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21 décembre St Pierre Canisius

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Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
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1ere lecture Cantique des Cantiques (Ct 2, 8-14)
OU BIEN Lecture du livre du prophète Sophonie (So 3, 14-18a)
Psaume (Ps 32 (33), 2-3, 11-12, 20-21)
1ere lecture Cantique des Cantiques (Ct 2, 8-14)
« La voix de mon bien-aimé ! C’est lui, il vient… Il bondit sur les montagnes, il court sur les collines, mon bien-aimé, pareil à la gazelle, au faon de la biche. Le voici, c’est lui qui se tient derrière notre mur : il regarde aux fenêtres, guette par le treillage. Il parle, mon bien-aimé, il me dit : Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens… Vois, l’hiver s’en est allé, les pluies ont cessé, elles se sont enfuies. Sur la terre apparaissent les fleurs, le temps des chansons est venu et la voix de la tourterelle s’entend sur notre terre. Le figuier a formé ses premiers fruits, la vigne fleurie exhale sa bonne odeur. Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens… Ma colombe, dans les fentes du rocher, dans les retraites escarpées, que je voie ton visage, que j’entende ta voix ! Ta voix est douce et ton visage charmant. » – Parole du Seigneur.
Saint Pierre Canisius (1521-1597) est Néerlandais d’origine et germanophone par mission, car il a passé l’essentiel de sa vie active dans les pays de langue allemande. Le Cantique des cantiques déploie l’image d’un Bien-Aimé qui s’approche, bondit sur les montagnes et appelle l’aimée à se lever : « Viens… l’hiver est passé, la pluie a cessé ». Ce langage amoureux, où Dieu se révèle comme Celui qui s’avance vers l’homme pour l’éveiller à la vie, trouve un écho étonnant dans l’itinéraire intérieur de Pierre Canisius : avant d’être un réformateur infatigable, il fut un homme profondément saisi par la voix du Christ. À Rome, au cœur de la prière, il se sent mystérieusement introduit dans le Cœur du Christ, comme si celui-ci s’ouvrait devant lui pour l’inviter à y puiser force, paix et douceur. Cette vision, qu’il consignera dans son testament spirituel, marque pour lui le début d’une relation très intime et affective avec Jésus. À Ancône, dans la ligne mystique de Tauler, il découvre la conscience de son néant devant Dieu, lumière décisive pour sa liberté intérieure. L’une lui révèle l’amour qui porte, l’autre l’humilité qui ouvre à la grâce : deux expériences complémentaires qui fondent son apostolat jésuite. Ses deux grandes expériences sont précisément des moments où le Bien-Aimé franchit les obstacles, rejoint le croyant là où il est et l’invite à sortir de son « hiver intérieur ».
Pierre Canisius redoutait de n’avoir « jamais assez bien fait ». Ce climat intérieur ressemblait parfois à cet hiver que le Cantique évoque, fait de dureté et de stérilité. Mais la voix du Christ qu’il méditait chaque jour lui disait comme au Cantique : « Lève-toi, mon amie, viens… montre-moi ton visage ». Le cœur de son apostolat naît de cette invitation : sortir de soi pour se tenir sous le regard aimant de Dieu, et laisser cette rencontre devenir source d’élan. C’est ainsi qu’il a pu affronter les tensions religieuses de son temps sans amertume, sans se laisser congeler par la peur ou la colère.
Lorsqu’il est encore jeune étudiant, les premiers affrontements liés à la Réforme ont déjà éclaté dans l’Empire germanique. Les universités, les villes et même les familles sont traversées par des débats ardents, et les princes eux-mêmes se divisent entre luthériens et catholiques. Dans sa pédagogie, dans ses catéchismes, dans sa douceur même envers les adversaires, Canisius a voulu être le signe d’un printemps spirituel. Il croyait profondément que la vérité chrétienne ne se transmet pas d’abord par contrainte, mais par une parole qui attire, comme le Bien-Aimé attire la Bien-Aimée. Sa vie entière devient alors une interprétation de ce passage du Cantique : Dieu passe, Dieu appelle, Dieu réveille. Et l’homme, réveillé par cette voix, peut à son tour aider les autres à sortir de leur hiver pour entrer dans la lumière.
OU BIEN Lecture du livre du prophète Sophonie (So 3, 14-18a)
« Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem ! Le Seigneur a levé les sentences qui pesaient sur toi, il a écarté tes ennemis. Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi. Tu n’as plus à craindre le malheur. Ce jour-là, on dira à Jérusalem : « Ne crains pas, Sion ! Ne laisse pas tes mains défaillir ! Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il exultera pour toi et se réjouira, comme aux jours de fête. » – Parole du Seigneur.
Ce cri d’espérance s’adresse à un peuple épuisé par les menaces, invité pourtant à croire que Dieu demeure au cœur même des temps troublés.
Le récit de l’Annonciation et l’oracle de Sophonie se répondent presque mot pour mot, comme si la prophétie trouvait en Marie son accomplissement. Dans Sophonie, Dieu s’adresse à « la fille de Sion », figure du peuple aimé, accablé mais choisi, et l’invite à la joie : « Réjouis-toi, bondis de joie… Le Seigneur est en toi… Tu n’as plus à craindre. » À l’Annonciation, l’ange Gabriel reprend cette même dynamique : « Réjouis-toi, comblée de grâce… Le Seigneur est avec toi… Sois sans crainte, Marie. » La parole adressée jadis à toute la nation se concentre désormais en une personne : Marie devient la Fille de Sion en chair et en visage.
Sophonie annonce que Dieu a « écarté les ennemis » et qu’il « renouvellera par son amour ». L’Annonciation révèle la manière exacte dont Dieu accomplira cette promesse : non par la puissance politique, mais par la venue du Fils, humblement conçu dans le sein d’une jeune femme. L’ennemi écarté est le mal lui-même ; le renouveau promis est la recréation du monde par l’Incarnation. Là où Sophonie parlait du « roi d’Israël » qui « est en toi », l’ange annonce à Marie qu’elle portera en elle le vrai Roi, Jésus, celui dont le règne n’aura pas de fin.
Ainsi, ce qui était dit symboliquement à Jérusalem — « Le Seigneur ton Dieu est en toi » — devient littéralement vrai en Marie : Dieu habite son corps, son histoire, sa liberté. Et lorsque Sophonie proclame que Dieu « exultera pour toi et se réjouira comme aux jours de fête », cela se réalise dans l’Annonciation : Dieu trouve sa joie dans le oui de Marie, ce consentement humble qui ouvre l’histoire du salut.
La vie de saint Pierre Canisius illustre aussi cette promesse d’une joie qui ne dépend pas de la paix extérieure, mais de la présence de Dieu. Né au cœur d’une Europe fracturée par la Réforme, il traverse une époque de confusion doctrinale et de violences politiques. Comme Sophonie annonçant un Dieu « qui danse de joie pour toi », Canisius laisse sa vie intérieure devenir la source de sa force : il avance infatigablement, persuadé que Dieu travaille déjà dans les cœurs.
Dans un siècle où la polémique était brutale, il évite les invectives, convaincu, comme le dit Sophonie, que Dieu « renouvelle par son amour ». Ses catéchismes, ses collèges, son labeur éducatif ne sont rien d’autre qu’une manière de « rassembler » un peuple dispersé, comme l’annonce le prophète. Son infatigable engagement devient une interprétation vivante de la parole prophétique : la joie véritable naît quand l’homme se laisse porter par le Dieu qui sauve.
Psaume (Ps 32 (33), 2-3, 11-12, 20-21)
R/ Criez de joie pour le Seigneur,
chantez lui le cantique nouveau. (cf. Ps 32, 1a.3a)
Rendez grâce au Seigneur sur la cithare,
jouez pour lui sur la harpe à dix cordes.
Chantez-lui le cantique nouveau,
de tout votre art soutenez l’ovation.
Le plan du Seigneur demeure pour toujours,
les projets de son cœur subsistent d’âge en âge.
Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu,
heureuse la nation qu’il s’est choisie pour domaine !
Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
La joie de notre cœur vient de lui,
notre confiance est dans son nom très saint.
Saint Pierre Canisius, si «actif» dans les événements politico-religieux de son temps et dans la mise en œuvre de la réforme tridentine, avait une nature encline à la contemplation. En témoigne le fait qu'avant de rejoindre la Compagnie de Jésus, il était attiré par la spiritualité des Chartreux et par la théologie mystique du dominicain Jean Tauler.
Pierre Canisius cultivait une dévotion prononcée au Sacré-Cœur, qu'il exprimait dans ses prières quotidiennes. Avant de prononcer ses vœux entre les mains de saint Ignace de Loyola, il a vécu à Rome, le 4 septembre 1549, une expérience mystique, une vision, qu'il a exprimée dans son testament comme une prière au Sacré-Cœur : «Tu m'as ouvert alors d'une certaine manière le cœur de Ton corps si saint, à l'intérieur duquel j'ai eu l'impression d'être autorisé à regarder. Tu m'as dit de boire à cette fontaine, m'invitant à puiser à Ta source l'eau qui me donne le salut, ô mon Sauveur. ... Parce que j'ai osé m'approcher de Ton Cœur si doux, pour que mes désirs les plus profonds y soient comblés, Tu m'as alors promis de couvrir mon âme nue d'une robe de paix, d'amour et de persévérance. Cela servira à renforcer ma vocation dans la Compagnie de Jésus.»[1]
Le père Favre a pu inciter Pierre Canisius à rejoindre la Compagnie de Jésus parce que les premiers jésuites voyaient dans les Exercices spirituels du fondateur Ignace de Loyola un pont vers la tradition mystique de l'Église. Saint Ignace de Loyola lui-même avait sérieusement envisagé de devenir chartreux au début de sa vie religieuse[2].
Le psaume 32 invite le peuple de Dieu à se tenir devant lui avec une joie renouvelée : « Chantez-lui le cantique nouveau ». Chez Pierre Canisius, cette injonction n’est pas restée une simple parole liturgique ; elle s’est incarnée dans la texture même de son existence. Là où d’autres voyaient un temps de ruine, lui voyait un temps d’appel. Il ne chantait pas avec une cithare, mais avec une plume, une parole, un pas sur les routes de l’Europe. Tout son labeur, immense et patient, devint un geste de louange : enseigner, corriger, réconcilier, écrire, fonder, prier— autant de notes offertes à Dieu dans la gratitude.
« Le plan du Seigneur demeure pour toujours », affirme le psaume. Saint Pierre Canisius, qui vivait dans la tourmente des guerres de religion, a profondément incarné cette confiance. Les événements semblaient contredire la stabilité divine : princes divisés, peuples retournés, Église affaiblie, rumeurs incessantes d’apostasie. Pourtant, il avançait avec une sérénité tenace. Cette stabilité ne venait ni d’un tempérament tranquille ni d’une naïveté historique, mais d’une foi profonde : si les projets humains s’écroulent, les projets du cœur de Dieu demeurent. C’est pourquoi il pouvait répondre à la violence par la douceur, à la polémique par la clarté, à la dispersion par la fidélité. Il savait que la vérité voyage lentement mais sûrement lorsqu’elle s’appuie sur Dieu.
« Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu ». Saint Pierre Canisius se voyait chargé d’aider ce peuple à retrouver sa cohésion et sa lumière. Son Catéchisme, qui deviendra dans l’espace germanique une référence jusqu’au XXᵉ siècle, n’était pas seulement un outil pédagogique : c’était un acte pastoral, presque un acte de miséricorde. Il voulait rendre à chacun – enfant, adulte, étudiant, prêtre – la joie simple de savoir à qui il appartient. Il voyait que la crise du XVIᵉ siècle n’était pas seulement doctrinale : elle était une crise de mémoire spirituelle. Le Catéchisme, par sa clarté et sa douceur, était une manière de redonner aux croyants l’héritage dont ils vivaient sans le savoir.
Le psaume ajoute : « Nous attendons notre vie du Seigneur : il est pour nous un appui, un bouclier. » Ce verset décrit presque mot pour mot ce que saint Pierre Canisius a découvert dans ses deux grandes expériences mystiques. À Rome, en 1549, le Christ lui ouvre son Cœur : Canisius y trouve une promesse d’amour, de paix, de consolation qui deviendra l’élan de tout son apostolat. À Ancône, bien des années plus tard, il découvre à la manière de Tauler la vérité de son néant : non pas un écrasement moral, mais une lumière libératrice. Il comprend que seul Dieu peut porter son œuvre, que la fécondité vient de notre Créateur. Entre ces deux pôles – l’amour reçu et la pauvreté reconnue – se forme son équilibre intérieur. C’est cette dynamique spirituelle qui fait de lui un homme debout, jamais amer, jamais violent.
Cet appui divin lui permet de parcourir des dizaines de milliers de kilomètres, de supporter les responsabilités écrasantes, de fonder dix-huit collèges, d’écrire sans cesse, de former, de réconcilier, de gouverner, de consoler. Lui qui était sévère pour lui-même se montrait doux pour les autres : comme si le Cœur du Christ l’avait rendu attentif à la fragilité de chacun.
Vient enfin cette parole du psaume : « La joie de notre cœur vient de lui, notre confiance est dans son nom très saint. » Ceux qui ont approché Canisius témoignent de cette joie discrète, profonde, presque cachée. Non pas une gaieté superficielle, mais une lumière intérieure qui transparaissait dans son regard, sa patience, son humour étonnamment simple. Même dans les moments de fatigue extrême, il gardait cette paix que l’on reconnaît chez ceux qui vivent du Christ. Cette joie était une disposition fondamentale, née de sa vie intérieure et de sa manière de « trouver Dieu en toutes choses », selon l’expression ignatienne.
Ainsi, la vie de saint Pierre Canisius peut se lire comme un long commentaire du psaume 32. Il a vécu la louange comme un style d’existence, la confiance comme une force, l’humilité comme une lumière, la joie comme une fidélité. Et c’est pour cela que, dans un siècle marqué par le fracas des armes et des disputes, sa vie est devenue un « cantique nouveau » : le chant paisible de celui qui sait que le Seigneur demeure fidèle et que ses projets subsistent d’âge en âge.
Évangile Lc 1, 39-45
Alléluia, Alléluia. Viens, Emmanuel, notre Législateur et notre Roi ! Sauve-nous, Seigneur notre Dieu. Alléluia.
La traduction et le début du commentaire sont extraits de : Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur (Paris). Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. (472 pages).
« 39 Or Marie se leva, / en ces jours-là,
40 et partit en hâte vers la montagne, / pour un chef-lieu de Juda.
Et elle entra dans la maison de Zacharie, / et demanda la salutation d’Élisabeth.
41 Et il advint que, dès qu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, / son bébé bondit dans son sein,
et Élisabeth / fut remplie de l’Esprit Saint.
42 Elle s’écria d’une voix forte / et dit à Marie :
‘Tu es la plus bénie de toutes les femmes[3], / et béni est le fruit qui est dans ton sein !
43 D’où me vient ceci : / que la mère de mon Seigneur vienne auprès de moi ?
44 Car voici, / lorsque la voix de ta salutation a frappé mon oreille,
c’est avec une joie immense / que le bébé a bondi en mon sein.
45 Et bienheureuse / celle qui a cru[4]
qu’il y a un accomplissement de ces choses / qui lui ont été dites de la part du SEIGNEUR. » (Lc 1, 39-45 depuis la Pshitta, le texte liturgique des Églises orientales) – Acclamons la Parole de Dieu.
Le texte araméen de l’évangile permet quelques observations.
Le mot salutation [šlāmā] est le mot « paix » (comme en arabe et en hébreu). Marie demanda [šellaṯ] la salutation [šlāmā] d’Elisabeth (Lc 1, 40), et Élisabeth entendit « la salutation [šlāmā] de Marie » (Lc 1, 41). Le terme bébé [ᶜūlā] (Lc 1, 41.44) suggère que le récitatif de la Visitation (Lc 1, 39-45) soit composé par une femme, sans doute Élisabeth elle-même, afin de préparer la célébration de la naissance de l’enfant.
Étant la plus jeune, c’est Marie qui offre sa salutation la première comme on le déduit de Lc 1, 41 ; mais en même temps, dans l’aventure de la maternité, Marie est sans doute heureuse de recevoir de sa parente plus âgée une forme de réconfort, mais il y a beaucoup plus, Marie, consciente de qui elle porte, s’attend à recevoir une salutation appropriée (Lc 1, 40).
Élisabeth a un cri de vénération : elle sait que la maternité de Marie est royale, et elle vénère Marie pour sa foi. Le don de prophétie (et la proximité avec Zacharie) a pu lui faire comprendre qu’il s’agit du Roi Messie en qui Dieu visite son peuple, fidèlement à sa Promesse. D’ailleurs, « Élisabeth » signifie en Hébreu : « dont la promesse est Dieu ».
En Lc 1, 45, Élisabeth proclame bienheureuse « celle qui a cru qu’il y a un accomplissement » ou, avec une signification eschatologique, « celle qui a cru qu’il y aura un accomplissement ». Dans le premier cas, Élisabeth félicite Marie pour sa foi, dans le second cas, Élisabeth exhorte Marie.
L’évangile selon saint Luc est un « collier en pendentif », ce qui fait que l’épisode de la Visitation introduit tout un fil d’oralité dans lequel on entend Jésus donner un enseignement, qui est une véritable visite de Dieu à son peuple Israël. Cette visite est d’emblée une source de guérison (Lc 6, 19), elle apporte aussi la révélation d’un nouvel enseignement. Jésus appelle notamment à aimer jusqu’aux adversaires en prenant l’exemple sur la suavité de Dieu dont le parfum se répand sur tous ; il faut être miséricordieux comme Dieu qui nous visite est miséricordieux ; mais il faut avoir du discernement, on juge l’arbre à ses fruits (perles 1, 2, 3 dans de « fil d’oralité » qui dépend du récit de la Visitation). La visite de Dieu est reçue par un centurion, un « craignant Dieu », dont le serviteur est guéri (Lc 7, 1-10 perle 4). Puis Jésus ressuscite le fils d’une veuve, suscitant l’acclamation du peuple : « Dieu a visité son peuple ! » (Lc 7, 16 perle 5). La grande affaire est d’accueillir cette visite : Jean-Baptiste devait être écouté, car il avait mission de préparer la visite de Dieu (perle 6) ; une femme repentie oint de parfum les pieds de Jésus, un honneur que le pharisien ne lui a pas accordé (perle 7). La Parole de Jésus doit être accueillie comme la bonne terre accueille la semence. La Parole opère un jugement, car certains vont l’étouffer comme les ronces étouffent la semence ou comme le boisseau éteint la lampe ; mais ceux qui la mettent en pratique ont l’honneur d’être appelé mère ou frère de Jésus (perle 8). La visite de Jésus s’étend jusqu’au pays en face de la Galilée, et opère un exorcisme (perle 9), de retour en Galilée, il apporte la vie et la fécondité (perle 10).
Le récit de la Visitation est aussi une clé de lecture de la vie de saint Pierre Canisius, au XVIe siècle. Pierre Canisius est un jésuite ordinaire pour ainsi dire. Ce n’est pas un grand théologien, ce n’est pas un grand missionnaire dans les pays lointains, c’est un homme qui se rend disponible pour tout ce qu’on lui demande. Son rayonnement n’en est pas moins extraordinaire. Il va toujours de l’avant. Il enseigne, il écrit, il prêche, il est responsable de communauté, provincial, fondateur, conseiller des puissants et même des papes[5].
Dans des Églises fracturées, ce saint jésuite ne s’est pas contenté de défendre une doctrine : il apportait la paix, il recentrait les cœurs, il réconciliait. Sa douceur dans la controverse, son refus des insultes, sa patience envers les confrères difficiles rappellent la manière dont Marie se fait médiation de la grâce : sans bruit, sans violence, mais avec une efficacité qui vient de Dieu. Là où il passait, des villes entières retrouvaient stabilité, des collèges naissaient, des prêtres étaient formés, des foules respiraient mieux : une forme de « tressaillement » spirituel.
Élisabeth, remplie d’Esprit Saint, reconnaît en Marie le mystère qu’elle porte : « D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » Dans son siècle, beaucoup ont perçu chez Canisius quelque chose de semblable : une présence habitée, une autorité qui ne venait pas de lui-même, mais de Celui qu’il servait. Princes, évêques, confrères – tous reconnaissaient chez lui une lumière intérieure qui dépassait ses talents naturels. Il n’était pas un génie théologique ni un orateur flamboyant, mais un homme rempli de Dieu. Sa force venait précisément de son humilité, de sa conscience de sa pauvreté spirituelle, comme Élisabeth qui se découvre visitée par une grâce qui la dépasse.
L’Évangile s’achève par cette louange : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles du Seigneur. » La foi de Marie devient source de toute fécondité. Canisius, à sa manière, a incarné cette foi confiante. Il a cru à la mission confiée, même quand elle dépassait ses forces. Il a cru que Dieu pouvait agir dans un siècle troublé. Il a cru que la vérité pouvait se transmettre sans violence. Il a cru que l’éducation pouvait guérir l’Église. Il a cru que sa propre pauvreté n’était pas un obstacle, mais le lieu même où Dieu se manifestait. Cette foi n’était pas bruyante, mais tenace : elle a fait de lui un homme capable de transformer son époque.
Saint Pierre Canisius mourut à Fribourg (Suisse) en 1597. Canonisé et proclamé docteur de l’Église par Pie XI en 1925. Qu’à son exemple nos vies soient l’occasion pour les gens de dire : « Dieu a visité son peuple ! » (Lc 7, 16), ou, comme Élisabeth s’émerveillait de la visite de « la mère de mon Seigneur » (Lc 1, 43).
[1] Cette citation longue est tirée de https://www.choisir.ch/religion/jesuites/item/4060-l-heritage-spirituel-de-saint-pierre-canisius. L’audience papale donne : « Il écrit, par exemple, le 4 Septembre 1549 dans son journal, parlant avec Le Seigneur : ‘Toi, à la fin, comme si tu m'ouvrais le Cœur du Très Saint Corps, qu'il me semblait voir devant moi, tu m'as commandé de boire à cette source, en m'invitant pour ainsi dire à puiser les eaux de mon Salut à tes sources, ô Mon Sauveur’. Puis il voit que le Sauveur lui donne un vêtement en trois parties qui s'appellent Paix, Amour et persévérance. Et avec ce vêtement composé de Paix, d’Amour et de persévérance, Canisius a mené son œuvre de renouveau du Catholicisme. » (Benoit XVI 9 Février 2011)
[2] https://www.choisir.ch/religion/jesuites/item/4060-l-heritage-spirituel-de-saint-pierre-canisius
[3] Usuellement traduite « bénie entre les femmes », la tournure araméenne signifie « la plus bénie de toutes les femmes ».
[4] Les Latins, sans doute pour adapter la lecture à une très ancienne fête de saint Zacharie et Élisabeth, ont traduit, comme aussi les Coptes, « parce que » (Et beata, quæ credidisti, quoniam perficientur…) : comme si Élisabeth confortait la foi de Marie.
Les Grecs (« και μακαρια η πιστευσασα οτι εσται τελειωσις… »), comme les Syriens, ont compris que c’est la foi de Marie qui est mise en relief. Marie n’est pas dite heureuse à cause de l’accomplissement futur de ce qui lui a été dit, mais à cause de sa foi elle-même. Élisabeth félicite Marie, elle ne donne pas une nouvelle assurance à sa foi. L’analogie des semblables va dans ce sens, notamment : « Je me fie à Dieu de ce qu’il en sera comme il m’a été dit » (Ac 27, 25). Cf. M-J. LAGRANGE, Commentaires de l’évangile selon saint Luc, Études bibliques, Gabalda 1921, p. 44.
[5] https://www.cath.ch/newsf/pierre-canisius-linfatigable/
Date de dernière mise à jour : 22/11/2025