14 février Saints Cyrille et Méthode

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Première lecture (1 R 12, 26-32 ; 13, 33-34)

Psaume (Ps 105 (106), 6-7ab, 19-20, 21-22)

Évangile (Mc 8, 1-10)

Première lecture (1 R 12, 26-32 ; 13, 33-34)

En ces jours-là, devenu roi des dix tribus d’Israël, Jéroboam se dit : « Maintenant, le royaume risque fort de se rallier de nouveau à la maison de David. Si le peuple continue de monter à Jérusalem pour offrir des sacrifices dans la maison du Seigneur, le cœur de ce peuple reviendra vers son souverain, Roboam, roi de Juda, et l’on me tuera. »
Après avoir tenu conseil, Jéroboam fit fabriquer deux veaux en or, et il déclara au peuple : « Voilà trop longtemps que vous montez à Jérusalem ! Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte. » Il plaça l’un des deux veaux à Béthel, l’autre à Dane, et ce fut un grand péché. Le peuple conduisit en procession celui qui allait à Dane. Jéroboam y établit un temple à la manière des lieux sacrés.
Il institua des prêtres pris n’importe où, et qui n’étaient pas des descendants de Lévi. Jéroboam célébra la fête le quinzième jour du huitième mois, fête pareille à celle que l’on célébrait en Juda, et il monta à l’autel. Il fit de même à Béthel en offrant des sacrifices aux veaux qu’il avait fabriqués ; il établit à Béthel les prêtres des lieux sacrés qu’il avait institués.
Jéroboam persévéra dans sa mauvaise conduite ; il continua d’instituer n’importe qui comme prêtres des lieux sacrés : il donnait l’investiture à tous ceux qui le désiraient, pour en faire des prêtres des lieux sacrés.
Tout cela fit tomber dans le péché la maison de Jéroboam, entraîna sa ruine et provoqua sa disparition de la surface de la terre. – Parole du Seigneur.

Cet épisode se situe après la mort du roi Salomon, vers la fin du Xe siècle av. J.-C. Le royaume, uni, qui avait connu son apogée sous David et Salomon, se divise en deux entités politiques et religieuses (1 R 12,1-20). Au sud, le royaume de Juda reste fidèle à la dynastie davidique avec Roboam ; au nord naît le royaume d’Israël, constitué de dix tribus, dont Jéroboam devient le premier roi (1 R 12,20).

Jérusalem, avec le Temple construit par Salomon, se trouve en territoire de Juda. Or, selon la Loi, c’est là que doivent être offerts les sacrifices au Seigneur (Dt 12,5-7). Jéroboam comprend rapidement le danger politique que cela représente : si son peuple continue de monter à Jérusalem, le lien religieux risque de réunifier les cœurs autour de la maison de David, et donc de menacer son pouvoir (1 R 12,26-27). La crainte politique devient alors le moteur d’une réforme religieuse.

Pour consolider son royaume, Jéroboam met en place une religion d’État alternative. Il fait fabriquer deux veaux d’or et les installe à Béthel, au sud, et à Dane, au nord, afin d’encadrer symboliquement tout le territoire (1 R 12,28-29). Le discours qu’il tient au peuple reprend volontairement une formule lourde de mémoire : « Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte » (1 R 12,28), rappel direct de l’épisode du veau d’or au désert (Ex 32,4). Ce n’est pas une simple innovation cultuelle : c’est une régression théologique, où le Dieu libérateur est à nouveau confondu avec une image fabriquée.

Jéroboam va plus loin encore. Il institue des sanctuaires concurrents du Temple de Jérusalem, nomme des prêtres qui ne sont pas lévites (1 R 12,31 ; cf. Nb 3,10), et crée une fête religieuse calquée sur celle de Juda, mais déplacée dans le calendrier (1 R 12,32). Tout est fait pour donner l’apparence de la continuité, tout en détachant le culte de l’alliance davidique et du Temple.

Le jugement biblique sur cette politique est sans ambiguïté. Les livres des Rois reviendront sans cesse sur « le péché de Jéroboam » comme une faute fondatrice, qui entraîne le peuple dans une infidélité durable (1 R 13,34 ; 2 R 17,21-23). Ce péché n’est pas seulement l’idolâtrie au sens strict ; il est le mélange du politique et du religieux, où la peur de perdre le pouvoir conduit à déformer la foi. La religion devient un instrument de sécurité nationale plutôt qu’un lieu d’écoute de Dieu.

C’est pourquoi la Bible voit dans la conduite de Jéroboam l’origine spirituelle de la chute du royaume du Nord (1 R 13,34).

Venons-en à la fin du IXe siècle après J.-C., au moment où sont évangélisés les peuples slaves de la Grande Moravie, entre l’Empire romain d’Orient et l’Empire d’Occident. Les Slaves apparaissaient comme des étrangers aux traditions dominantes, ni pleinement grecs ni latins, cherchant leur place dans la foi chrétienne. Le christianisme est déjà implanté en Grande Moravie, mais il dépend du clergé franc, lié à l’Empire carolingien et à ses évêchés.

À la mort de Charlemagne en 814, dès le règne de son fils Louis le Pieux, et surtout après le traité de Verdun en 843, l’Empire est divisé entre ses héritiers. Cette fragmentation affaiblit l’autorité centrale et favorise les rivalités entre princes carolingiens. Dans ce contexte, le clergé franc reste influent localement, mais il n’est plus soutenu par un État impérial fort et unifié. Le pouvoir carolingien peine aussi à faire face aux invasions (Vikings, Sarrasins, Hongrois) et s’appuie de plus en plus sur les aristocraties locales.

Le prince morave Rastislav cherche à limiter l’influence carolingienne et franque. Pour cela, il fait appel à Byzance, qui envoie les deux frères Cyrille et Méthode.

Contrairement aux missionnaires francs, ceux-ci prêchent et célèbrent dans la langue du peuple. Ils traduisent les textes bibliques et liturgiques en slavon et créent un alphabet adapté, afin de former un clergé local autonome et favorisant le développement de la culture particulière des peuples slavons.

Cette démarche remet en cause l’autorité du clergé franc. Celui-ci insiste pour défendre l’usage exclusif du latin, mais le problème n’était pas le latin : déjà les Arméniens, les Coptes et d’autres groupes avaient une liturgie dans leur propre langue. Les carolingiens défendent le latin parce qu’ils voient dans la liturgie slave une menace à l’ordre ecclésiastique établi. Autrement dit, la défense de l’usage du latin comme langue liturgique n’est qu’un prétexte pour défendre des influences locales menacées par une nouvelle organisation religieuse et politique.

Quand le clergé franc s’oppose à Cyrille et Méthode, on peut y voir un affrontement entre deux conceptions de l’Église, l’une fondée sur la domination territoriale (et le latin), l’autre sur l’adaptation aux peuples et à leurs langues. Avec subtilité, les carolingiens montèrent une opposition que l’on appelle l’hérésie des trois langues, c’est-à-dire que la liturgie ne pourrait être célébrée que dans les trois langues de l’écriteau de la croix du Christ : hébreu, latin et grec. [Avant de mourir] saint Cyrille « s'adressa à Dieu à travers cette invocation : "Seigneur, mon Dieu... exauce ma prière et conserve dans la fidélité le troupeau auquel tu m'avais envoyé... Libère-les de l'hérésie des trois langues, rassemble-les tous dans l'unité, et rends le peuple que tu as choisi concorde dans la véritable foi et dans la droite confession". Saint Cyrille mourut le 14 février 869. » (Benoît XVI, audience générale du 17 juin 2009).

Cette histoire ne veut pas dire qu’il ne faut pas prier en latin, mais que, comme dans l’histoire de Jéroboam, il faut éviter d’utiliser la religion pour soutenir un Empire. À travers la traduction dans la langue locale, c’est l’autonomie des peuples concernés que saint Cyrille a favorisée, et cela en communion avec le pape de l’époque. Rappelons qu’à cette époque tous les chrétiens étaient unis autour du pape, l’Église latine, l’Église byzantine, et l’Église slave.

Prions pour que nous puissions retrouver humblement notre unité.

Psaume (Ps 105 (106), 6-7ab, 19-20, 21-22)
 

Avec nos pères, nous avons péché, nous avons failli et renié. En Égypte, nos pères ont méconnu tes miracles, oublié l’abondance de tes grâces. À l’Horeb ils fabriquent un veau, ils adorent un objet en métal : ils échangeaient ce qui était leur gloire pour l’image d’un taureau, d’un ruminant. Ils oublient le Dieu qui les sauve, qui a fait des prodiges en Égypte, des miracles au pays de Cham, des actions terrifiantes sur la mer Rouge.

Le psaume 105 (106) appartient au Livre V du psautier (Ps 107–150), la dernière grande section du recueil. Ce livre est marqué par une relecture de l’histoire d’Israël après les grandes épreuves, notamment l’exil.
Le passage proposé se situe au cœur d’une confession communautaire. Le peuple assume une responsabilité collective et transgénérationnelle. « Avec nos pères, nous avons péché » ; le péché traverse l’histoire et façonne une mémoire blessée.  Et la prière ne cherche pas à se justifier.
Le psaume met en contraste deux dynamiques opposées : d’un côté, l’action salvatrice de Dieu — miracles, prodiges, libération d’Égypte —, de l’autre, l’oubli humain. Le verbe oublier revient comme la racine du péché : oublier les œuvres de Dieu, c’est perdre le sens de la relation et retomber dans l’idolâtrie. L’épisode du veau d’or, rappelé ici, devient le symbole de cet échange tragique : la gloire du Dieu vivant est troquée contre une image fabriquée, un objet sans parole ni vie.
La force du psaume réside dans sa lucidité spirituelle. Même face à l’évidence du salut, l’homme peut se détourner. Le péché apparaît alors moins comme une transgression ponctuelle que comme une déformation du regard, une incapacité à demeurer fidèle et à garder la mémoire du don de Dieu.

Dans le cheminement du Psautier, ce psaume joue un rôle essentiel : il montre que la louange authentique ne peut faire l’économie de la vérité sur le péché. Relire l’histoire, ici, ne sert pas à s’accuser indéfiniment, mais à rouvrir un espace de conversion et de supplication. La reconnaissance de l’oubli devient paradoxalement le premier pas vers la fidélité retrouvée.

Le psaume 105 (106) offre une clé de lecture spirituelle particulièrement éclairante pour comprendre l’histoire de Jéroboam. Ce que le psaume confesse au pluriel — « avec nos pères, nous avons péché » — prend chair, de manière exemplaire, dans la politique religieuse du premier roi du royaume du Nord.

Le psaume identifie la racine du péché : l’oubli. Oubli des miracles, oubli de la grâce, oubli du Dieu qui sauve. C’est exactement ce qui se produit avec Jéroboam. Bien qu’héritier de l’histoire de la libération — l’Exode, la mer Rouge, l’Alliance — il agit comme si cette mémoire n’était plus suffisante pour fonder l’avenir. La peur politique l’emporte sur la confiance. Comme les pères en Égypte et au désert, il méconnaît les œuvres de Dieu au moment même où il cherche à assurer la survie du peuple.

Le psaume rappelle ensuite l’épisode fondateur de l’idolâtrie : « À l’Horeb ils fabriquent un veau ». Jéroboam ne fait que réactualiser cette faute ancienne. En reprenant presque mot pour mot la formule de l’Exode — « Voici tes dieux qui t’ont fait monter du pays d’Égypte ». L’idole n’est pas une invention nouvelle : elle est le retour d’un vieux réflexe, celui de vouloir rendre Dieu visible, contrôlable et politiquement utile.

Le psaume nomme avec force l’échange qui se joue : « Ils échangeaient ce qui était leur gloire pour l’image d’un taureau ». Dans l’histoire de Jéroboam, la gloire du Dieu vivant — libre, imprévisible, lié à Jérusalem par l’Alliance — est échangée contre une représentation cultuelle rassurante, installée à Béthel et à Dan, au service de la stabilité du royaume. La gloire est troquée contre la sécurité ; la fidélité, contre l’efficacité.

Enfin, le psaume rappelle ce que l’idolâtrie efface toujours : « Ils oublient le Dieu qui les sauve ». Jéroboam ne nie pas explicitement le Seigneur ; il le déplace, le redéfinit, l’enferme dans un système religieux qu’il maîtrise. Mais ce déplacement suffit à rompre la relation. Ce n’est plus Dieu qui conduit le peuple, c’est le pouvoir qui instrumentalise le culte. Or chaque fois que la foi devient un moyen de gouverner, l’idole réapparaît. Et avec elle, l’oubli du Dieu vivant.

En cette fête de saint Cyrille et Méthode, nous sommes invités à revisiter l’histoire européenne. Il est vrai que le clergé franc, craignant le déclin de l’Empire carolingien, fut tenté de soutenir un pouvoir aristocratique local et l’usage liturgique du latin, contre Cyrille et Méthode. Or le pape Adrien II ne leur donna pas raison. Il reconnut la valeur de la mission slave et approuva l’usage de la langue locale dans la liturgie. Ce geste manifestait une conception de l’unité chrétienne qui n'était pas fondée sur l’uniformité, par exemple celle de l’Empire carolingien, mais qui était fondée sur la communion dans la diversité. Le pape Adrien II, indirectement, empêcha de faire de la langue latine et l’Empire carolingien une idole. Il rappelait le miracle de la Pentecôte où tous, « Parthes, Mèdes et Élamites, – j’en passe – Crétois et Arabes, nous les entendons publier dans notre langue les merveilles de Dieu ! »  (Ac 2,9-11).

Un tel miracle nécessite une grande fidélité à l’Esprit Saint, qui est l’Esprit de vérité : « Cyrille et Méthode constituent un exemple classique de ce que l'on indique aujourd'hui par le terme d'"inculturation": chaque peuple doit introduire dans sa propre culture le message révélé et en exprimer la vérité salvifique avec le langage qui lui est propre. Cela suppose un travail de "traduction" très exigeant, car il demande l'identification de termes adaptés pour reproposer, sans la trahir, la richesse de la Parole révélée. Les deux saints Frères ont laissé de cela un témoignage significatif au plus haut point, vers lequel l'Église se tourne aujourd'hui aussi, pour en tirer son inspiration et son orientation. » (Benoît XVI, audience générale du 17 juin 2009).

Terminons avec une prière du patriarche Photius, qui fut le maître byzantin de saint Cyrille dans sa jeunesse : « O Vierge et Mère du Verbe, intercèdes auprès de ton Fils et notre Dieu, et sois notre médiatrice. Quant à nous qui chantons tes éloges, après nous être purifiés de toute souillure et de toute tache rend-nous dignes des demeures nuptiales célestes pour que nous soyons éternellement resplendissants de la triple lumière de l’éternelle Trinité et que nous jouissions de sa vision merveilleuse et ineffable… » [1]

Évangile (Mc 8, 1-10)

La traduction et le commentaire sont extraits de Françoise Breynaert, l’évangile selon saint Marc, traduit depuis la Pshitta, en lien avec le calendrier synagogal, Préface Mgr Mirkis, Parole et Silence 2026.

« 8,1 Or, en ces jours-là,
tandis qu’il y avait une foule nombreuse, / et qu’il n’y avait même pas quelque chose à manger,
il appela ses disciples, / et leur dit :
          2 ‘J’ai pitié de cette foule,
car voilà trois jours qu’ils sont restés auprès de moi, / et ils n’ont pas de quoi manger.
3 Et si je les renvoie à leurs maisons, / étant à jeun,
ils défailliront / en chemin.
Certains, parmi eux, / sont venus de loin.’

          4 Ses disciples lui disaient :
‘Où peut-on trouver ici, dans ce lieu désert, / le pain qui les rassasiera eux tous ?’
5 Et, lui, il les interrogea : / ‘Combien avez-vous de pains ?’
Ils lui disaient : / ‘Sept.’

6 Et il commanda aux foules de s’installer / par terre.

          Et il prit ces sept pains,
et il bénit [Dieu] et [les] rompit / et [les] donna à ses disciples pour qu’ils [les leur] remettent.
Et ils [les] remirent aux foules.

          7 Il y avait aussi quelques poissons,
et, pour eux aussi, / il bénit [Dieu].
          Et il dit de [les] remettre.

8 Et ils mangèrent / et se rassasièrent.
Et ils emportèrent les restes des morceaux : / sept corbeilles* !
9 Or ils étaient, les hommes qui avaient mangé, / environ quatre mille ! 

10 Et il les renvoya
et il monta aussitôt dans le bateau avec ses disciples / et vint vers la contrée de Dalmanoutha. »

Les sept pains et les sept corbeilles pleines évoquent une totalité comme les sept couleurs de l’arc-en-ciel, les sept dizaines de nations de la terre (Gn 10), les sept peuples de Canaan (Dt 7,1) etc. Les 4.000 hommes rassasiés représentent l’universalité des quatre directions de l’espace. Cette symbolique des nombres suggère que Jésus prépare un rite à portée universelle. On peut ainsi parler du « qūbālā pour les nations », le mot qūbālā dérivant du verbe qabel, accueillir, recevoir.

Jésus appelle ses disciples et les prend pour confidents, il leur dit la pitié qu’il ressent pour la foule et son projet de les nourrir (Mc 8,1-2). Cette confidence fait partie de la formation des apôtres qui auront aussi à se sentir responsables de leurs auditeurs. 

Les gens écoutent Jésus depuis trois jours, ils sont donc très attachés à Jésus, mais ce n’est pas pour qu’ils écoutent plus longtemps que Jésus veut les nourrir : il voudrait au contraire les congédier, mais sans les renvoyer à jeun (v.3). La nourriture dont il parle a donc un sens de viatique, un pain pour soutenir la marche, un pain pour tenir en l’absence de Jésus.

La question des disciples «  Où peut-on trouver ici, dans ce lieu désert, le pain qui les rassasiera eux tous ? » (v.4) nous semble stupide après la première multiplication des pains, mais Jésus ne leur en fait pas reproche. Pour expliquer le rôle de cette mention étonnante, il suffit de nous souvenir que l’épisode faisait partie du témoignage primitif de Pierre et Jean[3]. Les deux apôtres se tenaient prêts à comparaître au tribunal. Dans le contexte primitif de ce récitatif, la question des apôtres était un argument juridique en faveur de l’authenticité du miracle de Jésus : « Où peut-on trouver ici, dans ce lieu désert, le pain qui les rassasiera eux tous ? », autrement dit, le rassasiement de la foule ne résulte pas d’une cause naturelle (comme un achat ou un partage).

Jésus met à contribution les disciples, qui, comme dans la première « multiplication des pains », sont appelés à donner leur propre pain (v.5).

Jésus fait s’installer la foule par terre et ses gestes préparent au sacrement de l’Eucharistie sans en être un. « Et il prit ces sept pains, et il bénit [Dieu] et [les] rompit et [les] donna à ses disciples pour qu’ils [les leur] remettent. Et ils [les] remirent aux foules. » (v.6). Pour « bénir » les pains, Jésus commence par une action de grâces en levant les mains vers le Ciel puis il demande à Dieu de prolonger ses bienfaits en faisant descendre sa bénédiction sur le pain. Le geste de remettre les pains aux foules est décrit par le verbe araméen « sām » : poser, déposer, remettre. Ce verbe indique une certaine prévenance dans la manière de donner le pain (les récitatifs sont faits pour être proclamés avec quelques gestes, quelques mimes). Les poissons sont, eux aussi, bénis et remis. Et tous sont rassasiés, et la nourriture ne s’épuise pas, et il y a des restes.

Il est utile de situer cet épisode dans son fil d’oralité. Peu avant, dans l’enseignement sur le pur et l’impur (Mc 7,1-23), Jésus a estompé la « séparation » entre juifs et païens. Puis, dans le dialogue avec la Syro-phénicienne, Jésus lui dit que le pain est d’abord pour les fils. Ce que Jésus veut maintenir, c’est la vocation d’Israël et le dessein divin selon lequel les païens seront évangélisés sur le socle culturel du peuple hébreu qui doit donc être restauré « d’abord ». Et l’Église continuera de lire l’Ancien Testament. Aussitôt que la Syro-phénicienne l’accepte (Mc 7,27-28), Jésus l’exalte et lui donne le mérite du miracle obtenu (v.29). Ensuite, Jésus guérit un sourd-muet à la frontière de la Décapole, et c’est alors que nous arrivons à l’épisode de la deuxième multiplication des pains.

L’évangile de Marc se lit en écho aux lectures de la Torah lues à la synagogue. C’est ainsi que ce récit fait résonner le Deutéronome. Ce pain, probablement donné à la frontière de la Décapole comme dans la perle précédente (Mc 7,31), rappelle le verset : « il aime l’étranger, auquel il donne pain et vêtement » (Dt 10,18). En outre, le Deutéronome commence et s’achève en parlant de la multiplication du peuple (Dt 1,10 et Dt 30,5) ; la seconde multiplication des pains, avec sa symbolique universelle, annonce la mission chez les nations (Mc 8,1-10). À travers les gestes de Jésus, il y a une préparation du culte chrétien.

Les hommes d’aujourd’hui, plus encore que par le passé, ont l’occasion de s’unir entre eux et d’organiser des rassemblements internationaux. Les échanges culturels deviennent aussi des échanges cultuels. Se profile le désir d’une religion universelle. Mais pour qu’il y ait une religion universelle, il faut qu’il y ait une relation au « Dieu des dieux », au-delà des intérêts particuliers et des idoles locales. « Écoute, Israël : le SEIGNEUR (YHWH) notre Dieu est le seul SEIGNEUR (YHWH) » (Dt 6,4). Ce n’est pas une question arithmétique : il ne suffit pas de dire comme les Babyloniens qu’il n’y a qu’un seul Mardouk, ou comme les Égyptiens qu’il n’y a qu’un seul Aton. La Bible parle aussi d’un Dieu unique, plus précisément « éhad », ce qui signifie UN et le rabbin Kohler précise : « c’est-à-dire libre des liens du mythe et de la magie »[4]. Et c’est ce Dieu unique qui est révélé par Jésus. Lui seul peut instituer le « qūbālā pour les nations ».

Respecter l’ordre du dessein de Dieu : l’évangélisation sur le socle de la première Alliance, et une universalité fondée sur le Dieu vivant. Ces deux points se retrouvent chez saint Cyrille et Méthode, qui ont respecté le dessein divin. Ils sont grecs, Cyrille fut éduqué par Photius, le patriarche de Constantinople, mais c’est à Rome qu’ils se rendent pour examiner la validité de leur mission chez les Slaves, c’est d’ailleurs à Rome que saint Cyrille va mourir et encourager son frère Méthode, qui est devenu évêque dans la région romaine, à retourner dans les pays slaves. Saint Méthode y sera persécuté, mais cette persécution produira une plus grande diffusion de son œuvre. Une multiplication.

Date de dernière mise à jour : 30/12/2025