Jérémie et Ezéchiel

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Lecture biblique :
Livre de Jérémie.
Livre d’Ezéchiel.
Deuxième livre des Rois, chapitre 25.

Exercices :

1) Quel est le drame humain et spirituel vécu par Jérémie et par Ezéchiel ?

2) Comment Jérémie tient-il dans la foi ? 

3) Comment Ezéchiel tient-il dans la foi ?

4) De quoi l’exil va-t-il purifier ? En quoi la foi sera-t-elle plus profonde ?

5) Dites un mot sur Marie et la purification, Marie et la consolation véritable…

Etude :
Françoise Breynaert Parcours biblique : Le berceau de l'Incarnation (imprimatur), Parole et silence 2016, p. 173-185
Disponible en librairie et sur internet, à la Procure (merci de privilégier les librairies catholiques).

     Au moment de l’Exode, dans le désert le peuple ne sait pas où il va et il se plaint, mais en exil le peuple souffre encore et dit "Seigneur tu nous conduis" : c’est l’habitus de la foi. Le temps de l’exil à Babylone est un temps de croissance, mais à travers des évènements contraires.

            Situons d’abord l’empire de Babylone. Il a connu deux périodes distinctes.

            Le premier empire de Babylone succède à l’empire sumérien au XIX° siècle avant J-C. Hammurabi (-1792-1750) règne sur un territoire qui s’étend d’Assour au golfe persique. Il instaure le culte de Mardouk.

            Les Hittites détruisent cet empire vers le XVI° siècle. Puis c’est la domination assyrienne (Sargon II) jusqu’à la fin du VIII° siècle.

            Nabopolassar instaure en l’an -626 le second empire de Babylone (« chaldéen »). Son fils, Nabuchodonosor II, soumet Jérusalem en l’an -587 jusqu’à ce que Cyrus II, le perse, renverse Nabonide, dernier roi de Babylone, en l’an -539 avant J-C. C’est alors la fin de l’exil.

            Malgré le faste de Babylone (palais long de 320m, jardins suspendus qui comptent parmi les sept merveilles du monde, etc.) les Hébreux déportés résistent au culte de Mardouk et gardent leur foi !           

Quand Dieu se tait

            L’expérience du silence de Dieu n’a pas commencé avec l’exil. Saül, déjà, en avait fait l’expérience: ayant désobéi, Dieu ne lui parlait plus, ni en songe, ni en vision (1 Sam 28, 16). Elie avait lui aussi fait l’expérience du silence de Dieu, mais dans des circonstances très différentes. Après les miracles fracassants au mont Carmel (1 R 18), Elie est persécuté. C’est alors qu’il fait l’expérience de Dieu qui parle dans le murmure d’un silence léger (1R 19,12). Elie se fie à ce silence. Il reprend force et poursuit sa mission.

            Comme il y a eu une succession entre l’expérience personnelle de l’Alliance par les patriarches et l’expérience collective de l’Alliance au temps de l’Exode, nous voyons ici une succession entre l’expérience personnelle du silence de Dieu par le roi Saül et surtout par le prophète Elie à l’Horeb et l’expérience collective au temps de l’exil.

 

            Avec l’exil, c’est tout le peuple qui fait l’expérience du silence de Dieu. En effet, après la longue période de la Royauté, le pays est en ruine, l’élite du peuple est exilée, et Dieu semble se taire. Dieu accepte le silence d’Ezéchiel (Ez 1-3), il fait de ce silence sa parole (Ez 3, 26). Israël ne trouve perplexe devant ce silence.

            C’est alors que deux grandes interprétations voient le jour.

            Les uns pensent : Dieu se tait parce qu’il a tout dit (la Torah est complète, close). Avec les sages du peuple nous interprétons ce que Dieu a déjà dit.

            D’autres pensent : Dieu veut dire quelque chose de neuf, mais nous ne sommes pas prêts, nous sommes pécheurs, et Dieu s’est retiré dans son mystère. Un jour il parlera. L’idole est muette et nous lui faisons dire ce que nous voulons, au bon moment. Mais Dieu n’est pas une idole. C’est pourquoi son silence est à contre temps : « Le jour j’appelle, point de réponse ; la nuit, pour moi, point de silence ! » (Ps 22, 3).

            Il n’était pas facile pour Israël d’être le partenaire du Dieu Vivant au temps du Sinaï et de l’Exode. Il était sans doute plus difficile de l’être quand Dieu se tait.

           

            Marie de Nazareth, elle aussi, a traversé de longues périodes du « silence de Dieu ». C’est au moins à ce niveau de profondeur qu’il faut contempler « Marie la femme du silence et de l’écoute, la femme de l’espérance… »[1]

            Pensons à la période pendant laquelle Joseph fut troublé en la voyant enceinte, avant de recevoir lui aussi une annonciation. Pensons à la vie « cachée » à Nazareth qui se prolonge indéfiniment, jusqu’à ce que Jésus ait environ trente ans. Pensons aux trois jours pendant lesquels il fallut chercher le jeune Jésus resté au temple. Pensons aux trois jours pendant lesquels il fallut espérer la résurrection. Pensons à toutes les épreuves de l’Eglise naissante.

            Dans le temps de l’Eglise, la Vierge Marie aide les hommes à traverser les périodes où Dieu semble se taire. En temps de persécution, on l’invoque comme « reine des martyrs ». Temps d’apostasie ou athéisme, et on l’appelle « rempart de la foi ». Pour les jours de ténèbres, elle est, après le Christ, « l’étoile du matin ».

© Françoise Breynaert

​Jérémie

Parcours biblique -26- Jérémie

-1-

            Jérémie est prêtre, fils de prêtre (Jr 1, 1).

            «Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré; comme prophète des nations, je t’ai établi » (Jr 1, 5).

            L’expérience de Jérémie se résume dans le récit de sa vocation :

« Vois! Aujourd’hui même je t’établis sur les nations et sur les royaumes, pour arracher et renverser, pour exterminer et démolir, pour bâtir et planter » (Jr 1, 10).

            A travers les événements de l’histoire, Jérémie a aidé son peuple à développer des racines d’humilité et de foi profonde, sans limiter Adonaï à ce qui en a été compris jusque-là. La parabole du potier dit aussi la liberté de Dieu qui peut démolir et bâtir (Jr 18).    

 

-2-

            Le ministère de Jérémie commence en l’an 626 sous le règne de Josias dont il accompagne la réforme : il appelle à la conversion en reprenant certains accents du prophète Osée.

       « Ainsi parle le Seigneur : Je me rappelle l’affection de ta jeunesse, l’amour de tes fiançailles, alors que tu marchais derrière moi au désert. » (Jr 2, 2)

       « Une nation change-t-elle de dieux ? Or ce ne sont pas même des dieux ! Et mon peuple a échangé sa Gloire contre l’Impuissance ! » (Jr 2, 11)

       « Une vierge oublie-t-elle ses parures, une fiancée sa ceinture? Mais mon peuple m’a oublié depuis des jours sans nombre. » (Jr 2, 32)

           

            La réforme du roi Josias est édifiante : le peuple se veut saint comme Dieu est saint. Josias établit au centre du Pentateuque le livre du Lévitique, et au centre du pays le culte à Jérusalem. C’est un temps de joie et d’espérance.

            Jérémie espère que reviendront ceux qui ont été dispersés parmi les nations après la chute de Samarie en l’an 721 : « Jacob reviendra » (Jr 30, 4) ; « Celui qui a dispersé Israël le rassemble » (Jr 31, 10) !

            Jérémie affirme la responsabilité personnelle : « Tout homme qui a mangé des raisins verts, ses propres dents seront agacées. » (Jr 31,30).

            Et il annonce une alliance nouvelle, véritable intériorisation de la loi :

« Voici venir des jours -- oracle de le Seigneur -- où je conclurai avec la maison d’Israël (et la maison de Juda) une alliance nouvelle [...] Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. » (Jr 31, 31−33)

            La « Loi au fond de leur être» ne signifie pas l’abolition des institutions, des prêtres (qui ont le dépôt de la loi), des prophètes (qui actualisent la loi) et des rois (qui appliquent la loi). Jérémie évoque plutôt une réalisation harmonieuse de ces institutions, une mise en pratique « avec le cœur ».

 

-3-

            Après la mort de Josias à Megiddo en l’an -609, le peuple délaisse toutes les belles pensées de Jérémie sur le royaume, le temple, la réforme, la terre sainte, et retourne à l’idolâtrie. Le cœur de Jérémie se laisse labourer par l’événement de l’absence. Il affronte la parole de Dieu. « Reconnais que je subis l’opprobre pour ta cause. […] Vraiment tu es pour moi comme un ruisseau trompeur aux eaux décevantes ! » (Jr 15, 15-18). Ces derniers mots de Jérémie sont très violents !          

            Dans la logique du Deutéronome (Dt 28), si Jérémie avait fait le bien, le malheur ne devait pas venir. Cette logique est sans doute trop étroite. Mais à travers son cri et sa plaine, Jérémie garde le « contact » avec le Seigneur, son cri est une vraie prière. Dieu avait donné la terre, le temple, le roi, mais sa présence demeure au-delà des dons repris.

            Et voici la réponse que Dieu fit à Jérémie :

« Alors le Seigneur répondit : Si tu reviens, et que je te fais revenir, tu te tiendras devant moi. Si de ce qui est vil tu tires ce qui est noble, tu seras comme ma bouche. Eux reviendront vers toi, mais toi, tu n’as pas à revenir vers eux ! Je ferai de toi, pour ce peuple-là, un rempart de bronze fortifié. » (Jr 15, 19-20)

            Sans doute est-il étonnant que Dieu demande à Jérémie de revenir à lui : Jérémie n’est-il pas prêtre et n’a-t-il pas participé à la sainte réforme du roi Josias ? Jérémie, qui a tout perdu, y compris sa logique, doit apprendre à quel point Dieu est tout, et à quel point la foi est noble. Il deviendra alors fort comme un "rempart".

 

-4-

            Après la mort de Josias, l’Egypte, qui domine Canaan quelques années, nomme roi de Juda l’un des fils de Josias, Joaquim. Et la vieille idolâtrie renaît de ses cendres et envahit le temple, la justice sociale est bafouée, les violents et les cyniques prennent le dessus, et dans ces conditions, le culte rendu à Dieu n’est qu’une parodie (Jr 7-9). C’est pourquoi Jérémie annonce la destruction du temple (Jr 7, 14-15), un malheur qui peut être écarté si vous améliorez vos voies (Jr 7, 3). Les prêtres lui sont hostiles : Jérémie reçut la bastonnade et fut mis au carcan (Jr 20, 1-2).

            Jérémie prie ainsi : « Nous connaissons, Seigneur, notre impiété, la faute de nos pères : oui, nous avons péché contre toi. » (Jr 14, 20). Il témoigne de la grandeur du chemin de l’humilité.

            Jérémie parle ensuite avec des actions symboliques (cf. les paraboles). L’action symbolique de la "ceinture pourrie" (Jr 13, 1-11) annonce la pourriture du peuple au contact de Babylone. Cependant, au-delà du châtiment, il y aura le pardon ; au-delà de la déportation, il y aura le retour ; Jérémie l’exprime par un geste prophétique : il achète un champ, car, le Seigneur a promis « en ce lieu je les ramènerai » (Jr 32, 37).

 

            Babylone écrase l’armée égyptienne à Karkemish et domine Canaan. A Joaquim succède le jeune Joakîn qui n’oppose aucune résistance et part en exil à Babylone avec le prophète Ezéchiel. Jérémie place son espoir dans ces premiers déportés (Jr 24 et 29).

            Babylone nomme Sédécias roi de Juda. Sédécias retourne aux idoles et se révolte contre Babylone ; Jérémie, qui a critiqué ouvertement la politique de Joaquim et de Sédécias (Jr 21-22), est jeté dans une citerne (Jr 38, 6-13).

            Sédécias est emmené en exil les yeux crevés après avoir vu ses fils égorgés. Jérusalem est détruite.

 

-5-

            Nous sommes en l’an 587, le temple est incendié (2 Roi 25). Cependant, on ne reconstruira pas l’arche d’Alliance qui a disparue : de même que l’Alliance nouvelle sera écrite dans le cœur (Jr 31, 31-33), Jérémie écrit : « On ne dira plus : "Arche d’alliance du Seigneur" ; on n’y pensera plus, on ne s’en souviendra plus, on ne s’en préoccupera plus, on n’en construira plus d’autre » (Jr 3, 16).

            D’autre part, mis à part Joakîn en exil, il n’y aura plus de roi. Que devient la promesse de Nathan à David ? On lira donc à côté de l’antique promesse une autre promesse (il s’agit d’un ajout tardif, absent du texte que la Septante a traduit) : « Jamais David ne manquera d’un descendant […] Et jamais les prêtres lévites ne manqueront de descendants » (Jr 33, 18), car désormais les bergers du peuple seront les prêtres.

                       

Cohérence de la révélation et actualisation

            L’existence d’une vocation dès le sein maternel se lit dans le Nouveau Testament pour Jean-Baptiste et le Christ (Lc 1). La tradition chrétienne le dira aussi pour la mère de Jésus, immaculée.

            Jérémie invitait au respect des institutions, le roi et le temple, et à leur vivification par chacun, avec responsabilité, avec volonté, et avec le cœur. Cet appel vaut encore aujourd’hui, et c’est en ce sens que l’on peut dire que l’Eglise doit être mariale en même temps qu’elle doit être une institution organisée.[2]         

            Jérémie invitait à l’humilité. Cet appel résonne encore dans l’Evangile et dans le temps de l’Eglise.

            Jérémie osait dénoncer le péché malgré les persécutions que cela lui attirait. Jésus fera de même, et dans la foule, certains le compareront à Jérémie.

            A Jérémie, qui a connu tant d’échecs, et qui a vu tant de ruines, le Seigneur demande de se tourner vers lui de manière à devenir un rempart de bronze fortifié (Jr 15, 20). De même, la Vierge Marie, qui a elle aussi tout perdu au calvaire, est restée debout dans la foi. La liturgie l’appelle "rempart de la foi"[3].

            La vocation de Jérémie se résume dans ce paradoxe détruire et bâtir, arracher et planter. C’est encore vrai dans le christianisme. Un saint s’adresse à la mère de Jésus en disant :

« Je vous supplie […] de détruire et déraciner [en moi] et d’y anéantir tout ce qui déplait à Dieu, et d’y planter, d’y élever et d’y opérer tout ce qui vous plaira. Et que la lumière de votre foi dissipe les ténèbres de mon esprit; que votre humilité profonde prenne la place de mon orgueil »[4].

            De même que les racines sont cachées, de même celui qui prie ne perçoit pas toute la construction qui s’opère en lui.

 

[1]JEAN PAUL II, À l’approche du troisième millénaire, n° 48

[2]Cf. JEAN PAUL II, Lettre apostolique Mulierisdignitatem § 27

[3] MISSEL des Messes en l’honneur de la Vierge Marie (Rome 1986), Messe votive n° 35

[4] Saint Louis-Marie de MONTFORT, Le Secret de Marie § 68

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© Françoise Breynaert

Ezéchiel

Parcours biblique -27- Ezéchiel

Le silence

            Quand advient l’exil, accablé comme Jérémie, Ezéchiel se tait. Dieu fait tout pour le faire sortir de son mutisme : Dieu le comble de visions, mais il se tait, se prosterne (Ez 1,28). Dieu le charge de dire quatre mots « ainsi parle le Seigneur » (2,4), il se tait...

            Ezéchiel ne tient debout que parce que Dieu le veut bien : l’Esprit entra en moi et me fit tenir debout (Ez 2,2), comme lui, Israël n’a rien qu’il n’ait reçu de Dieu. Ezéchiel a le sentiment aigu de son propre néant devant Dieu.

            Dieu le transporte auprès des déportés (il part en exil en -597), il reste hébété pendant 7 jours (Ez 3,15).

            Dieu enfin le met devant sa responsabilité « je t’établis guetteur » (Ez 3,17), il se tait encore !

            Dieu accepte le silence d’Ezéchiel, il fait de ce silence sa parole : « tu seras muet » (Ez 3,26). Plus tard, Ezéchiel parlera, « et lorsque je te parlerai, je t’ouvrirai la bouche » (Ez 3,27). De façon très explicite ce n’est pas le prophète qui parle, mais c’est Dieu à travers lui.

           

La présence de Dieu

            Ezéchiel est prêtre, par conséquent, il était habitué à la présence de Dieu dans le temple. L’exil lui fait découvrir que YHWH est une présence plus forte encore que ce qu’il connaissait, une Présence qui suit les exilés. Tout d’abord, Ezéchiel a la vision d’un char et quelque chose comme quatre roues qui progressent en même temps dans quatre directions différentes, tirées comme par un attelage de quatre vivants, au quadruple visage d’homme, de lion, d’aigle et de taureau. La voute éblouissante porte comme un trône lumineux sur lequel siège un être lumineux. Cette vision commence au chapitre 1 et se poursuit aux chapitres 3, et 10. C’est par ce char que la gloire du temple quitte Jérusalem avec un bref arrêt sur le mont des Oliviers (Ez 9,3 ; 10,4 ; 11, 22-23) et elle accompagne les exilés : « Je suis pour les exilés un sanctuaire » (Ez 11, 23). (Avec Josias et le Deutéronome, nous avions vu la théologie du mémorial où l’amour de Dieu dépasse le temps ; avec Ezéchiel, nous découvrons qu’il transcende aussi l’espace).

            Plus tard, dans la vision du Temple reconstruit, la gloire du Seigneur revient encore par ce char prendre possession de l’édifice (Ez 43, 1-4).

            L’image d’Ezéchiel ne dit pas seulement la mobilité de Dieu, mais sa majesté. La transcendance de Dieu s’exprime aussi par la manière de décrire : « comme… comme ». Et les animaux, représentant les grandes divinités babyloniennes, sont ici domestiqués par le vrai Dieu.

            Plus tard, Ezéchiel précise minutieusement le plan du nouveau temple, un plan géométrique et symbolique, qui veut séparer le temple de la demeure des rois et de leurs prostitutions (Ez 43, 1-7). De même, sa division quasi géométrique du pays est une division symbolique qui veut signifier que les tribus devront vivre de manière égalitaire. C’est une apocalyptique : une vision d’avenir.

 

La responsabilité personnelle

            Pour Ezéchiel, comme pour Jérémie, au milieu des catastrophes, le salut est personnel.

            Après avoir observé les idolâtries des anciens d’Israël (Ez 8), Ezéchiel voit un « homme vêtu de lin » et il entend le Seigneur lui dire: « Parcours la ville, parcours Jérusalem et marque d’une croix au front les hommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d’elle » (Ez 9, 4). Et tous ceux qui portent cette croix (ou ce Tau) sont épargnés du châtiment (Ez 9, 1-6).

            Chacun est responsable de soi-même : « Fils d’homme, si un pays péchait contre moi en m’étant infidèle et que j’étende la main contre lui, détruisant sa réserve de pain […], et qu’il y ait dans ce pays ces trois hommes, Noé, Danel et Job, ces hommes sauveraient leur vie grâce à leur justice, oracle du Seigneur » (Ez 14, 13-14). De même, un fils juste « ne mourra pas à cause des fautes de son père, il vivra » (Ez 18, 16).

            Cependant, nous ne sommes pas liés par notre passé, tout le monde peut se convertir : si un pécheur se convertit, il vivra ! (Ez 18, 21-32)

            Comme Jérémie, Ezéchiel opère un tournant dans la pensée biblique, car auparavant on parlait de manière collective, par exemple, au temps de Gédéon : « Les Israélites firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur ; le Seigneur les livra pendant sept ans aux mains de Madiân » (Jg 6, 1) ou bien, au temps d’Isaïe : « Préparez le massacre de ses fils pour la faute de leur père » (Is 14, 21). Cette solidarité simpliste permettait aussi à chacun d’éviter son examen de conscience. Le tournant opéré par Ezéchiel suscite des protestations, le peuple trouve qu’une telle responsabilité personnelle, ce n’est pas juste ! (Ez 18, 25). Plus tard, la révélation biblique apportera d’autres nuances : le retour à une certaine solidarité et la rétribution outre-tombe.

 

L’histoire d’Israël

            Ezéchiel résume à plusieurs reprises l’histoire d’Israël où les cultes cananéens et les alliances politiques sont autant de "prostitutions". La période qui l’intéresse est celle qui a lieu en Canaan (Ez 16) et les "prostitutions avec l’Egypte" semblent viser les alliances politiques qui ont précédé la chute de Samarie et celle de Jérusalem (Ez 20, 5s ; Ez 23). Il n’entre pas dans les détails qu’il suppose connus et il donne son interprétation. Dieu est fidèle même si l’homme est comme un avorton qui n’est pas lavé lorsqu’il naît. Dieu en prend soin, il garde son Alliance : « Je passais près de toi, et je te dis : vis ! » (16,6)… Je te fis croître… je te parais… Tu t’es infatuée, tu t’es prostituée (16,15)... et « je rétablirai mon alliance » (Ez 16,62).

            L’adoration de la transcendance de Dieu est un baume sur la souffrance de l’exil. Elle est un chemin de foi. Mais on sent un certain mépris de l’homme. Dieu relève son peuple « afin que tu te souviennes et que tu sois saisie de honte et que, dans ta confusion, tu sois réduite au silence, quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait, oracle du Seigneur » (Ez 16,63) et « j’agirai envers vous par égard pour mon nom » (20, 44). La révélation n’est pas achevée avec le prophète Ezéchiel ; elle procède par étapes, progressivement.

 

La purification

            Pour l’instant, il n’y a pas de paix, pas de discernement, et une assurance trompeuse dans de petites dévotions.

            Ezéchiel annonce la « colère » de Dieu :

  • contre « les prophètes d’Israël qui prophétisent sur Jérusalem et qui ont pour elle une vision de paix alors qu’il n’y a pas de paix » (Ez 13, 16)
  • et contre les prophétesses « qui cousent des rubans sur tous les poignets » (Ez 13, 18) (des petites dévotions) et « en faisant mourir des gens qui ne doivent pas mourir, en épargnant ceux qui ne doivent pas vivre » (Ez 13, 19).

 

            L’exil purifiera tout cela.

            Dieu dit : « Je leur donnerai un seul cœur et je mettrai en eux un esprit nouveau: j’extirperai de leur chair le cœur de pierre et je leur donnerai un cœur de chair, afin qu’ils marchent selon mes lois, qu’ils observent mes coutumes et qu’ils les mettent en pratique. Alors ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu. » (Ez 11, 19-20 ; Cf. Ez 36, 25.27)

            Ezéchiel n’annonce pas encore (comme Joël) que les fils et filles d’Israël prophétiseront (Jl 3), mais il annonce déjà une présence de l’Esprit Saint qui purifiera de la fausse prophétie.

            Finalement, du temple futur, une source jaillira qui assainira toute chose et la vie se développera partout où ira le torrent. (Ez 47)

 

Un mot sur l’histoire de la rédaction…

            Notons aussi une importante difficulté textuelle. Le plus ancien manuscrit grec[1] comme aussi les plus anciennes des Vieilles latines ont un ordre différent :

Ez 36, 1-23a (absence d’Ez 36, 23b-38)

Ez 38 et 39 : Israël en paix n’a pas de murailles (38, 8), mais survient la bataille ultime contre Gog. Les ossements des ennemis sont ensevelis (39, 15).

Ez 37 : Les ossements d’Israël, pourtant desséchés, reprennent vie (en contraste avec les ossements des ennemis).

Ez 40s : Nouveau temple très géométrique, nouvel Etat à la description tout aussi symbolique. La doctrine d’Ezéchiel qui soumet le « Prince d’Israël » au sacerdoce et limite étroitement ses droits (Ez 46, 8-18) donnera lieu au judaïsme sacerdotal après l’exil.

 

            Autrement dit, nous avions une apocalypse, une description des temps de la fin. Nous ignorons pourquoi le texte hébreu massorétique a modifié l’ordre et a ensuite ajouté un doublon sur le cœur nouveau et un oracle : Dieu viendra lui-même rassembler son peuple sur son sol (Ez 36, 22-32).

           

Cohérence de la révélation et actualisation

            Nous avons vu que pour Ezéchiel, l’homme est sauvé, mais à sa honte (Ez 16, 53). L’Evangile modifie cette perspective : lors de l’Incarnation, Marie est saluée « pleine de grâce » et toute l’humanité est élevée.

            Ezéchiel souligne la nécessité d’une purification (Ez 11, 19-20), et cela demeure d’actualité. Chacun doit revivre le passage purifiant de l’exil, le sens de la transcendance divine. Jean-Baptiste prêche la repentance, le Christ annonce que celui qui croira en lui « de son sein couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7, 37). A Lourdes, Bernadette doit gratter la terre et faire jaillir une source, signe de purification.

            Dieu demande qu’à Jérusalem soient marqué d’une croix (un tau) au front « les hommes qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations qui se pratiquent au milieu d’elle » (Ez 9, 4), de façon à ce que le châtiment les épargne. C’est l’arrière-plan de la béatitude évangélique : « Heureux les affligés, ils seront consolés » (Mt 5, 5). Les affligés des béatitudes sont les disciples agréables à Dieu, car leur affliction est le signe de leur rupture avec les valeurs mondaines et de la confirmation de l’espérance qui oriente toutes leurs aspirations vers le monde futur. Dans ce contexte donc, l’affliction est une béatitude véritable, parce qu’elle indique l’état du fidèle, ami de Jésus et renonçant aux fausses joies du monde.

            Jésus cependant connaît la difficulté de se maintenir serein et constant et il offre à l’Église une mère, qui puisse être un guide et un réconfort pour ses fils en pèlerinage sur la terre. Sur le Calvaire, Marie réconforte Jésus par sa présence et son affection de mère, et Jésus lui confie ses frères : « Femme, voilà ton fils » (Jn 19,26). Marie reçoit donc le devoir maternel de la compassion non seulement envers Jésus, mais aussi envers les frères de Jésus, qui souffrent persécutions et afflictions[2]. Elle apprécie leur sacrifice, et les accompagne vers cette Apocalypse qui s’ouvre, c’est-à-dire vers cet avenir purifié et béni de Dieu.

           © Françoise Breynaert

 

[1] Papyrus 967

[2] Mgr Angelo AMATO, Gliafflitti, consolati dal Signore di ogniconsolazione, in Santa Maria “Regina Martyrum”, Quaderno di spiritualitàdell’ordine dei Frati servi di Maria Provincia di Piemonte e Romagna, Anno IV – N°3 (12) – 2001, p. 4-9

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Date de dernière mise à jour : 03/06/2020