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Fête Sainte Famille A

Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
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Première lecture (Si 3, 2-6.12-14)
Psaume (Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-5)
Deuxième lecture (Col 3, 12-21)
Première lecture (Si 3, 2-6.12-14)
« Le Seigneur glorifie le père dans ses enfants, il renforce l’autorité de la mère sur ses fils. Celui qui honore son père obtient le pardon de ses péchés, celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor. Celui qui honore son père aura de la joie dans ses enfants, au jour de sa prière il sera exaucé. Celui qui glorifie son père verra de longs jours, celui qui obéit au Seigneur donne du réconfort à sa mère. Mon fils, soutiens ton père dans sa vieillesse, ne le chagrine pas pendant sa vie. Même si son esprit l’abandonne, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force. Car ta miséricorde envers ton père ne sera pas oubliée, et elle relèvera ta maison si elle est ruinée par le péché. » – Parole du Seigneur.
Le Siracide est un livre de sagesse situé au tournant du IIᵉ siècle avant J.-C.
Dans ce passage, le personnage principal est-il le père ? la mère ? les enfants ? Aucun, c’est le Seigneur. C’est « Le Seigneur » qui « glorifie le père dans ses enfants » (v. 2), et c’est « au Seigneur » qu’il s’agit d’obéir (v. 6).
On peut prendre l’exemple du livre Tobie. Le père Tobit, pieux et charitable, perd la vue et devient pauvre, il envoie son fils Tobie en voyage à la fois pour reprendre une somme d’argent déposée dans sa parenté et pour prendre une épouse de la même tribu ; à son retour, son fils apporte aussi un remède qui guérit son père. Mais toute cette histoire est l’œuvre du Seigneur, c’est lui qui envoie son ange Raphaël pour guider le jeune Tobie et lui indiquer le remède.
Autre exemple : longtemps stérile, Abraham reçoit la promesse d’un fils, Isaac (Gn 21,1-7). Ce fils est un don de Dieu. Abraham, quant à lui, a dû offrir sa paternité humaine, en offrant Isaac et en sacrifiant un bélier. C’est « le Seigneur » qui « glorifie » Abraham en sa descendance qui deviendra aussi nombreuse que les étoiles du ciel (Genèse chapitres 12 à 22).
v. 2. Le Seigneur « renforce l’autorité de la mère sur ses fils » (Si 3,2).
Par exemple, face au décret du Pharaon, la mère de Moïse sauve son fils dans un panier bitumé sur le Nil, et, finalement, elle pourra le nourrir (Exode 2).
Autre exemple, Anne, longtemps stérile puis exaucée, confie son fils Samuel au Seigneur, inaugurant une relation familiale marquée par la foi et l’offrande. Ce récit montre une maternité vécue comme une mission spirituelle.
Dans la sainte Famille, l’enfant Jésus n’a pas été éduqué au temple de Jérusalem mais à Nazareth, par ses parents, et Jésus leur était soumis (Lc 2,51). L’humble autorité de l’Immaculée a été préférée par le Seigneur.
v. 3-4. « Celui qui honore son père obtient le pardon de ses péchés, celui qui glorifie sa mère est comme celui qui amasse un trésor » (Si 3,3-4).
Le péché est fondamentalement une rupture du lien entre la créature et le Créateur. Honorer son père, c’est se reconnaître fils, c’est vivre en ayant conscience d’avoir reçu l’existence. À travers l’honneur que nous rendons à notre père, c’est à Dieu le Créateur que nous rendons honneur et gloire, en nous reconnaissant ses créatures, c’est pourquoi celui qui honore son père obtient le pardon de ses péchés. De même, glorifier la mère, c’est commencer à reconnaitre tout ce que nous recevons du Créateur, c’est prendre conscience que tout l’univers est une parole d’amour du Créateur, un flux d’amour : nous avons un trésor.
Jésus dit que la vraie famille est celle qui « fait la volonté du Père » (Mt 12,50). La Bible ne demande pas de respecter un parent au point d’excuser les conduites immorales – l’honneur n’est pas complicité, et encore moins silence quand il y a des conduites immorales. Jésus dit : « La vérité vous rendra libres » (Jn 8,32). La charité ne commande jamais de rester exposé au mal. La foi ne demande jamais de sacrifier sa propre intégrité morale pour préserver une façade familiale. Saint Paul écrit : « Fuyez le mal » (Rm 12,9), « rejetez les œuvres des ténèbres » (Ep 5,11). Dans un contexte de faute grave, l’honneur dû au parent devient une attitude intérieure : ne pas laisser la haine envahir le cœur, refuser de rendre le mal pour le mal, reconnaître la dignité d’un être humain créé par Dieu, sans approuver ses actes, sans maintenir une relation toxique, et sans porter une culpabilité qui ne nous appartient pas.
Le Siracide insiste sur l’honneur rendu envers les parents, mais toujours sous le regard de Dieu. L’enfant n’appartient jamais au parent. Il appartient à Dieu. « Toutes les âmes sont à moi » dit l’oracle d’Ézéchiel (Ez 18,4). Il y en a qui utilisent les enfants pour combler des besoins affectifs, pour renforcer son image ou pour conserver le contrôle. Le narcissisme est une forme subtile d’emprise où l’enfant grandit dans la confusion, l’insécurité intérieure et parfois la honte. Sympathique en public, destructrice en privé, la personne narcissique manque d’empathie réelle. Or l’enfant n’est jamais un prolongement du parent, encore moins son faire-valoir. (Et cela est vrai aussi pour les relations père spirituel / fils spirituel).
Le Christ, au contraire, se donne et ne se fait jamais donner pour son avantage personnel. Saint Paul dit que « l’amour ne cherche pas son intérêt » (1 Co 13,5). Le narcissisme vit de déni, de justifications, de mensonges subtils sur soi-même. Un père ou une mère qui s’avance dans la lumière de l’Évangile est invité à reconnaître ses limites, à guérir de ses blessures, à se décentrer. Le Christ lui-même, lui qui aurait pu réclamer l’admiration ne cesse de s’abaisser pour faire vivre ceux qu’il aime.
Saint Paul demande aux parents de ne pas « exaspérer » leurs enfants, c’est-à-dire de ne pas les écraser intérieurement (Col 3,21 ; Ep 6,4). L’autorité parentale est un service, une protection, un chemin de croissance pour l’autre.
« Mon fils, soutiens ton père dans sa vieillesse, ne le chagrine pas pendant sa vie. Même si son esprit l’abandonne, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force. Car ta miséricorde envers ton père ne sera pas oubliée, et elle relèvera ta maison si elle est ruinée par le péché. » (Si 3,12-14).
Le texte biblique aide à éviter deux extrêmes : d’un côté, l’euthanasie qui met fin volontairement à une vie ; de l’autre, l’acharnement médical qui refuse les limites du corps. Le Siracide ne demande ni l’un ni l’autre. La fragilité extrême devient un lieu où la relation se purifie.
Les gestes de bienveillance ne seront pas oubliés dans la maison, car ils laissent une atmosphère, ils forment une mémoire familiale.
Les gestes de miséricorde ne seront pas non plus oubliés des parents quand ils seront défunts, car il y a une vie après la mort.
Les gestes de miséricorde ne seront pas oubliés de Dieu.
On peut même dire que ce sont des gestes inspirés par Dieu, et, en tant que tels, ils contiennent la vie divine, qui est une vie éternelle, pour toujours.
Psaume (Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-5)
« Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi, le bonheur ! Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d’olivier. Voilà comment sera béni l’homme qui craint le Seigneur. De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie. »
Dans l’Ancien Testament, l’histoire de Jacob, de Léa et Rachel, et de leurs douze fils (Gn 29–37 ; 42–50) est un vaste tableau familial. Jalousies, rivalités — notamment lorsque les frères vendent Joseph (Gn 37,12-28) — y occupent une place importante. Mais la fin du livre de la Genèse (Gn 45–50) montre une réconciliation spectaculaire, signe que la grâce peut guérir les blessures les plus anciennes.
v.1 « Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! » (Ps 127,1). Le livre du Siracide indique que la marche « selon les voies du Seigneur » est d’abord un mode de vie dans les liens familiaux, avec l’honneur rendu aux parents. Saint Paul décrit ces voies : tendresse, compassion, humilité, douceur, patience (Col 3,12). Et dans l’évangile, après la naissance de Jésus, saint Joseph incarne ce verset de ce psaume : à chaque parole de l’ange, il se lève, il prend l’enfant et sa mère, et il marche dans l’obscurité de la nuit, uniquement guidé par la volonté de Dieu. » Il « craint le Seigneur et marche selon ses voies ! » Le bonheur promis par le psaume commence dans cette obéissance simple et confiante.
v. 2 « Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi, le bonheur ! » (Ps 127,2). Le bonheur n’est pas un hasard : il jaillit d’une vie juste, d’une fidélité quotidienne. Saint Paul précise : « Supportez-vous les uns les autres, pardonnez-vous mutuellement » (Col 3,13). Le travail manuel rejoint le travail intérieur de la vie familiale ; aimer est un travail : construire une paix vraie, porter les faiblesses des uns et des autres, offrir et recevoir le pardon. La fécondité ne vient pas seulement du labeur extérieur, mais de cette fidélité patiente. Nous fêtons aujourd’hui la sainte Famille : Jésus, Marie et Joseph ; travail de charpentier, fidélité, protection et douceur. Leur bonheur n’a rien d’un confort tranquille : il passe par l’exil, l’insécurité, le travail recommencé ailleurs. « Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi, le bonheur ! »
v.3 « Ta femme sera comme une vigne généreuse, et tes fils comme des plants d’olivier » (Ps 127,3). Dans l’ancien Testament, nous avons la famille de Moïse, avec Aaron qui soutient son frère Moïse dans sa mission. Il y a aussi la famille du roi David (1 S 16–2 S 24), qui reflète toute la complexité humaine : grande foi, mais aussi adultère (2 S 11), violences entre les fils (2 S 13), révolte d’Absalom (2 S 15–18). Pourtant, David demeure un modèle de conversion ; sa maison montre comment Dieu travaille au cœur de nos contradictions.
Saint Paul résume la voie de l’harmonie familiale : amour du mari pour sa femme, respect de la femme, obéissance des enfants, patience des parents (Col 3,18-21). La sainte Famille en est la figure parfaite : Marie, vigne féconde portant le Fruit béni ; Jésus, jeune rameau que Joseph doit sauvegarder des violences d’Hérode. Le psaume voit autour de la table une famille que Dieu bénit ; l’Évangile montre cette famille en route, fragile mais unie.
Nous pouvons aussi prendre un exemple récent. Luigi Beltrame Quattrocchi (12 janvier 1880 - 9 novembre 1951) et Maria Corsini (24 juin 1884 - 25 août 1965) sont des laïcs mariés qui ont été le premier couple à être béatifié ensemble en 2001. Ils ont eu une « vie ordinaire vécue de façon extraordinaire », dira d'eux le pape Jean-Paul II lors de leur béatification. Maria écrit : « La journée commençait ainsi : messe et communion ensemble. Sortis de l'église, il me disait bonjour comme si la journée ne commençait que maintenant. On achetait le journal, puis on montait à la maison. Lui à son travail, moi à mes occupations, mais chacun pensant sans cesse à l'autre. Nous nous retrouvions à l'heure des repas. Avec quelle joie j'attendais, puis je l'entendais mettre la clé dans la serrure, chaque fois bénissant le Seigneur de toute mon âme. Nous avions alors des conversations sereines qui se faisaient joyeuses et espiègles, la main dans la main. Nous parlions un peu de tout. Ses remarques étaient toujours perspicaces. Il était toujours bienveillant. »[1] Ils élevaient tous les deux leurs enfants dans la piété mais aussi la joie et la détente, discutant ensemble très souvent, partageant à la fois des moments de prière et de loisirs. Tous les soirs, tous récitaient le chapelet. Luigi était avocat, ayant refusé le fascisme, sa carrière fut bloquée, mais après la guerre, il eut un haut poste.
v. 4 « Voilà comment sera béni l’homme qui craint le Seigneur » (Ps 127,4). La bénédiction du psaume n’est pas abstraite : elle s’enracine dans des gestes simples, souvent cachés, comme soutenir un père vieillissant, rester patient quand son esprit décline, ne pas mépriser la faiblesse de ceux qui nous ont donné la vie. Saint Paul dit : « Par-dessus tout, ayez l’amour, qui est le lien le plus parfait » (Col 3,14). La bénédiction du psaume a un nom : l’amour du Christ, qui unit, guérit, rassemble. L’homme qui craint le Seigneur est celui qui se laisse revêtir de cet amour, qui renonce aux duretés et aux rancunes, et dont la maison devient lieu de miséricorde et de paix. Nous pourrions prendre l’exemple de sainte Monique, son fils saint Augustin et son mari Patricius, un père païen parfois violent. La fidélité et les larmes de Monique, sa prière constante, ont conduit à la conversion d’Augustin, devenu l’un des plus grands saints.
v. 5 « De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie » (Ps 127,5).
La première lecture nous indique que ce bonheur collectif commence dans chaque foyer : une maison relevée par la miséricorde (Si 3,14), une famille unie, une génération qui en bénit une autre.
Dans la sainte Famille, saint Joseph ne voit pas le bonheur de Jérusalem ; il voit plutôt ses dangers. Pourtant, la bénédiction de Sion repose sur sa maison : un lieu humble, mais où grandit le Messie. La paix de Sion se réalise là où une famille écoute Dieu, se laisse guider, demeure unie.
Saint Paul parle d’une mise à l’écart des juifs qui ont rejeté Jésus comme des rameaux désormais « élagués », la majorité des « rameaux », eux, l’ayant accepté. Rien n’autorise à imaginer un accomplissement des promesses de l’Ancien Testament en dehors de Jésus le Messie. La réintégration vivifiante de tous les Juifs (Rm 11,15), c’est d’être greffés sur le Christ (Jésus est avant tout le Messie d’Israël), Et saint Paul dit alors : « Les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11,29). « De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie » (Ps 127,5).
En conclusion, demandons avec l’oraison de la fête d’être « unis dans le respect et dans l’amour », comme à Nazareth.
Deuxième lecture (Col 3, 12-21)
Frères, puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonné : faites de même. Par-dessus tout cela, ayez l’amour, qui est le lien le plus parfait. Et que, dans vos cœurs, règne la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés, vous qui formez un seul corps.
Vivez dans l’action de grâce. Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ; instruisez-vous et reprenez-vous les uns les autres en toute sagesse ; par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance. Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père.
Vous les femmes, soyez soumises à votre mari, dans le Seigneur, c’est ce qui convient. Et vous les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréables avec elle. Vous les enfants, obéissez en toute chose à vos parents ; cela est beau dans le Seigneur. Et vous les parents, n’exaspérez pas vos enfants ; vous risqueriez de les décourager. – Parole du Seigneur.
v. 12-15. « Revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience ». Et cela est possible parce que l’on est choisi, « sanctifié, aimé par le Seigneur ».
La famille Martin l’a vécu avec intensité, surtout avec Léonie, l’enfant la plus difficile, la plus tourmentée, la plus imprévisible de la maison.
Sa mère, Zélie Martin, ne voulait pas se résoudre à désespérer d’elle : elle est difficile, reconnaissait-elle, mais elle a un bon cœur (Correspondance familiale (1863-1888)-Zélie et Louis Martin, Éditions du Cerf). Zélie reconnaît ses propres impatiences, demande pardon, recommence. Elle vit exactement ce que Paul demande : « Supportez-vous… pardonnez-vous mutuellement » (Col 3,13).
Son père, Louis, lui aussi, a exercé une paternité de douceur. Il ne répliquait jamais aux emportements de Léonie ; il priait pour elle, la confiait à Dieu, croyant que la grâce aurait le dernier mot. Auprès de lui, la parole de Paul prend chair : « Vous les pères… n’exaspérez pas vos enfants » (Col 3,21). Louis refusait de briser ce cœur fragile ; il choisissait la paix plutôt que la force. (cf. Jean Prévot, Le livre de la famille Martin, éditions du Cerf)
Ce chemin a été long, parfois épuisant. Mais c’est précisément dans cette persévérance que la grâce s’est frayé un chemin. Léonie deviendra sœur Visitandine, sous le nom de sœur Françoise-Thérèse, devenue elle-même maîtresse dans l’art de la patience et du pardon. Sa conversion intérieure est le fruit invisible d’années de tendresse humble, de bonté quotidienne, de pardon répété — exactement ce que Paul appelle « le lien le plus parfait » : l’amour (Col 3,14).
Le pardon n’efface pas les blessures, mais il ouvre un chemin où l’amour peut enfin respirer. Et c’est souvent dans l’enfant le plus déroutant, le plus fragile, que Dieu révèle la beauté secrète de la charité familiale.
v. 16-17 « Vivez dans l’action de grâce. Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse […] chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance. Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. »
Combien de merci pourrions-nous dire ? Une vingtaine pour la nourriture, une vingtaine pour les vêtements, une vingtaine pour le logement et ce qu’il y a dedans, et puis, on arrive à des choses plus personnelles… « merci » pour un geste quotidien, ou pour un courage qui ne fait pas de bruit. Une famille commence à changer dès qu’une personne, même une seule, choisit intérieurement de dire : « Merci, Seigneur, pour ce qui germe ici. » Ce regard de gratitude ouvre un espace de lumière et fait respirer la maison autrement. L’action de grâce construit une mémoire du bien, indispensable pour aimer durablement.
La gratitude ne naît pas d’une vie sans problème, mais elle peut sanctifier une vie difficile. Dans la famille de Tobit, la vie est tout sauf facile : pauvreté, cécité, craintes pour l’avenir, humiliations publiques. Pourtant, la louange traverse leur histoire comme un fil solide. Tobie, le fils, remercie Dieu avant même de partir en voyage ; Sara bénit Dieu au cœur de sa détresse ; et quand Tobit, le père, recouvre la vue, son premier mot n’est pas une plainte sur les années perdues, mais une bénédiction : « Béni sois-tu, Dieu de nos pères ! » (Tb 11,14). La maison de Tobit et celle de son fils sont des foyers où l’on bénit Dieu, et c’est cela qui en fait des lieux de paix.
Que le réveillon soit l’occasion d’une belle action de grâce, générale ! Qu’il soit aussi l’occasion de placer l’année nouvelle en appelant le Seigneur dans nos vies, afin que « tout ce que vous faites, ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus ».
v. 18 « Vous les femmes, soyez soumises à votre mari, dans le Seigneur, c’est ce qui convient. » C’est « dans le Seigneur », dans le cadre d’une vie nourrie par la prière que les femmes peuvent être soumises à leur mari, comme, par exemple, la Vierge Marie se laisse guider par Joseph qui, seul, avait reçu le songe indiquant la nécessité urgente de fuir en Égypte. L’évangile montre une autre situation : alors que Pilate s’engageait dans la voie d’une compromission qui allait conduire à la mort du Seigneur, sa femme ne lui fut pas soumise, parce que ce n’aurait pas été « être soumise dans le Seigneur » mais contre le Seigneur ! Elle « lui fit dire : "Ne te mêle point de l'affaire de ce juste" » (Mt 27,19) – elle lui donne un ordre !
v. 19. « Vous les hommes, aimez votre femme », le verbe « aimer », en araméen, n’est pas le verbe rḥem qui exprime l’affection des entrailles, plus ou moins spontanée, c’est le verbe aḥḥeb : un amour ardent qui se consume d’amour, c’est pourquoi saint Paul donne un ordre. Les hommes doivent avoir l’intention d’aimer, de prêter attention, d’aider et de se donner.
v. 20. « Vous les enfants, obéissez en toute chose à vos parents ; cela est beau dans le Seigneur. » Jésus à douze ans, alors qu’il venait d’émerveiller les savants de Jérusalem, revint à Nazareth et se soumit à ses parents (Lc 2,51). En se recevant d’eux, il se recevait de son Père qui est aux cieux, car Dieu veut agir par les hommes, en l’occurrence par Joseph et Marie.
v. 21 « Et vous les parents, n’exaspérez pas vos enfants ; vous risqueriez de les décourager. » Il s’agit, « dans le Seigneur », d’éduquer les enfants à la liberté en leur donnant des règles qui les aident à se construire.
Ainsi demandons, en ce jour de fête d’être « unis dans le respect et dans l’amour », comme la sainte Famille.
Évangile (Mt 2, 13-15.19-23)
Cf. Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Matthieu, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Traduction depuis la Pshitta. Préface Mgr Mirkis (Irak) ; Mgr Dufour (France) et Mgr Kazadi (Congo RDC). Parole et Silence, 2025.
« 13 [Les mages ] étant donc partis,
l’ange du SEIGNEUR apparut en songe à Joseph, / et lui dit :
‘Lève-toi, emmène l’enfant et sa mère, / et fuis en Égypte.
Et sois là-bas, / jusqu’à ce que je te le dise ;
car Hérode va rechercher l’enfant / pour le faire périr’.
14 Joseph se leva donc, emporta l’enfant et sa mère de nuit, / et s’enfuit en Égypte.
15 Et il fut là-bas / jusqu’à la mort d’Hérode,
pour que s’accomplisse ce qui avait été dit de la part du SEIGNEUR / par le prophète qui dit :
‘D’Égypte, / j’ai appelé mon fils.’ […]
19 Lorsque donc mourut le roi Hérode,
l’ange du SEIGNEUR apparut en songe à Joseph, en Égypte, / 20 et lui dit :
‘Lève-toi, emmène l’enfant et sa mère, / et va en terre d’Israël ;
car ils sont morts, en effet, / ceux qui recherchaient la vie de l’enfant’.
21 Joseph se leva, emmena l’enfant et sa mère, / et il vint en terre d’Israël.
22 Mais, lorsqu’il entendit qu’Archélaüs était roi en Judée, / à la place d’Hérode son père,
il eut peur / d’aller là-bas.
Et il fut vu par lui en songe / qu’il devait aller dans la région de Galilée.
23 Et il vint habiter dans un chef-lieu appelé : / Nazareth,
pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète : / ‘C’est Nazaréen qu’il sera appelé !’ »
Acclamons la Parole de Dieu.
Par ses secours divins, le SEIGNEUR donne à Joseph le pouvoir de protéger « l’enfant et sa mère », inséparables, sans toutefois opérer des miracles ou des prodiges éclatants.Matthieu est le seul évangéliste à évoquer le séjour de Jésus en Égypte. Il est d’ailleurs l’apôtre qui évangélisa ce pays, dont on dira au IVe siècle : « Toute cette contrée n’est qu’une armée du Christ, une bergerie royale, où l’on mène la vie des puissances célestes. Et cette vie n’est pas l’apanage des hommes, les femmes la partagent avec eux. […] Comme les hommes, elles ont à combattre le démon et les puissances des ténèbres sans que la faiblesse de leur sexe y fasse obstacle, parce que ces combats ne se décident pas par la nature ou le sexe du corps, mais par les nobles dispositions de l’âme. C’est pourquoi les femmes ont souvent mieux lutté que les hommes, et remporté de plus brillantes victoires. » (Saint Jean CHRYSOSTOME, Homélie sur saint Matthieu 8,4).
L’évangile de Matthieu est un pendentif d’oralité, et le passage que nous avons entendu introduit un fil d’oralité, le deuxième, dans lequel Jésus est accusé par les autorités juives : « ‘C’est par le chef des démons qu’il fait sortir les démons !’ » (Mt 9,34). Il ne faut donc pas s’étonner que le Talmud dise que Jésus était en Égypte pour apprendre la magie (Talmud de Babylone, Sanhédrin 107b). Et, comme on n’apprend pas la magie à l’âge de la maternelle, Celse, qui sait que Jésus enfant a fui en Égypte (Origène, Contre Celse I,66) inventa un second séjour de Jésus en Égypte, à l’âge adulte cette fois (Contre Celse I,28,38).
Revenons à l’Évangile. Joseph se leva donc, dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et s’enfuit en Égypte (Mt 2,14). Quand, plus tard, l’ange du Seigneur lui dit de revenir (Mt 2,20-21), la sainte Famille recherche dans les Écritures le sens de ce qu’ils traversent : le massacre commis par Hérode, la fuite en Égypte, et le retour, non pas à Bethléem comme on s’y attendrait, mais à Nazareth. Ils ont certainement trouvé chez les prophètes une méditation réconfortante qu’ils ont soigneusement conservée.
La parole du Seigneur habite la sainte Famille qui est l’exemple même des recommandations de saint Paul : « Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ; instruisez-vous, etc. » (Col 3,16-17).
Plus tard, pendant les jours où les apôtres prient au cénacle avant la Pentecôte, la mère de Jésus était là, ne pouvait-elle pas transmettre non seulement l’histoire vécue mais la manière dont les prophéties s’accomplissaient ?
Joseph emmène l’enfant et sa mère en Égypte jusqu’à la mort d’Hérode : « pour que s’accomplisse ce qui avait été dit de la part du SEIGNEUR par le prophète qui dit : ‘D’Égypte, j’ai appelé mon fils.’ » (Mt 2,15). Il s’agit exactement de la prophétie d’Osée 11,1 dans le texte hébreu ou dans l’araméen de la Pshitta (mais pas dans le grec de la Septante). On peut y voir l’épopée de l’Exode et l’histoire passée du peuple d’Israël. Matthieu dit bien qu’il s’agit d’une parole « de la part du SEIGNEUR » et les pensées divines voient plus loin que ce qu’Osée pouvait comprendre ; bien davantage qu’Israël dont les fautes sont racontées dans la Bible, Jésus est ce « fils » que Dieu appelle d’Égypte.
Puis, de nouveau, « l’ange du SEIGNEUR apparut en songe à Joseph » (Mt 2,19) pour qu’il revienne en Israël. Il aurait été envisageable de revenir à Bethléem, à proximité des savants du Temple pour offrir une bonne instruction à Jésus, mais Joseph eut « peur » (Mt 2,22). Archélaüs (ethnarque entre l’an –4 et l’an +6) s’aliénait en effet aussi bien les sympathies du peuple juif que celles d’Auguste qui finira par l’exiler à Vienne (Gaule). En comparaison, la Galilée, qui appartenait à la tétrarchie d’Hérode Antipas (–4 à +37), faisait office de refuge ; cependant, ce n’est pas un simple raisonnement qui y conduit Joseph, c’est un songe (Mt 2,22) : il y a de nouveau quelque chose de divin qui éclaire sa décision, bien que d’une manière plus discrète que lorsque l’ange du SEIGNEUR apparaissait.
En Mt 2,23, Joseph vint habiter Nazareth « pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète : ‘C’est Nazaréen qu’il sera appelé !’ ». Certes, le terme grec « ναζωραιον Nazôréen » que l’on a ici n’est pas le mot « ναζαρηνος Nazaréen » habituel dans l’évangile de Marc, mais dans les deux cas il traduit le même mot araméen « nāṣrāyā » , qui dérive du nom « Nazareth, nāṣraṯ ». Ce terme n’a pas la même racine que le mot nazir [nzr] (lettre zaïn) consacré, mais il a les mêmes lettres que le mot « rejeton [nāṣarṯā] » (lettre tsodé). C’est donc à la prophétie d’Isaïe qu’il faut penser : « Un rejeton [nāṣarṯā] sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines » (Is 11,1) ce qui fait parfaitement suite à l’emphase de la généalogie de Matthieu à cet endroit : « Jessé engendra David, le roi » (Mt 1,6).
La prophétie d’Isaïe continue en décrivant l’onction du roi : « 2 Sur lui reposera l’Esprit du SEIGNEUR, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du SEIGNEUR : 3 son inspiration est dans la crainte du SEIGNEUR. Il jugera, mais non sur l’apparence. Il se prononcera mais non sur le ouï-dire. 4 Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays. Il frappera le pays de la férule de sa bouche, et du souffle de ses lèvres fera mourir le méchant. 5 La justice sera la ceinture de ses reins, et la fidélité la ceinture de ses hanches » (Is 11,2-5). Et l’on entre dans une portée eschatologique, c’est-à-dire qui vise le temps de la Parousie, après le retour glorieux du Christ : « Le loup habitera avec l’agneau, etc. » (Is 11,6).
Bonne fête de la sainte Famille, avec Jésus, Marie, Joseph, et gardez toujours l’espérance. Que Dieu vous bénisse.
Date de dernière mise à jour : 10/12/2025