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Noël Messe du jour

Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
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Première lecture (Is 52, 7-10)
Psaume (Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4, 5-6)
Première lecture (Is 52, 7-10)
Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : « Il règne, ton Dieu ! » Écoutez la voix des guetteurs : ils élèvent la voix, tous ensemble ils crient de joie car, de leurs propres yeux, ils voient le Seigneur qui revient à Sion. Éclatez en cris de joie, vous, ruines de Jérusalem, car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem ! Le Seigneur a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. – Parole du Seigneur.
Cette lecture peut se lire à trois niveaux. 1- au temps d’Isaïe. 2- pour nous qui fêtons aujourd’hui Noël. 3- dans l’espérance de l’ultime venue de Jésus lors de son retour glorieux.
- Au temps d’Isaïe.
Les « ruines de Jérusalem » dont Isaïe parle sont la conséquence de la prise de la ville par les armées de Nabuchodonosor. Toute l’élite avait alors été déportée à Babylone dans les années 597 et 587 avant J.-C. Or voici qu’un messager annonce que les exilés reviennent. Et les guetteurs sur les collines sont les premiers à entendre la nouvelle. Dans leur regard de foi, ce n’est pas seulement Cyrus, le roi des Perses, qui permet ce retour à Jérusalem, c’est le Seigneur, le Dieu vivant qui s’est révélé à Abraham et à Moïse, le souverain maître de l’histoire. Par cet événement que le monde entier pouvait constater, « le Seigneur a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations ».
2- Pour nous qui fêtons aujourd’hui Noël.
« Comme ils sont beaux, sur les montagnes, les pas du messager… » dit Isaïe.
Ce messager traverse les collines pour annoncer la paix, porter la bonne nouvelle, proclamer le salut. Il ne vient pas parce que Jérusalem aurait enfin mérité quelque chose, mais parce que Dieu se remet en marche vers son peuple, malgré les ruines, malgré l’ingratitude, malgré l’histoire blessée. « Éclatez en cris de joie, vous, ruines de Jérusalem, car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem ! » Cette démarche divine ne dépend pas de la force du peuple, mais de la générosité du Seigneur. Il y a 2000 ans, si le Fils de Dieu avait laissé son cœur se fixer sur l’ingratitude humaine, il serait retourné auprès du Père. En cette fête de Noël, si Jésus laissait son cœur s’arrêter à nos infidélités, il ne s’offrirait pas à venir naître en nous. Mais rien n’arrête son amour : il met tout cela derrière lui pour laisser jaillir ses œuvres les plus grandes, comme si nos ombres n’avaient aucun poids devant la lumière qu’Il apporte. De même qu’Il gravit les montagnes pour atteindre Jérusalem – même en ruine – Il franchit nos montagnes intérieures pour rejoindre un cœur parfois lassé, parfois abîmé. « Éclatez de joie, ruines de Jérusalem ! » disait Isaïe.
C’est comme si le Seigneur disait aussi à chacun : « Laisse-moi te rejoindre jusque dans tes ruines ; ce n’est pas ta force mais ma présence qui les transformera. »
Le prophète montrait des guetteurs qui, du haut des murailles, voient le Seigneur revenir. Aujourd’hui encore, là où l’âme cesse de se regarder dans sa fragilité et relève un peu les yeux, elle devient ce guetteur : elle aperçoit Celui qui s’approche, Celui qui revient, Celui qui console. Car plus une personne se concentre sur sa misère, plus elle s’affaiblit : la pensée nourrit ce qu’elle fixe. Les malheurs prennent de la place lorsqu’on leur fait place ; les faiblesses s’étendent lorsqu’on les observe sans fin. À force de regarder l’obscurité, on finit par lui donner consistance.
Mais si l’on détourne le regard de tout cela, les ténèbres perdent leur pouvoir.
Et comme le messager d’Isaïe portait la bonne nouvelle vers Sion, le bien, lorsqu’il est accueilli, appelle un autre bien ; un acte d’amour en fait naître un autre ; un mouvement d’abandon ouvre la porte à la vie divine qui cherche à se communiquer. Penser au bien, c’est nourrir la force intérieure ; penser à l’amour, c’est attirer davantage d’amour.
Le Seigneur veut que l’âme se concentre moins sur sa faiblesse que sur la lumière qu’Il lui apporte ; moins sur sa pauvreté que sur la paix qu’Il dépose.
Dans Isaïe, Dieu rend la vie à une cité dévastée ; dans le cœur, Il agit de même : son amour consume les misères, et sa Volonté devient peu à peu une vie nouvelle en nous. Elle peut même se servir de nos fragilités comme d’un socle humble où établir son règne, de la même façon qu’Il a posé sa consolation sur les ruines de Jérusalem.
Ainsi, l’annonce du prophète – « Il règne, ton Dieu ! » – devient plus qu’un message : elle devient une expérience intérieure. Comme les montagnes se réjouissent devant les pas du messager, l’âme aussi peut s’éveiller et reconnaître le Règne de Dieu.
3- Dans l’espérance de l’ultime venue de Jésus lors de son retour glorieux.
Le prophète Isaïe montre Jérusalem comme un peuple aux yeux ouverts : les guetteurs voient de leurs propres yeux le Seigneur qui revient à Sion, et les ruines mêmes de la ville se changent en cris de joie. Or cette scène, dans sa splendeur et son élan, porte déjà l’empreinte de la grande Venue finale : la Parousie.
Dans Isaïe, Dieu restaure sa ville ; à la Parousie, Jésus reviendra pour une régénération (Mt 19,28) et une restauration de toutes choses (Ac 3,21).
Dans Isaïe, la ville rebâtie devient le signe du règne de Dieu ; à la Parousie, ce règne s’accomplira « sur la terre comme au ciel » (Mt 6,10).
Dans Isaïe, Dieu vient consoler un peuple meurtri ; la Venue glorieuse du Christ ne sera pas seulement consolation, mais aussi jugement libérateur par la défaite définitive de l’Antichrist (2 Th 2,3-12).
Ce que les guetteurs d’Isaïe voient de loin — le Seigneur qui revient — correspond au moment où « ceux qui l’attendent pour leur salut » seront vivifiés par Lui (He 9,28).
Saint Irénée dit : « Le Seigneur viendra du haut du ciel, sur les nuées, dans la gloire de son Père (Mt 16,27 ; Mc 13,26), et il enverra dans l’étang de feu l’Antéchrist avec ses fidèles (Ap 19,20) ; il inaugurera en même temps pour les justes les temps du royaume, c’est-à-dire le repos, le septième jour qui fut sanctifié (Gn 2,2-3) » (Saint IRÉNÉE, Contre les hérésies, Livre V,30,4), le huitième jour étant l’éternité.
Isaïe dit : « Le Seigneur a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations » ; l’eschatologie annonce une création transfigurée, révélant le Roi dans sa gloire, Jésus. La joie des guetteurs sur les murailles devient ainsi une image de l’Église en veille, l’Église qui scrute l’horizon de l’histoire du salut.
Psaume (Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4, 5-6)
Don Guéranger, dans « L’année liturgique », donne à lire saint Éphrem le Syrien : « Daignez, Seigneur, nous permettre de célébrer aujourd’hui le propre jour de votre naissance, que la solennité présente nous rappelle. Ce jour est semblable à vous ; il est ami des hommes. À travers les âges, il revient chaque année ; il vieillit avec les vieillards, et il se renouvelle avec l’enfant qui vient de naître. Chaque année, il nous visite et passe ; puis il revient plein de charmes. Il sait que la nature humaine ne saurait se passer de lui ; comme vous, il vient au secours de notre race en péril. Le monde entier, Seigneur, a soif du jour de votre naissance ; cet heureux jour contient en lui-même les siècles à venir [nous y reviendrons] ; il est un, et il se multiplie. Qu’il soit donc, cette année encore, semblable à vous, amenant la paix entre le ciel et la terre. Si tous les jours sont marqués par votre libéralité, combien est-il juste qu’elle déborde en celui-ci ? » C’est ainsi que nous prions le psaume :
« Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles ; par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire. Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations ; il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël. La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu. Acclamez le Seigneur, terre entière, sonnez, chantez, jouez ! Jouez pour le Seigneur sur la cithare, sur la cithare et tous les instruments ; au son de la trompette et du cor, acclamez votre roi, le Seigneur ! »
La fête de Noël contemple un Dieu qui vient dans la douceur d’un enfant, dans la fragilité d’une crèche. Le Verbe se fait chair comme une semence discrète dans le silence de la nuit. Mais cette venue humble porte déjà en elle une autre venue, éclatante, celle que saint Irénée appelle « le Seigneur venant sur les nuées, dans la gloire de son Père » (AH V,30,4).
La naissance du Christ est le commencement visible d’un mouvement qui n’aura son accomplissement qu’à la Parousie : l’Enfant que l’on accueille dans la pauvreté de Bethléem est celui-là même qui jugera l’Antichrist, qui renversera tout ce qui s’oppose à la vérité, et qui ouvrira pour les justes « les temps du royaume » (AH V,30,4), ce repos sacré entrevu dès la Genèse, le septième jour.
Ainsi, Noël et la fin des temps ne s’opposent pas : ils se répondent.
À Bethléem, Dieu entre dans l’histoire. À la Parousie, il en dévoilera la fin.
À Bethléem, il se cache. À la Parousie, il se manifestera.
À Bethléem, il assume notre faiblesse. À la Parousie, il vaincra le mal jusqu’à ses racines.
Ce que saint Irénée appelle le « septième jour sanctifié » (AH V,30,4), – le repos de Dieu, la paix intérieure et cosmique – commence en germe dans la mangeoire et s’accomplira en plénitude lorsque le Christ remettra le Royaume au Père, ouvrant alors l’« huitième jour », celui de l’éternité.
Ce fil mystérieux entre les deux venues éclaire le Psaume 97, chanté à Noël.
Le psalmiste contemple déjà, comme en vision, ce que Dieu accomplit dans le temps :
« Il a fait des merveilles ; par son bras très saint, il s’est assuré la victoire. »
Cette victoire, à Noël, semble encore invisible : l’Enfant dort, fragile, dépendant. Et pourtant, aux yeux de la foi, la victoire est déjà là. Celui qui repose dans les bras de Marie est « le bras très saint » du Seigneur, la Puissance de Dieu faite chair, la Justice qui se manifeste provisoirement dans le silence, mais qui se révélera pleinement à la fin.
« Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. »
À Noël, les nations ne voient qu’un bébé pauvre ; à la Parousie, « la terre tout entière verra la victoire de notre Dieu ». Noël prépare cette manifestation ultime : la lumière née dans la nuit de Bethléem grandira jusqu’à éclairer les peuples, jusqu’à dissiper les ténèbres du mensonge et de la violence, jusqu’à vaincre l’Antichrist décrit par l’Apocalypse.
Le Psaume invite la création entière à chanter cette œuvre :
« Acclamez le Seigneur, terre entière ! Sonnez, chantez, jouez ! » Ce cri de joie n’est pas seulement celui de la crèche ; il est celui de toute l’histoire se tendant vers son achèvement. Il est la réponse de la terre à la fidélité de Dieu, à son amour persévérant qui commence dans l’enfance de Jésus et se déploie jusqu’à la gloire finale.
À Noël, le monde chante parce que Dieu descend. À la Parousie, le monde chantera parce que Dieu règnera.
Ainsi, la liturgie de Noël n’est pas seulement mémoire : elle est prophétie. Le chant nouveau que le psalmiste appelle de ses vœux commence dans nos voix tremblantes, mais il trouvera son plein éclat lorsque le Christ, né pour nous dans le secret d’une nuit, reviendra en pleine lumière, pour que toute la création entre enfin dans le repos de Dieu, puis dans l’éternité du huitième jour.
En ce jour de Noël, c’est donc avec une conscience plus large que nous écoutons saint Bernard, qui épanche une douce allégresse dans ces mélodieuses paroles :
« Voici que nous venons d’entendre une nouvelle pleine de grâce, et faite pour être acceptée avec transport : Jésus-Christ, Fils de Dieu, naît en Bethléhem de Judée. Mon âme s’est fondue à cette parole ; mon esprit bouillonne en moi, pressé que je suis de vous annoncer un tel bonheur. Jésus veut dire Sauveur. Quoi de plus nécessaire qu’un Sauveur à ceux qui étaient perdus, de plus désirable à des infortunés, de plus avantageux à ceux que le désespoir accablait ?
Où était le salut, où était même l’espérance du salut, si légère qu’elle fût, sous cette loi de péché, dans ce corps de mort, au milieu de cette perversité, dans ce séjour d’affliction, si ce salut n’était né tout à coup, et contre toute espérance ? O homme, tu désires, il est vrai, ta guérison ; mais, ayant la conscience de ta faiblesse et de ton infirmité, tu redoutes la rigueur du traitement. Ne crains pas : le Christ est suave et doux ; sa miséricorde est immense ; comme Christ [Christ veut dire « oint »], il a reçu l’huile en partage, mais c’est pour la répandre sur tes plaies.
Et si je te dis qu’il est doux, ne va pas craindre que ton Sauveur manque de puissance ; car on ajoute qu’il est Fils de Dieu. Tressaillons donc, ruminant en nous-mêmes, et faisant éclater au-dehors cette douce sentence, cette suave parole : Jésus-Christ, Fils de Dieu, naît en Bethléhem de Judée ! » (Saint Bernard, Sermon VI pour la Vigile de Noël).
Deuxième lecture (He 1, 1-6)
« À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes.
Rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être, le Fils, qui porte l’univers par sa parole puissante, après avoir accompli la purification des péchés, s’est assis à la droite de la Majesté divine dans les hauteurs des cieux ; et il est devenu bien supérieur aux anges, dans la mesure même où il a reçu en héritage un nom si différent du leur. En effet, Dieu déclara-t-il jamais à un ange : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ? Ou bien encore : Moi, je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils ? À l’inverse, au moment d’introduire le Premier-né dans le monde à venir, il dit : Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. – Parole du Seigneur. »
En ce jour de Noël s’est accomplie l’attente du Messie annoncée par les prophètes. « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin [littéralement, en ces derniers jours, en ces jours postérieurs waḇhālēn yawmāṯā ḥrāye], en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. »
Le Christ est « Rayonnement [ṣemḥā : rayonnement ou germe, du verbe ṣmaḥ briller, allumer, ou germer] de la gloire [d-šūḇḥēh] de Dieu, expression parfaite [ṣalmā : image, portrait, figure, c’est le même mot qu’en Gn 1,27 quand il est dit que Dieu créa l’homme à son image] de son être ». « La gloire de Dieu resplendit sur le visage de l’homme. En lui, le Créateur trouve son repos, ainsi que le commente saint Ambroise avec admiration et émotion : " Le sixième jour est terminé ; la création du monde s’est achevée avec la formation de ce chef-d’oeuvre qu’est l’homme, lui qui exerce son pouvoir sur tous les êtres vivants et qui est comme le sommet de l’univers et la beauté suprême de tout être créé. En vérité, nous devrions observer un silence respectueux, car le Seigneur s’est reposé de toute la création du monde. Il s’est reposé ensuite à l’intime de l’homme, il s’est reposé dans son esprit et sa pensée ; en effet, il avait créé l’homme doué de raison, capable de l’imiter, émule de ses vertus, assoiffé des grâces célestes. » (Hexameron, VI, 75-76 : CSEL 32, pp. 260-261).
Le merveilleux projet de Dieu a malheureusement été contrarié par l’irruption du péché dans l’histoire. Le projet de vie confié au premier Adam trouve finalement son accomplissement dans le Christ. « Rayonnement [ou germe] de la gloire de Dieu, expression parfaite [ou image] de son être » (He 1,3,) le Christ est l’image parfaite du Père. L’obéissance rédemptrice du Christ est source de grâce qui rejaillit sur les hommes en ouvrant à tous les portes du royaume de la vie.
Devant le Buisson ardent, il fut dit à Moïse : « N’approche pas. Ote tes sandales » (Ex 3,5). Ce seuil de la Sainteté divine, Jésus seul pouvait le franchir, lui qui, « ayant accompli la purification des péchés » (He 1,3), nous introduit devant la Face du Père : « Nous voici, moi et mes enfants que tu m’as donnés » (He 2,13), c’est ainsi que l’assemblée eucharistique est invitée à prier Notre Père avec une audace filiale.
Dans la solennité de Noël, l’épître aux Hébreux proclame que Dieu, après avoir parlé par les prophètes, « nous a parlé par son Fils » (He 1,1-2). Saint Thomas explique que cette venue du Fils ne supprime pas les voix anciennes, mais les accomplit : ce que les prophètes annonçaient de l’extérieur, le Fils le réalise de l’intérieur, parce qu’Il est la Parole même, non un messager parmi d’autres.
Saint Paul affirme que le Fils est « l’héritier de toutes choses » et « celui par qui Dieu a créé les mondes ». Saint Thomas d’Aquin commente que tout ce que la créature peut recevoir ou accomplir, le Christ peut l’opérer « en tant qu’instrument uni au Verbe » (III q.13 a.2). Il distingue : – selon sa divinité, le Fils possède tout avec le Père ; – selon son humanité, Il reçoit tout en héritage parce que son âme, unie personnellement au Verbe, reçoit une puissance dépassant celle de toute créature.
C’est pourquoi saint Thomas note que l’âme du Christ peut agir au-delà des capacités naturelles de toute créature, non par un pouvoir propre, mais comme instrument de la puissance divine (III q.13 a.2 ad 2-3). Non seulement Jésus accomplit les miracles, mais « Il pouvait transmettre ce pouvoir à d’autres » (III q.13 a.2 ad 3) — ce que montre l’envoi des Douze : « Il leur donna pouvoir… » (Mt 10,1).
Quand la lettre aux Hébreux proclame que le Fils est « Rayonnement de la gloire du Père, expression parfaite de son être », saint Thomas insiste sur la double opération du Christ (III q.19 a.1) : – une opération divine, éternelle, créatrice ; – une opération humaine, réelle, complète et distincte. Si l’on confondait les deux, dit-il, on nierait soit la perfection de l’humanité du Christ, soit la distinction des natures. Le Christ agit donc à la fois comme Dieu et comme homme, sans confusion ni séparation.
Quand saint Paul dit que le Fils « porte l’univers par sa Parole puissante », saint Thomas voit là la manifestation de l’opération divine : aucune créature ne pourrait porter l’être lui-même. Mais que ce portage soit attribué au Christ manifesté à Noël signifie que l’humanité assumée par le Verbe est désormais l’instrument par lequel la Sagesse éternelle soutient le monde. Le Verbe fait chair n’est pas un témoin extérieur de la puissance divine : il en est l’expression visible.
Saint Paul ajoute qu’après avoir purifié les péchés, le Fils « s’est assis à la droite de la Majesté ». Saint Thomas commente ce mystère (III q.58 a.3) : être l’égal du Père ne revient pas à la nature humaine, mais à la Personne du Fils ; toutefois, la nature humaine du Christ reçoit une participation qui dépasse toute créature : elle est élevée au-dessus des anges, elle partage les biens divins selon un mode unique. Ainsi, s’asseoir à la droite signifie que l’humanité de Jésus participe à la souveraineté divine.
Et quand l’épître affirme que le Christ est « devenu supérieur aux anges », saint Thomas souligne encore davantage ce point (III q.22 a.1). Le Christ est supérieur aux anges non seulement en tant que Dieu, mais même comme homme, parce qu’il possède la plénitude de grâce et de gloire. Les anges sont médiateurs entre Dieu et l’homme ; mais le Christ l’est plus encore, au point que les anges deviennent ministres de son sacerdoce (cf. Mt 4,11). Pourtant, ajoute saint Thomas, dans l’ordre de la condition passible, le Christ « fut abaissé un moment au-dessous des anges »— non parce qu’il leur serait inférieur en dignité, mais parce qu’il assume la faiblesse de notre chair pour nous y rejoindre (III q.22 a.1).
Alors lorsque l’épître déclare : « Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu », cela signifie que l’humanité du Christ, unie au Verbe, reçoit un honneur que les anges eux-mêmes n’ont jamais reçu : ils adorent Dieu dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme.
En introduction de cet Évangile, Dom Guéranger, dans « l’année liturgique », explique : « Le mystère que l’Église honore, en cette troisième Messe, est la Naissance éternelle du Fils de Dieu au sein de son Père. Elle a célébré, à minuit, le Dieu-Homme naissant du sein de la Vierge dans l’étable ; à l’aurore, le divin Enfant prenant naissance dans le cœur des bergers ; en ce moment, il lui reste à contempler une naissance bien plus merveilleuse que les deux autres, une naissance dont la lumière éblouit les regards des Anges, et qui est elle-même l’éternel témoignage de la sublime fécondité de notre Dieu. Le Fils de Marie est aussi le Fils de Dieu ; notre devoir est de proclamer aujourd’hui la gloire de cette ineffable génération qui le produit consubstantiel à son Père, Dieu de Dieu, Lumière de Lumière. Élevons donc nos regards jusqu’à ce Verbe éternel qui était au commencement avec Dieu, et sans lequel Dieu n’a jamais été ; car il est la forme de sa substance et la splendeur de son éternelle vérité. »[1]
Voici maintenant la lecture de l’évangile. La traduction est de Françoise BREYNAERT, avec l’imprimatur de la conférence des évêques de France. Le commentaire est extrait de Françoise BREYNAERT, Jean, L’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020. 477 pages.
Je vous propose de diviser la lecture en trois parties.
Jn 1,1-5.
« 1 Au principe[2] / était le Verbe[3]
et lui, le Verbe / il était auprès de Dieu
et le Verbe / était Dieu.
2 Le Verbe / était, au principe, auprès de Dieu.
3 Tout / fut par lui [par sa main].
Et sans lui / aucune chose ne fut de ce qui fut.
4 En lui / était la vie.
Et la vie / était la lumière des hommes.
5 Et elle, la lumière,/ dans les ténèbres illumine.
Et la ténèbre / ne l’atteignit pas (ne la domina pas). »
Jn 1, 1. « Au commencement était le Verbe » (Jn 1, 1) est un rappel évident du début du livre de la Genèse « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre… » (Gn 1, 1 BJ). L’expression araméenne « brīšīṯ » comme l’hébreu Berechit (Gn 1, 1) signifie le commencement mais aussi, et plus littéralement, l’en-tête, le principe (racine rīš : tête).
Dieu est appelé en araméen « Aloha », qui correspond au nom hébreu Elohim, le nom divin utilisé dans le premier chapitre de la Genèse.
Les thèmes de la vie et de la lumière se retrouvent aussi bien dans ce début de Prologue que dans le récit de la Genèse.
L’araméen a deux mots pour dire « parole » : memrā (ce qui est dit) et melṯā (la parole pensée, agissante) qui est ici utilisé. Jean nous parle d’une melṯādivine (en français « Verbe », du latin Verbum) la parole particulièrement agissante de Dieu. Le grec n’a qu’un mot, « logos », qui connote avec un ordre statique, logique, abstrait, perdant la connotation d’une raison dynamique. Le mot français « verbe » est intéressant parce qu’il comporte encore une connotation active, agissante.
L’évangéliste pense au Christ Jésus, préexistant, comme la Sagesse créatrice est aussi dite préexistante (Si 24). L’apôtre a compris que la Bonne nouvelle concerne la Création du monde et sa restauration dans le Christ.
Jn 1,6-14
La seconde partie du Prologue s’ouvre sur Jean-Baptiste. Elle continue avec l’Incarnation, qui, étant mal accueillie, conduira à la Passion de Jésus. Tout ceci ressemble à un résumé de l’Évangile dans une lecture chronologique, usuelle, et semble avoir pour but d’introduire le récit de l’Évangile, qui commence (juste après le Prologue), lui aussi, par le récit de Jean baptisant au Jourdain.
« 6 Il y eut un homme, / qui fut envoyé de Dieu ;
son nom : / Jean.
7 Celui-ci vint pour le témoignage, / afin qu’il témoigne de la lumière,
afin que chacun / croie par lui.
8 Non que lui, / fût la lumière,
mais c’était afin qu’il témoigne / de la lumière.
9 Il était, en effet, / la lumière de vérité,
qui illumine tout homme / en venant dans le monde.
10 Il était dans le monde, / et le monde par sa main fut ;
et le monde / ne l’a pas connu.
11 Vers ce qui est sien / il vint :
et ce qui est sien / ne l’accueillit pas.
12 Or, à ceux / qui L’ont accueilli,
il a donné pouvoir / pour qu’ils soient fils de Dieu ;
à ceux / qui croient en son Nom,
13 ceux [lui] / qui ni du sang,
ni de la volonté de la chair, / ni de la volonté d’un homme,
mais de Dieu / ont été enfantés [a été enfanté].
14 Et le Verbe (la Parole)
fut chair / et planta son enceinte en nous ;
et nous vîmes sa gloire, / une gloire…
comme celle de l’Unique, / qui est du Père
plein de grâce / et de rigueur [vérité-droiture]. » (Jn 1, 6-14)
Au verset 9, l’araméen permet deux compréhensions différentes : « lumière » et « Verbe-Parole » (v. 2) sont deux masculins. Le sujet du verset 9 peut donc être la lumière ou le Verbe-Parole. Deuxième difficulté, on peut comprendre « tout homme venant dans le monde » ou bien que c’est le Verbe, qui, en venant dans le monde, illumine tout homme. « Il était, en effet, la lumière de vérité, qui illumine tout homme en venant dans le monde. »
Au verset 13, beaucoup de manuscrits ont le pluriel[4] : il s’agit de la nouvelle naissance des croyants dans l’Esprit Saint, à l’image et à la suite de Jésus, qui a été conçu de l’Esprit Saint (Lc 1, 34-35).
Cependant, six manuscrits araméens, tout aussi anciens, ont ici le singulier[5]. C’est la façon dont saint Jean évoque la conception virginale, puisqu’il n’a pas de récit de l’enfance… La formule « a été enfanté » comme dans la Vetus Latina « natus est » (IV° siècle, avant saint Jérôme) renvoie donc au Christ, ce qui ouvre logiquement le verset suivant : « Et le Verbe (la Parole) fut chair» [Et Verbum caro factum est (Vetus Latina) Jn 1, 14)].
De plus, de nombreuses références patristiques anciennes comprennent Jn 1, 13 au singulier : saint Ignace d’Antioche : « fils de Dieu selon la volonté et la puissance de Dieu, véritablement né d’une vierge »[6]. Saint Justin : « car son sang n’est pas le produit d’une semence humaine, mais de la volonté de Dieu »[7].
La fin de la phrase est difficile à traduire : la Bible de Jérusalem dit : « gloire… comme celle d’un Fils unique, plein de grâce et de vérité ». Il y a des nuances de sens du vocabulaire araméen : « gloire… comme celle de l’Unique qui est issu d’un Père qui est plein d’une gracieuse-bonté [ṭaybūṯā] et d’une juste-droiture [qūštā] » (Jn 1, 14b).
Jn 1, 15-18.
Et voici la troisième partie.
« 15 Jean témoigna à son sujet, / et il cria et dit :
‘Celui-ci est celui dont j’ai dit / qu’il vient après moi ;
et il fut devant moi[8], / parce qu’il est antérieur à moi !’
16 Et de sa plénitude[9] / nous avons tous reçu ;
et grâce, / sur grâce[10].
17 Parce que la Loi / a été donnée par Moïse ;
mais la vérité et la grâce / furent par Jésus le Messie[11].
18 Dieu, / personne ne l’a jamais vu ;
l’unique-Dieu, celui qui est dans le giron[12] de Son-Père, / Lui, en a donné la geste[13]. »
Elle recommence avec Jean, c’est-à-dire Jean-Baptiste. C’est moins étonnant si nous faisons l’hypothèse que cette partie nous invite à réentendre l’Évangile à partir du début, mais cette fois-ci dans un ordre inhabituel, indiqué par les fils transversaux, verticaux du filet, ceci afin d’attirer notre attention sur certains thèmes plus méditatifs tels que la Loi et la grâce, ou encore la révélation ultime du Père.
Ainsi, dans mon ouvrage, je montre que Prologue introduit trois genres de lectures du « filet » de Jean, ce qui donne :
- Jn 1, 6-14 : Pas à pas, accueillir Jésus (lecture « en fils horizontaux »).
- Jn 1, 15-18 : Relecture méditative (lecture « en fils verticaux »).
- Jn 1, 1-5 : Plus subtile. L’accomplissement du dessein créateur (lecture « en nœud de tresses »).
Je laisse cela aux lecteurs de « Jean, L’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020. 477 pages.
Françoise Breynaert
[1] https://www.introibo.fr/Nativite-du-Seigneur-25-decembre#GJour
[2] b-rīšīṯ : Au commencement, au principe, en tête.
[3] melṯā : le Verbe, la Parole agissante.
[4] Le Vat sir 12 (début VIe siècle), le Codex Rabbulae (tetraevangelium florentinum), daté de 586, etc.
[5] En particulier Cod. Add. 14453 Londinensis (V-VIe s.). Cod. Add. 17115 Londinensis (VIe s.). Cod. Dawkinsianus III Oxoniensis (milieu du VIe s.?). Cod. Add. 14449 Londinensis (VI-VIIe s.). Cod. Add. 17114 Londinensis (VI-VIIe s.). Cod. Dawkinsianus XXVII (Xe s.).
[6] St IGNACE d’Antioche, Lettre aux Smyrniotes 1, 1 (SC 10 p. 154-155)
[7] St JUSTIN, Dialogue avec Tryphon 63 (Migne p. 198)
[8] lēh qḏāmay : faut-il traduire « lēh » et dire « devant moi pour lui (le Père) » ?
[9] malyūṯēh dérivé du verbe « remplir ».
[10] ṭaybūṯā : gracieuse bonté
[11] On pourrait paraphraser : « La vérité ferme et affermissante [šrārā] et la gracieuse bonté [ṭaybūṯā] / sont venues par Jésus-Christ ».
[12] ᶜūbbā : le giron, le sein.
[13] eštaᶜī : raconter, jouer
Date de dernière mise à jour : 18/11/2025