Jésus, la Torah, le Temple, les institutions

Travail pour les étudiants de l'institut Foi vivifiante

Lectures bibliques :

Les références données dans le chapitre.

Exercices :

  1. La Torah est préexistante (Siracide 24). Jésus, plus grand que la Torah ? Expliquez.
  2. Le Temple est le lieu de la présence de Dieu. Jésus, plus grand que le Temple ? Expliquez.
  3. Le Temple, lieu du pardon pour les Juifs. En quoi le pardon de Jésus est-il nouveau ?
  4. De manière très concrète, Jésus bouleverse les institutions juives, donnez des exemples.

Etude :
Françoise Breynaert, Parcours biblique : Le berceau de l'Incarnation (imprimatur), Parole et silence 2016, p. 321-330
Disponible en librairie et sur internet, à la Procure (merci de privilégier les librairies catholiques).

Parcours biblique -56- Jésus Torah et Temple céleste

Parcours biblique -57- Jésus et les institutions juives

Jésus et les pré-existants de la pensée juive (Temple et Torah célestes)

 

Torah et Temple célestes, deux notions sous-jacentes aux Evangiles

             Jésus se présente comme quelqu’un qui est « venu » dans le monde, qui vient d’ailleurs et qui est venu pour « accomplir » (Mt 5, 17), il est le pain vivant descendu du ciel (Jn 6, 34-38). Ce mouvement de descente, avant d’être typique de l’incarnation, caractérise la Torah et le Temple. Ce qui nécessite un peu d’explication pour entrer dans la mentalité juive du temps de Jésus.

 

            Il existe une Torah céleste, pré-existante, et le monde a été fait par elle.

« Les Israélites sont chers à Dieu, puisqu’il leur a été donné un instrument précieux (la Torah) ; une marque particulière d’affection leur est accordée, puisqu’il leur a été donné l’instrument précieux par lequel le monde a été créé, ainsi qu’il est dit : ‘‘Car c’est un enseignement précieux que Je vous livre, n’abandonnez pas Ma Tora’’ (Proverbes 4,2). »[1]

 

            Un tel langage a beaucoup de conséquences. La Torah, c’est aussi la Sagesse créatrice (Si 24). Le monde est organisé avec ordre, le monde est un cosmos et nous pouvons reconnaître cet ordre des choses. Il y a une éthique universelle, une sagesse éternelle, une loi donnée avec la création et à laquelle nous pouvons nous référer.

            Quand, au sujet du mariage et de la répudiation, Jésus se réfère à la création du monde (Mt 19), autrement dit, à une loi inscrite dans le cœur de l’homme depuis qu’il est créé (une loi « naturelle »), il se réfère à la « Torah céleste ». Jésus, « le Fils de l’homme » montre ce qu’est l’homme, parce qu’il en est la Sagesse créatrice.

 

 

            Quant au temple de la terre, il a pour modèle un sanctuaire céleste :

« Ce n’est pas un lieu profane, mais un sanctuaire pour le nom de YHWH, car c’est un lieu propre à la prière, orienté juste en face de la porte des cieux,... établi sous le trône de la Gloire. »[2]

            Les portes des cieux et le trône de la gloire désignent le sanctuaire qui sert de modèle au temple de la terre :

« Tu les introduiras et tu les planteras sur la montagne de ton Temple ; tu as préparé, YHWH, le lieu qui est établi en face du trône de ta gloire, fixé en face de la demeure de ta sainte Shekinâh ; ton temple, YHWH, tes deux mains l’ont parfait. »[3]

            Il y a donc un temple céleste appelé « trône de Gloire », et un temple terrestre que Dieu a fait et que les hommes pourront cependant détruire :

« Que tu as fait YHWH : cher est le temple devant Celui qui dit et le monde fut. Car, quand le Saint, béni soit-il, a créé le monde, il ne l’a créé que par sa parole, comme il est dit (Ps 33, 6) : par la parole de YHWH les cieux ont été faits. » Quand il vient au temple, si l’on peut dire, Il a son œuvre devant lui, comme il est dit : « Que tu as fait YHWH ». Malheur aux peuples du monde, qu’entendent-ils dans leurs oreilles, que ce temple qui est appelé œuvre devant lui, ils se sont mis à le dévaster et ils ont dit (Ps 137,7) « Rasons, rasons jusqu’au fondement ». Que dit l’Ecriture à ce sujet (Jr 25, 30) : « YHWH d’en haut rugit, de sa demeure sainte il élève la voix, il rugit avec vigueur sur sa demeure. »[4]

 

            Pour le courant officiel, le temple terrestre est valide, la Shekinâh y habite et les cérémonies du temple obtiennent le pardon.

 

            Cependant, tout un courant de pensée considère que depuis le péché, Dieu, dont l’amour ne s’impose pas, s’est retiré, comme il est dit dans la tradition :

« Et ne souillez pas la terre où vous habitez. L’Ecriture dit que l’effusion de sang rend impure la terre et fait cesser la Shekhinah. »[5]

 « Il a créé l’homme et lui a dit : « Tu peux manger de tous les arbres, mais de l’arbre du bien et du mal, tu n’en mangeras pas. Et il transgressa son commandement. Ainsi, j’ai désiré qu’il y ait sur terre une habitation comme elle est dans le ciel. Je t’ai commandé une seule chose mais tu ne l’as pas gardée. Aussitôt, le Saint, béni soit-il, a fait disparaître sa Shekinâh... Ils entendirent la voix d’Adonaï qui marchait dans le jardin. » parce qu’ils avaient transgressé ses commandements. La Shekinâh est partie dans son premier ciel.

Caïn se leva et tua Abel, aussitôt la Shekhinah s’en alla dans le deuxième ciel.

J’ai fait sept cieux.

Mais après cela que fit-il ? Il doubla les générations et aux générations mauvaises il opposa les générations bonnes.

Enfin vint Abraham qui se distingua par de bonnes choses. Et le Saint, béni soit-il, descendit du septième ciel vers le sixième. »[6]

 

            Dès lors, la Torah et le Temple sont seulement au ciel ; sur la terre, la torah est voilée et le temple est vide.

            Dieu qui, depuis le péché, avait retiré sa Shekinâh dans le temple céleste, a offert en Jésus son pardon et sa présence. Jésus est la Shekinâh du Temple céleste. Dans son pardon et la lumière de sa présence, il a aussi dévoilé la Torah. C’est pourquoi Jésus se pose en législateur suprême et dit : « On vous a dit... moi je vous dis » (Mt 5-7).

 

L’attitude des disciples

            Venons-en à l’attitude caractéristique des disciples qui forment ce que j’appelle le berceau de l’Incarnation, c’est-à-dire qui accueillent le Christ comme celui qui « descend du ciel » (Jn 6, 50).

            Ces disciples ont une délicatesse de cœur qui leur fait percevoir que l’amour ne s’impose pas, et que Dieu se retire s’il n’est pas désiré.

            Ces disciples sont prêts à considérer que la responsabilité de l’homme est telle que le péché puisse provoquer le retrait de la présence divine.

            Ces disciples sont prêts à recevoir une loi qui peut sembler exigeante, mais parce que, aussi, ils perçoivent que cette loi est donnée ensemble avec le pardon.

            Nous allons voir aussi que cette loi est donnée par Jésus en tant que « Verbe », c’est-à-dire en tant que parole agissante, ce que nous pouvons déjà inclure dans l’idée de rédemption.

            Tout ceci se lit aussi bien dans les synoptiques (Matthieu, Marc, Luc) que dans l’évangile de Jean. Au-delà de tel ou tel verset d’Ecriture,

« Jésus se conçoit lui-même comme la Torah, comme la Parole de Dieu en personne. Le majestueux prologue de l’Evangile de Jean – "Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu" ne dit rien d’autre que ce qu’affirme Jésus dans le sermon sur la montagne et dans les Evangiles synoptiques. »[7]

            C’est ce que nous allons détailler maintenant.

 

La nouvelle Torah ; Jésus plus grand que Moïse ; le Péché originel.

            Par son enseignement sur les Béatitudes, sur le mariage, sur l’amour des ennemis, et bien d’autres encore, Jésus révèle la Torah céleste. De là l’hostilité d’une partie des scribes et des pharisiens qui se sentent dépassés.

            Les controverses dont témoigne l’évangile de Jean se comprennent en référence à cette question de la Torah céleste. Expliquons cela. En racontant la révélation du Sinaï, le texte biblique dit que le peuple « entend » (Ex 19, 9) ou bien qu’il « voit », y compris ce qui peut seulement s’entendre, comme le son de trompe (Ex 20, 18)… Cette première révélation devait donner au peuple de reconnaître Jésus. Si les Juifs ne reconnaissent pas Jésus, c’est qu’ils n’avaient rien vu, rien entendu. « Vous n’avez jamais entendu sa voix, vous n’avez jamais vu sa face, et sa parole, vous ne l’avez pas à demeure en vous, puisque vous ne croyez pas celui qu’il a envoyé » (Jn 5, 37-38). Jésus se présente comme « l’envoyé » de Dieu. Moïse l’a été avant lui (Ex 3, 12-15). Mais justement, Moïse devait conduire à l’accueil de Jésus, qui le dépasse : « Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit » (Jn 5, 45).

            Moïse aurait donc dû conduire à l’accueil de Jésus. Malgré cela, Jésus reste bienveillant et il meurt en disant « Père, pardonne-leur : ils ne savent ce qu’ils font » (Lc 23, 33). De même, Pierre disculpe ceux qui ont tué le Christ en disant « Cependant, frères, je sais que c’est par ignorance que vous avez agi, ainsi d’ailleurs que vos chefs » (Ac 3, 17). Comment expliquer ce qui semble un paradoxe : Moïse devait faire reconnaître Jésus, et pourtant, ne pas reconnaître Jésus est excusable ?

            C’est ce nœud qui contient ce que la théologie chrétienne exprime en parlant du péché originel. Si Jésus n’a pas été reconnu pour Celui qu’il est, c’est parce que l’humanité est dans un état déchu qui la rend incapable de soutenir une telle lumière. La théologie du péché originel n’est que la traduction de cette remarque de Jésus : « Ils ne savent pas ». Il ne s’agit pas ici de telle ou telle perversité, il s’agit de « votre péché », au singulier, il s’agit du Péché. Celui qui empêche de savoir.

            En relatant le miracle de l’aveugle-né, Jean répète quatre fois : « Je me suis lavé et j’ai vu » (Jn 9, 7.11.15.37). L’évangéliste a cette insistance parce qu’il écrit après Pâques et qu’il pense au baptême. Or on ne demande pas le baptême sans avoir conscience de notre besoin de rédemption. Jésus dit aux pharisiens : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure » (Jn 9, 41).

            La Passion de Jésus, provoquée par l’ignorance, dissipe cette ignorance. Alors, pas à pas, les Juifs puis tous les hommes sont invités à reconnaître en Jésus le Christ (messie), le prophète comme Moïse, le Serviteur envoyé pour bénir (Ac 3, 19-26), et finalement « Celui que Dieu a exalté par sa droite, le faisant Chef et Sauveur, afin d’accorder par lui à Israël la repentance et la rémission des péchés » (Ac 5, 31).

            Ce que Moïse ne pouvait pas donner à voir et à entendre, le Christ Jésus le donne, mais c’est à travers sa Passion, c’est à travers un pardon.

            C’est pourquoi nous devons aussi expliquer en quoi Jésus est un nouveau Temple, lieu du pardon.

 

Jésus nouveau temple

            Jésus dit :

« Voici que votre maison [le temple de Jérusalem] va vous être laissée déserte. Je vous le dis, en effet, désormais vous ne me verrez plus, jusqu’à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Mt 23, 38-39)

            Benoît XVI commente : « Dieu s’en va. Le Temple n’est plus le lieu où il a mis son Nom. Il sera vide ; maintenant il est seulement "votre maison". Cette parole de Jésus trouve un surprenant parallèle dans Flavius Josèphe, l’historiographe de la guerre des Juifs[8]. [...] La parole de la "maison déserte" n’annonce pas encore directement la destruction du Temple, mais certainement sa fin intrinsèque, la fin de sa signification comme lieu de rencontre entre Dieu et l’homme. »[9]

            Nous lisons encore, à propos du temple, dans le discours eschatologique :

            « Il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit jetée bas » (Mt 24, 2).

            Benoît XVI commente : « Nous ne voulons pas ici examiner dans quelle mesure le discours eschatologique de Jésus dans ses détails mêmes correspond à ses propres paroles. Qu’il ait annoncé à l’avance la fin du Temple - et précisément sa fin théologique, historico-salvifique-, cela ne fait pas de doute. Nous en avons confirmation, à côté du discours eschatologique, surtout par la parole concernant la maison laissée déserte (Mt 23, 37s ; Lc 13, 34), et par la parole concernant les faux témoins pendant le procès de Jésus (cf. Mt 26, 61 ; 27, 40 ; Mc 14, 58 ; 15, 29 ; Ac 6, 14). »[10]

            Les faux témoins prétendent que Jésus a dit qu’il détruirait le temple. Mais Jean rapporte la version exacte de ce qu’a dit Jésus : « détruisez ce temple » (Jn 2, 19). Jésus ne détruit rien, mais, comme Jérémie (Jr 7, 11-14), Jésus sait ce qui chasse la présence divine du temple : l’iniquité.

 

            Jésus lui-même a pris la place du Temple ; il est le Temple, le lieu très saint de la présence de Dieu dans le Temple. Il est aussi le propitiatoire sur l’arche d’Alliance, l’instrument de propitiation, comme le dit saint Paul :

            « Dieu l’a exposé, instrument de propitiation par son propre sang moyennant la foi. » (Rm 3, 25)

            Au Jour de l’expiation (Yom Kippour - cf. Lv 16), le propitiatoire, c’est-à-dire le couvercle de l’Arche de l’Alliance, est aspergé du sang du taureau immolé. Or, le propitiatoire est aussi le lieu de la mystérieuse présence de Dieu. Le sang du sacrifice, dans lequel tous les péchés des hommes ont été absorbés, est purifié en « touchant » la divinité, et les hommes représentés par ce sang sont rendus purs.

            Jésus est la présence du Dieu vivant. En lui se touchent Dieu et l’homme. En lui se réalise ce que le rite du Jour de l’expiation voulait exprimer : sur la Croix, Jésus dépose tout le péché du monde dans l’amour de Dieu et le fait fondre en lui.

            Dans la passion de Jésus, toute l’abjection du monde entre en contact avec l’immensément Pur, avec l’âme de Jésus-Christ et ainsi avec le Fils de Dieu lui-même. En ce contact, la souillure du monde est réellement absorbée, annulée, transformée à travers la douleur de l’amour infini.[11]

 

            L’Eglise primitive retourne donc au Temple différemment (Ac 2,46).

            Les premiers chrétiens prient et enseignent au temple. Cependant, l’Eglise célèbre :

  • Le mémorial du salut de Jésus, et non plus seulement de la Torah de Moїse.
  • L’Esprit Saint de Jésus (et non pas de l’Esprit de la majorité du Sanhédrin).
  • La miséricorde de Jésus... une miséricorde qui est une nouvelle création.
  • La présence de Dieu en Jésus.

 

            Les chrétiens ne pratiquent plus les sacrifices du temple. Dans les maisons, ils célèbrent la "fraction du pain", c’est-à-dire le sacrifice de Jésus[12].

 

            De plus, lors de la guerre juive, les chrétiens fuient (Mc 13, 14), ils ne prennent pas part à la défense du temple de pierre. Il y a pourtant parmi eux de nombreux prêtres juifs convertis au Christ (Ac 6, 7).

 

            Le « berceau » de l’Incarnation a été le peuple qui a construit un Temple au Dieu vivant, et qui a été capable de comprendre qu’il fallait un Temple non fait de mains d’hommes. Le « berceau » de l’Incarnation a été la Vierge Marie, Temple vivant portant en elle la présence divine. Le « berceau » de l’Incarnation a été un peuple de disciple qui a accepté d’être bousculé dans ses institutions. L’esprit filial trouve un épanouissement à la fois immense et intérieur. Chaque disciple se sait pardonné et le sang du Christ lui donne la dignité, la gloire du Fils de Dieu.

            Jésus n’est pas uniquement Nouveau Temple, ou plutôt, il l’est justement véritablement nouvelle : en tant aussi qu’il est le Seigneur, et le Fils de l’homme : sa miséricorde prend dès lors la dimension d’une nouvelle création qui appelle notre participation, comme nous l’expliquerons dans la suite de ce parcours biblique, et dans le parcours de christologie.

 

 


[1]PirkéAvot (Maximes des Pères), traité de la Michna, 3, 18

[2] Targum Jonathan de Genèse 28, 16.17

[3] Targum Jonathan de Exode 15, 17

[4] Mekhilta §4, édition Horowitz, pp. 148-150

[5] Sifre Nb Pisqa 161, p.222§ 15a

[6]Tanhuma naso 16, éditions Eshkol, Jérusalem 1972, pp. 687-688

[7]JOSEPH RATZINGER, BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, Paris 2007, p. 133

[8] De la guerre des Juifs, VI, 299s.

[9] Joseph RATZINGER, BENOIT XVI, Jésus de Nazareth. De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection. Parole et Silence, Paris 2011, p. 42-43

[10]Joseph RATZINGER, BENOÎT XVI, Ibid., p. 51

[11] Cf. Joseph RATZINGER, BENOÎT XVI, Ibid., p. 56-57 et 263-272

[12]Cf. Joseph RATZINGER, BENOÎT XVI, Ibid., p. 52

Date de dernière mise à jour : 11/07/2019