheurs : si quelqu’un est voleur, s’il est retord, s’il est menteur… Qu’arrivera-t-il au jugement dernier ? Il aura les mains vides, il aura tout ce qu’il a fait de blessant à regarder, il aura à demander pardon, il aura une certaine souffrance dans sa purification, s’il est encore assez droit pour désirer se purifier…

            Marie non seulement est pure, mais en plus, au pied de la croix, elle a la compassion. Elle est la pietà, notre Dame de pitié, elle élève les mains dans l’intercession. C’est pourquoi elle reste l’immaculée. Si elle avait été en colère contre les méchants, elle aurait perdu l’amour, elle ne serait plus dans la lumière.

            L’immaculée, c’est un mystère de lumière et d’amour. C’est un mystère qui anticipe la gloire du Royaume des Cieux.

 

La connexion entre la doctrine mariale et la doctrine christologique

            Sans doute vous souvenez-vous qu’au centre du Credo de Nicée Constantinople, la Vierge Marie est mentionnée au moment de l’Incarnation. De même, les conciles d’Ephèse et de Chalcédoine parlent de Marie comme Mère de Dieu, alors que le centre des discussions de ces conciles est l’union des deux natures, nature divine et nature humaine, dans le Christ. Ainsi, les dogmes concernant Marie sont complètement connectés à la christologie. Nous verrons que le dogme de l’Immaculée conception est un « dogme marial » qui est aussi un discours sur le Christ, et notamment, le Christ en tant que Rédempteur : Marie est préservée du péché originel par un effet anticipé de la Rédemption du Christ.

 

La maturation, les bases doctrinale du dogme de 1854

            Pendant des siècles, on avait observé que l’ange Gabriel saluait Marie comme « pleine de grâce », elle était donc déjà pure avant l’Incarnation, mais on ne précisait pas qu’elle fut conçue immaculée.

            On avait aussi observé que Jean-Baptiste dans le sein de sa mère, avait tressailli au moment de la Visitation[1] ; il avait été sanctifié, en vue de sa grande mission de précurseur du Messie. Combien plus Marie devait-elle avoir été sanctifiée en vue de sa grande mission de mère du Christ !

            Mais, pendant des siècles, on se contentait d’affirmer la sainteté de Marie de manière générale, sans se confronter à la doctrine du péché originel, qui a aussi eu besoin de mûrir au cours des siècles (cf. le concile de Trente, 1546).

            Duns Scot (1265-1308) écrit : « Marie ne contracta pas le péché originel justement à cause de l’excellence de son Fils, dans ce sens qu’Il est rédempteur, réconciliateur et médiateur »[2]. Marie a donc cette grâce par anticipation. Duns Scot hérite aussi des pères de l’Eglise (par exemple saint Irénée) qui situaient Marie dans le vaste plan créateur : Marie est celle en qui le plan créateur et rédempteur réussit.

            Avant d’en arriver au dogme de 1854 disant que la mère de Jésus était exempte du péché originel, il était aussi nécessaire de clarifier la notion de péché originel et de grâce. Ce fut l’œuvre du concile de Trente en 1546 et 1547.

            Le concile de Trente s’oppose à l’antique erreur de ceux qui pensent que nos propres forces suffisent à enlever le péché originel. Il précise que le péché originel est un « état pire » et une « mort de l’âme », à la fois une corruption (qui amène la mort du corps) et une tache morale (la mort de l’âme) ; mais il n’est un « péché » qu’au sens analogique, c’est plutôt un « état »[3].

            En conséquence, si l’on dit que Marie est indemne du péché originel, ce n’est certainement pas par ses forces seules, mais c’est par grâce, et parce qu’elle coopère à la grâce qu’elle a reçue. La Vierge Marie est donc « sauvée », et l’on parlera de la grâce de sa conception immaculée « en vue des mérites de son Fils ».

            Par ailleurs, les réformateurs protestants « enseignaient que l’homme était radicalement perverti et sa liberté annulée par le péché des origines ; ils identifiaient le péché hérité par chaque homme avec la tendance au mal ("concupiscentia"), qui serait insurmontable » (CEC 406). En conséquence, les protestants ne voyaient le salut qu’à la manière d’un vêtement extérieur, le fond de l’homme demeurant mauvais.      

            Au contraire, le concile de Trente précise soigneusement que l’état déchu ne peut effectivement pas être vaincu par l’homme, cependant, la tendance au mal (la concupiscence) n’est pas un état insurmontable : chacun peut et doit la combattre. Ce n’est pas parce qu’on a une mauvaise pensée que l’on est mauvais, mais chacun peut et doit combattre la mauvaise pensée. Les catholiques voient le salut à la manière d’une grâce qui touche notre être profond. Par le baptême et l’union à la mort et à la résurrection du Christ, l’homme a retrouvé son « tropisme »[4] vers Dieu. Autrement dit, en vivant notre baptême, par l’union au Christ, l’orientation vers le mal est vaincue, mais nous devons encore lutter pour adhérer à cette grâce et y être fidèle. Le concile de Trente dit en effet aussi que la grâce appelle notre coopération et notre persévérance[5]. Telle est la doctrine catholique.

            Ces bases doctrinales étant posées, nous comprenons l’enjeu du dogme de l’Immaculée conception. La Vierge Marie, par la grâce de sa conception immaculée, est orientée vers Dieu, attirée par Dieu, c’est pourquoi elle donne son Oui à Dieu « sans que nul péché ne la retienne »[6]. Elle est née dans un monde corrompu, mais elle n’a jamais péché, et nous pouvons l’admirer car Marie a eu le mérite de rester fidèle à la grâce qu’elle a reçue (contrairement à la première Eve) : sa conception immaculée n’enlève rien au mérite de sa sainteté personnelle.

           

Le contexte pastoral de la proclamation du dogme

            La doctrine ayant suffisamment mûrie, il a été possible de proclamer le dogme. En outre, le contexte du XIX° siècle manifestait que ce dogme était utile d’un point de vue pastoral. En effet, la société occidentale du XIX° siècle connaît à la fois un essor du rationalisme et un essor du spiritisme.

            Au plan culturel, le XIX° siècle comporte des germes opposés à la foi chrétienne. Certains auteurs approuvent ouvertement Judas et Satan lui-même ! On ne voyait plus le danger du satanisme[7]. Le dogme de l’Immaculée conception sous-entend la doctrine du péché originel et de l’action de Satan. Ce dogme remet en lumière la gravité du combat contre le mal. Jésus est le rédempteur pour détruire les œuvres du diable (1Jn 3, 8), et cela en montant sur une croix. On ne peut pas banaliser les œuvres sataniques.

            Au plan philosophique, les romantiques et un grand nombre de philosophes au XIX° siècle répandaient les idées d’innocence générale (l’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt…). Le christianisme n’est pas naïf, il sait que l’homme naît dans une nature déchue avec une tendance au mal. Nos enfants sont certes charmants, mais ils vivent des combats spirituels et ont besoin de la grâce du Christ pour retrouver ce que j’appelle le « tropisme » vers le bien. Le dogme de l’Immaculée conception rappelle que l’homme a besoin d’être sauvé et que l’homme ne se sauve pas par lui-même. Le dogme fait grandir l’humilité de la foi et constitue une barrière à une vision de l’homme qui serait euphorique ou auto-référentielle.

            De plus, ce dogme nous remplit de joie et nous fait contempler la beauté de cette femme que Jésus en croix a désignée au disciple par ces mots « voici ta mère ».

 

Le dogme (1854)

            Le dogme de l’Immaculée conception est avant tout un émerveillement, une louange de Dieu qui « est ineffable » (Ineffabilis Deus), et une louange de Marie, en qui le projet du Créateur a pu réussir. Les Orientaux expriment leur louange par des hymnes liturgiques, mais les Occidentaux ont aussi le sens de la louange, à travers les dogmes mêmes.

            Après une longue synthèse de la Bible et de la tradition, Pie IX donne cette définition :

 

« Par l’autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, et par la Notre, Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine selon laquelle la bienheureuse Vierge Marie fut dès le premier instant de sa Conception, par une grâce et un privilège spécial de Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute souillure de la faute originelle, est révélée de Dieu, et que par conséquent elle doit être crue formellement et constamment par tous les fidèles »[8].

           

            Le dogme marial est inséparable de la christologie : la grâce de sa conception immaculée est un fruit anticipé de la Rédemption du Christ. En outre, Marie est conçue immaculée en vue de sa maternité, là encore, l’aspect marial du dogme est indissociable de la christologie : « Dieu choisit et prépara, dès le commencement et avant les siècles, une Mère à son Fils unique, pour que d’elle fait chair, il naquit dans l’heureuse plénitude des temps » (Pie IX, Bulle Ineffabilis Deus)[9].

 

Les anniversaires du dogme

            50 ans après le dogme, Pie X, dans l’encyclique Ad diem illum laetissimum (1904) commente à nouveau le dogme de l’Immaculée conception : ce dogme a réveillé la foi, et favorisé une nouvelle prise de conscience que nous sommes tous appelés à être « sans tache ». Le Christ est la cause de tout, en lui nous devenons fils de Dieu, mais Marie est « la cause formelle » c’est-à-dire que nous devons être saints comme Marie est sainte.

            100 ans après le dogme, Pie XII, dans l’encyclique Fulgens corona (1953) voit en Marie celle qui n’a jamais été esclave de Satan (elle est la femme, qui en Genèse 3 écrase la tête du serpent, qui est Satan). L’Immaculée est belle, et le dogme ouvre à la théologie « la voie de la beauté », autrement dit, on comprend le dogme par une contemplation du cœur, par la beauté.

 

Le dogme repris au concile Vatican II

            Le concile Vatican II reprend, lui aussi, ce dogme. Il dit que Marie fut « rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils, unie à lui par un lien étroit et indissoluble… » (Lumen gentium 53). Le lien étroit et indissoluble qui unit Marie au Christ ne commence donc pas à l’Annonciation mais au moment même de l’Immaculée conception : dès cet instant, Marie dépend totalement des mérites et de la grâce du Christ d’une manière si profonde qu’elle est indissoluble.

            Le concile Vatican II va développer la dimension personnaliste : Marie appartient à la famille humaine pécheresse mais cela d’une manière pure, immaculée. Le Oui de Marie vient après le Oui du Père sur elle : « Ainsi Marie, fille d’Adam, donnant à la parole de Dieu son consentement, devient Mère de Jésus et, épousant à plein cœur, sans que nul péché ne la retienne, la volonté divine de salut… » (Lumen gentium 56).

            Le texte du concile intègre les traditions d’Orient (la Toute Sainte) et d’Occident (indemne de toute tache de péché) : « La Mère de Dieu la Toute Sainte, indemne de toute tache de péché, ayant été pétrie par l’Esprit-Saint, et formée comme une nouvelle créature » (Lumen gentium 56).

            Et finalement, le concile présente l’Immaculée Conception dans notre histoire : « Si l’Eglise en la personne de la bienheureuse Vierge, atteint déjà la perfection qui la fait sans tache ni ride (cf. Ep 5,27), les fidèles du Christ, eux, sont encore tendus dans leur effort pour croître en sainteté par la victoire sur le péché: c’est pourquoi ils lèvent leurs yeux vers Marie comme modèle des vertus qui rayonne sur toute la communauté des élus » (Lumen gentium 65).

            On le voit, pour le concile Vatican II comme pour la tradition qui l’a précédé, le dogme de l’immaculée conception est inséparable de la christologie : Marie est conçue immaculée par la grâce du Christ et en vue de devenir la mère du Christ. De plus, ce mystère est une source d’espérance pour l’Eglise et pour chacun de nous (pour tout le corps mystique du Christ).

 

Le dogme commenté par Jean-Paul II

            Jean-Paul II a commenté et actualisé ce dogme en y dédiant plusieurs audiences. Voici un extrait qui fait comprendre que la rédemption libère mais aussi préserve du péché (ce que sainte Thérèse de Lisieux avait fort bien compris pour elle-même).Il est donc évident que ce dogme est connecté à la doctrine concernant le Christ et l’Eglise (le corps mystique).

« Il n’échappe à personne que l’affirmation du privilège exceptionnel accordée à Marie met en évidence que l’action rédemptrice de Christ non seulement libère, mais aussi préserve du péché.

Cette dimension de préservation, qui est totale en Marie, est présente dans l’intervention rédemptrice quand le Christ, en libérant du péché, donne aussi à l’homme la grâce et la force pour vaincre l’influence du péché dans son existence.

De cette façon, le dogme de l’immaculée Conception de Marie ne voile pas, mais contribue admirablement à mettre en évidence les effets de la grâce rédemptrice du Christ dans la nature humaine.

Les chrétiens regardent Marie, la première rachetée par le Christ, celle qui a eu le privilège de ne pas être soumise un instant au pouvoir du mal et du péché, elle est le modèle parfait et l’icône de cette sainteté (cf. LG 65) à laquelle ils sont appelés dans leur vie, avec l’aide de la grâce du Seigneur »[10].

 

            Le pape Jean-Paul II, dans son encyclique sur la Mère du Rédempteur, s’appuyant sur l’Hymne aux Ephésiens, Genèse 3, 15 et Apocalypse 12, unit le fait que « Marie a été préservée de l’héritage du péché originel ».

            Il dit ensuite qu’elle « se trouve située au centre même de cette hostilité, de la lutte qui marque l’histoire de l’humanité sur la terre et l’histoire du salut elle-même. [...] Dans cette histoire, Marie demeure un signe d’espérance assurée »[11].

 

            Ainsi, le discours sur l’Immaculée conception est-il un discours sur l’œuvre rédemptrice du Christ et son accomplissement parfait : c’est un discours christologique.

 

 

© Françoise Breynaert

 


[1] « Et il advint, dès qu’Elisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l’enfant tressaillit dans son sein et Elisabeth fut remplie d’Esprit Saint » (Lc 1, 41).

[2] DUNS SCOT, En III sententiarum, d 3, q 1

[3] CONCILE DE TRENTE, Canon 3, DS 1513

[4] ST MAXIME LE CONFESSEUR, Opuscule 20, (PG 236 C D, traduction par F-M LETHEL, Théologie de l’agonie du Christ, Beauchêne, Paris 1979, p. 75-76)

[5]Cf. En particulier le chapitre 10 du décret sur la justification, en l’an 1547 (DS 1535).Une doctrine déjà présente au concile d’Orange, au temps de l’Eglise indivise. 

[6] VATICAN II, Lumen Gentium 56

[7]Par exemple, John Milton (1608-1674) magnifie la rébellion de l’ange déchu. Matthew Gregory Lewis (1775-1818) en fait le pilier d’une puissante dramaturgie. Lord Byron (1788-1824) dépeint Satan comme le défenseur de la justice et de la liberté ! Applaudi à l’opéra, célébré par les poètes, réhabilité dans les romans, loué dans les illustrés, Satan est au sommet de sa popularité ! Avec cela, le spiritisme se développe (Allan Kardec, etc.). Et, nous le savons bien, notre époque prolonge et amplifie ce que le XIX° avait semé : salons de la voyance, intellectuels admirant Judas, groupes musicaux anti-christiques, festivals de l’enfer, etc.

[8] PIE IX, Bulle Ineffabilis Deus (1854).

[9] Si Dieu a préparé pendant des siècles la mère de Jésus, il nous faut faire un parcours biblique et connaitre la lente formation spirituelle du peuple d’Israël dont la Vierge Marie hérite.

[10] JEAN PAUL II, Audience générale du 5 juin 1996, § 4

[11] JEAN PAUL II, Lettre encyclique Redemptoris Mater § 10-11

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Date de dernière mise à jour : 15/07/2019