Déborah, Yaël, Gédéon, Jephté

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Lecture biblique :

Livre des juges

Exercices :

(2 à 6 lignes par réponse)

  1. Il n’y a pas de roi en Israël, mais des juges. Les tribus s’unissent à certains moments puis chacun repart chez soi.  Ce type de fonctionnement social existe-t-il encore de nos jours ? Donnez un exemple.
  2.  Les Cananéens rendent un culte aux Baals, un culte qui inclut des sacrifices d’enfants et des prostitutions. Connaissez-vous dans votre société des cultes païens, anciens ou modernes, qui incluent des sacrifices analogues ?
  3. En comparaison avec l’attitude religieuse liée au culte de Baal, en quoi l’attitude religieuse liée à l’Alliance biblique porte-t-elle le germe de valeurs sociales ?
  4. Dites l’importance de Déborah et de Yaël, deux femmes. Comparez-les avec la Vierge Marie.
  5. Dites pourquoi la figure de Gédéon est marquante.
  6. Dites en quoi l’attitude de Jephté est ambiguë.

Etude :
Françoise Breynaert Parcours biblique : Le berceau de l'Incarnation (imprimatur), Parole et silence 2016, p. 88-96
disponible en librairie et sur internet, à la Procure (merci de privilégier les librairies catholiques).

Déborah et Yaël

Parcours biblique - 11- Déborah et Yaël

            Dieu est intervenu avec Moïse dans les eaux de la mer, séparant le peuple hébreu du mythe égyptien et de son oppression. Dieu est intervenu de façon similaire, et c’est moins connu, avec Déborah et Yaël, dans les eaux du Qishon, séparant son peuple du mythe cananéen dominant (Jg 5).

            Un certain nombre d’Hébreux faisaient partie des cultivateurs en marge des cités cananéennes. Or les rois cananéens avaient tout pouvoir sur les récoltes et leurs cultivateurs. De plus, ils étaient détenteurs du mythe et du culte, et ils organisaient les cérémonies susceptibles de se concilier la fécondité divine d’une manière magique et idolâtrique[1]

7 carte deborah 1

 

            Sur les hautes terres, Débora, une femme, était prophétesse (Jg 4, 4), elle « siégeait sous le palmier de Débora entre Rama et Béthel, dans la montagne d’Ephraïm, et les Israélites allaient vers elle pour obtenir justice » (Jg 4, 5). Non seulement elle juge, mais elle commande et encourage. Prophétesse, elle lance un appel à la résistance et envoie Baraq au combat... La bataille s’engage près du torrent du Qishôn (Jg 4, 13). Le point de départ du conflit est sans doute un profond sentiment d’écrasement, aussi bien social que religieux.

            Au chapitre suivant on apprend que Débora a lancé son appel à plusieurs tribus mais que toutes n’ont pas répondu à son appel : Toutes les tribus n’ont pas répondu à l’appel de Déborah, leur réponse a été libre : « Les princes d’Issachar sont avec Déborah, et Nephtali, avec Baraq, dans la vallée s’est lancé sur ses traces. Dans les clans de Ruben, on s’est concerté longuement. Pourquoi es-tu resté dans les enclos à l’écoute des sifflements, près des troupeaux ? » (Jg 5,15-16). Cette liberté des tribus reflète bien la situation où Israël n’est pas encore un peuple politiquement constitué. Il n’y a pas une armée instituée. Il n’y a pas de roi. Les tribus s’unissent au combat, puis elles se dispersent.

8 carte deborah 2 les tribus en jg 5

Figure 7 : Les tribus en Juges 5

 

            Au combat, les dieux seront-ils favorables ? Non : le dieu de l’orage est contre nous, nous sommes perdus. Le Qishon a débordé... Mais, dans le bourbier, la situation se renverse. Il y a autre chose, un "dieu" a fait alliance avec nous !?

            Au chapitre 5, le cantique de Débora fait l’éloge de YHWH, le Dieu du Sinaï, comme sauveur dans l’histoire. Quoiqu’il en soit, le cantique de Déborah exprime à la fois l’action divine, miraculeuse, et la coopération humaine, au point qu’on ne les sépare pas.

            Yaël mérite aussi attention. Alors que la mère de Sisera attendait son retour et le butin, un butin formé non seulement d’étoffe mais de femmes livrées aux guerriers. Mais il n’y aura plus de butin ni d’exploitation sexuelle : Sisera est mort. Une femme, Yaël, a tué Sisera avec un piquet de tente dans la tempe et pendant son sommeil (Jg 5, 26). (Il semble qu’il faille lire entre les lignes que Yaël est la protectrice de la dignité des femmes contre les exactions des soldats !)

 

            La victoire au torrent du Qishôn sera considéré par toute la tradition postérieure comme constitutive de la foi du peuple avec les miracles de la mer des roseaux (Moїse) et du Jourdain (Josué).

            En un sens, la victoire de Déborah, Yaël et Baraq sur Siséra entraînait une marginalisation par rapport au système mythique, elle aurait dû provoquer la mort du groupe. Or… les tribus rassemblées par Déborah ont vécu ! L’histoire du salut (YHWH est Celui par qui la délivrance a été rendue possible) l’emporterait donc peu à peu sur la mythologie, sans que l’on sache bien si c’est cet événement qui a conduit les tribus concernées à rejoindre la foi au Dieu qui s’est révélé à Moïse au Sinaï, ou si c’est la foi au Dieu du Sinaï qui a précédé l’évènement de la victoire au Qishôn.

           

            Par son comportement, Déborah est une « mère en Israël » (Jg 5,7) : « Les villages étaient morts en Israël, ils étaient morts, jusqu’à ton lever, ô Déborah, jusqu’à ton lever, mère en Israël! » (Jg 5, 7). Ce titre « mère en Israël » est unique. Déborah a risqué sa vie. Déborah a ouvert un chemin, une libération sociale et un chemin de foi. Déborah a donné une vie nouvelle à un petit groupe encore marginal qui prend alors forme et devient un peuple.

 

Cohérence de la révélation et actualisation

            Déborah dit au sujet de Yaël : « Bénie soit-elle entre les femmes ! » (Jg 5, 24)

            1200 ans plus tard, Elisabeth s’écria au sujet de Marie : « Tu es bénie entre toutes les femmes… » (Lc 1, 42)

            Saint Luc adresse à Marie l’antique bénédiction, en lui donnant un caractère absolu (« entre toutes les femmes »). Et c’est bien justifié. Marie de Nazareth a la dignité d’être la Mère de Dieu, et cette dignité rejaillit désormais sur toutes les femmes.

            Comme jadis Déborah avait entonné un hymne, Marie chante le Dieu Puissant qui « renverse » ceux qui usurpent le pouvoir pour opprimer les affamés (Lc 1, 46-55), le Dieu qui fait miséricorde de génération en génération sur ceux qui le craignent.

            Sévère, évêque de Gabala, bibliste de grande valeur, dans une homélie tenue à Constantinople vers l’an 400 présente Déborah et Yaël (Jg 5,7.12.24) comme des figures de la Mère du Seigneur.[2]

            Son être profond est libre et tout orienté vers la libération du peuple. Marie « n’a jamais été esclave de Satan »[3]. Elle se préoccupe du plus petit des hommes « en butte aux dangers et aux misères »[4]et elle est invoquée dans le combat spirituel[5].

            Comme jadis Déborah avait rassemblé les tribus pour le combat, Marie a rassemblé les disciples par son espérance. Déborah était appelée « mère en Israël! » (Jg 5, 7) ; Marie est saluée comme « Mère de l’Eglise »[6].

            On oublie souvent la dimension sociale et politique de la piété mariale, prenons un exemple. Entre la redécouverte le 2 mars 1917 à Kolomenskoe de « l’icône rouge », c’est-à-dire la Reine du Ciel qui trône avec un manteau de pourpre, puis les apparitions de Fatima et la prière de consécration le 25 mars 1985, le monde fut témoin de la surprenante "Perestroïka" qui mit fin au goulag et aux persécutions en Russie[7].

 

[1] Nous pouvons voir ces cultes interdits dès le code d’Exode 34 (un des plus anciens, sinon le plus ancien) de même en Ex 22,17-19 et Dt 12,31. Longtemps après, tous les cultes précités seront encore dénoncés par les prophètes (Jr 2,20-24)…

[2] SEVERE, évêque de Gabala, Homélie sur le Législateur, PG 56, 409-410

[3]PIE XII, encyclique Fulgens corona (1953)

[4] VATICAN II, Lumen gentium 61

[5] Saint Louis Marie de MONTFORT, Traité de la vraie dévotion, § 249.252.253

[6] En promulguant la constitution dogmatique "Lumen Gentium" lors du concile Vatican II, le 21 novembre 1964, le pape PAUL VI a déclaré la Vierge Marie "Mère de l’Eglise".

[7] R. LAURENTIN, Les Chrétiens détonateurs des libérations à l’Est, Paris, O.E.I.L. (aujourd’hui De Guibert), 1991, et Comment la Vierge Marie leur a rendu la liberté, id., 1991 (avec une reproduction de l’icône hors texte face à la p. 96) ; Mère Sofia, 189-191 ; Turi, 1988, 397-398.

Gédéon et la lutte anti-Baal

Parcours biblique -12- Gédéon et la lutte anti-Baal

 

            Au temps de Gédéon, la menace vient d’Amaleq, au sud d’Israël, et de Madiân. Madiân est cette région à l’Est du Sinaï où Moïse avait trouvé refuge avant de revenir sortir d’Egypte le peuple Hébreu. Israël est opprimé par les Madianites (Jg 6, 1), attaqué par les Amalécites (Jg 6, 3) : ils pillent récoltes et troupeaux.

 

2 gedeon et la lutte anti baal stele de baal retrouvee a ugarit louvre ao15775 public domain

Figure 8 : Stèle de Baal retrouvée à Ugarit (musée du Louvre)

           

            A ce problème matériel s’ajoute le problème religieux, la tentation du culte de Baal qi est la divinité cananéenne des montagnes, des orages et de la pluie. Les montagnes arrêtent les nuages et permettent la pluie, c’est vrai en Israël, c’est surtout vrai au Liban où les montagnes sont plus élevées. Dans la mythologie, Baal épouse sa sœur Anat, déesse guerrière, qui se confond ensuite avec Achéra-Astarté, déesse de l’amour et de la fécondité. Baal est aussi parfois identifié par les auteurs bibliques à quelque Moloch avide d’holocaustes humains (Jr 19, 5).

            On se souvient du Baal de Péor chez les Moabites dans le livre des Nombres (Nb 25,3.5.18)…

            Les Amalécites et les Madianites ont eu aussi leurs Baals. Au temps de Gédéon, le peuple est tout autant confronté aux Baals.

             

            Dans ce contexte, l’ange de Dieu apparaît à Gédéon. Gédéon se plaint ! Où sont les prodiges du temps de la sortie d’Egypte (Jg 6, 13).

            Gédéon fait une offrande au Seigneur, et le Seigneur fit sortir le feu du rocher pour consumer l’offrande. Le feu du ciel n’est donc pas un attribut du Baal, mais du Seigneur, le Dieu des pères qui présida à la sortie d’Egypte.

 

            Fortifié par ce signe miraculeux, Gédéon détruisit alors l’autel de Baal qui appartient à son père, ainsi que le pieux sacré à côté (Jg 6, 28).

            Et voici que Madian et Amaleq passent le Jourdain et campent dans la plaine de Yisréel.

            Gédéon demande au Seigneur un signe sur une toison : qu’elle soit mouillée de rosée et le reste non, ou inversement. Le Seigneur accorde le signe, se révélant ainsi le maître de la rosée (ou de la pluie).

            Fortifié par ce nouveau signe miraculeux, il prépare une armée pour combattre Madian dans la plaine de Yisréel (ce qui nous fait penser au prophète Elie qui viendra plus tard). Le Seigneur lui demande de réduire son armée en écartant ceux qui ont peur et ceux qui lapent l’eau comme un chien. La réduction de l’armée insiste sur la puissance divine (contrairement à David qui dénombre son armée, offensant ainsi le Seigneur).

            Chez les ennemis, un homme fait un rêve prémonitoire de la victoire de Gédéon. Gédéon en est informé (Jg 7). Confirmé, Gédéon part au combat et il est effectivement victorieux.

            Il est intéressant de voir que Gédéon ne se contente d’avoir pas des paroles d’un ange, il recherche des confirmations venues des hommes ou des signes tangibles.

 

            Après sa victoire, les gens d’Israël lui proposent alors de régner « règne sur nous, toi, ton fils, et ton petit fils » ! (Jg 8, 22), mais Gédéon refuse en disant « c’est le Seigneur qui règnera sur vous » (Jg 8, 23).

            Cependant, avec les richesses du butin, Gédéon fit un Ephod, c’est –à-dire un instrument de divination, et ce fut un piège, une occasion de péché de tout le peuple (Jg 8, 27).

            Après la mort de Gédéon, les Israélites recommencèrent à se prostituer aux Baals.

 

Nous avons le schéma suivant :

 

Idolâtrie (assimilation au mythe de Baal)

Oppression et misère.

Dieu, miséricordieux, suscite un charismatique (Gédéon)

Miracles et victoires encouragent à rejeter le culte au Baal

Israël se fortifie au plan politique et religieux.

Rechute dans l’idolâtrie.

 

Gédéon et Elie

            Cette histoire de Gédéon ressemble à l’histoire du prophète Elie. Le contexte de Gédéon est pré-monarchique, le contexte d’Elie est matériellement plus avancé puisqu’Achab est roi. Cependant, comme Gédéon, Elie lutta contre les Baals, et, lui aussi, montra par un grand signe sur le mont Carmel, que le Seigneur était le véritable maitre du feu et de l’eau, et non pas les Baals.

            Il est permis de penser que l’écriture des deux récits s’est faite en même temps et dans le même but.

            Plus tard, au moment de l’édition des livres historiques, l’histoire de Gédéon est placée au centre du livre des Juges ; l’histoire d’Elie est placée au centre du livre des Rois.

 

Lutte anti-Baals

Gédéon

Au centre du livre des Juges

Pré-monarchie

Elie

Au centre des livres des Rois

Monarchie

 

Cohérence de la révélation

            Dans le Nouveau Testament, la lutte contre Baal est tout aussi présente, et le vocabulaire évolue : Baal, c’est le démon, c’est Satan.

            Les ennemis du Christ tentent de l’inverser en faisant dire que les miracles de Jésus viendraient du Baal (Béelzéboul, le prince des Baals, le prince des démons). Ils disaient de Jésus : « "Il est possédé de Béelzéboul", et encore: "C’est par le prince des démons qu’il expulse les démons." »Jésus, les ayant appelés près de lui, leur disait en paraboles: « "Comment Satan peut-il expulser Satan ?" » Et Jésus ajouta : « "Quiconque aura blasphémé contre l’Esprit Saint n’aura jamais de rémission: il est coupable d’une faute éternelle." C’est qu’ils disaient : "Il est possédé d’un esprit impur » (Mc 3, 22-30).

 

 

Jephté

Parcours biblique -13- Jephté

Jephté dans l’histoire

            Après Déborah, surgit un autre « Juge » en Israël : Jephté, qui a été engendré par Galaad (Jg 11, 2). Galaad est clairement un nom géographique (c’est une petite région à l’Est du Jourdain) ; ce nom est employé comme un nom de personne selon l’usage des généalogies (Nb 26, 29). Comme il est le fils d’une prostituée, il est chassé de Galaad et s’entoure d’une bande de vauriens. Cependant, on vient le chercher pour lutter contre les Ammonites (à l’Est du Jourdain, et au sud de Galaad). Il fait alors le vœu que s’il gagne contre les Ammonites, il offrira au Seigneur la première créature qui sortira des portes de sa maison pour venir à sa rencontre (Jg 11, 31). C’est un vœu peu respectueux de Dieu puisqu’il laissait le hasard choisir la victime. Or, c’est sa propre fille ! Celle-ci accepte le sacrifice de sa vie pour payer la victoire remportée sur les ennemis, en exécution du vœu émis par son père (Jg 11, 29-40).

            Dans l’histoire de Jephté, nous constatons que la distinction n’est pas nette entre les pratiques magiques païennes et l’attitude d’Alliance biblique. Les premiers commandements du Seigneur comportaient le rejet du marchandage occulte qui empoisonnait la vie des peuples où Israël avait grandi. Jephté veut défendre le peuple hébreux mais avec une attitude religieuse qui est très mélangée de paganisme.

Cohérence de la révélation

            Isaïe, qui pourtant parle de la souffrance rédemptrice ne valorise pas cet exemple. Jésus a dit : « C’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mt 20, 28 // Mc 10, 45). Mais ni Jésus, ni saint Paul quand il parle de rachat ne font aucune allusion à Jephté et au sacrifice de sa fille. Il y a bien un prix, mais c’est le coût de l’effort pour remonter la pente. Le calvaire n’a absolument rien d’un nouveau sacrifice d’enfant. Le sacrifice de la croix n’est ni un acte occulte, ni un marchandage avec Dieu ou Satan. Il y a bien en Jésus (et en Marie[1]) un dépouillement de soi, un sacrifice de soi, un don de soi, mais toujours dans l’amour du prochain et dans le respect de la vie qui est un don de Dieu. Pour comprendre le sacrifice de Jésus, nous devons faire le chemin des Hébreux et commencer par rejeter les marchandages occultes et les sacrifices d’enfants. Jésus, de nous avec lui fait Un, et nous emmène, par sa croix, jusqu’en résurrection.

 © Françoise Breynaert

[1] Dans la tradition, la fille de Jephté ne sera jamais une préfiguration de la Vierge Marie.

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Date de dernière mise à jour : 02/06/2020