27 décembre, St Jean

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Première lecture (1 Jn 1, 1-4)

Psaume (Ps 96 (97), 1-2, 5-6, 11-12)

Évangile (Jn 20, 2-8)

 

Première lecture (1 Jn 1, 1-4)

Bien-aimés, ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. Oui, la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage : nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Or nous sommes, nous aussi, en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ. Et nous écrivons cela, afin que notre joie soit parfaite. – Parole du Seigneur. 

Les Apôtres ont été les témoins oculaires depuis le commencement de la vie publique de Jésus. Ils ont entendu et ils ont vu de leurs yeux, ils ont contemplé et même touché de leurs mains le Christ, comme le dit cette lecture (1Jn 1,1).

Et leur témoignage sur le Christ est lié au témoignage de l’Esprit Saint, l’Esprit de vérité. En effet, la veille de sa Passion, Jésus dit à ses apôtres : « Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage. Mais vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement » (Jn 15,26-27).

Le témoignage de « l’Esprit de vérité » inspire, garantit et confirme la transmission fidèle dans la prédication.

Juste après notre lecture, au verset 5, saint Jean écrit : « Dieu est lumière » (1 Jn 1,5) : on peut donner de belles définitions de cette lumière mais saint Jean part de ce qui a été vu, entendu, touché. La lumière dont il parle n’est pas une abstraction, mais une réalité manifestée dans l’histoire. C’est un point essentiel : la foi chrétienne ne commence pas lorsque l’homme tente de monter vers Dieu par des abstractions, mais lorsque Dieu descend vers l’homme et se fait connaître. La foi commence par un accueil.

« Oui, la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage : nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous » (1Jn 1,2). Annoncer Jésus, c’est annoncer la vie. C’est cette vie qui, grâce au don de l’Esprit Saint, a été communiquée à l’homme. Ordonnée à la vie en plénitude, à la "vie éternelle" , la vie terrestre de chacun prend elle-même tout son sens.

Influencés par la philosophie kantienne (distinction entre ce qui est connaissable – le phénoménal – et ce qui ne l’est pas – le nouménal), certains modernes soutiennent que Dieu en lui-même nous demeure totalement inaccessible. On ne pourrait donc connaître que ce que Dieu fait pour nous. Mais une telle idée contredit la révélation biblique. Dieu est pleinement Dieu avant la création, vivant de la communion éternelle des trois Personnes. S’il se révèle, ce n’est pas parce qu’il manque de quelque chose, mais parce qu’il veut nous donner de participer à sa lumière. Pour reprendre les mots de Kant, le « nouménal » devient « phénoménal ».

L’homme, lui, n’existe pas « en soi ». L’homme qui prétend se suffire, s’inventer, se définir sans Dieu, vit dans une illusion. Il peut croire qu’il est libre, mais un jour il découvre que tout s’écroule. C’est cette autonomie trompeuse que saint Jean appelle : les ténèbres. C’est pourquoi saint Jean écrit : « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Or nous sommes, nous aussi, en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ. Et nous écrivons cela, afin que notre joie soit parfaite. »

Quelques mots sur vie de l’apôtre saint Jean. Saint Jean, que nous fêtons aujourd’hui, est le « disciple bien-aimé » (Jn 13, 21 ; 19, 26 ; 20, 28), littéralement, en araméen, « talmīḏā d-rāḥem» : le disciple « des entrailles ». Il y a trois sortes de disciples. Tout d’abord, celui qui, comme le nom de Simon l’indique, écoute. Il y a ensuite celui qui retient bien tout par cœur, Nathanaël surnommé Bar Thoulmaï (le fils de la jarre – où l’on conserve les documents) doit être un de ceux-là. Et puis il y a celui qui est « d-rāḥem », le plus en union spirituelle avec le maître, qui perçoit la pointe la plus fine de son enseignement et qui est capable de s’exprimer comme lui, avec l’esprit et les gestes de son rabbi, en exprimant l’émotion de la même façon. Certains ont pu s’appuyer sur l’apparition de cette expression pour justifier de l’existence d’un second auteur de Jean, mais cette explication paraît plus simple.

Malgré son jeune âge, Jean avait reçu du Seigneur en croix le testament « voici ta mère » (Jn 19, 25-27). La Vierge Marie n’a pas cessé de rassembler autour d’elle, et parmi ceux qui viennent la voir, certains se mettent à l’école de Jean qui est auprès d’elle. De son côté, Jean, qui avait pour vocation d’être auprès de la Vierge Marie, avait pu préparer et mûrir en sa présence une formation profonde. Le rayonnement maternel de la Mère du Seigneur a contribué à former de futurs bergers, et c’est dans ce but que Jean a préparé son évangile, sous la forme d’une composition orale, en deux fois (le protofilet puis le filet final). C’est-à-dire que l’on peut méditer dans un ordre habituel ou dans une ordre transversal, plus méditatif.

En l’an 41 ou 42, après l’assassinat de son frère sss, l’apôtre Jean quitte Jérusalem et part à Éphèse, signale Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique 3, 1). Il est accompagné, bien sûr, de la Vierge Marie. Vers 42 (?), il atteint l’âge de trente ans, son enseignement peut alors sortir du seul cercle de ses disciples et des proches de Marie. Il ne lui semble pas possible de mettre par écrit un « filet », car on ne peut pas transformer en un écrit linéaire ce qui est fait pour être médité en « filet ». Le rayonnement de Jean est donc limité à ceux qui se font ses disciples ou des disciples de ses disciples. Marie, « Mère du Verbe », n’y fut sans doute pas étrangère. Un tel travail se fait lentement, comme un musicien compose une symphonie ou un peintre une toile complexe.

À Jérusalem, le procurateur romain Tibère-Alexandre est tolérant, ce qui permet à la Vierge Marie d’y venir avec Jean et d’y demeurer sur place. La tradition transmet l’année de la mort-dormition-assomption de Marie (Transitus Mariae arabe V, 3) en l’année 51.

 Après la mort de Marie, nous dit Clément d’Alexandrie, « Jean allait, sur invitation, dans les pays voisins habités par des Gentils [c’est-à-dire les païens] tantôt pour y établir des épiscopes (évêques), tantôt pour choisir comme clerc un de ceux qui étaient désignés par l’Esprit » (Clément d’Alexandrie, cité par Eusèbe, Histoire ecclésiastique 3, 23, 6).

Concernant le travail de saint Jean comme évangéliste, il faut toujours distinguer entre la fixation orale d’une composition, sa mise par écrit comme aide-mémoire complet (en araméen, avec quelques copies), et sa publication proprement dite ou édition (en latin ou en grec, pour une large diffusion). J’explique ces choses en détail dans mon livre : Françoise BREYNAERT, Jean, l’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020.

Psaume (Ps 96 (97), 1-2, 5-6, 11-12)

Le Seigneur est roi ! Exulte la terre ! Joie pour les îles sans nombre ! Ténèbre et nuée l’entourent, justice et droit sont l’appui de son trône. Les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur, devant le Maître de toute la terre. Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire. Une lumière est semée pour le juste, et pour le cœur simple, une joie. Que le Seigneur soit votre joie, hommes justes ; rendez grâce en rappelant son nom très saint. 

« Le Seigneur est roi ! Exulte la terre ! » (Ps 96,1) Saint Jean dit que ce Roi, invisible depuis toujours, s’est laissé voir, entendre, toucher. Le premier livre des martyrs d’Israël rappelle l’exemple de Mattathias refusant les sacrifices païens (1M 2). Désormais, les chrétiens brûlent de l’encens à Jésus et n’en brûlaient pas à l’empereur romain ! Le psaume chante un Dieu souverain. La joie de la terre devient la joie des apôtres : la royauté n’est plus seulement proclamée par les cieux, elle s’est faite proche en Jésus. « Bien-aimés, ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. » (1 Jn 1,1).

« Ténèbre et nuée l’entourent » (Ps 96,2). Dieu demeure mystère, et pourtant saint Jean affirme : « Nous l’avons vu… nous l’avons contemplé » (1 Jn 1,1). Le Dieu enveloppé de nuée se laisse saisir par la main humaine. Le mystère n’est pas aboli, il est révélé de l’intérieur, comme une lumière filtrant à travers la nuée. « Justice et droit sont l’appui de son trône » (Ps 96,2), et saint Jean témoigne que cette justice s’est manifestée dans une vie donnée : Jésus mort et ressuscité.

« Les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur » (Ps 96,5). Quand le Verbe s’est approché, ont fondu la peur, l’ignorance de Dieu, la distance. La résistance du monde ancien s’efface devant la présence du Fils. La cire fond au contact du feu ; les barrières fondent au contact de la Vie.

« Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire » (Ps 96,6). Saint Jean dit exactement cela en langage de témoin : « La vie éternelle… s’est manifestée » (1 Jn 1,2).

« Une lumière est semée pour le juste, et pour le cœur simple, une joie » (Ps 96,11). Saint Jean le confirme : la lumière semée est devenue rencontre. « Nous écrivons cela afin que notre joie soit parfaite » (1 Jn 1,4). La joie du psaume s’accomplit dans la joie apostolique. La lumière semée n’est pas un éclat passager : c’est la Vie même du Fils qui rayonne dans le cœur de ceux qui accueillent son témoignage.

« Que le Seigneur soit votre joie, hommes justes ; rendez grâce… » (Ps 96,12).
Le psaume appelle tous les justes à entrer dans la joie, la joie très précise de ceux qui se souviennent du Nom très saint. Il invite à une reconnaissance : reconnaître la présence de Dieu, sa sainteté, sa fidélité. C’est une joie enracinée, une joie qui a un nom, une joie qui a une source.

Saint Jean, lui, reprend cet appel en le portant à son accomplissement : « Soyez en communion avec nous » (1 Jn 1,3). Il ne s’agit plus seulement d’exulter devant la grandeur du Seigneur, mais d’entrer dans la communion même que les apôtres ont vécue. Pour saint Jean, la joie n’est pas extérieure à Dieu : elle naît du contact direct avec la Vie manifestée. Ce que le psaume annonçait comme un mouvement vers Dieu — rendre grâce, se souvenir du Nom — devient, avec saint Jean, un mouvement d’accueil : recevoir Celui qui s’est rendu proche, voir, entendre, toucher le Verbe de vie.

Le psaume invitait à se souvenir du « nom très saint » ; saint Jean révèle que ce nom a pris un visage et une chair : Jésus, le Verbe de vie, Celui qui était « depuis le commencement ». Le Nom très saint du psaume s’est incarné : on peut désormais le regarder, l’écouter, l’aimer de manière personnelle.

Le psaume proclamait : « Exulte la terre ! Joie pour les îles sans nombre ! » (Ps 96,1). Mais cette exultation restait comme suspendue au mystère de Dieu, encore enveloppé de « ténèbre et nuée » (Ps 96,2). Or celui autour duquel se tenait la nuée s’est laissé approcher, toucher, contempler. Celui qui faisait fondre les montagnes comme cire (Ps 96,5) a pris la douceur d’un enfant, la proximité d’un frère, la vulnérabilité d’un ami.

Ainsi, saint Jean dévoile le secret caché dans le psaume : – la joie des justes devient la joie parfaite parce qu’elle a une source incarnée ; – la lumière semée pour le juste (Ps 96,11) devient la Lumière manifestée, vue et entendue ; – la gloire proclamée par les cieux (Ps 96,6) devient la gloire du Fils unique.

Le psaume appelle à la louange devant la majesté de Dieu. Saint Jean montre que cette louange devient communion, et que cette communion est la vraie joie de l’Église : la joie d’être unis au Père et à son Fils Jésus-Christ, la joie de vivre déjà ce qui était, depuis le commencement, destiné à se manifester.

Le psaume peut aussi se lire avec l’évangile :

Marie Madeleine court, bouleversée, annonçant que « le Seigneur a été enlevé du tombeau » (Jn 20,2). La joie proclamée par le psaume semble lointaine, mais quelque chose va se révéler. « Ténèbre et nuée l’entourent » (Ps 96,2) : le tombeau est encore plongé dans l’obscurité et les disciples courent dans l’incompréhension. Pourtant, sous cette nuée, la justice qui appuie le trône de Dieu est déjà à l’œuvre : la Résurrection a eu lieu, même si les disciples ne la voient pas encore.

« Les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur » (Ps 96,5). La pierre roulée est comme cette montagne qui cède devant le Maître de toute la terre : ce qui semblait immobile — la mort et la fermeture du tombeau — se dissout devant la force vivante de Dieu. Et « les cieux ont proclamé sa justice » (Ps 96,6) dans le silence des linges posés à plat et du suaire roulé à part : une proclamation muette mais éclatante. Celui qui a été condamné n’a pas été retenu par la mort : la justice de Dieu se révèle dans un tombeau vide.

« Une lumière est semée pour le juste, et pour le cœur simple, une joie » (Ps 96,11). Cette lumière, c’est la foi naissante du disciple bien-aimé : il entre, « il vit, et il crut » (Jn 20,8). Comme une semence qui germe, la joie mûrit dans un cœur simple, disponible, prêt à accueillir la lumière qui se lève.

« Que le Seigneur soit votre joie, hommes justes ; rendez grâce en rappelant son nom très saint » (Ps 96,12). La joie prend forme dans la foi des disciples, dans la certitude que le Ressuscité vit. Rendre grâce désormais, c’est se souvenir de ce matin où la lumière s’est levée dans un tombeau vide. Le psaume annonçait la royauté de Dieu ; l’Évangile révèle sa victoire.

Évangile (Jn 20, 2-8)

« 2 Et Marie la Magdalène vint en courant / auprès de Simon-Pierre,
et auprès de cet autre disciple que Jésus aimait (affectueusement), / et elle leur dit :
‘Ils ont enlevé Notre-Seigneur / de cette chambre sépulcrale,
et je ne sais pas / où ils l’ont déposé !’ 

 3 Et Simon sortit, et cet autre disciple, / et ils venaient à la chambre sépulcrale,
4 et ils couraient tous les deux, / ensemble.
Or ce disciple / courut devant Simon,
et vint le premier / à la chambre sépulcrale.
5 Et il observa, vit les lins / étant posés ;
Quant à entrer, / il n’entra pas. 

6 Simon donc parvint après lui / et entra dans la chambre sépulcrale, 
et il vit les lins / étant posés à plat.

7 Et le suaire, celui qui serrait sa tête, / non pas avec les lins,
mais étant roulé et posé à côté, / chaque chose à sa place.

8 Alors, entra aussi ce disciple, / qui parvint le premier à la chambre sépulcrale,
et il vit / et il crut. »

– Acclamons la Parole de Dieu. 

Tous accouraient vers Pierre et Jean sous la colonnade de Salomon (Ac 3, 11). Ils ont une « aura » qui leur vient d’avoir été imbibés par la proximité de Jésus partageant leur quotidien, et la proximité plus profonde encore, de Jésus ressuscité. Les seuls autorisés à parler sous la colonnade de Salomon sont les « rabbis », et pour être rabbi, il faut avoir passé son examen de majorité religieuse, avoir été enseigné par un rabbi, et avoir six élèves. C’est le cas pour les apôtres, Pierre et Jean en particulier. Il faut aussi avoir trente ans, ce qui explique que Jean, trop jeune, soit d’abord accompagné par Pierre.

Par ailleurs, Pierre et Jean s’attendent à devoir témoigner devant le tribunal du Sanhédrin (cf. Ac 4, 7). Dans cette civilisation qui s’étend du Nil à l’Indus, un témoignage au tribunal ne peut être fait que par oral, par au moins deux témoins directs, et les témoignages sont toujours chronologiques.

Une femme seule n’aurait pas pu rouler la pierre d’une tonne, ni même ouvrir les scellés (de chaux ou de mortier) qui avaient été posés. Que, parmi les disciples, la découverte du tombeau ouvert ait été faite par une femme seule est un argument juridique, important lors du témoignage primitif de Pierre et Jean sous les colonnades de Salomon.

Marie la Magdalène court : la profanation du corps de Jésus serait épouvantable ! Elle va prévenir « Simon-Pierre » : depuis son reniement, il n’est plus que « Simon », mais en tant qu’il est « Pierre », il est le chef qui doit prendre des mesures pour retrouver le corps de Jésus. Elle prévient en même temps l’autre disciple (Jean) qui est appelé « talmīdā drāḥem », le disciple bien-aimé qui est selon le cœur de Jésus et qui devrait mieux comprendre.

En montrant Marie la Magdalène qui court, Jean propose discrètement de percevoir Jésus comme l’Époux du Cantique des Cantiques. L’Amour a vaincu l’impossible transition de la matière biologique vers sa glorification dans une vie éternelle.

Jean « observe », mais n’entre pas : il ne faut rien toucher afin que le chef puisse voir tous les indices. Leur visite a aussi le caractère d’une enquête judiciaire et ils savent qu’ils auront certainement à témoigner à deux. Or voici : les linges ne sont pas en désordre comme cela aurait été le cas si on avait enlevé le corps de Jésus, ils sont « baḥdā », en « un [endroit] » ou en « chaque [endroit] », c’est-à-dire chaque chose à sa place.

Les lins « kettāne » : le linceul. Le corps n’était pas « entouré de bandelettes » comme une momie égyptienne, mais pris dans un linceul dont une moitié couvre le dos et l’autre la face du corps, ce linceul étant serré contre le corps par 3 bandes (prélevées sur le linceul lui-même : une nouée aux pieds, une au niveau des mains, et une au niveau du cou. Et ce que voient Pierre et Jean, ce sont « les lins » (le linceul et les bandes) à plat [sīmīn]. Le corps s’est comme volatilisé.

Le suaire « sūdārā » : ce mot désigne le grand mouchoir qui sert aux légionnaires à éponger la sueur (le « suaire »). Dans un enterrement oriental on l’employait comme mentonnière pour maintenir fermé le maxillaire du mort, sous le linceul. Pour cela, on roulait le suaire vvvv et on encerclait le visage en le nouant sous le menton. Ce suaire est toujours roulé, et « à plat » [sīm] sur le côté [lasṭar].

Dans la récitation orale, « les lins étant posés » vont se mimer avec les mains qui suivent la retombée à plat du linceul au moment où le corps du Seigneur disparaît. « Le suaire roulé » : les mains enserrent la place de la tête sur la banquette. « À partir des Écritures » : on ouvre une paire de rouleaux de la Torah.

Il n’est pas dit que Simon croie. Les faits sont là, mais il semble pour l’instant en rester à son imaginaire : le corps a été enlevé. 
Jean, lui, voit et croit (Jn 20, 8). Il était présent au calvaire quand le Saint des Saints fut ouvert et le Cœur de Jésus transpercé. Son humanité est déjà restaurée dans toutes ses dimensions. Son esprit est ouvert à la foi. Jean était le seul des Douze à avoir été présent à l’ensevelissement du Seigneur, organisé par Joseph d’Arimatie et Nicodème. L’état des linges au tombeau suggère que le corps de Jésus est pour ainsi dire passé à travers le linceul, linceul que les apôtres vont ensuite soigneusement emmener au Cénacle. Mais la question qui se pose est : où est Jésus ? À ce moment-là, seul Jean croit qu’il est dans la gloire et qu’il est inutile de le chercher sur terre. Il « vit et crut » (Jn 20, 8). Le corps du Christ est désormais glorieux. Le tombeau vide de Jésus signifie sa résurrection immatérielle ; par conséquent, son retour (Jn 21, 22) sera glorieux et non pas matériel. Il y a là une différence essentielle avec l’eschatologie musulmane qui imagine que quelqu’un meurt à la place de Jésus qui monte se cacher au ciel, avant le retour de Jésus ‘Issa, un retour tout à fait matériel afin d’anéantir le mal par le combat armé[1].

 

Attention, il est dit en Mc 16, 9-14 que les disciples étaient dans le deuil, et Jésus leur reprocha de ne pas croire ceux qui disaient l’avoir vu, sans faire d’exception pour Jean. Pour l’instant, Jean croit que Jésus est « dans la gloire », mais il est en même temps « en deuil », car rien n’indique qu’il soit arrivé au point de croire que Jésus offre sa présence et sa proximité.

Il y a pour eux tout un travail de cohérence à opérer, à partir des Écritures. Pour cela, ils doivent revenir à l’endroit qui était le leur (Jn 20, 10), c’est-à-dire au cénacle, pour méditer.

Françoise BREYNAERT, Jean, l’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020. 477 pages.

Françoise BREYNAERT, Le témoignage primitif de Pierre et Jean. Imprimatur Paris. Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2023.

Françoise BREYNAERT, L’Apocalypse revisitée. Une composition orale en filet. Imprimatur. Parole et Silence, 2022. 377 pages. réédité en 2024

 

[1] Par exemple dans le Hadîth n°1806 de la collection de Cheikh Sobhi Saleh “Manhal al Waridin”.

Date de dernière mise à jour : 22/11/2025