Apollinaire. Concile de Constantinople.

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Etude : F. Breynaert, Parcours christologique, Parole et Silence 2016, p. 109-117

Exercices : 

  1. Apollinaire nie l'âme humaine du Christ. Nier l'âme, est-ce une tentation encore actuelle ? Expliquez.
  2. Le Credo du concile de Constantinople (381) ressemble à celui de Nicée (325). Expliquez.
  3. Le concile de Constantinople situe Marie à une place importante. Expliquez.
  4. Le concile de Constantinople fait prier l'Esprit Saint comme une personne divine. Commentez.

Couv christologie

L’erreur d’Apollinaire de Laodicée

Christologie 15. Apollinaire (l'hérésie où le Logos divin remplace l'âme humaine du Christ)

L’erreur d’Apollinaire de Laodicée

            L’Evangile montre que l’âme humaine que le Fils de Dieu a assumée est douée d’une connaissance humaine, qui, en tant qu’elle est humaine, ne peut pas être illimitée : Jésus « grandissait en sagesse, en taille et en grâce » (Lc 2, 52) et, par exemple, il demande : « Combien de pains avez-vous ? » (cf. Mc 6, 38, etc.). Mais en même temps, par le fait de l’union de l’humanité et de la divinité dans le Christ, Jésus connait tout ce qui convient à Dieu : il connaît le Père (Mt 11, 27...), il connait les pensées secrètes du cœur des hommes (cf. Mc 2, 8 ; Jn 6, 61, etc.), il connait les desseins divins et annonce sa Passion et sa résurrection (cf. Mc 8, 31, etc.).

 

            Apollinaire (né vers 315, mort vers 390) prétendait défendre, notamment contre les ariens, la parfaite divinité de Jésus-Christ. Sa doctrine dit que le Verbe divin (deuxième personne de la Trinité) s’est associé à un corps, mais il occupe par rapport à ce corps vivant la place de l’« intellect » ou « âme rationnelle » (nous, psychê logikê), si bien qu’il n’y a pas d’intellect humain en Jésus-Christ. Apollinaire disait cela en imaginant qu’un esprit humain aurait été, par définition, porteur du péché.

            Apollinaire parle d’un « homme céleste ». C’est une idée d’origine stoïcienne et non pas biblique. Apollinaire dissout la différence entre le divin et l’humain, entre la transcendance et l’immanence. Pour lui, la vie du Christ est exclusivement régie par la divinité. En utilisant le mot « physis » au sens de l’être qui se meut lui-même, (et non pas au sens précis de « nature » selon le concile de Chalcédoine), Apollinaire dit que le Christ n’a qu’une « physis »[1].

            Un tel langage conduit à une spiritualité qui ne sait plus prendre en compte les réalités humaines, c’est une hérésie.

            Apollinaire ayant une position importante, l’opposition à cette hérésie sera lente… Mais il faudra bien revenir à la vérité : Jésus-Christ est à la fois parfaitement Dieu et parfaitement homme, c’est-à-dire qu’il ne lui manque rien de la nature humaine, corps, âme et intellect (et il ne commet pas de péché).

 

La lente et longue opposition à Apollinaire

            L’opposition à Apollinaire consiste principalement à passer du schéma Logos-sarx (le Verbe se fait chair) au schéma Logos-anthropos (le Verbe se fait homme, avec un corps et une âme humaine).

            Rappelons que le schéma Logos-sarx venait de l’évangile de saint Jean qui était déjà confronté au docétisme. Les docètes disaient que pour que le Christ soit vraiment Dieu, il fallait que sa chair ne soit qu’une apparence, comme le masque demeure extérieur au visage (en grec dokein : paraître. On appelle cette hérésie le docétisme). Ils étaient pris de vertiges devant l’incarnation, et ils raisonnaient à travers leur idée grecque de la divinité impassible.

            L’évangéliste forgea une formule frappante pour éviter tout docétisme : « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). Autrement dit, il n’y a pas contradiction entre la Parole éternelle de Dieu – ce que Dieu dit et par quoi il fait le monde – et la chair mortelle : c’est donc bien dans un concret charnel que Dieu s’est donné. (Attention, le mot chair n’a pas le sens qu’il avait dans les lettres de saint Paul qui parlait de la chair au sens de faiblesse de la nature humaine pécheresse).

            L’évangile de Jean parlait contre les docètes. Mais Apollinaire, en remplaçant l’âme humaine du Christ par sa divinité, donna à la formule un sens exagéré auquel l’évangéliste ne pensait pas. Il fallait donc changer la formule en disant « le Verbe s’est fait homme ».

 

            Le Concile d’Alexandrie en 362, rappelle que le Fils de Dieu s’est fait homme total, à la fois pneuma (esprit, ouverture aux autres), noûs (âme raisonnable et libre) et sarx (corps charnel, relation au monde).

 

            Le Concile d’Antioche en l’an 379 au schéma Logos-sarx « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14), a définitivement substitué le schéma Logos-anthropos « le Verbe s’est fait homme ».

           

            Le Concile de Constantinople, en 381, condamne, parmi d’autres, l’hérésie d’Apollinaire (DS 151).

           

            Le Concile de Rome, en 382, explicite la condamnation d’Apollinaire en insistant sur le fait que le Christ a une âme humaine. « Nous anathématisons ceux qui disent que le Verbe de Dieu a habité dans une chair humaine à la place d’une âme raisonnable spirituelle, parce que le Fils et Verbe de Dieu n’a pas été dans son corps à la place d’une âme raisonnable et spirituelle, mais c’est notre âme (raisonnable et spirituelle) que, sans péché, il a prise et sauvée » (DS 159).Le concile de Nicée avait dit « Nous croyons …en un seul Seigneur Jesus Christ, Fils de Dieu… qui pour nous les hommes et pour notre salut est descendu… a souffert… est mort ». Le concile de Rome précise :

« (14) Si quelqu’un dit que dans la souffrance de la croix c’est Dieu qui ressentait la douleur, et non la chair et l’âme dont le Christ, Fils de Dieu, s’était revêtu - la forme d’esclave qu’il avait prise, comme dit l’Ecriture (voir Ph 2,7) il est dans l’erreur » (DS 166).

            En Jésus, Dieu nous apprend à souffrir divinement, mais ne renversons pas les choses en projetant nos souffrances sur Dieu car Dieu demeure un mystère. Le concile de Rome rappelle que la souffrance et la mort de Jésus ne sont pas la négation de la nature divine.

 

            Cette réflexion n’est pas seulement une page d’histoire révolue.

            Tout cela nous parle aussi, à notre époque marquée par Hegel et Heidegger.

            Pour Heidegger, l’homme est un être pour la mort. Mais ce que dit le concile de Rome implique que toute personne humaine qui souffre et meurt n’est pas uniquement souffrance et mort : ce n’est pas la souffrance qui donne le sens de l’être.

            Pour Hegel, il faut être dans le sens de l’histoire… Mais ce que dit le concile de Rome implique que l’histoire, avec ses souffrances et ses morts, même si elle est importante, n’est pas tout : Dieu juge l’histoire, il est au-delà de l’histoire et de la mort. Nous allons vers le Père :

« (15) Si quelqu’un ne dit pas qu’il siège à la droite du Père dans la chair dans laquelle il viendra juger les vivants et les morts, il est hérétique » (DS 167).

            Enfin, le concile de Rome encourage l’invocation et l’adoration de l’Esprit Saint, en s’opposant aux hérésies qui le diminuent :

« (16) Si quelqu’un ne dit pas que l’Esprit Saint est vraiment et proprement du Père comme le Fils, qu’il est de la substance divine et qu’il est vrai Dieu, il est hérétique » (DS 168).

 

© Françoise Breynaert


[1] Expression « Mia physis » de la Lettreà Jovian et de la Lettre à Dionysos

Le Concile de Constantinople (381)

Christologie 16. Le concile de Constantinople (381)

Le Concile de Constantinople (381)

« Joseph, fils de David,

ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme :

car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint

elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus :

car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 20-21).

 

            La profession de foi du Concile de Constantinople (en l’an 381) possède la même structure que celle du concile de Nicée (en l’an 325), qui est devenu le point de référence.

            L’image spirituelle qui est derrière les expressions doctrinales est celle de quelqu’un qui voit ses enfants se noyer : il plonge. De même, Dieu, voyant l’humanité se noyer dans le mal, plonge en s’incarnant ; il s’agit de Dieu qui s’approche de l’homme, qui rencontre l’homme en devenant homme. Une fois que l’on a compris que Jésus est Dieu (parcours biblique), la christologie part toujours de Dieu.

 

Rappel. Le concile de Nicée dit :

« Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de tous les êtres visibles et invisibles,

et en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu,

engendré du Père, unique engendré, c’est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père,

par qui tout a été fait, ce qui est dans le ciel et ce qui est sur la terre,
qui à cause de nous les hommes et à cause de notre salut est descendu et s’est incarné, s’est fait homme, a souffert et est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, viendra juger les vivants et les morts, et en l’Esprit Saint. » (Version grecque, DS 125)

 

            Le concile de Constantinople dit :

« Nous croyons en un seul Dieu Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles,

et en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu, l’unique engendré, qui a été engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait ;

qui à cause de nous les hommes et à cause de notre salut est descendu des cieux, s’est incarné de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie et s’est fait homme ; a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli, est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures et est monté aux cieux, siège à la droite du Père et reviendra en gloire juger les vivants et les morts : et son Règne n’aura pas de fin ;

et en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et donne la vie, qui procède du Père, qui avec le Père et le Fils est coadoré et coglorifié, qui a parlé par les prophètes : en une seule sainte Eglise, catholique et apostolique. Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés ; nous attendons la résurrection des morts et la vie du monde à venir. Amen. » (Version grecque, DS 150)


            Nous reconnaissons dans ce Credo la formule professée le dimanche à la messe.

 

La formule mariale

            La formule mariale de ce Concile, dans sa version littérale latine du texte grec original est : "Et Incarnatus est de Spiritu santo et Maria virgine".

            Nous voyons dans cette formule très courte, le reflet du récit de l’Annonciation à Marie : « L’ange lui répondit : "L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu »(Luc 1, 35).

            "de" : Par la préposition causale "de", l’action du verbe (incarnatus est) est rapportée en même temps à l’Esprit Saint et à la Vierge Marie, comme à un unique principe composé, divin et humain.

            "Spiritu Sancto", dans le grec original est sans l’article, qui aurait pu légitimer avec sûreté la référence à la troisième Personne de la très sainte Trinité. Cependant rien n’empêche de penser que, vu la clarification sur l’Esprit Saint faite par ce concile, les pères entendaient déjà lui donner précisément un sens personnaliste ; dans la pratique liturgique, l’Esprit Saint est invoqué et adoré.

            "et Maria Virgine", la personne de Marie est grammaticalement et doctrinalement jointe avec l’Esprit Saint comme co-principe humain de l’Incarnation et de l’humanisation du Fils de Dieu pour le salut de l’homme.

            "Maria Virgine" : extrêmement significatif est le terme "Vierge", lié à la personne de Marie comme apposition, non comme adjectif ou attribut. Le texte grec devrait être traduit : "Marie, La Vierge", il indique doctrinalement la caractéristique essentielle, l’élément significatif de l’apport humain à l’Incarnation.

            La valeur de la formule mariale du premier concile de Constantinople est d’exprimer solennellement la fonction maternelle de la Vierge Marie dans l’Incarnation du Fils de Dieu en tant que tel.

            Cette formule se rapporte aussi au but même de l’Incarnation, c’est-à-dire le Fils de Dieu s’est incarné de Marie la Vierge "pour les hommes et pour leur salut."[1]

 

La formule sur l’Esprit Saint

            Nous croyons en l’Esprit Saint « qui est Seigneur et donne la vie, qui procède du Père, qui avec le Père et le Fils est coadoré et coglorifié, qui a parlé par les prophètes » (Version grecque, DS 150). Ces précisions ont été nécessaires à cause de certaines erreurs.

 

            Pour Eunome, comme pour Arius, le Fils est inférieur au Père, il est dans la sphère du créé. L’Esprit est d’un rang encore au-dessous du Fils et d’une autre nature (ousia) que lui. L’unité de la « trias » est une unité purement hiérarchique, un rapport d’inégalité. Il prétend glorifier le Père par le Fils et dans l’Esprit, parce que tout vient du Père (ek), par le Fils (dia), dans l’Esprit (en). De cette différence dans l’usage des “particules”, il conclut à la différence des natures.

            Saint Basile[2] montre l’erreur d’Eunome. En effet, les “particules” ek (de), dia (par) et en (dans) se disent indifféremment des trois personnes divines. Ainsi ek et dia se disent de l’activité du Saint-Esprit (Mat 1, 20 ; Jn 3, 6).

           

            Les « pneumatocoques » croient que Jésus est de nature divine, mais, en observant le verset « il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes » (1Co 8, 6), puisque l’Esprit Saint n’est pas nommé dans ce verset, ils en déduisent que l’Esprit Saint n’est pas de nature divine.

            Contre cette erreur, il est aisé de remarquer (comme saint Basile) que l’Esprit est dit “Seigneur” (2Co 3, 17-18) et partage avec le Fils celle de “Paraclet” (Jn 14, 26).

           

            Les « tropiques » ont compris que le Fils est consubstantiel au Père parce qu’il est engendré, mais ils en déduisent que l’Esprit Saint n’est pas consubstantiel au Père parce que l’Ecriture ne dit jamais qu’il soit engendré.        

            C’est à cause de ce raisonnement faux que l’Eglise introduit le mot « procession ». L’Esprit procède (ekporeuetai) du Père : ce mot désigne l’origine d’un vivant à partir d’un autre vivant sous un autre mode que la génération.

 

            Ces trois hérésies ne lisent pas l’Ecriture sainte entièrement, elles sélectionnent quelques passages et donnent trop d’importance à des raisonnements, par exemple, sur la grammaire. Elles sont graves parce qu’elles reviennent à dire que la vie dans l’Esprit Saint n’est pas la vie divine. En défendant la divinité de l’Esprit Saint, l’Eglise défend son propre accès à Dieu.

 

            Le Credo de Constantinople affirme que :

  • L’Esprit est vivifiant. Il est donc différent des créatures qu’il vivifie. Il communique la vie divine de la même façon que le Fils ressuscité est plein de vie.
  • L’Esprit est « le saint » (to pneuma to agion), de cette sainteté qui est une propriété de la nature divine et qui lui donne d’être sanctifiant.
  • L’Esprit est coadoré, coglorifié. Il ne fait pas nombre. La Trinité n’est pas « subnuméraire » mais « connuméraire ». L’Esprit mérite le nom de Seigneur.

© Françoise Breynaert


[1]Cf. S. MEO, “Madre di Dio”, nel Nuovo dizionario di mariologia, a cura di de Fiores, ed. san Paolo 1985, p.731-733

[2] Cf. B. SESBOÜÉ, S. Basile et la Trinité. Un acte théologique au IV° siècle, Paris, Desclée, 1998

Date de dernière mise à jour : 13/07/2019