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Fête Sainte Famille A

Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
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Première lecture (Si 3, 2-6.12-14)
Psaume (Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-5)
Deuxième lecture (Col 3, 12-21)
Première lecture (Si 3, 2-6.12-14)
« Le Seigneur glorifie le père dans ses enfants, il renforce l’autorité de la mère sur ses fils. Celui qui honore son père obtient le pardon de ses péchés, celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor. Celui qui honore son père aura de la joie dans ses enfants, au jour de sa prière il sera exaucé. Celui qui glorifie son père verra de longs jours, celui qui obéit au Seigneur donne du réconfort à sa mère. Mon fils, soutiens ton père dans sa vieillesse, ne le chagrine pas pendant sa vie. Même si son esprit l’abandonne, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force. Car ta miséricorde envers ton père ne sera pas oubliée, et elle relèvera ta maison si elle est ruinée par le péché. » – Parole du Seigneur.
Le Siracide est un livre de sagesse situé au tournant du IIᵉ siècle avant J.-C.
« Le Seigneur glorifie le père dans ses enfants », par exemple dans l’histoire d’Abraham et Sara (Gn 12–21). Longtemps stériles, ils reçoivent la promesse d’un fils, Isaac, né contre toute espérance (Gn 21,1-7).
« Il renforce l’autorité de la mère sur ses fils » (Si 3,2). Ce qui peut surprendre dans un contexte patriarcal. On peut se souvenir de la mère de Moïse : face au décret du Pharaon, elle sauve son fils dans un panier bitumé sur le Nil, la sœur veille de loin. Cette famille incarne le courage et la confiance au milieu de l’oppression. Plus tard, Aaron soutiendra son frère Moïse dans sa mission.
Dans le premier livre de Samuel apparaît la figure d’Anne, épouse d’Elcana, stérile puis exaucée (1 S 1–2). Elle confie son fils Samuel au Seigneur, inaugurant une relation familiale marquée par la foi et l’offrande. Ce récit montre une maternité vécue comme une mission spirituelle.
La famille du roi David (1 S 16–2 S 24) reflète toute la complexité humaine : grande foi, mais aussi adultère (2 S 11), violences entre les fils (2 S 13), révolte d’Absalom (2 S 15–18). Pourtant, David demeure un modèle de conversion ; sa maison montre comment Dieu travaille au cœur de nos contradictions.
Le livre de Tobie présente l’une des familles les plus touchantes de la Bible : Tobit, aveuglé et pauvre, son épouse Anne, et leur fils Tobie (Tb 1–14). Leur histoire est faite de fidélité, de prière et de persévérance dans l’épreuve, et la guérison finale (Tb 11) manifeste la tendresse de Dieu pour les familles éprouvées.
« Celui qui honore son père obtient le pardon de ses péchés, celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor » (Si 3,3-4). L’honorer n’est pas seulement un jugement moral, mais une voie de guérison et de richesse.
Le Siracide insiste sur l’honneur rendu envers les parents, mais toujours dans le cadre d’une vie droite. Jésus le rappelle en montrant que la vraie famille est celle qui « fait la volonté du Père » (Mt 12,50).
On parle parfois de parent narcissique, pas seulement qui a un peu d’orgueil, mais qui utilise ses enfants pour combler ses besoins affectifs, renforcer son image ou conserver le contrôle. Alors l’enfant n’est plus un sujet à aimer, mais un miroir chargé de refléter une perfection ou une supériorité imaginaire. Une personne narcissique peut se montrer sympathique en public et destructrice en privé. Elle manque d’empathie réelle. Le narcissisme est une forme subtile d’emprise où l’enfant grandit dans la confusion, l’insécurité intérieure et parfois la honte. Une lecture authentique de la Bible empêche justement ce glissement. Dans l’Écriture, l’enfant n’appartient jamais au parent. Il appartient à Dieu. « Toutes les âmes sont à moi » dit l’oracle d’Ézéchiel (Ez 18,4). Saint Paul dit encore que « l’amour ne cherche pas son intérêt » (1 Co 13,5). Un père ou une mère qui se nourrit affectivement de son enfant n’aime pas : elle absorbe. Le Christ, au contraire, se donne et ne se fait jamais donner pour son avantage personnel. L’enfant n’est jamais un prolongement du parent, encore moins son faire-valoir. En élevant trop l’enfant ou en le laminant, le parent narcissique se sert de lui. À l’opposé, la Bible demande aux parents de ne pas « exaspérer » leurs enfants, de ne pas les écraser intérieurement (Col 3,21 ; Ep 6,4). L’autorité parentale est un service, une protection, un chemin de croissance pour l’autre. Le narcissisme vit de déni, de justifications, de mensonges subtils sur soi-même. Un père ou une mère qui s’avance dans la lumière de l’Évangile est invité à reconnaître ses limites, à guérir de ses blessures, à se décentrer. Le Christ lui-même, lui qui aurait pu réclamer l’admiration ne cesse de s’abaisser pour faire vivre ceux qu’il aime.
La Bible ne demande pas de respecter un parent au point d’excuser les conduites immorales – l’honneur n’est pas complicité, et encore moins silence (on pense à la pédophilie ou la pornographie). Jésus dit : « La vérité vous rendra libres » (Jn 8,32). Honorer passe donc par la vérité, non par la dissimulation. La charité ne commande jamais de rester exposé au mal. Saint Paul lui-même écrit : « Fuyez le mal » (Rm 12,9), « Rejetez les œuvres des ténèbres » (Ep 5,11). Honorer son père, dans un contexte de faute grave, devient alors une attitude intérieure : ne pas laisser la haine envahir le cœur, refuser de rendre le mal pour le mal, reconnaître la dignité d’un être humain créé par Dieu, sans approuver ses actes, sans maintenir une relation toxique, et sans porter une culpabilité qui ne nous appartient pas. La foi ne demande jamais de sacrifier sa propre intégrité morale pour préserver une façade familiale.
« Mon fils, soutiens ton père dans sa vieillesse… Même si son esprit l’abandonne, sois indulgent, ne le méprise pas… » (Si 3,12-13). C’est une exhortation à la miséricorde familiale, prémisse d’une maison relevée même si elle est « ruinée par le péché » (Si 3,14).
Le texte biblique aide à éviter deux extrêmes : d’un côté, l’euthanasie qui met fin volontairement à une vie ; de l’autre, l’acharnement médical qui refuse les limites du corps. Le Siracide ne demande ni l’un ni l’autre. Il invite à soutenir avec délicatesse et vérité. La fragilité extrême devient alors un lieu où la relation se purifie : le parent n’offre plus rien, il dépend, il se perd, il s’efface. Mais c’est là que s’exerce une miséricorde qui n’est pas naïve : une compassion qui dit au père vieillissant qu’il continue d’exister aux yeux de ceux qui l’aiment.
« Même si son esprit l’abandonne » signifie que la valeur de la personne ne réside pas dans sa lucidité ou son utilité, mais dans son être même. La dignité n’est pas annulée par la démence, la confusion ou la dépendance. Elle appelle une attitude de respect, de patience, de proximité douce. L’euthanasie, même lorsqu’elle est motivée par une intention de soulager, coupe ce moment ultime où la fidélité humaine peut encore se dire, où l’amour peut se prodiguer non par des paroles, mais par une présence. Enfin, l’idée que « ta miséricorde envers ton père ne sera pas oubliée » (Si 3,14) rappelle que les gestes de bienveillance ont une mémoire dans Dieu – ils construisent non seulement une maison mais une histoire.
Psaume (Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-5)
« Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi, le bonheur ! Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d’olivier. Voilà comment sera béni l’homme qui craint le Seigneur. De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie. »
« Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! » (Ps 127,1). Dans l’Ancien Testament, l’histoire de Jacob, de Léa et Rachel, et de leurs douze fils (Gn 29–37 ; 42–50) est un vaste tableau familial. Jalousies, rivalités — notamment lorsque les frères vendent Joseph (Gn 37,12-28) — y occupent une place importante. Mais la fin du livre de la Genèse (Gn 45–50) montre une réconciliation spectaculaire, signe que la grâce peut guérir les blessures les plus anciennes.
Le livre du Siracide, dans la première lecture, indique que la marche « selon les voies du Seigneur » n’est pas un idéal lointain : c’est d’abord un mode de vie dans la maison, dans les liens familiaux. Ben Sira précise immédiatement ce chemin : honorer son père et sa mère, soutenir leur fragilité, leur rendre respect et réconfort.
Saint Paul aussi décrit ces voies : ce sont les vêtements nouveaux des baptisés — tendresse, compassion, humilité, douceur, patience (Col 3,12). Marcher selon les voies du Seigneur, c’est laisser ces vertus façonner la vie quotidienne, spécialement dans la maison.
« Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! » (Ps 127,1). Saint Joseph incarne ce verset : il n’explique pas, ne discute pas, ne diffère pas. À chaque parole de l’ange, il se lève, il prend l’enfant et sa mère, et il marche dans l’obscurité de la nuit, uniquement guidé par la volonté de Dieu. Le bonheur promis par le psaume commence dans cette obéissance simple et confiante.
« Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi, le bonheur ! » (Ps 127,2). Le bonheur n’est pas un hasard : il jaillit d’une vie juste, d’une fidélité quotidienne. Saint Paul précise : « Supportez-vous les uns les autres, pardonnez-vous mutuellement » (Col 3,13). Le travail manuel rejoint le travail intérieur de la vie familiale : construire une paix vraie, porter les faiblesses des uns et des autres, offrir et recevoir le pardon. La fécondité ne vient pas seulement du labeur extérieur, mais de cette fidélité patiente. Nous fêtons aujourd’hui la Sainte Famille : Jésus, Marie et Joseph ; travail de charpentier, fidélité, protection et douceur. Leur bonheur n’a rien d’un confort tranquille : il passe par l’exil, l’insécurité, le travail recommencé ailleurs.
« Ta femme sera comme une vigne généreuse, et tes fils comme des plants d’olivier » (Ps 127,3). Saint Paul met des mots sur cette harmonie familiale : amour du mari pour sa femme, respect de la femme, obéissance des enfants, patience des parents (Col 3,18-21). La Sainte Famille en est la figure parfaite : Marie, vigne féconde portant le Fruit béni ; Jésus, jeune rameau que Joseph doit sauvegarder des violences d’Hérode. Le psaume voit autour de la table une famille que Dieu bénit ; l’Évangile montre cette famille en route, fragile mais unie.
Nous pouvons prendre un exemple récent. Luigi Beltrame Quattrocchi (12 janvier 1880 - 9 novembre 1951) et Maria Corsini (24 juin 1884 - 25 août 1965) sont des laïcs mariés qui ont été le premier couple à être béatifié ensemble en 2001. Ils ont eu une « vie ordinaire vécue de façon extraordinaire », dira d'eux le pape Jean-Paul II lors de leur béatification. Maria écrit : « La journée commençait ainsi : messe et communion ensemble. Sortis de l'église, il me disait bonjour comme si la journée ne commençait que maintenant. On achetait le journal, puis on montait à la maison. Lui à son travail, moi à mes occupations, mais chacun pensant sans cesse à l'autre. Nous nous retrouvions à l'heure des repas. Avec quelle joie j'attendais, puis je l'entendais mettre la clé dans la serrure, chaque fois bénissant le Seigneur de toute mon âme. Nous avions alors des conversations sereines qui se faisaient joyeuses et espiègles, la main dans la main. Nous parlions un peu de tout. Ses remarques étaient toujours perspicaces. Il était toujours bienveillant. »[1] Ils élevaient tous les deux leurs enfants dans la piété mais aussi la joie et la détente, discutant ensemble très souvent, partageant à la fois des moments de prière et de loisirs. Tous les soirs, tous récitaient le chapelet. Luigi était avocat, ayant refusé le fascisme, sa carrière fut bloquée, mais après la guerre, il eut un haut poste.
« Voilà comment sera béni l’homme qui craint le Seigneur » (Ps 127,4). La bénédiction du psaume n’est pas abstraite : elle s’enracine dans des gestes simples, souvent cachés, comme soutenir un père vieillissant, rester patient quand son esprit décline, ne pas mépriser la faiblesse de ceux qui nous ont donné la vie. Saint Paul dit : « Par-dessus tout, ayez l’amour, qui est le lien le plus parfait » (Col 3,14). La bénédiction du psaume a un nom : l’amour du Christ, qui unit, guérit, rassemble. L’homme qui craint le Seigneur est celui qui se laisse revêtir de cet amour, qui renonce aux duretés et aux rancunes, et dont la maison devient lieu de miséricorde et de paix. Nous pourrions prendre l’exemple de Sainte Monique, saint Augustin et Patricius, un père païen parfois violent. La fidélité et les larmes de Monique, sa prière constante, ont conduit à la conversion d’Augustin, devenu l’un des plus grands saints.
« De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie » (Ps 127,5).
Nous pourrions prendre l’exemple de sainte Clotilde, forte et douce, qui a conduit son mari Clovis à la foi, transformant ainsi le destin spirituel du royaume franc.
Ben Sira révèle que ce bonheur collectif commence dans chaque foyer : une maison relevée par la miséricorde (Si 3,14), une famille unie, une génération qui en bénit une autre. Voir le bonheur de Jérusalem, c’est voir la paix dans les familles, la transmission de la foi, la douceur entre générations.
Saint Paul montre comment cette bénédiction descend réellement dans la vie : « Que, dans vos cœurs, règne la paix du Christ… Que la parole du Christ habite en vous » (Col 3,15-16).
Saint Joseph ne voit pas la Jérusalem glorieuse ; il voit plutôt ses dangers. Pourtant, la bénédiction de Sion repose sur sa maison : un lieu humble, mais où grandit le Messie. La paix de Sion se réalise là où une famille écoute Dieu, se laisse guider, demeure unie.
Deuxième lecture (Col 3, 12-21)
Frères, puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonné : faites de même. Par-dessus tout cela, ayez l’amour, qui est le lien le plus parfait. Et que, dans vos cœurs, règne la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés, vous qui formez un seul corps.
Vivez dans l’action de grâce. Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ; instruisez-vous et reprenez-vous les uns les autres en toute sagesse ; par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance. Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père.
Vous les femmes, soyez soumises à votre mari, dans le Seigneur, c’est ce qui convient. Et vous les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréables avec elle. Vous les enfants, obéissez en toute chose à vos parents ; cela est beau dans le Seigneur. Et vous les parents, n’exaspérez pas vos enfants ; vous risqueriez de les décourager. – Parole du Seigneur.
Premier point d’attention. « Revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience ». Et cela est possible parce que l’on est choisi, sanctifié, aimé par le Seigneur. La famille Martin l’a vécu avec intensité, surtout avec Léonie, l’enfant la plus difficile, la plus tourmentée, la plus imprévisible de la maison.
Sa mère, Zélie Martin, ne voulait pas se résoudre à désespérer d’elle : elle est difficile, reconnaissait-elle, mais elle a un bon cœur (Correspondance familiale (1863-1888)-Zélie et Louis Martin, Éditions du Cerf). Zélie reconnaît ses propres impatiences, demande pardon, recommence. Elle vit exactement ce que Paul demande : « Supportez-vous… pardonnez-vous mutuellement » (Col 3,13).
Son père, Louis, lui aussi, a exercé une paternité de douceur. Il ne répliquait jamais aux emportements de Léonie ; il priait pour elle, la confiait à Dieu, croyant que la grâce aurait le dernier mot. Auprès de lui, la parole de Paul prend chair : « Vous les pères… n’exaspérez pas vos enfants » (Col 3,21). Louis refusait de briser ce cœur fragile ; il choisissait la paix plutôt que la force. (cf. Jean Prévot, Le livre de la famille Martin, éditions du Cerf)
Ce chemin a été long, parfois épuisant. Mais c’est précisément dans cette persévérance que la grâce s’est frayé un chemin. Léonie deviendra sœur Visitandine, sous le nom de sœur Françoise-Thérèse, devenue elle-même maîtresse dans l’art de la patience et du pardon. Sa conversion intérieure est le fruit invisible d’années de tendresse humble, de bonté quotidienne, de pardon répété — exactement ce que Paul appelle « le lien le plus parfait » : l’amour (Col 3,14).
Le pardon n’efface pas les blessures, mais il ouvre un chemin où l’amour peut enfin respirer. Et c’est souvent dans l’enfant le plus déroutant, le plus fragile, que Dieu révèle la beauté secrète de la charité familiale.
Second point d’attention. Saint Paul écrit : « Vivez dans l’action de grâce… chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance. Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. »
Il ne s’agit pas seulement d’une formule prononcée avant le repas ; c’est une manière de regarder ceux qui partagent notre vie. Cela peut être un simple « merci » pour un geste quotidien, ou pour un courage qui ne fait pas de bruit. Une famille commence à changer dès qu’une personne, même une seule, choisit intérieurement de dire : « Merci, Seigneur, pour ce qui germe ici. » Ce regard de gratitude ouvre un espace de lumière et fait respirer la maison autrement. Que le réveillon soit l’occasion d’une belle action de grâce, générale ! Qu’il soit aussi l’occasion de placer l’année nouvelle en appelant le Seigneur dans nos vies, afin que « tout ce que vous faites, ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus ».
La famille de Tobie illustre avec force cette grâce du regard. Leur vie est tout sauf facile : pauvreté, cécité, craintes pour l’avenir, humiliations publiques, prières angoissées. Pourtant, la louange traverse leur histoire comme un fil solide. Quand Tobit, le père, recouvre la vue, son premier mot n’est pas une plainte sur les années perdues, mais une bénédiction : « Béni sois-tu, Dieu de nos pères ! » (Tb 11,14). Ce cri de joie rassemble aussitôt toute la maison. Et cette louange n’apparaît pas seulement à la fin de l’épreuve : elle marque chaque étape du chemin. Tobie, le fils, remercie Dieu avant même de partir en voyage ; Sara bénit Dieu au cœur de sa détresse ; les parents bénissent pour la protection de leur fils.
La gratitude ne naît pas d’une vie sans problème, mais elle peut sanctifier une vie difficile. La maison de Tobit et celle de son fils sont des foyers où l’on bénit Dieu, et c’est cela qui en fait des lieux de paix. L’action de grâce construit une mémoire du bien, indispensable pour aimer durablement.
Troisième point d’attention. « Vous les femmes, soyez soumises à votre mari, dans le Seigneur, c’est ce qui convient. Et vous les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréables avec elle. » Il ne faut pas isoler le début et il faut respecter l’ordre des mots. C’est « dans le Seigneur », dans le cadre d’une vie nourrie par la prière que les femmes peuvent être soumises à leur mari, comme, par exemple, la Vierge Marie se laisse guider par Joseph qui, seul, avait reçu le songe indiquant la nécessité urgente de fuir en Égypte. L’évangile montre une autre situation, alors que Pilate s’engageait dans la voie d’une compromission qui allait conduire à la mort du Seigneur, sa femme ne lui fut pas soumise ! « Tandis qu'il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire : "Ne te mêle point de l'affaire de ce juste – elle lui donne un ordre ! -- ; car aujourd'hui j'ai été très affectée dans un songe à cause de lui." » (Mt 27,19). « Vous les hommes, aimez votre femme », le verbe « aimer », en araméen, ce n’est pas le verbe rḥem qui exprime l’affection des entrailles, plus ou moins spontanée, c’est le verbe aḥḥeb, : un amour ardent qui se consume d’amour, c’est pourquoi saint Paul donne un ordre. Les hommes doivent avoir l’intention d’aimer, de prêter attention, de se donner. Donc pas de mépris, pas d’utilisation à son profit. Dans le Seigneur, on se met au service les uns des autres.
Enfin, « Vous les enfants, obéissez en toute chose à vos parents ; cela est beau dans le Seigneur. Et vous les parents, n’exaspérez pas vos enfants ; vous risqueriez de les décourager. » Jésus, après ses douze ans et son examen de majorité religieuse où il étonna les docteurs de Jérusalem, revint à Nazareth et se soumit à ses parents (Lc 2,51). En se recevant d’eux, il se recevait de son Père qui est aux cieux, car Dieu veut agir par les hommes, en l’occurrence par Joseph et Marie. Dans nos familles, il s’agit, « dans le Seigneur », d’éduquer les enfants à la liberté en leur donnant des règles qui les aident à se construire.
En conclusion, nous demandons, avec l’oraison de la messe de la Sainte Famille, d’être « unis dans le respect et dans l’amour », comme à Nazareth.
Évangile (Mt 2, 13-15.19-23)
Cf. Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Matthieu, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Traduction depuis la Pshitta. Préface Mgr Mirkis (Irak) ; Mgr Dufour (France) et Mgr Kazadi (Congo RDC). Parole et Silence, 2025.
« 13 [Les mages ] étant donc partis,
l’ange du SEIGNEUR apparut en songe à Joseph, / et lui dit :
‘Lève-toi, emmène l’enfant et sa mère, / et fuis en Égypte.
Et sois là-bas, / jusqu’à ce que je te le dise ;
car Hérode va rechercher l’enfant / pour le faire périr’.
14 Joseph se leva donc, emporta l’enfant et sa mère de nuit, / et s’enfuit en Égypte.
15 Et il fut là-bas / jusqu’à la mort d’Hérode,
pour que s’accomplisse ce qui avait été dit de la part du SEIGNEUR / par le prophète qui dit :
‘D’Égypte, / j’ai appelé mon fils.’ […]
19 Lorsque donc mourut le roi Hérode,
l’ange du SEIGNEUR apparut en songe à Joseph, en Égypte, / 20 et lui dit :
‘Lève-toi, emmène l’enfant et sa mère, / et va en terre d’Israël ;
car ils sont morts, en effet, / ceux qui recherchaient la vie de l’enfant’.
21 Joseph se leva, emmena l’enfant et sa mère, / et il vint en terre d’Israël.
22 Mais, lorsqu’il entendit qu’Archélaüs était roi en Judée, / à la place d’Hérode son père,
il eut peur / d’aller là-bas.
Et il fut vu par lui en songe / qu’il devait aller dans la région de Galilée.
23 Et il vint habiter dans un chef-lieu appelé : / Nazareth,
pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète : / ‘C’est Nazaréen qu’il sera appelé !’ »
Acclamons la Parole de Dieu.
Par ses secours divins, le SEIGNEUR donne à Joseph le pouvoir de protéger « l’enfant et sa mère », sans toutefois opérer des miracles ou des prodiges éclatants. Joseph emmène l’enfant et sa mère en Égypte jusqu’à la mort d’Hérode : « pour que s’accomplisse ce qui avait été dit de la part du SEIGNEUR par le prophète qui dit : ‘D’Égypte, j’ai appelé mon fils.’ » (Mt 2,15). Il s’agit exactement de la prophétie d’Osée 11,1 dans le texte hébreu ou dans l’araméen de la Pshitta (mais pas dans le grec de la Septante). On peut y voir l’épopée de l’Exode et l’histoire passée du peuple d’Israël. Matthieu dit bien qu’il s’agit d’une parole « de la part du SEIGNEUR » et les pensées divines voient plus loin que ce qu’Osée pouvait comprendre ; bien davantage qu’Israël dont les fautes sont racontées dans la Bible, Jésus est ce « fils » que Dieu appelle d’Égypte.
Matthieu est le seul évangéliste à évoquer le séjour de Jésus en Égypte. Il est d’ailleurs l’apôtre qui évangélisa ce pays, dont on dira au IVe siècle : « Toute cette contrée n’est qu’une armée du Christ, une bergerie royale, où l’on mène la vie des puissances célestes. Et cette vie n’est pas l’apanage des hommes, les femmes la partagent avec eux. […] Comme les hommes, elles ont à combattre le démon et les puissances des ténèbres sans que la faiblesse de leur sexe y fasse obstacle, parce que ces combats ne se décident pas par la nature ou le sexe du corps, mais par les nobles dispositions de l’âme. C’est pourquoi les femmes ont souvent mieux lutté que les hommes, et remporté de plus brillantes victoires. » (Saint Jean CHRYSOSTOME, Homélie sur saint Matthieu 8,4).
L’évangile de Matthieu est un pendentif d’oralité, et le passage que nous avons entendu introduit un fil d’oralité, le deuxième, dans lequel Jésus est accusé par les autorités juives : « C’est par le chef des démons qu’il fait sortir les démons !’ » (Mt 9,34). Il ne faut donc pas s’étonner que le Talmud dise que Jésus était en Égypte pour apprendre la magie (Talmud de Babylone, Sanhédrin 107b). Et, comme on n’apprend pas la magie à l’âge de la maternelle, Celse, qui sait que Jésus enfant a fui en Égypte (Origène, Contre Celse I,66) inventa un second séjour de Jésus en Égypte, à l’âge adulte cette fois (Contre Celse I,28,38).
Puis, de nouveau, « L’ange du SEIGNEUR apparut en songe à Joseph » (Mt 2,19) pour qu’il revienne en Israël.
Il aurait été envisageable de revenir à Bethléem, à proximité des savants du Temple pour offrir une bonne instruction à Jésus, mais Joseph eut « peur » (Mt 2,22). Archélaüs (ethnarque entre l’an –4 et l’an +6) s’aliénait en effet aussi bien les sympathies du peuple juif que celles d’Auguste qui finira par l’exiler à Vienne (Gaule). En comparaison, la Galilée, qui appartenait à la tétrarchie d’Hérode Antipas (–4 à +37), faisait office de refuge ; cependant, ce n’est pas un simple raisonnement qui y conduit Joseph, c’est un songe (Mt 2,22) : il y a de nouveau quelque chose de divin qui éclaire sa décision, bien que d’une manière plus discrète que lorsque l’ange du SEIGNEUR apparaissait.
En Mt 2,23, Joseph vint habiter Nazareth « pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète : ‘C’est Nazaréen qu’il sera appelé !’ ». Certes, le terme grec « ναζωραιον Nazôréen » que l’on a ici n’est pas le mot « ναζαρηνος Nazaréen » habituel dans l’évangile de Marc, mais dans les deux cas il traduit le même mot araméen « nāṣrāyā » , qui dérive du nom « Nazareth, nāṣraṯ ». Ce terme n’a pas la même racine que le mot nazir [nzr], consacré, mais il a les mêmes lettres que le mot « rejeton [nāṣarṯā] ». C’est donc à la prophétie d’Isaïe qu’il faut penser : « Un rejeton [nāṣarṯā] sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines » (Is 11,1) ce qui fait parfaitement suite à l’emphase de la généalogie de Matthieu à cet endroit : « Jessé engendra David, le roi » (Mt 1,6).
La prophétie d’Isaïe continue en décrivant l’onction du roi : « 2 Sur lui reposera l’Esprit du SEIGNEUR, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du SEIGNEUR : 3 son inspiration est dans la crainte du du SEIGNEUR. Il jugera, mais non sur l’apparence. Il se prononcera mais non sur le ouï-dire. 4 Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays. Il frappera le pays de la férule de sa bouche, et du souffle de ses lèvres fera mourir le méchant. 5 La justice sera la ceinture de ses reins, et la fidélité la ceinture de ses hanches » (Is 11,2-5). La suite a une portée eschatologique, c’est-à-dire vise le temps de la Parousie, après le retour glorieux du Christ : « Le loup habitera avec l’agneau, etc. » (Is 11,6).
Revenons à l’Évangile. Joseph se leva donc, dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et s’enfuit en Égypte (Mt 2,14) réalisant, par l’obéissance aux indications divines, « le lien le plus parfait » (Col 3, 14) dans « la paix du Christ », comme le dit saint Paul. Quand, plus tard, l’ange du Seigneur lui dit de revenir (Mt 2,20-21), la sainte Famille recherche dans les Écritures le sens de ce qu’ils traversent : le massacre commis par Hérode, la fuite en Égypte, et le retour, non pas à Bethléem comme on s’y attendrait, mais à Nazareth. Ils ont certainement trouvé chez Jérémie, Osée et Isaïe une méditation réconfortante qu’ils ont soigneusement conservée (cf. Lc 2,19).
Plus tard, pendant les jours où les apôtres prient au cénacle avant la Pentecôte, la mère de Jésus, ne pouvait-elle pas le transmettre ?
La parole du Seigneur habite la sainte Famille qui est l’exemple même des recommandations de saint Paul : « Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ; instruisez-vous, etc. » (Col 3,16-17).
Date de dernière mise à jour : 24/11/2025