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Solennité du 8 décembre
Immaculée Conception de la Vierge Marie
Immaculée Conception de la Vierge Marie
Première lecture (Gn 3, 9-15.20)
Psaume (Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4)
Deuxième lecture (Ep 1, 3-6.11-12)
Première lecture (Gn 3, 9-15.20)
Quand Adam eut mangé du fruit de l’arbre, le Seigneur Dieu l’appela et lui dit : ‘Où es-tu donc ?’ L’homme répondit : ‘J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché’. Le Seigneur reprit : ‘Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ?’ L’homme répondit : ‘La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé’. Le Seigneur Dieu dit à la femme : ‘Qu’as-tu fait là ?’ La femme répondit : ‘Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé.’ Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : ‘Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux et toutes les bêtes des champs. Tu ramperas sur le ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon’. L’homme appela sa femme Ève (c’est-à-dire : la vivante), parce qu’elle fut la mère de tous les vivants. – Parole du Seigneur.
Gn 1,26 dit que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. L’existence de ces deux termes a suggéré à saint Irénée la nécessité d’un apprentissage de la vie parfaite[1] pour passer de l’image à la ressemblance. Saint Basile de Césarée (329-379) précise « par la volonté se forme en nous l’être à la ressemblance de Dieu »[2]. Créés à l’image de Dieu (Gn 1,26-27), Adam et Éve se savaient être promis à participer à la vie divine. La tentation satanique porte sur les moyens. Les moyens pour atteindre la ressemblance à Dieu, la transformation en Dieu, ne sont pas la captation des rituels magiques (l’arbre de la connaissance magique interdit), mais l’oblation et l’offrande de soi.
Dans le récit de la Genèse, Satan intervient sous la forme d’un serpent. Dans la culture orientale, le serpent représente la sagesse. Jésus dit : « soyez sage comme le serpent » (Mt 10, 16). Mais Satan, au jardin de la Genèse, a tenté l’humanité en prenant la forme d’un serpent, c’est-à-dire d’une fausse sagesse (Gn 3, 1-5), une parodie, une contrefaçon, une illusion, qui s’exprime par exemple dans le rituel maçonnique, au degré du chevalier Kadosh, avec ce dialogue : « – ‘N’avez-vous pas d’autre Nom[3] que celui de chevalier ?’ – ‘Je m’appelle Adonaï [YHWH (Dieu)]’ »[4].
Et l’on voit dans le récit de la Genèse que Dieu cherche l’homme, il veut toujours lui parler, il l’a créé à son image et il l’aime intensément. Il est son Père ! Il veut être aimé de son enfant, il veut, au fur et à mesure que l’homme grandit, l’enrichir de connaissances et de richesses stupéfiantes. Dieu attend que l’homme se comporte comme un fils partageant la sagesse de son Père et adhérant librement.
Dieu fait aussi une promesse. Genèse 3, 15 présente trois traductions possibles :
La Bible de Jérusalem dit : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon. » (Gn 3, 15). Elle correspond au texte hébraïque. Celui qui écrasera la tête du serpent ne sera pas la femme mais sa descendance, ou son lignage, sans que l’on sache clairement s’il s’agit d’un individu ou d’une collectivité.
La version grecque de la Septante (3ème ou 2ème siècle avant J-C) atteste clairement l’attente d’un messie personnel. « Il t’écrasera la tête » (Gn 3,15 ) et le pronom grec « il » est masculin bien qu’il aurait fallu le pronom neutre se rapportant à ta « descendance » qui en grec est un neutre (tà sperma)[5]. Ce manque de concordance est volontaire : le messie sera un individu, une personne unique, et non pas un peuple de façon générale.
Dans la même période, un Targum (traduction commentée de la Bible) paraphrase Gn 3,15 avec des additions libres : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre les descendants de tes fils et les descendants de ses fils. Et il arrivera que lorsque les fils de la femme observeront les préceptes de la loi [de Moise], ils te prendront pour cible et ils t’écraseront la tête. Quand par contre ils oublieront les préceptes de la loi, toi tu leur tendras un piège et les mordras au talon. Cependant, pour eux il y aura un remède, alors que pour toi il y n’aura pas remède. Ils trouveront un remède [?] pour leur talon le jour du roi messie »[6].
Le récit de l’Apocalypse précise la victoire du peuple sur Satan, « ils l'ont vaincu par le sang de l'Agneau [Jésus] et par la parole dont ils ont témoigné, car ils ont méprisé leur vie jusqu'à mourir » (Ap 12, 11), ce sont « les enfants » de la Femme enveloppée de soleil et couronnée d’étoiles, « ceux qui gardent les commandements de Dieu [ne pas voler, ne pas mentir, etc.] et possèdent le témoignage de Jésus. » (Ap 12,17).
Le récit de l’Annonciation précise ce qu’il en est de la victoire de la femme, mère du Messie : son oreille, fermée aux tentations sataniques, écoute la voix de l’ange Gabriel ; et d’un cœur entier, elle dit Oui à Dieu.
Et Marie d’Agreda (1602-1665), dont les écrits ont marqué des générations de catholiques, décrit une neuvaine préparatoire de la Vierge Marie avant l’Annonciation. Elle eut connaissance comment fut formée la matière, puis les propriétés des eaux, les herbes, les fruits, les plantes, les métaux, les pierres, les minéraux, et la connaissance qu'elle en eut surpassa celle d'Adam, de Salomon et des autres hommes… la forme et les influences des planètes… Dieu lui donna aussi la connaissance de l'amour infini de Dieu pour les hommes… Elle connut toutes les espèces d'animaux avec leurs qualités et leurs fonctions ; il lui fut accordé sur eux un empire absolu[7]… Elle connut l'état de la justice originelle et comment il fut perdu par Adam ; elle comprit la manière dont il fut tenté et vaincu, les effets de sa faute et la fureur des démons contre le genre humain. Dans cette connaissance, elle se chargea de pleurer ce premier péché... Se reconnaissant descendante de parents si ingrats envers Dieu, elle s'humilia et s'abaissa dans son néant, non pour avoir eu part à la faute d'Adam, mais parce qu'elle avait la même nature et était aussi sa fille. »[8]
Dans le texte araméen, à l’Annonciation, avant de donner son Oui, Marie est saluée comme « remplie de grâce [malyaṯ ṭaybūṯā] » (Lc 1, 28) : malyat est le participe passé passif du verbe remplir ; et ṭaybūṯā est la grâce-bonté, or, « il n’y a pas de bon [ṭāḇā], sinon un seul : Dieu ! » (Lc 18, 19) : Marie est pleine d’une bonté qu’elle a reçue comme une grâce de la part de Dieu, c’est pourquoi peu après l’ange précise : « tu as trouvé bonté-grâce [ṭaybūṯā] auprès de Dieu » (Lc 1, 30).
Psaume (Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4)
Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles ; par son bras très saint, par sa main puissante, il s'est assuré la victoire. Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations ; il s'est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d'Israël. La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu. Acclamez le Seigneur, terre entière, sonnez, chantez, jouez !
Le psaume 97 (98) est un hymne de louange universelle. Il se situe dans la série des psaumes « de royauté » (Ps 95-100) qui proclament le règne du Seigneur sur toutes les nations et sur la création entière. On peut diviser ce psaume en trois : vv. 1-3 : mémoire des grandes œuvres de Dieu, vv. 4-6 : invitation à la louange avec cris et instruments, vv. 7-9 : convocation cosmique pour acclamer le jugement du Seigneur.
« Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles ; par son bras très saint, par sa main puissante, il s'est assuré la victoire. »
Les Pères de l’Église voient dans ce « chant nouveau » une annonce du Christ : le « chant nouveau » est le chant de l’Église née de la Pâque (cf. St Augustin Enarr. in Ps. 97,1). Or la mère de Jésus fait aussi partie de l’Église née de la Pâque. Duns Scot (1265-1308) explique que « le Christ n’aurait pas rendu de réparation parfaite à la Très sainte Trinité s’il n’avait pas prévenu, au moins en quelqu’un, l’offense à la Trinité même… Il doit exister quelque descendant d’Adam, exempté de la faute originelle, qui n’ait pas de faute. » [9] Marie a donc cette grâce par anticipation. Elle est celle en qui le plan créateur et rédempteur réussit.
En 1854, le pape Pie IX déclara révélée de Dieu la doctrine selon laquelle : « la bienheureuse Vierge Marie fut dès le premier instant de sa Conception, par une grâce et un privilège spécial de Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute souillure de la faute originelle »[10].
Ceci étant dit, lorsque Dieu décide d’accomplir une œuvre qui concerne toute l’humanité — ici la conception et la naissance de la Vierge Marie — il n’agit pas seul ni de manière isolée. Au contraire, il rassemble tout ce qui est bon dans la création, aussi bien dans le monde non humain (la nature, l’ordre de la création) que dans les actes bons des personnes humaines. Dieu recueille chaque trace de bien produite dans le monde, et l’utilise comme matériau dans son œuvre, selon le principe de “récapitulation du bien” : « Le Verbe de Dieu, Jésus-Christ, s’est fait homme parmi les hommes, récapitulant en lui toute chose, afin de vaincre l’ennemi de Dieu, d’anéantir la mort et de faire vivre l’homme. » (IRÉNÉE de LYON, Contre les hérésies III, 18, 1).
« Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations ; il s'est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d'Israël. La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu. »
Selon le récit de sainte Bernadette, le 25 mars 1858 à Lourdes, Notre-Dame « leva les yeux au ciel, joignant en signe de prière ses mains qui étaient tendues et ouvertes vers la terre, et me dit : ‘Que soy era immaculada councepciou’ », c’est-à-dire : « Je suis l’Immaculée Conception ».
Saint Maximilien Kolbe vint à Lourdes le 30 janvier 1930 pour demander la bénédiction de la Mère Immaculée avant son départ en mission en Extrême Orient. Il s’étonna de l’expression « Je suis l’immaculée conception ». Le curé de Lourdes avait lui aussi vacillé sous le choc en disant : « une dame ne peut pas porter ce nom-là ! » En effet, ce titre ne semble pas découler directement de la définition du dogme : l’expression n’a pas une signification passive (je suis conçue immaculée), mais une signification active (je suis conception).
En quelque sorte, toutes les créatures sont conçues dans son Cœur virginal, elles reçoivent son aide et sa défense. J’explique dans mon livre sur l’évangile selon saint Luc que cet évangile a une structure en pendentif, avec un collier compteur qui introduit des fils d’oralité. Le premier fil est ainsi introduit par l’Annonciation à Marie. Ensuite, Jésus appelle Pierre (perle 3), Lévi (perle 6), lesquels se savent pécheurs, puis les Douze (perle 10). On peut dire que la structure de l’évangile de Luc en pendentif indique que les apôtres ont donné leur « Oui » dans le « Oui » de Marie à l’Annonciation (collier compteur).
« Acclamez le Seigneur, terre entière, sonnez, chantez, jouez ! »
Saint Anselme comprend, dans la foi, que la création entière, terrestre et angélique, est tout entière restaurée dans le Christ, en Marie immaculée. De plus, Marie immaculée anticipe la beauté resplendissante des réalités ultimes.
« Ciel, étoiles, terre, fleuves, jour, nuit et toutes les créatures qui sont soumises au pouvoir de l’homme ou disposées pour son utilité se réjouissent, O Notre Dame, d’avoir été par toi d’une certaine manière ressuscités à la splendeur qu’ils avaient perdue, et d’avoir reçu une nouvelle grâce inexprimable.
Les choses étaient comme mortes, car elles avaient perdu la dignité originelle à laquelle elles avaient été destinées. Leur but était de servir à la maîtrise ou aux nécessités des créatures auxquelles appartenait de faire monter la louange vers Dieu.
Elles étaient écrasées par l’oppression et avaient perdu leur vitalité par l’abus de ceux qui s’étaient faits serviteurs des idoles. Mais elles n’étaient pas destinées aux idoles. Maintenant par contre, presque ressuscitées, elles se réjouissent d’être soutenues par la maîtrise et embellies par l’usage des hommes qui louent Dieu.
Elles ont exulté comme d’une nouvelle et inestimable grâce en entendant que Dieu lui-même, leur Créateur, non seulement invisiblement les gouverne d’en haut, mais est aussi présent parmi eux visiblement, et les sanctifie en se servant d’elles.
Ces biens si grands sont venus du fruit béni du sein béni de Marie bénie.[…]
O femme pleine et surabondante de grâce, chaque créature reverdit, inondée du débordement de ta plénitude.
O Vierge bénie, par tes bénédictions chaque créature est bénie par son Créateur, et le Créateur est béni par chaque créature. […]
Dieu créa chaque créature, et Marie engendra Dieu : Dieu qui avait tout créé se fit lui-même créature de Marie, et a ainsi récréé tout ce qu’il avait créé. Et alors qu’il avait pu créer toutes les choses du néant, après leur ruine, il ne voulut pas les restaurer sans Marie. Celui qui a créé de rien toutes les choses n’a pas voulu les restaurer, après leur ruine, sans se faire d’abord fils de Marie. »[11]
Deuxième lecture (Ep 1, 3-6.11-12)
Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. Ainsi l’a voulu sa bonté, à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé. En lui, nous sommes devenus le domaine particulier de Dieu, nous y avons été prédestinés selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé : il a voulu que nous vivions à la louange de sa gloire, nous qui avons d’avance espéré dans le Christ.– Parole du Seigneur.
Il y a une relation de bénédictions réciproques. « Béni soit Dieu, …Il nous a bénis ». « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ.» (v.3)
Le « bénédictions de l’Esprit, » sont « au ciel ». Hier comme aujourd’hui, gnostiques et spiritualistes sont tentés de faire du Christ une puissance inférieure tout en continuant à placer leurs espoirs de salut dans les puissances de l’air, les esprits... Les baptisés sont déjà « au ciel », dans les cieux qui dominent tous les autres (le grec dit : επουρανιοις) et où le chrétien est appelé à se détourner des tentations des pratiques occultes.
« 4 Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. » (Ep 1,4)
L'élection est l'entrée dans une relation devenue possible par le fait que le Christ nous a sauvés. Nous avons dans le Christ ("en lui") la possibilité de rencontrer Dieu le Créateur. Ce lieu de rencontre existait dans le Christ « avant la fondation du monde », c’est un principe éternel et divin.
« 5 Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ » « Prédestinés » : il ne s’agit pas d’un déterminisme, simplement Dieu n’a pas créé sans but et pour l’absurde, il nous a créés pour la sainteté et l’amour. Saint Paul dit aussi : « Ceux qu’il a prédestinés, il [Dieu] les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés » (Rm 8, 30). Dieu agit pour le bien. Luther fit l’erreur d’ajouter que Dieu prédestine aussi au mal, une erreur que l’on retrouve aussi dans l’islam et que l’on retrouvera chez l’Antichrist [12]. Or,
c’est faux. Nous sommes comme de bonnes et de mauvaises poteries (Rm 9,21) ; Dieu "a préparé" les vases d’élection (v.23), mais ce n’est pas lui qui prépare les vases pour la perdition, il les « supporte » (Rm 9,22) [13].
« Saints et immaculés » (Ep 1,4) c’est la qualité des offrandes rituelles : dans le dessein éternel de Dieu, l'Église est, dans le Christ, comme une offrande sainte et sans tache devant Dieu, donc un lieu de rencontre entre Dieu et les hommes. Après « l'offrande sainte et immaculée », ce sera une liturgie d'action de grâce. « Ainsi l’a voulu sa bonté, à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé » (v. 6).
« 11 En lui, nous sommes devenus le domaine particulier de Dieu, nous y avons été prédestinés selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé : 12 il a voulu que nous vivions à la louange de sa gloire, nous qui avons d’avance espéré dans le Christ. » (Ep 1,11-12)
« Nous qui avons d’avance espéré dans le Christ. » (Ep 1,12) Il s’agit ici des hébreux qui étaient devenus « le domaine particulier » de Dieu (Dt 7), un peuple élu pour préparer la venue du Messie, le Christ en qui ils ont « d’avance espéré ». Mais, en refusant de se faire baptiser par Jean-Baptiste, les pharisiens et les scribes ont rejeté « en leur âme », voire « contre eux-mêmes »[14], le dessein de Dieu (Lc 7, 30). Ce « dessein de Dieu » est qu’Israël soit un médiateur pour la guérison des païens, par exemple, le centurion a envoyé en délégation les anciens des Juifs (Lc 7, 1-10). Saint Paul lui-même est un pharisien choisi par Dieu et qui travaille puissamment à l’évangélisation.
La Vierge immaculée fait aussi partie du « domaine particulier » (Ep 1,11) de Dieu et de « ceux qui ont d’avance espéré dans le Christ » (v. 12), le Messie attendu. Dans l’évangile, l’ange dit à Marie : « Paix [salut] à toi, remplie de grâce, notre Seigneur est avec toi, bénie d’entre les femmes ! » (Lc 1, 28 Pshitta texte liturgique araméen).
« Notre Seigneur est avec toi » rappelle la parole de l’ange à Gédéon pour le rendre fort dans son combat (Jg 6, 12). Marie devra être forte dans sa mission auprès de Jésus.
Marie s’interroge au sujet de l’homme (Joseph) ; c’est pourquoi la tradition de l’Église considère un vœu de virginité de Marie (et Joseph).
L’ange donne un signe à Marie. La stérilité d’Élisabeth semblait une réalité têtue, l’adjectif araméen « ᶜṭel » signifie « têtu, difficile, dur, obtus », mais pas pour Dieu à qui rien n’est « dur » (Lc 1,37). C’est donc une parole rassurante que l’ange adresse à Marie, sa vocation peut lui sembler très « difficile », mais pas pour Dieu.
Marie peut donc aller de l’avant avec le Seigneur et dire en toute confiance : « me voici ! » (Lc 1,38). Ce n’est pas une définition abstraite (« Je suis la servante ») ; en disant « me voici » (araméen « hā ennā », latin « Ecce », grec « ιδου »), Marie se place dans le dynamisme de l’histoire. L’aventure va commencer !
Nous aussi, donnons notre Oui, disons « me voici » de manière à pouvoir vivre, comme dit saint Paul, « selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé » (Ep 1,11). Cette expression de saint Paul vise l’accomplissement de la prière du Notre Père, l’accomplissement de la volonté du Père sur la terre comme au Ciel, un accomplissement qui passe par notre adhésion libre, car Dieu ne veut pas des esclaves, mais « des fils adoptifs par Jésus, le Christ. » (Ep 1,5)
L’ange a salué Marie pleine de grâce (« grâce-bonté [ṭaybūṯā – racine tb] » (Lc 1,28), Marie est belle parce qu’elle aime. Après sa réponse positive, Marie devient la mère de Jésus, le « Fils du Très Haut » (Lc 1,30), ce qui nous invite à comprendre que sa bonté [ṭaybūṯā] devient sublime, les noces de l’Alliance prophétisées par Osée ou Isaïe (Is 54, 5 ; 61, 10, 62, 5 etc.) s’accomplissent d’une manière inouïe. Désormais Marie voit les créatures avec un esprit d’Épouse du Très Haut et de Mère du Rédempteur. Ce regard très positif que Marie pose sur nous, saint Paul, à sa manière, nous le décrit : Dieu « 4 nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. 5 Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. » Et c’est ce que veut Marie.
Évangile (Lc 1, 26-38)
Extraits de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur (Paris). Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. (472 pages).
Texte traduit de la Pshitta.
« 26 Or, le sixième mois,
l’ange Gabriel fut député de Dieu, vers la Galilée / vers un chef-lieu du nom de Nazareth,
27 auprès d’une vierge / fiancée à un homme du nom de Joseph de la maison de David,
et le nom de la vierge était / Marie.
28 L’ange entra chez elle, / et lui dit :
‘Paix [salut] à toi, remplie de grâce, / notre Seigneur est avec toi, bénie d’entre les femmes’.
29 Or elle, lorsqu’elle le vit, / fut prise d’effroi à sa parole ;
et elle raisonnait / sur ce que signifiait cette salutation.
30 L’ange lui dit :
‘Ne crains pas, Marie ; / tu as trouvé grâce en effet auprès de Dieu.
31 Voici en effet, tu seras enceinte, / et tu enfanteras un fils ;
et tu appelleras son nom : / Jésus.
32 Celui-ci sera grand, / et c’est Fils du Très Haut qu’il sera appelé,
et il lui donnera, le Seigneur Dieu / le trône de David, son père.
33 Il règnera sur la maison de Jacob / pour toujours
et son règne / n’aura pas de fin’.
34 Marie dit à l’ange :
‘Comment / adviendra ceci :
car l’homme (le fiancé) / n’est pas connu de moi’.
35 L’ange répondit, / et lui dit :
‘L’Esprit Saint viendra, / et la Puissance du Très Haut t’envahira,
c’est pourquoi celui qui sera enfanté en toi / sera saint,
et c’est Fils de Dieu / qu’il sera appelé.
36 Et voici, Élisabeth, ta parente, / elle aussi est enceinte d’un fils dans sa vieillesse,
et elle en est dans son sixième mois, / elle qui est appelée la stérile.
37 Parce qu’à Dieu / rien n’est difficile’.
38 Marie dit :
‘Me voici / la servante du SEIGNEUR[15] ;
qu’il me soit fait / selon ta parole !’
Et l’ange partit de chez elle ».
Suggestion de gestes pour la récitation orale :
v. 28 : L’ange s’incline en croisant les bras sur sa poitrine.
v. 29 : Marie « prise d’effroi » : ses mains cachent son visage.
v. 30 : « Ne crains pas » : imposer les mains en descendant.
v. 33 : « Il règnera » : geste de tenir un sceptre ; « pour toujours » : un bras s’étend vers le lointain.
v. 35 : Suggérer (bras et regard) la descente du « Fils de Dieu » qui s’incarne.
v. 38 : « Me voici » : suggérer l’élan généreux de Marie qui s’offre à la volonté divine.
L’ange dit à Marie qu’elle est pleine de grâce. En grec, nous avons « κεχαριτωμενη », un parfait passif qui exprime aussi une action accomplie : Marie est déjà comblée de grâce. En araméen nous avons « pleine de grâce-bonté [ṭaybūṯā] » (Lc 1,28). Or, « il n’y a pas de bon [ṭāḇā], sinon un seul : Dieu ! » (Lc 18, 19) : Marie est pleine d’une bonté qu’elle a reçue comme une grâce de la part de Dieu, c’est pourquoi peu après l’ange précise : « tu as trouvé bonté-grâce [ṭaybūṯā] auprès de Dieu » (Lc 1, 30).
« Bénie entre les femmes » (Lc 1, 28) fait aussi partie des paroles de l’ange dans le texte araméen de la Pshitta, (et dans la vulgate clémentine ainsi que dans la version liturgique grecque), mais l’expression est absente dans le texte grec universitaire de Nestlé Aland et donc de la Bible de Jérusalem.
La présence de l’ange Gabriel suggère l’accomplissement de la prophétie des 70 semaines (Dn 9), et donc la venue du Messie.
« Tu appelleras son nom : Jésus » (Lc 1, 31). Ce nom dérive du verbe hébreu « Yâša’ », sauver.
« Celui-ci sera grand » (Lc 1, 32), non plus grand en présence du Seigneur comme Jean (Lc 1, 15) mais grand de façon absolue, comme les psaumes l’affirment de Dieu[16]. D’ailleurs, l’ange Gabriel rappelle la prophétie de Nathan à David : « J’établirai à jamais son trône royal. Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils » (2S 7, 13-14), mais l’ange inverse les propositions : « Fils du Très-Haut » passe en premier ! « et c’est Fils du Très Haut qu’il sera appelé, et il lui donnera, le Seigneur Dieu / le trône de David, son père » (Lc 1, 32). Si le trône de David est « donné » à Jésus, c’est au titre de Fils du Très-Haut plus qu’en fonction d’une lignée davidique[17].
Et voici un point important. Dans la Bible, l’idée que Dieu visite son peuple est très présente, c’est le cœur de l’espérance juive, même si le comment ne ressort clairement d’aucune prophétie. Marie dit : «
Comment adviendra ceci ? » (Lc 1, 34), et…
« L’ange répondit, / et lui dit :
‘L’Esprit Saint viendra, / et la Puissance du Très Haut t’envahira,
c’est pourquoi celui qui sera enfanté en toi / sera saint,
et c’est Fils de Dieu / qu’il sera appelé’ » (Lc 1, 35).
L’ange Gabriel dit que l’Esprit Saint « viendra [tīṯe] » (le verbe est au féminin, ce qui empêche toute assimilation de l’Esprit Saint, rūḥā d-qūḏšā, au géniteur divin de la mythologie). Ce verbe, s’il avait un complément signifierait « donner ».
L’ange dit ensuite : « la puissance du Très-Haut t’envahira [verbe « agen »] », mais, avec un complément , ce même verbe signifie « faire descendre » quelque chose ou quelqu’un. Or il y a implicitement un complément : celui que Marie va enfanter.
Le texte grec a pris soin de souligner le mouvement de descente en répétant le préfixe «ἐπι »
: Πνεῦμα Ἅγιον ἐπελεύσεται ἐπὶ σὲ καὶ δύναμις ὑψίστου ἐπισκιάσει σοι, littéralement l’Esprit Saint surviendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira.
Peut-on confondre ce mouvement « descendant » avec la croyance païenne en un homme divinisé dans un mouvement « ascendant » ? Pourtant, beaucoup d’universitaires font une telle confusion en affirmant que des communautés auraient inventé la foi en la divinité du Christ – avec un mouvement ascendant typiquement païen –, et dans la langue des communautés issues du paganisme : en grec [18].
Quand Philon, juif d’Alexandrie, vint à Rome et y vit l’empereur s’exhiber déguisé en Jupiter, il fut outré. Il écrit dans la Legatio ad Caïum : « Dieu se changerait plutôt en homme que l’homme en Dieu » [19]. Sa réaction est typiquement biblique, où
Dieu est « descendu » délivrer son peuple (Ex 3, 8). Oui, c’est Dieu qui descend, et lui seul peut « vivifier ». En face, les croyances païennes ne sont que des ballons de baudruche parce qu’un homme qui, comme Caïus Caligula, se « diviniserait » ne peut être qu’un faux messie qui s’éteint dans la poussière de son palais, ou un modèle qui ne donne pas la vie.
Dieu descend en Marie, et pour recevoir ainsi en elle la Divinité, il est raisonnable et digne de dire que Marie est conçue immaculée. Marie n’est pas seulement sans péché, elle est dans une plénitude. Dieu seul est bon. L’ange dit à Marie qu’elle est pleine de grâce (« grâce-bonté [ṭaybūṯā] » (Lc 1,28). Elle est pétrie de l’Esprit Saint, remplie de bonté divine, elle est en mesure d’accueillir en elle celui qui est la Bonté, le seul Bon, Dieu.
[1] Saint Irénée, Contre les Hérésies IV,38,1
[2] Saint Basile de Césarée, Sur l’origine de l’homme, Homélie I,16
[3] La majuscule dans le texte du rituel est déterminante : il s’agit du Nom de Dieu. Le chevalier Kadosh est donc, selon la franc-maçonnerie, un dieu !
[4] Irène MAYNGUY, Symbolique des grades philosophiques, Ed. Dervy 2015, p. 475
[5] R.Martin, The earliest Messianic Interpretation of Gen 3.15 in Journal of biblical Literature 84 (1965) 425-427
[6] Version araméenne du Targum palestinien du pseudo Jonathan, Cf. R. Le DEAULT, Targum du Pentateuque I. Genèse, Cerf, Paris p.93-95
[7] Et à sa suite, saint François d’Assise, saint Séraphim de Sarov, Mélanie Calvat, bergère bénéficiant de l’apparition de la Salette.
[8] MARIE d’AGREDA, Vie divine de la très-sainte Vierge Marie - CHAPITRE VII, Ictus.
[9] DUNS SCOT, En III sententiarum, d 3, q 1
[10] PIE IX, Extraits de la Bulle « Ineffabilis Deus » du 8 Décembre 1854
[11]ST ANSELME, Oratio 52, PL 158,956 A, citée dans la Liturgie des heures, 8 décembre, office des lectures
[12] Bien évidemment, l’Antichrist et ses adeptes auront tout intérêt à dire qu’ils sont prédestinés à commettre toutes les iniquités qu’ils feront !
[13] Cf. CONCILE DE TRENTE, 6° session, Canons sur la justification.
[14] « b-napšhon » commence avec la conjonction « b » qui peut signifier : par, avec, dans, contre, au sujet de » et peut donc être traduit « dans leur âme, en eux-mêmes, par eux-mêmes, contre eux-mêmes, à leur sujet, à leur égard ».
[15] Rappelons que nous utilisons la graphie SEIGNEUR pour transcrire « māryā », considéré comme l’équivalent du tétragramme.
[16] Ps 76, 14 ; 85, 10 ; 94, 3.
[17] Philippe BOSSUYT et Jean RADERMAKERS, Jésus Parole de la grâce selon saint Luc, éditions Lessius, 3e édition, Bruxelles 1999, p. 100
[18] C’est la thèse de la publication financée par le ministère de la culture : Après Jésus, l’invention du christianisme (sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim), Albin Michel, 2020.
[19] Philon d’Alexandrie, Légation à Caïus, trad. Delaunay, Paris, Didier, 1870, p.310 (§ 118).
Date de dernière mise à jour : 08/11/2025