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Évangile (Mt 5, 17-37)

Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30.
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Première lecture (Si 15, 15-20)
Psaume Ps 118 (119) et commentaire de Mt 5,17-20
Deuxième lecture (1 Co 2, 6-10) et commentaire de Mt 5,21-26
Évangile (Mt 5, 17-37) et commentaire de Mt 5,27-32
Première lecture (Si 15, 15-20)
« Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix. Car la sagesse du Seigneur est grande, fort est son pouvoir, et il voit tout. Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes. Il n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne la permission de pécher. – Parole du Seigneur. » (Si 15, 15-20).
Avant de faire le lien avec le concile de Trente, et son décret sur la justification, qui en 1547, corrige l’erreur de la « prédestination », nous prenons cinq minutes pour ceux d’entre vous qui entrent en dialogue avec des musulmans, car cette lecture apporte de précieuses réponses.
Les musulmans disent souvent : Tout est écrit, maktoub, on n’y peut rien : généralement, la volonté d’Allah est pensée comme l’application d’un programme pré-écrit, à la manière d’un livre ou, dirait-on aujourd’hui, d’un programme d’ordinateur. Certains savants musulmans voudraient bien parler comme les chrétiens, en associant les notions de libre arbitre humain et de Volonté omnisciente de Dieu. Mais ils se heurtent à plusieurs sourates du Coran qui affirment la prédestination, laquelle est l’un des principes de la croyance musulmane[1]. On ne peutaccomplir que ce qu’Allah a écrit pour nous (Sourate Le repentir 9, 51). Un homme peut être (bien) guidé par Allah, mais aussi l’inverse : Allah peut également le dévier, et alors il se perd (Sourate Le mur d’A’raf 7, 178-179). La première lecture de ce dimanche, avec le livre du Siracide, corrige ces idées fausses : « La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix ».
Dans l’islam, un décret éternel a même décidé que certains ne croiraient pas (Sourate Ya’ Sîn 36, 7-10). Un fameux Hadith (texte de la tradition musulmane) dit que l’embryon a déjà une détermination concernant « sa subsistance, la fin de sa vie, ses actions et son bonheur ou son malheur ». Et il ajoute : « celui qui agit avec les gens du paradis jusqu’à être proche d’eux de la distance d’un bras, sera écrasé selon ce qui lui est prescrit : il agira comme les gens de l’enfer et il ira en enfer. Celui qui agit avec les gens de l’enfer jusqu’à être proche d’eux de la distance d’un bras, sera retourné selon ce qui lui est prescrit : il agira comme les gens du paradis et il ira au paradis. »[2]
La première lecture de ce dimanche, avec le livre du Siracide, corrige ces idées fausses : « Dieu n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne la permission de pécher ». Ce qui, soit dit en passant, est logique !
Dans l’islam, le dogme de la prédestination conduit ensuite à une partition de l’humanité entre ceux qui seraient prédestinés au ciel et ceux qui sont prédestinés à l’enfer. Ce qui conduit à s’autoriser à tuer ceux qui sont prédestinés à l’enfer. Les questions soulevées sont importantes et peuvent conduire à des manipulations. Combien faut-il tuer de non musulmans pour être rassuré de faire partie de « ceux que Dieu aime », qui « vont jusqu’à tuer [qâtala] pour sa Cause » (sourate Le Rang 61, 4) ?
Pour aller plus loin, cf. https://www.issa-al-massiah-messiah-messie-messias.com/
A lire : « Le messie va revenir, sœur Françoise parle aux musulmans » aux éditions Bod.
Relisons ce verset important dans cette première lecture de ce dimanche : « Dieu n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne la permission de pécher » (Si 15, 20)
Nous allons maintenant faire le lien entre cette lecture et le concile de Trente, qui, dans son décret sur la justification, en 1547, corrige l’erreur de la prédestination.
Le Canon 4 du décret sur la justification explique que nous ne sommes pas, pour ainsi dire, des marionnettes pour Dieu, même dans nos bonnes actions.
Le Canon 6 découle de l’image du potier qui façonne les justes, mais qui supporte les mauvais (Rm 9, 21-23). Saint Paul explique que nous sommes comme de bonnes et de mauvaises poteries (Rm 9, 21) ; Dieu "a préparé" les vases d’élection (Rm 9, 23), mais ce n’est pas lui qui prépare les vases pour la perdition, il les "supporte" (Rm 9, 22). Le concile de Trente dit :
« Canon 6. Si quelqu’un dit qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de s’engager dans les voies du mal, mais que ses mauvaises comme ses bonnes actions sont l’œuvre de Dieu, non seulement parce qu’il les permet, mais encore proprement et par lui-même, tellement que la trahison de Judas ne serait pas moins son œuvre propre que la vocation de Paul : qu’il soit anathème » (DS 1556).
Les canons 15 et 17 corrigent une idée païenne du destin et de la prédestination, comme s’il existait des livres du destin sur lesquels tout serait écrit d’avance.
« Canon 15. Si quelqu’un dit que l’homme né de nouveau et justifié est tenu par la foi de croire qu’il est certainement au nombre des prédestinés : qu’il soit anathème » (DS 1565). Autrement dit, vous n’êtes pas assuré d’aller au ciel, vous devez persévérer.
« Canon 17. Si quelqu’un dit que la grâce de la justification n’échoit qu’à ceux qui sont prédestinés à la vie et que tous les autres qui sont appelés, le sont assurément, mais ne reçoivent pas la grâce, parce que prédestinés au mal par la puissance divine : qu’il soit anathème » (DS 1567).
Pour le dire simplement, saint Paul est devenu saint en étant fidèle à la grâce de Dieu, mais le Christ a supporté Judas. Comme dit la lecture de ce dimanche : « Dieu n’a donné à personne la permission de pécher ».
Ainsi, nous devons écarter l’idée de la prédestination que l’on trouve aussi dans l’islam, mais aussi dans le protestantisme et le jansénisme.
Dieu nous a donné la liberté, et c’est sa volonté que nous ayons le libre arbitre. Retenons Siracide 15, 15 : « Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle » (Si 15, 15).
Cf. BREYNAERT, Françoise, Parcours de christologie du II° au XXI° siècle. Imprimatur. Parole et Silence, Paris 2016.
Psaume Ps 118 (119) et commentaire de Mt 5,17-20
« 1-2 Heureux les hommes intègres dans leurs voies qui marchent suivant la loi du Seigneur ! Heureux ceux qui gardent ses exigences, ils le cherchent de tout cœur !
4-5 Toi, tu promulgues des préceptes à observer entièrement. Puissent mes voies s’affermir à observer tes commandements !
17-18 Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai, j’observerai ta parole. Ouvre mes yeux, que je contemple les merveilles de ta loi.
33-34 Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ; à les garder, j’aurai ma récompense. Montre-moi comment garder ta loi, que je l’observe de tout cœur » (Ps 118 (119), 1-2, 4-5, 17-18, 33-34)
Ces versets sont extraits de la 1e, 3e et 5e strophes du psaume le plus long du psautier. Un psaume de 176 versets, qui comporte vingt-deux strophes correspondant aux lettres de l’alphabet hébreu, chacune comportant huit versets commençant par la même lettre. On l’appelle le psaume de la Torah ou psaume de sagesse. Ce psaume fait le lien entre la Loi donnée et la prière vécue. Il montre que la Torah n’est pas seulement une norme extérieure, mais un chemin intérieur, un lieu de fidélité, de combat et de joie. À ce titre, ce psaume apparaît comme un sommet du psautier.
La 1e strophe (Aleph) ouvre le psaume par deux béatitudes : « Heureux les hommes intègres dans leurs voies qui marchent suivant la loi du Seigneur ! » D’emblée, la loi n’est pas présentée comme un fardeau, mais comme un chemin de bonheur, une manière juste d’habiter la vie. « Heureux ceux qui gardent ses exigences, ils le cherchent de tout cœur ! » Le psalmiste décrit une existence unifiée : chercher Dieu de tout son cœur, marcher dans ses voies. La fidélité est mouvement, marche, désir. Elle engage toute la personne, sans duplicité.
Très vite, le psalmiste exprime son souhait d’être affermi, reconnaissant implicitement sa fragilité. « Toi, tu promulgues des préceptes à observer entièrement. Puissent mes voies s’affermir à observer tes commandements ! »
La strophe Aleph donne ainsi le ton de tout le psaume : une louange de la Loi comme lieu de vie, mais aussi une prière confiante d’un homme qui sait que la fidélité ne tient que si Dieu soutient le cœur.
Dans la 2e strophe, le psalmiste parle avec le langage du désir. Il ne se contente pas d’obéir ; il cherche Dieu « de tout son cœur ».
Dans la 3e strophe, le psalmiste demande de voir les merveilles contenues dans la Torah. La Parole est une révélation, elle donne à l’existence son relief et sa vérité. La strophe laisse aussi affleurer la pression sociale. Le psalmiste parle des « princes » qui méditent contre lui, des puissants qui jugent et méprisent. Face à ce regard écrasant, il ne cherche pas d’abord à se défendre, mais à s’enraciner intérieurement. Les commandements deviennent alors des conseillers, une stabilité intime que ni le mépris ni l’injustice ne peuvent lui retirer. « 17 Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai, j’observerai ta parole. 18 Ouvre mes yeux, que je contemple les merveilles de ta loi. »
La quatrième strophe alterne confession de faiblesse et confiance. Le psalmiste demande à être relevé, enseigné, éclairé. La Loi n’est pas une contrainte extérieure, mais une force de relèvement. Elle redonne souffle, oriente, élargit le cœur. Le mouvement est net : de l’écrasement (« je suis à terre ») à la liberté intérieure (« tu élargis mon cœur »). Cette strophe dit que la fidélité à Dieu n’est pas le privilège des forts, mais le chemin de ceux qui acceptent de reconnaître leur pauvreté et d’attendre la vie d’une parole reçue.
Tout au long de la 5e strophe, revient l’idée que la Loi n’est vivable que si le cœur est orienté, l’intelligence seule ne suffit pas : il faut que Dieu incline le cœur, détourne le regard des vanités, fasse naître le désir du bien. L’obéissance est ici profondément intérieure. C’est ici que nous entendons : « Montre-moi comment garder ta loi, que je l’observe de tout cœur » (v. 34).
Il y a vingt-deux strophes. Et ce psaumecorrespond très bien au début de l’évangile de ce dimanche dont nous allons préciser la traduction, faite à partir du texte araméen de la Pshitta, cf. mon livre Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Matthieu, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Traduction depuis la Pshitta. Préface Mgr Mirkis (Irak) ; Mgr Dufour (France) et Mgr Kazadi (Congo RDC). Parole et Silence, 2026.
« 17 Ne pensez pas que je sois venu abolir [verbe šrā] / la Loi ou les Prophètes :
je ne suis pas venu abolir, / mais remplir. » (Mt 5,17)
Les Prophètes et la Loi ressembleraient à un vase qui n’est que partiellement rempli : ce vase, Jésus ne vient pas pour le vider, ni pour le renverser, mais pour le remplir complètement.
« 18 Amen, en effet, / je vous le dis :
jusqu’à ce que le ciel et la terre passent / pas un seul yod
ou pas un seul trait ne passera de la Loi / jusqu’à ce que tout soit » (Mt 5,18)
Le yod est la plus petite lettre de l’alphabet hébraïque et araméen. Le serṭā, c’est un petit trait qui indique comment prononcer une lettre. Il n’y aura rien de supprimé.
« 19 Donc, quiconque expliquera [verbe šrā] l’un de ces petits commandements / et enseignera de cette façon aux homme
sera appelé le moindre / dans le royaume des Cieux ;
mais qui le mettra en pratique / et l’enseignera
sera appelé le grand / dans le royaume des Cieux. » (Mt 5,19)
Nous retrouvons le verbe šrā du verset 17 mais il serait d’autant plus absurde de le traduire à nouveau par « abolir » que Jésus vient de dire que pas un trait de la Loi ne passera : celui qui « abolirait un de ces petits commandements »[3] ne pourrait pas être appelé « le moindre dans le royaume des Cieux » : il ne serait rien du tout ! Nous avons ici un sens plus rare de ce verbe, qu’un dictionnaire plus détaillé[4] précise pour les cas où ce verbe est associé à l’Alliance biblique ou à l’image d’ouvrir les sceaux d’un livre (ce qui est le cas ici si l’on considère que Jésus est assis sur la montagne dans la position de Moïse). Dans ce cas, šrā signifie ouvrir l’accès au sens, expliquer, interpréter (par exemple en Dn 5,12), et c’est ce qui convient au verset 19, dont la structure d’oralité est remarquable.
L’évangile a été composé oralement. Et lorsque l’on proclame, on se balance légèrement gauche droite, comme je l’indique dans mon livre. Le balancement souligne, à gauche, une opposition entre celui qui explique et celui qui fait (neᶜbeḏ ») ; pourtant, tous les deux enseignent et tous les deux seront dans « le royaume des Cieux » (à droite) ; cependant, il y a un contraste (à gauche) entre l’enseignant qui explique, c’est le moindre, il est en dessous de la moyenne, et l’enseignant qui montre l’exemple, c’est le grand : au-dessus de la moyenne, il est vraiment un guide, un bon éducateur, un pasteur. Les parents doivent montrer l’exemple aux enfants ! Les éducateurs doivent être des modèles pour leurs élèves. Les prêtres doivent témoigner par leur vie ! Etc.
Et Jésus ajoute
« 20 Je vous le dis en effet : Si votre justice / ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens
vous n’entrerez pas / dans le royaume des Cieux. » (Mt 5,20)
Que Dieu vous bénisse et vous donne la joie d’une vie unifiée, fidèle à ses commandements.
Deuxième lecture (1 Co 2, 6-10) et commentaire de Mt 5,21-26
« Frères, c’est bien de sagesse que nous parlons devant ceux qui sont adultes dans la foi, mais ce n’est pas la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui dirigent ce monde et qui vont à leur destruction. Au contraire, ce dont nous parlons, c’est de la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, établie par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire. Aucun de ceux qui dirigent ce monde ne l’a connue, car, s’ils l’avaient connue, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. Mais ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture : ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé. Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, en a fait la révélation. Car l’Esprit scrute le fond de toutes choses, même les profondeurs de Dieu. – Parole du Seigneur ».
Saint Paul n’est pas naïf. Il dit que ceux qui dirigent le monde n’ont pas de sagesse et vont à leur destruction. Saint Paul savait la grandeur des civilisations mésopotamiennes, égyptiennes, grecques, romaines. Et pourtant, ces grandes civilisations disparurent ; heureusement, ce qui était bon a été transmis à la postérité, mais le manque de sagesse divine a conduit à leur destruction. Quand Jésus dit : « Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux » (Mt 5,10), il sous-entend une confrontation.
Certes, l’Occident a connu une certaine « chrétienté », mais, depuis la Renaissance, la société n’est plus inspirée de valeurs chrétiennes. Nicolas Machiavel, homme politique et écrivain florentin, montre au début du XVIe siècle, dans son livre « Le Prince », comment devenir prince et le rester, et il conseille dans certains cas des actions contraires aux bonnes mœurs, donnant lieu à l’épithète machiavélique... De nos jours, la naïveté dans le rapport des chrétiens au monde peut avoir de fâcheuses conséquences.
Notre cœur est facilement admiratif pour ceux qui dirigent le monde, parfois nous désirons être proches de ceux qui sont puissants, nous le ressentons comme une gloire. Saint Paul nous prévient que là où il n’y a pas la sagesse divine, il n’y aura que de la destruction. « Ce dont nous parlons, dit saint Paul, c’est de la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, établie par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire ». Cette gloire signifie, je prends une expression familière, « ce qui vaut son pesant d’or », c’est ce qui a de la valeur aux yeux de Dieu. Cette gloire est éternelle, incorruptible. Cette gloire est mystérieuse, elle vient de la qualité de l’amour.
L’évangile de ce jour nous parle de cette gloire qui vient de la sagesse divine.
« Mt 5,21 Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : / ‘Ne tue pas’,
et quiconque tue / est condamnable au tribunal.
22 Or, moi, / je vous dis :
Quiconque se met en colère contre son frère sans raison[5] / est condamné coupable[6] au tribunal.
et quiconque dit à son frère : ‘vil !’, / est condamné coupable à l’assemblée.
et quiconque dit : ‘insensé !’, / est condamné coupable à la Géhenne de feu.
23 Si donc tu présentes ton offrande sur l’autel, / et, là tu te souviens que ton frère a un grief contre toi,
24 laisse ton offrande, là, devant l’autel, / et réconcilie-toi[7] avec ton frère,
et, alors,… / viens présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d’accord avec ta partie adverse / tant que tu es encore en chemin avec elle,
de peur que ta partie adverse / ne te livre au juge,
et que le juge / ne te livre au garde,
et que tu ne tombes… / en prison.
26 Amen, / je te le dis :
Tu ne sortiras pas de là / avant d’avoir donné jusqu’au dernier sou » (Mt 5,21-26).
Les trois termes de la progression : « le tribunal… l’assemblée… la géhenne » (Mt 5,21), trouvent leur réplique rythmique dans la succession « le juge… le garde… la prison » (Mt 5,25).
Jésus commence par citer le Décalogue : « Ne tue pas » (Mt 5,21)[8] ; or celui qui se propose uniquement de ne pas tuer ne s’abstiendra pas du meurtre aussi bien que celui qui commence par réprimer sa colère : il ne faut pas se mettre « en colère contre son frère sans raison » sous peine de « jugement » (Mt 5,22), car c’est au tribunal que l’on juge des causes et des raisons. Or les injures enflamment la colère, conduisant parfois jusqu’au meurtre.
La précision « sans raison » n’est pas un affadissement du texte. Quand Jésus dit aux scribes et aux Pharisiens : « Sots [saḵle] et aveugles ! » (Mt 23,17), il ne rumine pas le meurtre, bien au contraire, il cherche à sauver ses interlocuteurs. Et quand Paul dit aux Galates qu’ils sont « dépourvus d’intelligence [ḥasīray reᶜyānā] » (Ga 3,1), il n’est pas passible de la Géhenne, au contraire, il s’oppose à l’erreur, c’est en ce sens qu’un psaume dit : « La colère de l’homme te rend gloire » (Ps 76,11).
Mais très souvent, les grands criminels commencent par déshumaniser leurs victimes : ils les appelle sous-hommes ou racailles. Les deux exemples de Jésus correspondent au jugement humain (l’assemblée) et au jugement divin (la Géhenne) : les tribunaux humains ne peuvent pas gérer chaque mouvement de colère, mais chaque colère sera jugée par Dieu. Ainsi, il ne faut pas dire à son frère « vil [raqqa] ! » mais il faut le traiter avec des égards, sous peine de passer devant « l’assemblée » (humaine) où l’on transmet les codes sociaux respectueux. Il ne faut pas dire à son frère « insensé » : cela constitue une atteinte qui le déshumanise, car le propre de l’humain est d’être sensé, sous peine de « Géhenne », l’enfer. C’est ainsi que Jésus accomplit la loi, en formant une conscience limpide et délicate.
Quand Jésus défend d’appeler quelqu’un « raqqa » ou « insensé », il agit pour empêcher la haine de s’installer. Quand il prescrit la réconciliation rapide, il coupe court aux maladies spirituelles dont la haine est la source. « Si donc tu présentes ton offrande sur l’autel, et, là tu te souviens que ton frère a un grief contre toi… » (Mt 5,23) : Jésus tient la charité et la réconciliation pour le plus grand des sacrifices. Il n’est pas besoin que l’offense soit grave, il suffit que le frère ait quelque chose contre toi. Jésus n’examine pas non plus si le sentiment est juste ou pas : « laisse ton offrande, là, devant l’autel, et réconcilie-toi [eṯraᶜᶜā] avec ton frère, et, alors,… viens présenter ton offrande » (Mt 5,24).
Mgr Alichoran explique que « eṯraᶜᶜā » n’est pas seulement demander pardon et faire la paix, c’est rendre content le frère. Le verbe raᶜᶜī est très employé dans la liturgie maronite : « Seigneur sois content de ma prière ». En Orient, si une mère irrite son fils, elle y pense, elle vient chez lui et reste jusqu’à ce qu’il soit vraiment content, et alors elle peut le quitter. De même si un fils se fâche contre son père, la mère dit : va chez ton père, parle avec lui, et lorsque tu le rends content, tu le quittes. Jésus parle de réconciliation, de satisfaction ; je ne dois pas faire d’un frère un adversaire ; il faut avoir un esprit réconciliant.
Il faut faire « vite », pendant que l’on est en chemin qui conduit au tribunal (Mt 5,25-26). C’est une honte que de ne pas réussir à s’entendre et de passer devant des tribunaux païens, d’autant plus que les disciples de Jésus jugeront le monde (Mt 19,28).
Évangile (Mt 5, 17-37) et commentaire de Mt 5,27-32
La traduction et le commentaire sont extraits de mon livre Françoise BREYNAERT, L’évangile selon saint Matthieu, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Traduction depuis la Pshitta. Préface Mgr Mirkis (Irak) ; Mgr Dufour (France) et Mgr Kazadi (Congo RDC). Parole et Silence, 2026.
« 17 Ne pensez pas que je sois venu abolir / la Loi ou les Prophètes :
je ne suis pas venu abolir, / mais remplir.
18 Amen, en effet, / je vous le dis :
jusqu’à ce que le ciel et la terre passent / pas un seul yod
ou pas un seul trait ne passera de la Loi / jusqu’à ce que tout soit ».
19 Donc, quiconque expliquera l’un de ces petits commandements / et enseignera de cette façon aux homme
sera appelé le moindre / dans le royaume des Cieux ;
mais qui le mettra en pratique / et l’enseignera
sera appelé le grand / dans le royaume des Cieux.
20 Je vous le dis en effet :
Si votre justice / ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens,
vous n’entrerez pas / dans le royaume des Cieux. »
Nous avons commenté ces versets dans l’émission dédiée au psaume.
« 21 Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : / ‘Ne tue pas’,
et quiconque tue / est condamnable au tribunal.
22 Or, moi, / je vous dis :
Quiconque se met en colère contre son frère sans raison / est condamné coupable au tribunal.
et quiconque dit à son frère : ‘vil !’, / est condamné coupable à l’assemblée.
et quiconque dit : ‘insensé !’, / est condamné coupable à la Géhenne de feu.
23 Si donc tu présentes ton offrande sur l’autel, / et, là tu te souviens que ton frère a un grief contre toi,
24 laisse ton offrande, là, devant l’autel, / et réconcilie-toi[9] avec ton frère,
et, alors,… / viens présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d’accord avec ta partie adverse / tant que tu es encore en chemin avec elle,
de peur que ta partie adverse / ne te livre au juge,
et que le juge / ne te livre au garde,
et que tu ne tombes… / en prison.
26 Amen, / je te le dis :
Tu ne sortiras pas de là / avant d’avoir donné jusqu’au dernier sou ».
Nous avons commenté ces versets dans l’émission dédiée à la 2e lecture.
« 27 Vous avez entendu qu’il a été dit : / Ne commets pas d’adultère[10].
28 Or, moi, / je vous dis :
Quiconque regarde une femme / pour[11] la désirer,
aussitôt, il a commis l’adultère avec elle, / dans son cœur.
29 Si ton œil droit / entraîne ta chute[12],
arrache-le / et jette-le loin de toi,
car mieux vaut pour toi en effet / que périsse un de tes membres
en sorte que ton corps tout entier / ne tombe pas dans la géhenne.
30 Et si ta main droite / entraîne ta chute,
tranche / et jette-la loin de toi,
car mieux vaut pour toi / que périsse un de tes membres
en sorte que ton corps tout entier / ne tombe pas dans la géhenne[13].
31 Il a été dit : / Qui répudie sa femme,
qu’il lui donne / un acte de divorce[14].
32 Or moi, / je vous dis :
Quiconque répudie sa femme, – mis à part le cas de l’union illégitime –, / fait qu’elle commettra l’adultère[15].
et celui qui prend une femme délaissée, / est adultère[16]. »
Mt 6,27-30 La réalité de l’enfer (la Géhenne) et la participation du corps aux souffrances de l’enfer (après la résurrection de la chair) a déjà été affirmée par le prophète Daniel : « Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle » (Dn 12,2).
Le cœur est le siège de la volonté et le regard est une action, Jésus parle d’une activité du regard et du cœur (Mt 5,28). Évidemment, si un homme ne regardait pas une femme et ne la désirait pas comme épouse, il ne se marierait jamais. Dans le texte syriaque, le verbe désirer [rag] renvoie à la Genèse : « La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu’il était, cet arbre, désirable » (Gn 3,6), c’est le vocabulaire de la convoitise.
Et saint Jean Chrysostome dit : « Dieu ne vous a pas donné les yeux pour que vous les fassiez servir à la fornication, mais plutôt pour qu’en contemplant les créatures vous admiriez le Créateur… En portant votre regard sur la beauté d’une autre, vous outragez votre femme légitime […] vous faites insulte à celle même que vous regardez […] Celle qui a lancé le trait vous échappe le plus souvent ; mais la blessure reste. Disons mieux, le trait ne vient pas d’elle, c’est vous-même qui vous êtes blessé mortellement par un regard impudique. J’entends par là mettre la femme vertueuse à l’abri de toute accusation »[17].
Puisque l’œil ou la main peuvent être instruments de l’adultère[18], Jésus conseille de les arracher ou de les trancher (Mt 5,29-30). Saint Jean Chrysostome dit que l’œil droit ou la main droite représente quelqu’un de votre entourage qui est aussi précieux que votre œil droit ou aussi utile que votre main droite, mais si cette personne est dans un état incurable, il faut couper : vous échappez à votre perte et cette personne-là n’ajoutera pas la responsabilité de votre perte à ses autres péchés[19].
L’être humain peut vivre sans l’un ou l’autre des membres tranchés ; il ne s’identifie pas à tout ce qu’il voit, à tout ce qu’il fait, à tout ce qu’il a. Bien au contraire, renoncer au rêve de totalité, assumer une perte dans ce qui constitue notre existence, c’est la voie royale pour entrer « dans la vie » ou dans le « règne de Dieu ».
Mt 6,31-32. Moïse avait autorisé le divorce accompagné d’un billet de répudiation (Dt 24,1-4, cf. Mt 5,31) ; Malachie précisera que ce n’était qu’une concession, « car je hais la répudiation, dit le Seigneur le Dieu d’Israël » (Ml 2,16). Jésus dira plus tard que Moïse avait permis de donner un acte de divorce, en raison de la dureté de votre cœur (Mt 19,8) : en cas de mésentente, c’était un moindre mal pour éviter un meurtre. Or Jésus vient de donner le remède du meurtre en apportant le remède de la colère (Mt 5,21-26), c’est pourquoi il est maintenant en mesure de perfectionner la loi.
Jésus condamne la rupture de la première union par convoitise mauvaise. Il considère aussi que le remariage après le divorce est aussi un adultère. En Mt 5,32, « quiconque répudie [šāre] » ou « prend [šāqel] », engage un état qui dure, signifiée par le participe « est adultère [gāar] ». Celui qui épouse une femme délaissée porte atteinte au mariage d’un autre en empêchant toute réconciliation du couple qui s’est séparé.
Jésus fait une parenthèse : « Mis à part le cas de l’union illégitime [araméen zānyūṯā ; grec πορνειας[20] ; latin fornicationis] » (Mt 5,32) : le Christ n’envisage pas ce cas ici. Ici, Jésus ne parle que du mariage légal et de l’adultère.
–––
« 5,33 Vous avez encore entendu / qu’il a été dit aux anciens :
‘Ne mens pas danstes serments[21], / mais acquitte-toi envers le SEIGNEUR de tes serments.’
34 Or, moi, / je vous dis :
Ne faites jamais de serment,
ni par le ciel, / car il est le trône de Dieu ;
35 ni par la terre, / car elle est l’escabeau sous ses pieds,
ni non plus par Jérusalem, / car elle est la ville du grand Roi.
36 Ne jure pas non plus par ta tête / car tu n’es pas capable d’y faire,
un seul cheveu de la chevelure, / ni noir ni blanc.
37 Mais que votre parole soit :
oui, / oui,
et : non, / non.
Ce qui est en plus de ces choses / est du Malin. »
Les animaux ont un langage par lequel ils communiquent des affects et des informations, mais Dieu a fait à l’homme à son image et l’a gratifié du don de la Parole. Aussi, est-il très important de veiller non seulement à la Parole de Dieu, mais aussi à celle que l’homme profère, car elle l’engage.
Jésus demande clairement de renoncer au serment. L’usage du serment conduit à distinguer les paroles sous serment des autres paroles, or toutes les paroles que l’homme profère l’engagent. Que votre parole soit oui, oui, non, non « ce qui est en plus de ces choses est du Malin [bīšā] », il s’agit du Malin, le Mauvais, Satan. En introduisant le mensonge dans le monde, Satan a aussi introduit l’idée de la pratique des serments, comme tentative de répondre au problème créé par le mensonge ; mais les serments eux-mêmes ont quelque chose de satanique, que ce soit dans la tentative d’engager Dieu par l’un des éléments de la Création (le ciel ou la terre), par la ville sainte, ou dans le fait d’engager sa tête, donc sa vie.
[2] Al Bukhari, The translation of the meanings of Sahih of Al-Bukhari, vol 8, Medina 1970, p. 387
[3] Or, transgresser ou annuler un commandement est, à partir du grec, l’interprétation habituelle ! (Ulrich LUZ, Matthieu 1–7 A commentary, Fortress Press,2007, p. 219).
[4] J. PAYNE SMITH’S (Mrs. Margoliouth), A Compendious Syriac Dictionary, p. 595
[5] « Sans raison [īqī] » : cette précision du texte araméen se retrouve dans plus de la moitié des manuscrits grecs, dont le codex de Bèze, et, dans la traduction liturgique byzantine (εἰκῆ), il se retrouve aussi dans les vieilles latines... dans les manuscrits D, W, it, st, co, l, f1, f13, Θ, ainsi que chez Cyprien, Cyrille et Jean Chrysostome. Le texte court est représenté, entre autres, par p67, א, B, Justin, Tertullien, Augustin. Cf. Ulrich LUZ, Matthieu 1–7 A commentary, Fortress Press,2007, p. 238.
[6] Le participe passif « mḥayyaḇ » signifie que la personne est déjà jugée coupable et il y aura un verdict qui imposera un châtiment ; la majorité des traductions françaises, « sera justiciable de », « passible de », « en répondra au tribunal », édulcore le sens du verbe araméen.
[7] eṯraᶜᶜā : forme passive ou réfléchie du verbe contenter, réconcilier.
[8] En araméen l’impératif négatif s’exprime toujours avec le futur, mais c’est un ordre ; en français, « Tu ne tueras pas » crée une équivoque et on ne l’entend plus comme un ordre.
[9] eṯraᶜᶜā : forme passive ou réfléchie du verbe contenter, réconcilier.
[10] En araméen, l’impératif négatif s’exprime par un futur, mais c’est un ordre : « ne mens pas ».
[11] La Pshitta a la conjonction « ayḵ d : pour la désirer » et « aussitôt a commis… ». SyrC et SyrS : « voit une femme et la désire, a commis ».
[12] En latin scandalizat et en grec σκανδαλιζει, mais en français, le mot scandale n’est plus utilisé que pour l’indignation que cause le mauvais exemple. En traduisant « entraîne ta chute », nous revenons au sens premier du verbe maḵšlā, qui est à la forme af‘el, l’intensité est si forte que cet œil fait descendre, s’enfoncer, perdre l’équilibre. L’auteur de scandale entraîne les autres par de mauvais exemples, ou de mauvais enseignements.
[13] SyrS : Mt 5,30 est entièrement absent.
[14] SyrC et SyrS: Lettre de divorce.
[15] SyrC et SyrS : « Celui qui renvoie sa femme, contre laquelle l’adultère n’a pas été allégué, c’est lui qui lui fait commettre l’adultère ». Cette phrase reflète une autre mentalité.
[16] SyrC et SyrS : le verbe est renforcé : « pour faire l’adultère, il fait l’adultère ! »
[17] S. Jean CHRYSOSTOME, Homélies sur saint Matthieu XVII,2 Œuvres complètes, tome XI, Paris 1868, p. 521.
[18] Rabbi Eliezer, Talmud de Babylone, Nid. 13b.
[19] S. Jean CHRYSOSTOME, Homélies sur saint Matthieu XVII,2 op.cit., p. 523
[20] La Bible de Jérusalem traduit « prostitution ».
[21] En araméen, l’impératif négatif s’exprime par un futur, mais c’est un ordre : « ne mens pas ».
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